Players Physique

Quels sont les liens entre la fatigue physique/mentale et la qualité technique ?

Après 3 mois complets de compétition, certaines équipes peinent toujours à développer une grande qualité de jeu. Le déchet technique est au rendez-vous et touche même des joueurs normalement au-dessus du lot dans ce compartiment du jeu. Quel est le lien entre l’usure physique et mentale et la qualité technique ? C’est la question que l’on s’est posée avec Basil More-Chevalier, chercheur à l’Institut national du sport du Québec.

Par Frederic Yang
8 min.
Neymar au duel @Maxppp

« On a défendu comme des fous, perdu beaucoup de ballons c’est vrai, mais je sais dans quel état physique nous sommes. On manque de rythme, de conditions, nous sommes fatigués physiquement et mentalement, beaucoup de joueurs pas habitués à jouer des matches comme ça, d’autres blessés ou sans rythme ». Après la victoire étriquée (1-0) du PSG contre le RB Leipzig lors de la 4e journée de la phase de poules de Ligue des champions, Thomas Tuchel faisait un constat simple qui n’a pas forcément convaincu l’auditoire. Pourtant, on le sait, l’usure physique et mentale des joueurs après trois mois intenses de compétition et une trêve écourtée est bien réelle. Et elle affecte aussi directement la qualité technique.

Toutes les composantes de la performance sont interreliées

« Le cerveau humain accueille une multitude de processus cognitifs. Le cerveau est un organe biologiquement interrelié à tout : à nos pensées, à nos actions, à nos sens. Donc si vous préférez, toutes les composantes de la performance comme le mental, la technique, le physique et la tactique sont en réalité interreliées. Il a d’ailleurs été démontré que lorsque la fatigue mentale ou cognitive est présente, elle impacte chacune des composantes de la performance. C'est le cas par exemple des réussites techniques comprenant l'exécution des gestes, mais aussi la qualité des prises de décision », nous explique Basil More-Chevalier, entraîneur et Head of Performance du CS Longueuil (Québec) et qui prépare actuellement un Doctorat en neuroscience de la vision et plus particulièrement au développement des capacités perceptivo-cognitives.

Il détaille : « La fatigue mentale et physique, qui sont au passage deux construits différentes, impactent évidemment la qualité et la quantité des efforts produits sur le terrain. C'est par exemple le cas des distances parcourues qui ont tendance à augmenter alors que la vitesse, elle diminue. Or, on sait que dans le foot de haut niveau, ce qui fait la différence, ce n'est pas la distance en tant que telle, mais les courses à haute intensité. Il faut aussi noter que quand on ressent de la fatigue, cela affecte notre état mental. C'est le cas du système attentionnel, mais aussi des émotions, qui peuvent être plus difficilement contrôlables, car lorsque l’on est fatigué, nous pouvons tomber dans de l'irritabilité émotionnelle. Donc ce qu’il faut retenir, c'est que l’on ne peut plus évaluer les choses de façon disjonctive, en prenant chaque composante de la performance l’une après l’autre, mais bien intégrer toutes les interrelations ensemble, car c’est ce tout, cette complexité, qui permet à un joueur d’agir de façon globale. »

Comment réduire l’impact de la fatigue physique et mentale sur la qualité technique ?

Même en dehors du contexte sanitaire actuel et de cette saison anormale, on peut tous remarquer que la qualité technique d’un match a tendance à diminuer au fur et à mesure que les minutes défilent du fait de la fatigue. Mais comment les joueurs pourraient réduire l’impact de cette fatigue sur la qualité technique mais aussi leur prise de décision ? Basil More-Chevalier : « Aujourd’hui, la fatigue physique est globalement déjà bien gérée par les entraîneurs et les préparateurs physiques grâce aux outils comme le GPS, le RPE ou encore l'évaluation de la variabilité cardiaque qui permettent de bien quantifier la charge physique. Maintenant pour réduire l’impact de l’usure physique et mentale sur la qualité technique et la prise de décision, il faut une approche plus systémique. Je l’ai dit, tout est interrelié. Donc, tout ce qui va se passer en dehors du terrain avant et après les matches sera très important à surveiller. Je pense à l’entraînement invisible : l’alimentation, la récupération et le sommeil. Lorsque l’on est fatigué physiquement, on le remarque aussi cognitivement. Nous ne percevons et n’interprétons pas les situations de la même façon, on a un temps de réaction plus lent. »

Thibaut Courtois

Il poursuit : « Il faut être vigilant sur l’entraînement invisible mais aussi plus globalement sur d’autres éléments extérieurs comme la presse ou les réseaux sociaux. L’image des joueurs est devenue tellement importante que lorsqu’il y a un problème dans ces aspects-là, ça peut se répercuter sur les performances. Éviter les conflits demeure aussi important car ils engagent davantage de fatigue mentale et physique. Afin de préparer au mieux les joueurs, on peut avoir recours dans les jours précèdent le match à la méditation de pleine conscience, en faisant un travail de contrôle respiratoire, qui peut aider la récupération d’une charge cognitive élevée. Après c'est préparer cognitivement les joueurs en incorporant une gestion de la charge cognitive et des entraînements cognitifs adaptés et c’est justement ce sur quoi je travaille actuellement. Je m'attèle à créer ce que je nomme la "périodisation cognitive". Il s'agit de développer cognitivement les joueurs pour optimiser leur jeu avec et sans ballon. Notre cerveau à des particularités que l'on gagnerait à connaitre pour faciliter l'apprentissage, le développement et la performance à court terme. Car on parle souvent de préparation physique, parfois de préparation mentale, mais qui a déjà parlé de préparation cognitive ? Qui a déjà inclus de la préparation cognitive à l’intérieur de sa préparation d’avant-saison ? À ma connaissance, c’est quelque chose qui n’est pas assez exploité. »

L’impact de la presse et des réseaux sociaux sur la performance globale

Le début de saison du PSG a été plus que mouvementé. Malgré une première place en Ligue 1 Uber Eats, le club de la capitale ne convainc pas dans le jeu. Parfois coupé en deux, parfois poussif, le PSG est loin d’afficher le visage qu’il avait montré en août lorsqu’il avait atteint la finale de la Ligue des champions. Ces derniers temps, les tensions sont même palpables entre Thomas Tuchel et la presse, ses joueurs, son directeur sportif. Ce qui ne favorise pas du tout la production d’un jeu cohérent et convaincant sur le terrain. Tout comme les réseaux sociaux, qui impactent aussi les dispositions mentales et comportementales des joueurs.

Manchester United FC Romelu Lukaku Menama

« J’ai récemment lu une étude qui traitait justement de l’impact des réseaux sociaux sur la prise de décision en football. Cette étude indiquait que 30 minutes passées par jour sur des applications telles que Facebook ou Instagram pouvaient affecter négativement la prise de décisions des joueurs, et spécifiquement sur les passes. Ce qui est logique puisque si avant un match, un joueur utilise des ressources cognitives liées à son image de soi, il va être potentiellement plus affecté par une remarque ou un commentaire négatif qu’il va recevoir sur le terrain », explique Basil More-Chevalier, qui a aussi porté les couleurs du FC Rouen il y a quelques années.

Il ajoute : « Il y a également ce que l’on appelle le contrôle inhibitoire. Je m’explique : pendant un match, un joueur doit être capable d’inhiber certains de ses comportements. Par exemple, quand il souhaite faire un type de passe vers un coéquipier mais que d’un coup, un adversaire se met sur sa trajectoire, il doit être capable de changer d’avis et de prendre une autre décision. Malheureusement, les réseaux sociaux incitent l’inverse puisque sur les applications comme Instagram, on est attiré par quelque chose, une image ou un commentaire, et on clique. Du coup, on prépare le cerveau à être dans l’exécution automatique de choses plutôt que dans l’inhibition de certains comportements. C’est justement ce qui était indiqué dans l’étude : l’une des conséquences des réseaux sociaux, c’est justement qu’elle affecterait ce contrôle inhibitoire pourtant essentiel sur un terrain de foot. »

L’absence du public joue-t-elle aussi ?

Dans une enceinte vide, il peut aussi être difficile pour les joueurs de trouver leur second souffle. De se remotiver ou de se reconcentrer après un geste technique manqué. Certains joueurs ont clairement besoin de ce surplus d’adrénaline pour performer. « Pour moi, c’est une évidence que l’absence du public a un impact sur les joueurs mais je ne sais pas si cet impact est positif ou négatif. En tout cas, des études prouvent que les joueurs pros ont des capacités d’adaptation supérieures à la moyenne donc normalement, ils devraient déjà être adaptés à ces conditions particulières. Mais c’est certain que dans des fins de match, le manque de public peut avoir un impact sur la vigilance ou la motivation d’un joueur. C’est pourquoi, certains stades sont équipés par une ambiance sonore, qui peuvent servir aux diffuseurs mais aussi aux joueurs », conclut Basil More-Chevalier.

River Plate

Pour les joueurs physiquement et mentalement impactés, il n’y a donc pas 10 000 solutions pour continuer d’être performant. La gestion du travail invisible comme la récupération d’après-match, l’alimentation, le sommeil est indispensable comme une consommation modérée des réseaux sociaux. Crever l’abcès en cas de tension peut aussi être salvateur. Concernant le PSG, un enchaînement de victoires et une qualification pour les huitièmes de finale lui permettra de bénéficier d’un peu de répit mental et de sérénité. Comme nous l’avons vu, tout est interrelié donc un environnement apaisant pourrait contribuer à des meilleures performances sportives. Mais le contraire est aussi valable. Le match contre Manchester United revêt donc une importance capitale pour la suite de la saison. Il s’agit même d’un tournant.

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