Entretien avec… Philippe Troussier : « Pourquoi ne pas envisager un retour en France »

Véritable globe-trotteur du football, Philippe Troussier a un parcours pour le moins atypique et singulier. De l'Europe à l'Asie en passant par l'Afrique et le Moyen-Orient, l'entraîneur a tout connu durant sa carrière. Pour Foot Mercato, l'ancien coach de l'OM revient sur son parcours, son aventure phocéenne, son avenir et donne un éclairage sur le football au Qatar.

Par Khaled Karouri
13 min.
Philippe Troussier se livre pour Foot Mercato @Maxppp

Foot Mercato : Tout d'abord, comment allez-vous ?

Philippe Troussier : Et bien écoutez, ça va bien merci. Je suis actuellement sur Paris. Comme vous le savez je suis un voyageur, je voyage sur trois continents entre le Maroc qui est le pays dans lequel je vis, l'Europe à Paris qui est un lieu de transit et le continent asiatique où je me sépare entre Okinawa et Tokyo. J'y exerce des activités de conseil sur le développement d'un projet sportif à Okinawa. En ce moment, je suis sur Paris pour des raisons familiales avant de repartir sur le Maroc en début de mois et d'aller ensuite au Japon. Je devrais aussi faire un tour au Qatar pour y voir une partie de la Coupe d'Asie. Comme d'habitude, je voyage beaucoup. Mais bon, c'est un choix de vie que je mène depuis maintenant 7-8 ans. C'est un choix que j'ai fait.

FM : Quelles sont vos fonctions au sein du développement d'un projet sportif à Okinawa ?

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PT : Ce sont en fait des fonctions de conseil. C'est à dire que je suis associé à un projet de développement sportif à travers un petit club de foot qui est actuellement du niveau National à l'échelle française et qui a pour objectif d'accéder dans les 10 ans à venir à la première division. En sachant que pour accéder aux échelons supérieurs, il y a des contraintes d'infrastructures que nous n'avons toujours pas résolues d'ailleurs. Il nous faut un stade de 15 000 places assises pour que notre projet soit agrée par la fédération. Donc voilà, c'est un projet qui s'inscrit sur la durée. Je suis donc associé aux grandes décisions sportives en termes de choix d'entraîneur, du stade, des joueurs. J'ai aussi un rôle d'image puisqu'on utilise mon image, qui est liée à mon passé à la tête de l'équipe du Japon. J'ai gardé une aura populaire, ce qui fait que j'utilise mon image qui aide à avoir des relations privilégiées avec les élus ou les sponsors. J'ai un rôle d'ambassadeur pour ce projet afin de faciliter les relations. J'ai aussi été l'un des ambassadeurs de la candidature japonaise pour la Coupe du monde 2022. Et depuis deux mois, le gouvernement japonais m'a donné aussi un rôle d'ambassadeur pour faciliter les entrées touristiques des étrangers au Japon. C'est à dire qu'on m'a demandé de réfléchir sur des événements sportifs à créer au Japon pour faciliter les échanges.

FM : Vous avez connu beaucoup d'expériences en Afrique ou en Asie. Que retenez-vous de ces différentes aventures ?

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PT : Ces expériences sont des expériences professionnelles et sportives. J'en retire une grande satisfaction qui n'est pas liée au niveau du prestige de ces nations. Quand on voit mon passé, je ne peux pas dire que mes destinations sont des destinations de prestige. J'ai la liberté intellectuelle de faire le choix de travailler dans des pays qui me plaisent avec des personnes qui me plaisent. Ce que je retiens, c'est que ce sont des missions sous forme de challenges. Là, je ne suis pas complètement contenté aujourd'hui parce que c'est une activité un peu en dehors du terrain. Et c'est vrai que l'odeur du vestiaire et l'incertitude du résultat me manquent un peu. Mais en même temps, c'est un choix de vie. Je voulais faire mon métier autrement et avec un peu plus de recul même si par moment j'aimerais bien retourner sur le terrain. En tout cas, j'ai le sentiment d'avoir toujours été au bout de ce que je voulais faire. Chaque destination m'a permis d'acquérir une richesse au niveau des relations que j'ai pu avoir. Je peux dire que j'ai des amis dans le monde entier. Être un jour à Téhéran, l'autre jour à Doha, ensuite à Ouagadougou ou Tokyo... J'ai le sentiment d'être un privilégié. Et puis je suis aussi considéré finalement. En restant sur le territoire, on a tendance à ne voir que son nombril, en pensant qu'on ne peut vivre qu'en France. Mais on peut exercer sa passion ailleurs. Aujourd'hui, je surfe sur les continents et j'ai le sentiment de continuer à progresser. Je me sens considéré, non pas comme un expert, mais comme quelqu'un de spécialisé dans un certain domaine, à savoir le foot.

FM : Et parmi vos nombreuses destinations, il y a l'Olympique de Marseille...

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PT : J'ai accepté l'Olympique de Marseille à condition de ne pas dépasser six mois. C'était déjà la première des conditions pour que j'accepte l'OM. Cette condition a été difficilement acceptée parce qu'un entraîneur ne peut signer six mois mais il doit signer deux ans. C'est obligatoire dans la loi française. Par le biais d'un jeu de signature, ça a pu se faire. L'OM cherchait un entraîneur, moi j'avais signé un contrat à Kobe, au Japon. J'ai donc différé cette signature à condition de pouvoir arrêter début juin. Pour moi, ça reste une expérience assez riche même si elle a été un peu mouvementée. Comme vous le savez, je suis arrivé et le président Christophe Bouchet a été viré une semaine après. On s'est donc retrouvé sans président pendant six mois avant que Pape Diouf ne soit finalement nommé. Ensuite, il y a eu l'affaire Barthez qui avait craché sur un arbitre. C'est une expérience qui reste tout même très riche car on a terminé quatrième du championnat de Ligue 1 donc c'était un résultat pas trop mal compte tenu des conditions dans lesquelles je suis arrivé. Et puis ça m'a permis de me retrouver sur le territoire français, de manager un très grand club dont j'étais fan quand j'étais gamin. Je ne remercierai jamais assez Pape Diouf et José Anigo qui venait de quitter le poste d'entraîneur et qui faisait partie de ceux qui m'ont sollicité. Ça reste pour moi une belle expérience humaine. En plus, je n'avais jamais mis les pieds à Marseille de ma vie si ce n'est pour le match France-Afrique du Sud de la Coupe du monde 98. Moi le Parisien, je n'avais jamais mis les pieds à Marseille et j'ai été accueilli non pas comme un Parisien mais plutôt comme un globe-trotteur de par mon passé africain. J'étais un peu un Français de l'étranger là-bas. J'ai passé de très bons moments, avec de bonnes conditions pour travailler. C'était court, mais ça s'inscrivait dans mon choix de vie. Je ne voulais pas que ça dure plus longtemps. Ça fait partie de mon expérience, je suis heureux de l'avoir vécu.

FM : Seriez-vous tenté à l'idée de retrouver un poste d'entraîneur en Ligue 1 ?

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PT : Je ne vais pas vous dire non dans la mesure où il est question que je rentre en France pour des questions de scolarité des enfants que j'ai adoptés. Je réfléchis donc à l'idée d'intégrer à nouveau le système français. À partir de là, pourquoi ne pas envisager un retour sur le marché français. Si les conditions sont réunies, je vous dirais oui pourquoi pas. Mais je ne suis pas demandeur, je ne cherche pas de poste et je ne cherche pas à me faire connaître. Mais revenir en France dans une situation d'urgence avec un club qui me propose un challenge de courte durée jusqu'à la fin de la saison... Je reste ouvert à ce genre de choses. Revenir en France dans un projet de longue durée, je dirais non. Mais pour les conditions qui sont les miennes c'est à dire un challenge sur une période courte qui nécessite une énergie condensée, dans ce cadre oui.

FM : Que pensez-vous de cette saison de Ligue 1, avec un championnat dense où l'on ne voit aucune équipe se détacher vraiment...

PT : C'est parce que c'est l'un des meilleurs championnats européens. C'est lié à la qualité de la formation à la française. Il y a une grande qualité de joueurs, qui ont sensiblement le même niveau et qui s'étalent sur l'ensemble du championnat. Donc au lieu d'avoir trois bons clubs comme en Angleterre, en Espagne ou en Italie, on en a huit ou dix. Notre élite se partage sur plus de clubs. En interne, on le critique, on a l'impression d'être en retard mais c'est une question de complexes. Le Français n'arrive pas à assumer, à dire « on veut être champion ». Alors que bon, tout le monde aspire à être champion. Le football français à un très, très bon niveau. La formation se porte très bien.

FM : Quel serait votre favori pour le titre ?

PT : J'ai envie de dire Marseille. Marseille n'a pas besoin d'être trop vite devant, ils l'ont montré en tout cas sur les deux ou trois dernières années avec Gerets et Deschamps. C'est une équipe solide. Mais j'aimerais féliciter Lille et le travail de Rudi Garcia. Je l'apprécie beaucoup, c'est mon ami. Il est en lien avec ce qui arrive au LOSC. Mais pour le titre, je mettrais une pièce sur Marseille.

FM : Vous qui avez donc travaillé un peu partout dans le monde, quel regard porte-t-on sur le football français à travers le globe ?

PT : Sur le plan africain, il y a une relation très positive. On a une considération très forte pour le football français là-bas. En Asie, le championnat de France de Ligue 1 est inconnu. Le football français ne fait pas l'effort, je dis bien l'effort, de réfléchir sur la manière d'agrandir notre exposition. Je le comprends, car le Français a son propre système. C'est un être particulier, difficile à gérer, qui aime bien donner son opinion et il se suffit à lui-même. Pou le Français, ce qui vient de France c'est ce qu'il y a de mieux. Et quand il voyage à l'étranger, il a tendance à comparer avec son propre pays. J'ai vu récemment qu'on se plaignait de ne pas réussir à vendre le championnat à l'étranger. Mais c'est évident. Comment vendre aux Chinois, aux Japonais ou aux Asiatiques en général le football français, alors que pour voir un match de Ligue 1 là-bas il faut se lever à 4h du matin ! Les Italiens et les Anglais, qui jouent à 12h, ont compris qu'il y avait un business avec l'Asie. Les Anglais font systématiquement des tournées en Asie, ils vendent leur football en décalant des affiches à 12h ou 13h pour que ce soit à une bonne heure en Asie. En Asie, on connaît Manchester United. Si vous leur demandez s'ils connaissent Lyon, les gens ne connaissent pas Lyon. Si vous leur demandez s'ils connaissent Marseille, ils ne connaissent pas Marseille. Ils connaissent le vin de Bordeaux, mais pas les Girondins de Bordeaux. Le championnat français est inconnu en Asie.

Son avis sur le Qatar

FM : Vous avez eu une expérience au Qatar. Un pays qui organisera la Coupe du monde 2022. Une attribution qui a dalleurs fait énormément jaser. Vous qui connaissez bien ce pays, qu'en pensez-vous ?

PT : Je dis que c'est un bon choix. Pourquoi ? Parce qu'il répond aux critères et au cahier des charges de la FIFA. Quand on voit ce cahier des charges... Il faut être positif dans tous les domaines, que ce soit en termes d'organisation, de stades, de moyens ou de sécurité. Je dis que c'est un bon choix par rapport au lieu, à cette partie du monde qui n'a jamais été sollicitée pour organiser ce genre d'événements. Je sais, personnellement, qu'en termes d'organisation tout sera réuni et tout se passera dans de bonnes conditions. J'ai eu le privilège de partager des relations avec les Qataris et ce sont des gens d'une simplicité et d'une chaleur humaine vraiment rares. Et puis ce pays a déjà organisé des compétitions sportives de haut niveau. Alors oui, en France, on a tendance à porter des jugements sur le Qatar, on dit que ce pays n'a pas d'histoire. Mais on n'a pas besoin d'avoir une histoire pour accueillir une Coupe du monde ! Ou alors, ça voudrait dire que la Coupe du monde est l'affaire de ceux qui ont crée le football. Et dans ce cas, on a dix pays qui vont se partager la Coupe du monde. Je ne vois pas pourquoi cette compétition serait réservée à ceux qui doivent aujourd'hui partager leur expertise. Des pays doivent avoir leur chance, doivent se développer et n'ayant pas d'histoire n'ont pas d'autres moyens que d'utiliser leur argent. Pour se développer, ces pays doivent attirer des experts et pour y arriver, ils offrent des conditions attrayantes. Mais pour avoir discuté personnellement avec l'émir, ils essayent d'utiliser cet argent de manière intelligente. Je dis que cette approche est très saine, il n'y a qu'à voir comment le pays se développe. Ils ont de l'argent, mais ils ont surtout des idées. Après, il y a des contraintes car il fait chaud l'été. Mais ils vont pallier à ce handicap. Et pourquoi ne pas organiser la Coupe du monde en janvier ? On pourrait le faire exceptionnellement. La Coupe du monde sera bien organisée. La sécurité sera à son maximum, il y a d'ailleurs certainement plus de sécurité dans le Golfe qu'en Europe en ce moment.

FM : Certains n'hésitent pas à affirmer haut et fort que les Qataris ne connaissent pas grand chose au football. Qu'en est-il ?

PT : C'est un pays jeune, c'est clair. Mais je ne vois pas où est le problème. On sait tous que dans une Coupe du monde, ceux qui organisent le tournoi n'ont que très rarement accès aux stades. Les accès aux stades sont pour les étrangers. Le pourcentage réservé aux locaux est minime. Et puis la Coupe du monde, c'est surtout pour les téléspectateurs. Le plus important, c'est d'avoir des stades de bonne qualité et d'avoir des caméras suffisamment bien placées pour que les matches soient retransmis dans le monde entier dans de bonnes conditions. La Coupe du monde, c'est avant tout une affaire de téléspectateurs. D'ailleurs, les recettes du Mondial sont sur les droits télé. Je ne comprends donc pas ces critiques. Je suis convaincu que la FIFA se fiche de savoir si ce sont des fans ou pas.

FM : On parle par ailleurs beaucoup de l'arrivée d'investisseurs qataris au PSG. Interrogée à ce sujet, la ministre des sports Chantal Jouanno affirmait récemment : « Je préfère toujours quand ça reste français ». Avez-vous le sentiment que les Qataris sont vexés du fait que l'on remette souvent en cause leur légitimité et leur intégrité ?

PT : Oui, bien sûr. Mais l'idée que l'on se fait des capitaux étrangers n'est pas la même à Paris qu'à Londres par exemple. Il y a tout un jeu de lois ou de règlements et l'on n'est pas tous d'accord sur la méthode. En ce qui concerne ceux qui viennent investir dans le football français, il y a toujours une sorte de suspicion. C'est bien français. On porte même un jugement sur celui qui tient des boules de pétanque et sur celui qui tient une raquette de tennis. On est jugé sur son costard, sur les habits qu'on porte. Donc on porte souvent des jugements, qui sont erronés. Donc moi, si je suis Qatari, que je réponds au cahier des charges, et qu'on me dit que mon argent est sale... Ça peut me vexer, je peux comprendre que ça puisse vexer les Qataris. Que la ministre souhaite des garanties, ça me paraît évident. Mais comme il paraît évident que les Qataris ont le droit d'être irrités quant aux doutes qu'on émet sur eux. Et puis le gouvernement français et l'État qatari entretiennent de bonnes relations. Ce sont deux nations amies qui travaillent main dans la main. Que des Qataris soient actionnaires au Paris Saint-Germain, ça me paraît possible et ça donnerait un peu plus de poids au PSG. Ça serait un mariage positif.

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