Ligue 1

Supporters : pourquoi est-il si difficile d’aller voir un match à l’extérieur ?

En dépit d'un potentiel évident, la France reste l'un des championnats européens qui voit le moins de supporters se déplacer soutenir leur équipe à l'extérieur. Un état de fait notamment dû à une image erronée véhiculée à longueur de saisons et au traitement particulièrement hostile des autorités à leur égard.

Par Rodolphe Koller
7 min.
Supporter son équipe à l'extérieur reste compliqué @Maxppp

Il est de coutume de valoriser les ambiances chaleureuses, celles des publics qui transforment leur stade en forteresse imprenable, leur domicile en bunker. À coups de tifos, de chants, de banderoles et autres animations originales, un public peut réellement se muer en 12e homme et parfois permettre à son équipe de se subjuguer pour rafler des points inespérés. Cette version domestique a également un pendant à l'extérieur. Si la France n'est clairement pas réputée par la grande mobilité des supporters hors de leurs bases, il sont pourtant plusieurs milliers chaque week-end à arpenter les routes françaises pour suivre leur équipe aux quatre coins du pays.

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Depuis le début de la saison, ils étaient en moyenne 289 dans chaque parcage d'après les chiffres de la LFP, chiffre qui ne prend donc pas en compte l'éventuelle présence de supporters ou sympathisants visiteurs répandus parmi les locaux. En Premier League, ce chiffre frise les 2000 avec des équipes affichant un insolent taux d’assiduité de 99% à l'extérieur. Si le prix des places y est très élevé, c'est également le cas en Espagne. À titre d'exemple, il faudra débourser entre 70€ et 85€ aux supporters de l'Atlético Madrid, 60€ pour les abonnés, pour se rendre à Santiago Bernabéu voir jouer leur équipe contre le Real prochainement. En France, ces tarifs fluctuent généralement autour de la dizaine d'euros, mais s'envolent à Paris ou encore à Lille où l'on peut atteindre les 45€ pour certains matches. S'il est possible d'invoquer la culture footballistique différente d'un pays à l'autre pour tenter d'expliquer ces chiffres, plusieurs éléments bien plus concrets permettent d'analyser ce désamour vis-à-vis des voyages à l'extérieur.

Gros plan sur la Ligue 1

La France étant un pays plutôt vaste, se déplacer devient rapidement long et coûteux. Un supporter bastiais doit parcourir 14 108 kilomètres pour assister à tous les matches son équipe à l'extérieur contre moitié moins, 7 340 kilomètres pour les Lyonnais. En moyenne, un supporter doit parcourir 524 kilomètres par déplacement. Le parcage moyen fait autour de 1500 places en France, au titre des 5% de sièges réservés aux supporters visiteurs. Cette capacité peut être amendée en cas de travaux - c'est le cas du Stadium de Toulouse pour cet exercice - ou pour des raisons de sécurité invoquées par les autorités - les deux derbys entre Lyon et Saint-Étienne ou encore les PSG-OM et OM-PSG cette saison. L'accès au secteur visiteur peut carrément être interdit lorsque des arrêtés préfectoraux interdisent purement et simplement l'accès au stade, ses alentours, et même parfois les gares et aéroports de la région, aux personnes se disant supportrices de l'équipe évoluant à l'extérieur.

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Ce fut déjà le cas à onze reprises cette saison : Bastia - Lens (5e journée), Nice - Bastia (10e journée), Saint-Étienne - Metz (11e journée), Montpellier - Saint-Étienne (16e journée), Nice - Saint-Étienne (18e journée), Bastia - PSG (20e journée), Metz - Nice (23e journée), Bastia - Nice (28e journée), Metz - Saint-Étienne (29e journée), Montpellier - Bastia (31e journée) et Bordeaux - Lens (31 journée). Il existe enfin des huis-clos complets, comme cette rencontre Bastia - Guingamp (30e journée), disputée sur terrain neutre à Fos-sur-Mer. Ces mesures d'exception le deviennent de moins en moins avec le temps en comparaison aux autres championnats européens.

Du déplacement au chemin de croix

Quand il n'est pas tout simplement interdit, le déplacement peut tourner au chemin de croix. Ces deux dernières semaines ont fourni deux exemples particulièrement parlants. Pour se rendre au Stade Vélodrome voir le PSG défier l'OM, un supporter parisien devait obligatoirement rallier Avignon par ses propres moyens pour attendre une escorte qui l'emmenait dans l'enceinte phocéenne puis le ramenait à l'issue du match. Une partie de ces supporters ont ensuite été ramenés à Paris en cars ; l'autre pas, errant à une dizaine de kilomètres du centre d'Avignon en pleine nuit en attendant le premier train de la journée à destination de la capitale, le tout pour un match jugé à risque.

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Dimanche dernier, ce sont les Nantais qui ont fait un bien amer déplacement à Saint-Étienne. La préfecture de la Loire jugeant la rencontre à risque, un rendez-vous était prévu sur une aire d'autoroute non loin de la cité forézienne où tous les supporters Jaune-et-Vert devaient se rendre pour se procurer leur place pour le match via un système de contremarque, le tout encadré par les forces de l'ordre. Un flicage jugé inadmissible pour une partie des inconditionnels des Canaris qui ont tout de même fait le déplacement et tenté de négocier une organisation plus souple auprès de la préfecture de la Loire. Tout aménagement leur étant refusé, nombreux sont ceux qui ont fait demi-tour sans même pouvoir se rendre au match pour lequel ils auront fait 1300 kilomètres... pour rien.

Récits de déplacements

Pourtant le voyage n'est bien souvent pas si chaotique ni encadré, sans qu'aucun incident n'éclate. Chaque club et tifoseria a son propre fonctionnement, son propre rapport avec les autorités et les instances de son club. Thomas, Ultra haut-savoyard, nous en a dit plus : «Chaque semaine de déplacement, nous devons faire une déclaration des véhicules qui iront en voiture, en J9, en car dans le stade concerné. La plaque d’immatriculation doit être transmise généralement en début de semaine. [...] Nous devons également faire une déclaration du matériel qui sera pris. Il existe des interdictions de matériel selon certains règlements dans des stades !», explique-t-il.

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C'est le cas du Parc des Princes où l'interdiction de rentrer le matériel nécessaire à l'animation de la tribune - mégaphone, drapeaux... - décourage bon nombre de groupes français chaque année depuis l'arrivée QSI à la tête du PSG, comme nous l'explique Marco, Ultra toulousain : «Pour des matchs à Paris par exemple, le dispositif policier est complètement dingue ! Je pense qu'il est plus facile aujourd'hui de se procurer des armes de guerre sur le territoire français que de rentrer un fumigène au Parc des Princes. Je n'exagère malheureusement même pas... Nous sommes fouillés une première fois à la sortie de nos bus, puis les policiers nous encadrent et nous amènent au parcage où nous sommes fouillés une deuxième ainsi qu'une troisième fois, au cas où nous réussirions à chaque fois à nous procurer des armes entre chaque barrage, encadrés par une armée de policiers... [...] Désormais, on ne va d'ailleurs même plus à Paris tant nous exécrons tout ce qui s'y passe, de la politique tarifaire aux conditions d'accueil des supporters.»

Le même constat de Haute-Savoie en Haute-Garonne

Thomas est sur la même ligne : «Au Parc, nous le boycottons car nous n'avons plus le droit de déposer nos baches, de prendre nos mégaphones, nos drapeaux, nos étendards. Actuellement la politique du PSG pour les places en tribune visiteur est de 45€. Chose qui est pour nous inconcevable car nous défendons un football populaire.» Si Paris reste pour le moment un exemple relativement isolé, traverser la France pour suivre son équipe reste compliqué. Et l'Ultra haut-savoyard de préciser : «Les forces de l’ordre sont de plus en plus présentes dans des proportions démesurées par rapport au nombre de supporters qui sont présents en parcage. L’année dernière à Lille en semaine, nous étions 5-6 supporters et les effectifs de police par rapport à nous étaient triplés pour un match sans risque !» Sans parler d'un accueil : «Les fouilles sont de plus en plus poussées même sur des déplacements lointains ou peu de supporters se déplacent. Un passage avec un stadier et un autre avec un CRS contre un mur.»

Pour des supporters rompus aux voyages à l'extérieur, la procédure tourne à la routine mais l'image renvoyée au grand public est loin d'être idéale, et Marco le Toulousain en est conscient : «À Toulouse, nous n'avons pas vraiment une culture déplacement très poussée de façon générale. Pourtant, le Stade Toulousain réussit à organiser fréquemment des déplacements très massifs. C'est donc une preuve que l'image des ultras renvoyée par les médias joue beaucoup sur le reste du public, puisque pour la plupart d'entre eux ceux qui vont en déplacement le font avant tout pour boire et se battre. Ce qui est bien sûr très largement exagéré pour ne pas dire totalement faux.» En attendant, les clichés persistent, régulièrement alimentés par des faits-divers sur-relayés par rapport à leur caractère marginal et exceptionnel. La DNLH, division nationale de lutte contre le hooliganisme, a interpellé 641 personnes la saison passée lors des matches de L1 et L2. Des chiffres de plus en plus contestés par les associations de supporters. Toutefois, ces dernières restent relativement confidentielles dans la mesure où les instances refusent fréquemment d'ouvrir le dialogue, à un peu plus d'un an d'un Euro 2016 qui mettra pourtant à l'épreuve la capacité des autorités françaises en ce qui concerne la gestion de supporters venus des quatre coins du Vieux Continent.

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