Éliminatoires CAN

L’incroyable trajectoire du Soudan, de la guerre civile au toit de l’Afrique !

Vainqueur de la CAN en 1970, le Soudan a toutefois eu du mal à s’illustrer en Afrique sur les 50 dernières années. Pourtant, les Crocodiles du Nil semblent de retour à un excellent niveau et visent la CAN 2025 ainsi que la Coupe du monde 2026. Cela arrive alors que la guerre civile a mis en difficulté tout le pays.

Par Aurélien Macedo
8 min.
Équipe du Soudan @Maxppp

Les Crocodiles du Nil ont du mordant. Actuellement deuxième du groupe F des éliminatoires pour la Coupe d’Afrique des Nations 2025, l’équipe coachée par Kwesi Appiah impressionne. Dans un groupe difficile avec l’Angola, le Ghana et le Niger, le Soudan a su tirer son épingle du jeu. Après 4 matches, les Soudanais sont actuellement deuxièmes avec cinq points d’avance sur le Ghana et six sur le Niger. S’offrant le Niger (1-0) avant de tomber en Angola (2-1), le Soudan a réalisé une trêve internationale d’octobre excellente. Parvenant à tenir un match nul (0-0) contre le Ghana à Accra, les Soudanais ont gagné dans le stade des Martyrs de Benina en Libye le match retour pour une victoire (2-0). Désormais en position de force pour se qualifier avec un déplacement ce jeudi du côté du Niger, le Soudan n’a besoin que d’un point ou d’une contre-performance du Ghana pour se qualifier.

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Les Faucons de Jediane tiennent là une occasion en or de s’offrir un joli coup avec leur 10e participation à la Coupe d’Afrique des Nations. Car oui, le Soudan n’est pas forcément une petite nation africaine, mais plutôt un géant endormi. Participant à la première édition en 1957 puis finaliste en 1959 et 1963, le Soudan avait remporté l’édition de 1970 … face au Ghana (1-0). Plus titré que d’autres grandes nations africaines comme le Mali et le Burkina Faso, le Soudan dispose bien d’un sacre au même titre que le Maroc, la Tunisie ou le Sénégal. Pourtant son histoire footballistique s’est compliquée petit à petit. Depuis 1976, le Soudan aura connu une longue traversée du désert jusqu’en 2008. Une attente de 32 ans qui sera suivie d’une élimination au 1er tour comme en 2021 lors de la dernière participation soudanaise. Le dernier éclat étant un quart de finale arraché lors de la CAN 2012. L’une des raisons de ce déclassement du Soudan pendant de longues années est sa situation géopolitique. En effet, depuis 1955, soit peu avant l’indépendance du pays, le pays est perturbé par la guerre civile et cette dernière est toujours d’actualité.

Le Soudan meurtri par la guerre

Déchiré entre la partie nord du pays à majorité musulmane et la partie sud qui est chrétienne et animiste, le Soudan a vu la situation dégénérer quand le pays s’est approché de l’indépendance. La partie sud du pays a lancé une insurrection pour se séparer en 1955 et le mouvement s’est accéléré dans les années 1960 jusqu’à ce que le Soudan du Sud obtienne une autonomie partielle. Ce conflit aura fait entre 500 000 et 1 million de morts. L’équipe de football gagnera d’ailleurs la Coupe d’Afrique des Nations en 1970 soit juste avant la fin de cette première guerre civile. Après onze années "un peu plus calmes", la Seconde Guerre civile soudanaise débutera en 1983 et se tiendra jusqu’en 2005. Un conflit de plus de 20 ans qui fera 2 millions de morts et plus de 4 millions de réfugiés, soit l’un des conflits ayant fait le plus de victimes depuis la Seconde Guerre mondiale. Marquée par des sévices terribles, massacres, de l’esclavage et du racisme entre le Nord et le Sud du pays, cette catastrophe humaine aura encore déchiré un peu plus le Soudan.

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Alors que la Guerre au Darfour entre 2003 et 2020 a également impacté négativement un pays qui n’en avait pas besoin et alourdira le bilan humain en morts (300 000 environ) et réfugiés (2,7 millions), le Soudan est encore frappé par la guerre. Il faut noter aussi que le Soudan et le Soudan du Sud ne sont plus un même pays puisque le 9 juillet 2011, le Soudan du Sud a fait sécession suite à un référendum qui s’était tenu des mois avant. Depuis avril 2023, une quatrième guerre civile appelée guerre des généraux a frappé le pays qui fêtera l’année prochaine ses 80 ans de conflits et instabilité. Pays meurtri, le Soudan a donc des sujets bien plus importants à traiter et le football reste bien secondaire par rapport à la situation quotidienne de nombreux habitants. Pour autant malgré cela, le Soudan est en train de vivre un nouvel âge d’or après celui de la fin des années 1950 au milieu des années 1970 et la période 2008-2012 où le pays avait su sortir la tête de l’eau.

Plus de championnat et une fuite des talents

Si le football soudanais a connu des longs passages à vide, son championnat n’est pourtant pas ridicule. Neuvième meilleur d’Afrique, il permet d’avoir un niveau solide à l’échelle continentale. Le club d’Al Hilal Omdurman a connu deux finales de Ligue des Champions Africaine (1987 et 1992) tandis que le deuxième plus grand club du pays, Al Merreikh a atteint la finale de la Coupe de la Confédération en 2007. Cependant, le championnat est arrêté depuis le conflit de 2023 et les deux principaux clubs, Al Hilal et Al Merreikh évoluent en attendant dans le championnat mauritanien. Cette saison Al Hilal est d’ailleurs leader quand Al Merreikh est onzième, mais avec trois matches en moins. Le Soudan a aussi été 2 fois troisième du Championnat d’Afrique des Nations en 2011 et 2018, une compétition qui réunit uniquement des joueurs évoluant en Afrique. Avec quelques références au niveau local, mais peu de confirmation à l’échelle de la sélection, le football soudanais souffre beaucoup de son environnement.

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D’ailleurs, les joueurs soudanais ont du mal à s’exporter hors du continent. Dans la liste actuelle, seul Sheddy Barglan qui évolue en D2 néerlandaise au FC Den Bosch joue en Europe. Le buteur Abo Eisa joue en Thaïlande à Nongbua tandis que son frère Mo Eisa en Iran au FC Nassaji Mazandaran. Tous les autres en revanche sont en Afrique. Saif Thierry joue en Égypte à Pharco FC alors que le duo Bakhit Khamis et Al-Gozoli Nooh à Al-Ahli en Libye. Abdelrahman Kuku, John Mano et Eid Mugadam sont également en Libye à Al-Ittihad, Al-Ahli Benghazi et Al-Nasr Benghazi. Toujours en Libye à Asswehly SC, on retrouve Mustafa Karshom et Ahmed Al-Tash. Mohamed Mustafa joue lui en Tanzanie à Azam FC. Pourtant les nombreux conflits qui ont touché le pays l’ont privé d’une partie de sa diaspora. Ancien de Benfica et Salzbourg, l’Allemand Hany Mukhtar qui évolue à Nashville et qui a été international U21 avec l’Allemagne aurait pu jouir du statut de star au Soudan. La situation est similaire pour Meshaal Barsham, Almoez Ali ou encore Abdelkarim Hassan qui ont remporté la Coupe d’Asie avec le Qatar et auraient pu être des renforts de poids sur la scène africaine.

Le football pour combattre la guerre

Pour autant, malgré son statut d’outsider, le Soudan a su surprendre tout son monde et souhaite soulever encore des montagnes. «J’aime notre équipe, car nous n’avons peur de personne et nous ne pensons pas à l’autre équipe. Peu importe qu’ils aient Neymar, Ronaldo ou Jordan Ayew, nous ne pensons qu’à nous-mêmes. Nous sommes courageux et nous avons tellement de cœur» a d’ailleurs glissé Abdelrahman Kuku dans un entretien pour The Guardian. Celui qui est né en Égypte avant de vivre en Australie et aux États-Unis a finalement opté pour la sélection de ses origines. Il y a trouvé un groupe soudé qui performe depuis l’arrivée de James Kwesi Appiah depuis septembre 2023. Ce dernier qui a été à la tête du Ghana à trois reprises (4e CAN 2013, phase de poules Coupe du monde 2014 et 1/8e de finale CAN 2019) a su façonner une équipe redoutable qui a joué un sale tour à son pays d’origine.

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«Battre le Ghana a été une très bonne chose, pas seulement pour nous et pour le pays, mais aussi pour l’entraîneur. C’était leur entraîneur principal, mais ils l’ont viré. Le Ghana nous a beaucoup sous-estimés. Quand nous les avons affrontés au Ghana, nous avons rencontré beaucoup de difficultés, mais nous avons joué selon nos points forts. Ils pensaient que nous avions eu de la chance et qu’il en serait de même à Benghazi, mais nous avons gagné »souligne Abdelrahman Kuku. Ce dernier explique d’ailleurs que la situation difficile de leur pays apporte une motivation à l’équipe soudanaise : «la guerre fait avancer l’équipe. C’est un gros coup de pouce pour nous, sachant que nous sommes pratiquement la seule raison pour laquelle les gens sont heureux au Soudan. Quand nous jouons, c’est tout ce qui se passe dans le pays. La guerre s’arrête pendant 90 minutes pendant que tout le monde regarde, il n’y a pas de combats.»

À un point d’une qualification pour la Coupe d’Afrique des Nations 2025, le Soudan peut même faire encore plus fou. Lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2026, les Crocodiles du Nil ont impressionné Accrochés par le Togo (1-1), ils ont ensuite battu la RD Congo (1-0), la Mauritanie (2-0) et le rival historique, le Soudan du Sud (3-0). Leader de son groupe avec deux points d’avance sur le Sénégal et trois sur la RD Congo, le Soudan a son destin en main. De quoi envisager une fin d’histoire heureuse. «C’est quelque chose dont nous parlons. Même notre entraîneur dit que si nous participons à la Coupe du monde, cela mettra fin à la guerre. Il suffit de regarder ce qu’a fait Drogba. Le football est bien plus qu’un simple jeu. Il a rassemblé les gens en Côte d’Ivoire et nous espérons qu’il contribuera à mettre fin à la guerre» a appuyé Abdelrahman Kuku. En train d’écrire l’une des plus belles pages de son histoire, le football soudanais montre que même dans la pire des horreurs, de belles choses peuvent naître et apporter un espoir de lendemains plus doux …

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