Dans toutes les équipes de football du monde, il y a un capitaine. Un homme parmi les onze titulaires qui porte le fameux brassard. Mais au fond, à quoi sert-il ? Quel est son rôle et comment a-t-il évolué au cours des années ? On a tenté d’y répondre.
Définir le rôle officiel d’un capitaine de football serait plutôt rapide parce qu’il n’en a, en réalité, qu’un. Selon les Laws of the Game (Lois du Jeu) établies par l'International Football Association Board à sa création, le seul rôle du capitaine est de participer au fameux pile ou face avec l'arbitre avant le coup d'envoi des matches et avant une séance de tirs au but. Son seul « pouvoir » est donc de choisir la partie du terrain où son équipe débutera la rencontre, ou bien de décider du côté où auront lieu les penalties. Rien d’autre. Mais il serait évidemment réducteur d’estimer que le capitaine ne sert qu’à ça. La vérité est qu’il incarne un tout car il y a toujours besoin d’un capitaine dans une équipe, dans le sport ou non. Il a toujours fallu quelqu’un capable de représenter un groupe d’hommes et dans le football plus particulièrement. Un sport qui nécessite de l’ordre et de la cohésion d’équipe.
Finalement, le capitaine est celui qui a les responsabilités. Et elles sont nombreuses. Sur le terrain d’abord où il doit être l’homme sur qui l’équipe doit se reposer, l’homme qui donne l’exemple aussi bien sûr le terrain qu'en-dehors. Mais dans le football moderne, il est compliqué de définir ce rôle clairement. « Aujourd’hui, c’est assez complexe. C’est un métier à part entière déjà. On sait que de base, il doit gérer le vestiaire, être le porte-parole du coach. Il s’occupe de tout. Mais au final, tout dépend de comment fonctionne l'entraîneur » avoue Cris, emblématique défenseur brésilien et ancien capitaine de l’Olympique Lyonnais. Car oui, l’homme au brassard est l’homme qui a des responsabilités, mais est-ce qu’il est vraiment le seul à en avoir ? Est-ce qu’il n’incarnerait pas plus ?
Une image qui a changé
Il y a une quinzaine d’années, le capitaine avait encore cette aura d’emblème du club. Il était d’ailleurs souvent choisi pour cela, parce qu’il représentait ce pour quoi les supporters se rendaient au stade. À cette époque, c’était celui qui incarnait le plus les valeurs du club. Les exemples sont nombreux. On pourrait citer Maldini, Totti, Puyol ou encore Steven Gerrard. « Avant, le capitaine, c'était une personne qui était ancrée et s’identifiait au club. C’était une personne qui représentait les valeurs de l’équipe. Il était investi. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas », estime Denis Troch, ancien entraîneur adjoint d'Artur Jorge au PSG notamment et désormais coach mental. La raison est toute simple. Dans un football où les joueurs ne restent jamais très longtemps dans un club, difficile de trouver pour ces mêmes clubs un emblème dans l’effectif. Alors il reste toujours quelques exemples comme Sergio Ramos au Real Madrid, mais c’est presque tout. « Avec tous les transferts et les changements de clubs, les joueurs hésitent à être les leaders. Les joueurs et les agents ont compris qu’il ne fallait pas s’enraciner dans un club. C’est aussi pour ça qu’ils ne veulent pas s’investir. Tout le monde aimerait un capitaine emblématique, mais, ce n’est quasiment pas possible », rajoute-t-il.
Aujourd’hui, les clubs et les entraîneurs, surtout, suivent un autre modèle. Pour être capitaine, il faut apporter sportivement à l’équipe. C'est la priorité. Fini le leader du vestiaire, l’entraîneur cherche désormais le leader technique, celui qui par ses performances et son attitude sur le terrain est capable de tirer l’équipe vers le haut et d’amener des résultats. Le leadership a changé. « Maintenant, on se base sur une technicité, sur celui qui va fédérer dans l’instant T. Aujourd’hui, un capitaine va être plus reconnu parce qu’il peut faire gagner son équipe », avoue le coach mental. Des joueurs comme Memphis Depay ou Marquinhos, pour ne parler que de la Ligue 1, ont bien sur des qualités de leadership, mais ils se distinguent d’abord par leur apport sur le terrain. « Les entraineurs ont besoin de résultat immédiat parce que leur durée de vie est courte, ils cherchent le mec le plus performant. Au final, mentalement, les nouveaux entraîneurs ne cherchent plus le leader de l’équipe, parce qu’ils pensent que c’est eux », confie Denis Troch. De son côté, Cris précise: « Après s’ils sont capitaines, c’est aussi qu’ils font preuve de professionnalisme. Tu ne peux pas designer un capitaine qui n’est pas irréprochable en dehors des terrains. Le terrain ça ne suffit pas. » Récemment, Martin Odegaard, 22 ans, a été nommé capitaine de la Norvège devant des joueurs expérimentés comme Stefan Strandberg, Rune Jarstein ou Markus Henriksen. Preuve que l'âge ou que l'ancienneté n'est pas un facteur déterminant pour devenir capitaine à partir du moment où l'on incarne les qualités et l'attitude recherchées par l'entraîneur.
« Demandez à des enfants qui suivent le football s’ils sont capables de vous citer les capitaines des 20 équipes de Ligue 1. Je ne suis pas sûr qu’ils puissent vous en citer 60% alors qu’avant tu savais qui était le capitaine de Nantes, Bordeaux, Marseille ou Paris », souligne Denis Troch, qui fut aussi l’ancien entraîneur du Havre. Souvent, les capitaines étaient considérés comme des légendes du club, des joueurs fanions à l’image d’un Didier Deschamps à Nantes ou l’OM, ou même d’un Juninho à Lyon. Maintenant, le capitaine n’est plus du tout au centre de l’équipe, loin là. De nos jours, il n’est d’ailleurs pas rare de voir le brassard de capitaine changer plusieurs fois de bras au cours de la saison. C’est aussi parce que contrairement aux années 90 ou même 2000, les responsabilités sont partagées. Tous peuvent prétendre au brassard de capitaine et l’entraîneur peut se permettre de changer de capitaine sans fracturer le groupe parce qu’il a moins d’importance. Cette petite anecdote de Cris l’illustre bien: « au Brésil, j’avais un coach qui changeait de capitaine entre la Copa Libertadores et le championnat. Juste pour la langue. Dans le championnat, on parlait tous le portugais, mais en Copa c’était l’espagnol. Alors le coach désignait un joueur qui parlait espagnol. Parfois, on ne comprenait pas trop. Mais c’était notre capitaine qui allait parler aux arbitres et tout ce qu’il y a autour. Ça ne changeait rien pour nous ».
Des responsabilités plus partagées
C’est sans doute la principale différence entre le football d’avant et celui de nos jours. Le capitaine n’a plus à assumer la charge de toute l’équipe. « Les capitaines de l’époque, ils faisaient tout. Aujourd'hui, chacun à sa propre mission. Le modèle n’est plus viable, c’est une charge trop lourde de s’occuper de tous ce qui fait le football actuel. Les joueurs ne veulent plus forcément les responsabilités», avance Denis Troch. La gestion d’un groupe est devenu beaucoup trop complexe pour tourner autour d’un seul homme. C’est aussi parce que les joueurs prennent plus de place dans le vestiaire. Il faut donc plusieurs leaders pour encadrer le groupe. D’ailleurs, très souvent, les leaders et les vraies voix du vestiaire ne sont pas spécialement les joueurs les plus importants sportivement. « À mon époque, il y avait pas mal de leaders. On gérait tout nous-même et on essayait de le régler entre nous. Aujourd’hui, les joueurs ne règlent pas les choses en être eux, ils se parlent moins. Il faut plusieurs personnes pour s’en occuper », analyse l’ancien international brésilien. Dans les équipes actuelles, les charges sont divisées, chacun à son rôle à l'image du groupe des Bleus à la Coupe du monde où certains devaient être les « ambianceurs » comme l’était Adil Rami ou Kimpembe. D’autres doivent, par contre, être les portes paroles du coach comme Lloris, et d’autres les leaders techniques comme Pogba ou Griezmann.
« Les entraîneurs cherchent à avoir plusieurs leaders dans chaque domaine, des joueurs qui remplissent des missions. Moi, je missionnais des joueurs pour des tâches bien précises : celui qui doit rassembler quand on est dans le dur, celui qui doit encadrer quand on marque des buts, celui qui accompagne l’équipe dans les premières minutes du match. En gros tout ce qui pouvait me faire gagner ou au moins ne pas perdre», décortique Denis Troch. Dans un entretien, Jeremie Brechet, ancien joueur de Sochaux, expliquait qu’il n’était pas rare de voir un capitaine ne pas vraiment communiquer avec son entraîneur, ne pas être le relai du coach. Tout dépend évidemment du type de management mis en place, mais cela illustre bien ce qu’est devenu le capitaine d’une équipe de foot. Parfois, le capitaine est même nommé par défaut. Denis Troch confirme: « Ça peut arriver qu’on mette un capitaine parce qu’il en faut un. Le football, aujourd'hui, tend vers ça. L’entraîneur essaye de prendre plus de place en tant que leader de vestiaire ». Et ne dit-on pas qu'on peut déléguer des tâches, mais pas les responsabilités ? À la fin, c’est toujours le capitaine qui devra rendre des comptes. Même dans un effectif fait de star, il sera toujours un peu plus mis avant, même s’il peut passer parfois au second plan.
On ne pourrait pas parler du capitaine sans parler de la symbolique du brassard. « Le brassard de capitaine, c’est un peu la cape du super-héros » expliquait Jeremie Brechet. « Il n’y a pas de différence entre être un capitaine et être un leader. Enfin si, le capitaine, il a juste le brassard en plus », analyse Cris. Ce symbole, les entraîneurs s’en servent souvent pour développer des joueurs. Pourquoi est ce que Lionel Messi est le capitaine de l’Argentine et du FC Barcelone ? Évidemment que c’est d’abord parce qu’il est le leader technique et celui qui te fait gagner des matches, mais c’est aussi et surtout parce qu’avoir le brassard fait se sentir spécial. Et un joueur comme Lionel Messi ne peut pas être logé à la même enseigne que les autres joueurs de l’effectif. Le FC Barcelone semble être l’exemple parfait pour illustrer l’évolution de la symbolique du capitaine. En seulement 10 ans, on est passé du capitaine emblématique symbole des valeurs du club comme Puyol, qui avait tout du capitaine parfait à savoir la posture, l'attitude et le talent, à Leo Messi, le leader technique. Pourquoi Gerard Piqué qui semble incarner les valeurs du club et être le leader du groupe, du vestiaire, n’est pas capitaine ? Parce que Messi a besoin d’être mis en avant, comme en sélection d’ailleurs. Ou du moins, ses entraîneurs veulent le responsabiliser davantage en lui donnant le brassard. Mais cela ne veut encore une fois pas dire que ce statut de capitaine n'a pas de valeur. Denis Troch: « je pense qu’il est capitaine parce qu’il faut nourrir ce genre de joueur. Il réclame quelque chose, il est au-delà de la norme, il faut l’alimenter. Pour qu’il grandisse et qu’il continue, il faut qu’il ait de nouvelles responsabilités, sinon mentalement, il va s’essouffler. Être capitaine, ça lui redonne une aura. Avec l’Argentine, c’était exactement la même chose. C’est pour montrer qu’il est au-dessus et pour qu’il continue à grandir. Ça le valorise. » À Lyon, voir Memphis Depay capitaine a peut-être aussi pour but de le stimuler, pour qu’il se sente important, impliqué dans les résultats de l'équipe et se surpasse sur le terrain. C'est aussi un bon moyen de lui donner envie de rester au club.
L’impact sur les joueurs
Stefan Zweig, célèbre écrivain autrichien, disait : « presque toujours, la responsabilité confère à l’homme de la grandeur. » Développer l’homme à travers les responsabilités du capitanat, c’est parfois ce que cherche à faire l’entraîneur. Pour Lionel Messi, qui est décidément un bon exemple à analyser, le brassard de capitaine avait sans doute aussi pour but de le forcer à être un vrai leader, à l’obliger à être un exemple sur le terrain dans son attitude. Sur l’Argentin, on peut penser que cela n’a pas forcément eu l’effet escompté, mais sur d’autres oui comme Memphis. Lorsqu’il évoluait à Lens, le jeune Jean-Ricner Bellegarde, qui joue maintenant à Strasbourg, avait été nommé capitaine à seulement 19 ans. Un choix surprenant, mais qui a contribué à son développement sur le terrain et sur le plan mental, comme il l’a expliqué dans une interview à France Football. « Je pense que le coach a voulu me donner plus de confiance et de responsabilités. Grace à ça, j'ai sans doute eu plus d'assurance et ça m'a aidé à me développer. (…) Je me suis aussi ouvert dans mon jeu. J'étais plus à l'aise sur le terrain, j'ai pris plus de risque. Au début, j'avais forcément un peu peur, mais au final, tu te dis que c'est ça le football. Tu dois assumer et ce choix a fait ce que je suis aujourd'hui, j'en suis même fier », détaillait-il.
Évidemment, ce choix est à double tranchant, car parfois, le joueur peut être noyé dans ses responsabilités. Certains joueurs ne sont pas faits pour avoir des responsabilités, ils n'en ont pas le caractère et le brassard peut vite devenir un fardeau. Mais maintenant, être capitaine ne veut pas forcément dire avoir du caractère. Tout dépend encore une fois de ce que veut mettre en place l’entraîneur. À Bordeaux, Laurent Koscielny n'est pas forcément connu pour avoir un fort caractère par exemple. Mais Jean-Louis Gasset cherchait-il vraiment ce profil lorsqu'il lui a donné le brassard ? Non. Il cherchait une posture modélisante. Celle du parfait joueur professionnel et travailleur. « Chaque entraîneur choisit le capitaine à l’image de ce qu’il veut mettre en place. S’il cherche une équipe vaillante, combative, il a plutôt intérêt à donner le brassard à un joueur comme Jeremy Toulalan. S’il veut plutôt une équipe joueuse, technique, il vaut mieux le donner à Zidane », explique l’ancien entraîneur du Paris FC. Finalement, dans le football actuel, la frontière entre leader et capitaine est tellement flou que son rôle est forcément moins important. On tend petit à petit vers un football sans capitaine, mais avec des leaders. Le mot de la fin est pour l’homme aux 304 matches sous le maillot de l’OL : « Aujourd’hui, le capitaine n’a de capitaine que le brassard. Dans le vestiaire de foot, les leaders sont multiples, mais comme on doit forcément le donner à une personne… Ça lui permet au moins d’avoir une posture différente. »