Le Havre, Abdoulaye Touré : « je ne suis pas mort, j’ai toujours soif d’apprendre ! »
Après deux saisons délicates du côté du Genoa, Abdoulaye Touré a décidé de quitter la Serie A pour rejoindre Le Havre, fraîchement promu en Ligue 1. Un choix payant pour le milieu de terrain franco-guinéen, aujourd’hui titulaire indiscutable dans l’entrejeu normand. En exclusivité, le joueur formé au FC Nantes est ainsi revenu sur ses premiers mois dans la cité portuaire avant la réception de Montpellier pour le compte de la 27e journée. L’occasion également pour lui de revenir sur son aventure à la CAN, les dernières semaines compliquées de la formation havraise, ses ambitions pour la fin de saison mais également son avenir… Entretien.
Foot Mercato : vous avez décidé de rejoindre le HAC l’été dernier après une expérience au Genoa, ma première question est simple : pourquoi ce choix et comment vous sentez-vous aujourd’hui dans ce collectif ?
Abdoulaye Touré : ce choix de rejoindre le HAC s’explique surtout par ma situation avant de rejoindre le club. C’était une situation un peu compliquée en Italie. Quand je suis parti là-bas c’était avec un objectif bien défini. D’une part, je voulais découvrir un nouveau championnat mais surtout de rester sur ma lancée et d’enchaîner les saisons pleines et avoir une saison de conformation à l’étranger. Malheureusement, ça ne s’est pas passé comme je voulais, il y a des paramètres dans le football que, nous en tant que joueur, on ne peut pas maîtriser. Je me suis retrouvé sans club cet été et ensuite le contact entre le HAC et moi s’est fait rapidement, le deal s’est bouclé en 24/48h. J’ai opté pour ce club car pour moi le projet était cohérent, je sortais de deux saisons quasiment blanches donc je voulais retrouver un projet où je pouvais m’épanouir, où je pouvais me relancer et je trouvais que la proposition du HAC était celle qui convenait le plus à mes attentes. Le discours aussi m’a convaincu, que ce soit de la part de Mathieu Bodmer ou du coach, Luka Elsner. C’était logique que ça matche directement entre nous.
Une intégration réussie chez les Ciel et Marine !
FM : comment expliquez-vous cet échec au Genoa ?
AT : quand je suis arrivé au Genoa, c’était un coach et une direction qui me voulaient, ils m’ont fait venir mais malheureusement par la suite, les résultats n’étaient pas positifs donc le coach s’est fait renvoyer et la direction a vendu le club. Logiquement, on a un nouveau coach qui est arrivé, une nouvelle direction, une nouvelle philosophie et je n’entrais plus dans les plans donc comme j’ai dit, ce sont des paramètres qu’on ne peut pas maîtriser, ce n’était pas une question de niveau de jeu mais une question de contexte. C’est le football d’aujourd’hui, maintenant on veut brader les joueurs, on veut faire du marketing, on veut faire un peu de tout donc ce sont des nouveaux paramètres qui ont des conséquences mais qu’on ne peut pas contrôler.
FM : vous avez été formé à Nantes avant de quitter le club en 2021, un retour en France était une priorité pour vous ?
AT : oui oui, forcément, quand je me suis retrouvé sans club et que je suis dans ma réflexion, je me suis dit que le mieux pour moi, pour me relancer, c’est de côtoyer un championnat que je maîtrise, un environnement où je suis à l’aise, un championnat que je connais, c’était logique pour moi de revenir en Ligue 1.
FM : quel bilan tirez-vous de ces premiers mois au HAC (23 matches toutes compétitions confondues, 1 but) ?
AT : la première chose que je dois dire, c’est que j’ai été très bien accueilli, j’ai rencontré un groupe très homogène, un groupe sain, un effectif jeune mais qui vit bien et qui a soif d’apprendre et je pense que ça s’est vu sur les résultats directement, on a fait une première très bonne partie de saison. Sur le plan personnel, je ne m’attendais pas à jouer aussi rapidement et à enchaîner les matches pleins comme je le fais depuis que je suis ici. Je suis vraiment content parce que ça montre, d’une part, que je ne suis pas mort et, encore une fois, que ce n’était pas une question de niveau quand je ne jouais pas à l’étranger.
FM : vous êtes un titulaire indiscutable dans l’entrejeu normand, pouvez-vous nous parler de votre entente avec Daler Kuzyaev, Yassine Kechta et plus récemment Oussama Targhalline où tout semble être fluide ?
AT : c’est aussi une de mes forces, sans me jeter de fleurs. Je suis quelqu’un qui s’adapte à n’importe quels systèmes ou à n’importe quels joueurs, qu’il soit avec ou face à moi parce que j’ai eu la chance dans ma carrière d’avoir pas mal de coachs, donc pas mal de systèmes et plusieurs philosophies de jeu. J’ai su m’adapter à toutes ces formations là que ce soit en 4-3-3, 3-4-3, 3-5-2, 5-3-2, 5-2-3, ce sont des dispositifs que je maîtrise assez bien donc naturellement quand on met un joueur à mes côtés, j’arrive à m’adapter. Je dois aussi dire que les joueurs que j’ai à côté de moi, ce sont des joueurs de qualité donc quand deux joueurs de qualité se retrouvent ensemble sur le terrain, c’est évidemment plus facile de communiquer. Une préférence avec l’une de mes associations ? Non même pas, je m’entends bien avec tout le monde que ce soit sur le terrain ou en dehors après forcément, avec certains, j’ai joué plus qu’avec d’autres… Je ne vais pas dire que je m’entends plus avec l’un et moins avec l’autre, juste j’ai plus joué avec certains donc les automatismes peuvent se voir mais le courant passe bien avec tout le monde.
«La dynamique actuelle du HAC ? Il faut gommer les petites erreurs !»
FM : dans la continuité, pouvez-vous nous en dire plus sur votre relation avec Luka Elser ? Qu’est-ce qu’il attend de vous ?
AT : c’est un coach qui prône le beau jeu, qui aime le football, le beau football. C’est aussi tactique ce qu’il demande donc c’est un mélange, ça demande beaucoup d’énergie, beaucoup d’efforts mais quand on voit les résultats, on ne peut qu’être content. On voit que le travail demandé et fourni, il est payant. Maintenant, il faut continuer, je le répète, c’est un groupe jeune mais qui a soif d’apprendre et c’est essentiel. Le coach est lui aussi dans cette philosophie car malgré son expérience déjà acquise, ça reste un entraîneur jeune. Ce qui est sûr, c’est qu’avec ce coach et la mentalité de ce groupe, c’est parfait et le club peut viser de belles choses.
FM : après une première moitié de saison très prometteuse, le HAC marque un peu le pas et se retrouve 13e avant d’affronter Montpellier. Comment gérez-vous ce premier coup de moins bien ? Est-ce une situation qui vous inquiète ?
AT : vous savez dans une saison, il y a toujours un moment de creux, nous on est en train de le vivre en ce moment. Comment je l’explique ? Je vous l’ai dit mais ça reste un groupe jeune et sur les derniers résultats, on voit que ce n’est pas une question de niveau, ce sont sur les petits détails qu’on se fait avoir ou qu’on se fait punir donc si je devais accentuer sur un point, c’est sur ça : il faut gommer ces petites erreurs, c’est le sel du haut niveau, c’est sur ça qu’on doit être au rendez-vous. On doit vraiment gommer ça pour cette fin de saison et les matchs à venir.
FM : en tant que joueur expérimenté et fin connaisseur du championnat de France, quels sont les ingrédients nécessaires à mettre pour sortir gagnant de cette lutte au maintien ? Quel rôle occupez-vous dans le vestiaire dans un moment qui peut être stressant ?
AT : ce n’est pas que moi, tout le monde est impliqué, tout le monde a une part de responsabilité importante dans le groupe. Le plus jeune, le plus ancien, celui qui a le plus de matches en Ligue 1, qui a joué à l’étranger, peu importe, tout le monde est là, tout le monde compte. Après, c’est sûr, ceux qui ont le plus d’expériences sont ceux qui sont les plus âgés mais il n’y a pas de hiérarchie. Ici, personne n’est plus grand qu’un autre, chacun à son mot à dire et c’est aussi ça qui fait la force d’un groupe. Au HAC, on a plusieurs joueurs de différentes cultures, de plusieurs nationalités et de générations diverses, là est notre force et les ingrédients sont là. Cette mixité doit nous servir pour avancer et pour éviter les petites erreurs qu’on a fait jusqu’à maintenant.
FM : il reste 7 journées et vous avez deux points d’avance sur… Nantes, votre ancien club actuellement barragiste, qu’attendez vous de cette fin de saison ?
AT : aujourd’hui, on sait qu’on est dans une position en dents de scie, on est dans un entre deux, on sait que ça peut aller très vite vers le haut mais aussi très vite vers le bas donc c’est à nous de prendre le maximum de points, à commencer par Montpellier, et de se mettre le plus rapidement possible à l’abri pour essayer de vivre une belle fin de saison et faire plaisir à nos supporters. Je veux aussi insister sur ce point, depuis le début de saison, que nos résultats soient positifs ou négatifs, ils sont derrière nous, ils sont toujours là pour nous soutenir, à domicile et même encore plus à l’extérieur j’ai envie de dire car ce n’est pas toujours facile de venir et de faire les déplacements. Ils sont souvent nombreux et ce public là mérite d’avoir une très belle fin de saison.
«Si je reviens un an en arrière, j’étais à la cave…»
FM : sur le plan personnel, comment jugez-vous votre saison jusqu’à présent ? Avez-vous des axes d’amélioration ?
AT : à l’heure où je vous parle, si je reviens un an en arrière, j’étais à la cave donc évidemment que si la saison dernière, on m’avait dit que j’allais faire une vingtaine de matches en L1 l’année d’après, je n’y aurai pas cru donc sur le plan personnel. La saison est pour l’instant plus que réussie et elle sera encore plus réussie si on arrive à se maintenir mais sur le plan personnel, forcément que c’est une très belle satisfaction. Après, oui, même à mon âge, j’ai toujours des axes de progression, des choses à apprendre. C’est comme un homme dans la vie, qu’il soit jeune ou plus âgé, on en apprend sur nous même chaque jour. Je sais sur quels axes je dois m’améliorer et où je dois accentuer pour mettre en valeur mes qualités…
FM : ça se situe où selon vous ?
AT : comme je l’ai dit précédemment, ce sont sur les petits détails. A certains moments, je peux avoir des pertes de balles qui sont dangereuses pour le groupe, que ce soit sur la partie offensive ou défensive. C’est plus sur le plan collectif après personnellement, sur mon profil, je suis quelqu’un d’assez grand donc forcément mon point fort n’est pas sur la vitesse d’exécution donc je dois aussi travailler sur ça mais je suis serein avec moi-même. Je sais que j’ai encore des choses à apprendre mais je suis aussi quelqu’un qui a soif d’apprendre donc ça ne me dérange pas d’être, aujourd’hui, dans cette mentalité. Je suis quelqu’un qui n’est jamais satisfait de moi-même. Même sur une belle performance, je me dis toujours que je pouvais encore mieux faire donc avec plaisir si j’ai encore des choses à apprendre. On ne peut jamais vraiment connaître nos limites, à nous de bosser pour les toucher.
FM : comment avez-vous retrouvé aussi rapidement le rythme de la L1 après ce passage à vide au Genoa ?
AT : je pense que tout le monde connaît la mentalité des Italiens sur le travail, je ne jouais pas mais justement ça m’a donné l’occasion d’être en salle et de travailler sur des détails où je devais m’améliorer. J’ai travaillé ma vivacité, ma motricité, l’intensité aussi et malgré mon faible temps de jeu, j’ai progressé sur ces aspects-là.
«Après la CAN, le peuple guinéen nous a accueilli comme des présidents !»
FM : vous avez aussi participé à la CAN en début d’année, que retenez-vous de cette belle épopée avec la Guinée (élimination lors des 1/4 de finale face à la RDC) ?
AT : c’était une très belle expérience, déjà au regard du groupe dans lequel on s’est retrouvé, pour beaucoup d’observateurs, c’était limite peine perdue, on nous disait cuit car c’était entre guillemets le groupe de la mort mais on a quand même réussi à s’en sortir. Le parcours global est très honorable parce qu’on a fait honneur au pays et on a rendu fier tout un peuple. Évidemment, on aurait vraiment aimé aller un peu plus loin mais je pense qu’on avait atteint nos limites.
FM : des regrets malgré tout sur cette élimination face à la RDC ?
AT : oui il y a des regrets car il y a des faits de jeu qu’on aurait pu mieux gérer pour remporter ce match-là. Il y a quand même un peu de regrets mais ça reste bien pour le futur car ça montre qu’il y a de la qualité dans cette sélection et pour les années à venir, je pense qu’on n’a pas à rougir.
FM : comment s’est passé le retour au pays ?
AT : c’était une folie. On a été accueilli comme des présidents, un accueil en grandes pompes. Franchement, c’était incroyable. Je me dis qu’on a été accueilli comme des présidents alors qu’on est allé qu’en quarts de finale, je me demande ce qui se serait passé si on avait été plus loin dans la compétition (rires). C’était une très belle expérience et voir l’accueil du pays après cette aventure, ça donne qu’une envie, c’est de revivre ces situations et l’intensité que ça procure.
FM : vous avez d’ailleurs un coéquipier au HAC qui partage votre quotidien avec la Guinée, est-ce que vous pouvez nous évoquer votre relation avec Mohamed Bayo ?
AT : c’est sûr que nous avons une relation particulière parce qu’au-delà du fait d’être coéquipier en club et en sélection, on est de la même ethnie entre guillemets donc ça a forcément une connotation spéciale. On parle en français mais aussi dans notre dialecte donc forcément ça donne une relation plus complice. On a aussi crée un lien fort entre nous car avant son arrivée au Havre, on ne se connaissait pas forcément mais depuis on s’est rapproché. Tout ce contexte amène cette complicité. Pour le reste, je suis très content qu’il soit arrivé ici, c’est sûr qu’il traverse, aujourd’hui, une période un peu plus compliquée mais je pense que c’est à l’image de toute l’équipe. Maintenant à nous aussi de l’aider pour qu’il soit dans les meilleures conditions, qu’il soit le plus heureux possible et qu’il commence à remettre des buts.
«L’avenir ? Si une opportunité se présente à moi, je vais l’étudier…»
FM : avez-vous constaté une évolution en Ligue 1 entre aujourd’hui et votre première expérience de ce championnat où vous défendiez les couleurs de Nantes ?
AT : oui, oui, forcément, le championnat a évolué, que ce soit au niveau des infrastructures, de la qualité de jeu, ça a changé. Déjà avant de partir, je disais que le niveau était en train de monter mais c’est encore plus le cas désormais. Pour moi, il n’y a pas de petites équipes. Pour prendre un exemple, aujourd’hui Reims peut aller au Parc des Princes et créer la surprise face au PSG donc oui, il y a la suprématie parisienne mais avoir des individualités ne fait pas tout.
FM : vous comprenez les critiques faites à la Ligue 1 ?
AT : chaque championnat est critiqué et la Ligue 1 n’y échappe pas et c’est assez logique car c’est un championnat très médiatisé, qui a de la visibilité. Après, si on le compare aux autres championnats, certains ne la trouvent pas au niveau mais de mon côté, pour avoir évolué ici et connu d’autres ligues, je trouve que le championnat français est vraiment sous-coté.
FM : à titre individuel et pour se projeter un peu, vous avez signé un contrat jusqu’en juin 2025, comment envisagez-vous l’avenir ?
AT : la première chose qui m’importe est de bien finir cette saison, essayer de maintenir le groupe. Après, on verra ce qui va se passer, on ne sait jamais ce qui arrive dans le football. Si une opportunité se présente à moi, je vais l’étudier car, aujourd’hui, j’ai 30 ans donc je dois aussi penser à ma carrière, à ma trajectoire personnelle mais je suis très épanoui ici, ça se passe très bien au HAC et si je refais une deuxième saison ici, ce sera avec un grand plaisir.
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