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Premier League : pourquoi le Qatar ne veut pas le rachat de Newcastle par l’Arabie Saoudite

Le probable rachat de Newcastle par le fonds public d'investissement de l'Arabie Saoudite fait beaucoup parler. Le Qatar n'est pas content et commence à hausser le ton.

Par Constant Wicherek
13 min.
Mohammed ben Salmane, le prince héritier d'Arabie Saoudite, lors de sa réception à l'Élysée @Maxppp

Depuis quelque temps maintenant, l'Arabie Saoudite travaille sur le rachat du club de Newcastle. Comme au Paris Saint-Germain ou à Manchester City, ce n'est pas un homme d'affaires qui veut reprendre les Magpies, mais bien un état souverain. Ainsi, le Public Investment Fund d'Arabie Saoudite (PIF) a accéléré ces derniers jours. Une traite a même déjà été payée pour racheter 80% du club à hauteur de 300 millions de livres sterling (343 M€).

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Plusieurs questions se posent : pourquoi l'Arabie Saoudite s'intéresse-t-elle aussi soudainement au football et aux pensionnaires de Saint James' Park ? Et surtout qui se cache derrière ce rachat ? À la tête de ce consortium, une femme d'affaires britannique, Amanda Staveley, et les frères Reuben (Dave et Simon), deuxième fortune du Royaume, et donc le fameux PIF. Pourtant, dans un premier temps, le fonds d'investissement public saoudien veut rester dans l'ombre et imposer une figure rassurante à la tête de tout cela avec Amanda Satevely.

Pourquoi les Saoudiens visent Newcastle

Plusieurs raisons font que les Saoudiens veulent placer dans leur giron les Magpies. « La première raison de leur investissement tient à l'opportunité. C'est un des rares clubs anglais qui reste à vendre et qui soit accessible financièrement. Manchester United était valorisé à 4 milliards et la famille Glazer ne l'aurait vendu qu'à 7 milliards donc les tops clubs étaient inaccessibles et il fallait une possibilité de pouvoir faire de la marge en cas de revente. Ce rachat est aussi un investissement économique. La deuxième raison qui explique la logique de cet investissement, c'est l'opportunité de la période. Avec la crise du coronavirus, la Premier League va avoir à supporter d'importantes pertes financières, le tout dans le contexte du Brexit. La PL et les clubs vont être plus fragilisés. Il y a donc une opportunité à saisir. Ceci étant, la négociation entre le PIF et Newcastle dure depuis plusieurs mois, l'annonce officielle tient plus de la coïncidence dans ce cas. Elle montre surtout que les clubs sportifs peuvent être des investissements potentiellement rentables notamment pour des fonds d'investissement souverains. C'est un vrai changement », nous explique Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport.

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La possibilité Newcastle reste aussi un beau challenge puisque, même si son passé parle pour lui, cela fait un bon moment que le club du nord de l'Angleterre est un club de seconde zone dans le Royaume. Pour autant, il ne faudra peut-être pas s'attendre à des montagnes de transferts farfelus. Les Saoudiens resteront rationnels. De plus, avec la crise actuelle, il est probable que le marché soit moins intense et relativement atone même si toute l'équipe de NUFC est à rebâtir. Pour les acteurs du rachat de Newcastle, les investissements en cours sont rationnels et opportunistes. Le ministre saoudien des Finances Mohammed Al-Jadaan s'est d'ailleurs exprimé sur ce point en évoquant Newcastle, mais aussi les autres investissements du royaume dans Live Nation, Carnival Cruises ou la compagnie pétrolière Equinor. «Ces investissements correspondent à des investissements importants, parce qu'ils offrent la capacité, en cas de crise, d'être revendus. À l'heure où beaucoup de compagnies réduisent leurs investissements, cela crée pour nous des opportunités d'investir », a-t-il rappelé.

Les Saoudiens auront-ils la même stratégie dépensière que le Qatar ? Pour notre intervenant, cela est une possibilité, mais elle est peu probable : « en dehors de toutes les spéculations possibles, il ne faut pas oublier que l'Arabie Saoudite, ce n'est pas le Qatar. Il y a plus d'une trentaine de millions d'habitants, on est sur une autre échelle. Ils ne pourront pas avoir la même stratégie dépensière que le Qatar ou les Émirats arabes unis. Ils seront forcément dans quelque chose qui sera plus calculé et qui sera, en termes d'image, plus compliqué à faire accepter s'ils dépensent en soft power sportif des sommes déraisonnables ou trop nettement hors marché. Ils ne peuvent agir au détriment de leur population, a fortiori dans un contexte de crise sanitaire, de récession globale et de baisse des cours du pétrole ».

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Le jeu des Saoudiens semble clair

En 2016, un derby du Golfe a lieu. En effet, le Paris Saint-Germain (Qatar) et Manchester City (détenu par les EAU) s'affrontent en Ligue des Champions et les Citizens éliminent les Parisiens. Mais c'est assez différent aujourd'hui entre les Émirats arabes unis et l'Arabie Saoudite. Les relations sont plus courtoises entre Mohammed ben Salmane, le prince héritier de l'Arabie Saoudite, et Mohammed ben Zayed, le principal dirigeant des EAU. « Avec le Qatar, la crise continue, la crise du golfe perdure malgré un relatif apaisement ces derniers temps. Ce qu'on peut voir, c'est que leur investissement correspond à leur ambition de se créer un portfolio de participations et d'atouts qui leur permettront en cas de besoin de bénéficier de retours sur investissement. Il y a deux autres raisons qui peuvent expliquer le choix de racheter Newcastle. Il y a d'abord la concurrence du golfe et l'envie de se mesurer aux autres par le football et de montrer qu'on ne laisse pas le terrain aux adversaires comme aux partenaires. Les EAU ont investi, ça leur a servi, idem pour le Qatar. En termes de visibilité, d'attractivité et de rayonnement, mais aussi et surtout en termes de réseaux politiques et de sympathie au niveau des opinions publiques nationales. Investir à Newcastle, c'est l'opportunité de se rapprocher des dirigeants britanniques, c'est prendre pied autrement en Europe et faire comme les autres avec une stratégie qui a fonctionné. Il existe un vrai effet de suivisme. La deuxième ambition de rachat consiste aussi à utiliser le football, comme l'a bien montré Amnesty International, dans un rapport publié le 29 avril dernier, comme technique de sport washing », nous explique l'auteur du livre Géopolitique du Sport, une autre explication du monde (Bréal).

En termes peut-être un peu plus clairs, l'Arabie Saoudite veut faire simplement oublier, entre autres, un événement récent marquant : l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Hatice Cengiz, sa veuve, s'est d'ailleurs exprimée à ce sujet : « les autorités britanniques et la Premier League ne devraient pas permettre à quelqu'un comme Bin Salman […] d'être impliqué de la sorte dans le sport au Royaume-Uni. Cela entacherait grandement la réputation de la Premier League et du R.U. Mohamed Bin Salman utilise stratégiquement les sports internationaux pour redorer son image gravement ternie par le meurtre de Jamal. Toutes les enquêtes indépendantes, y compris celles de l'ONU et de la CIA, ont conclu que Bin Salman avait ordonné le meurtre. Il ne devrait pas y avoir de place en Premier League et dans le football anglais pour quelqu'un d'impliqué dans des actes aussi abominables. […] Le prestige de la première division anglaise et du football anglais en général serait terni », avant d'ajouter que NUFC serait racheté par « ceux qui cherchent à se blanchir et utiliser le football anglais pour améliorer leur image et cacher leurs méfaits. »

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« L'autre intérêt est de faire oublier la guerre au Yémen et la politique extrêmement dure de MBS dans son pays. Avec un club de foot, vous lissez forcément votre image. Le foot, ce n'est pas de l'agression. C'est une autre manière de poursuivre les conflits par le sport. Il n'y a pas de morts dans le sport, c'est donc plus respectable», poursuit Jean-Baptiste Guégan. C'est précisément à ce moment précis que la lutte avec le Qatar arrive.

Pourquoi le Qatar ne veut pas de l'Arabie Saoudite

Au pays des mécontents, le Qatar est probablement le roi. En effet, l'émirat est totalement contre l'entrée de l'Arabie Saoudite en Premier League et il le fait clairement savoir. « Le danger de permettre l’acquisition d’une participation majoritaire (acquise directement ou indirectement) dans un grand club de Premier League par ce qui est effectivement le gouvernement saoudien ne peut être ignoré étant donné les actions illégales passées et continues du pays et leur impact direct sur les intérêts commerciaux de la Premier League, de ses clubs membres, de ses partenaires de diffusion et du football en général. En tant que partenaire de longue date et grand investisseur en Premier League, nous vous exhortons à examiner attentivement toutes les implications de le faire », aurait écrit dans une lettre adressée au patron de la Premier League, Richard Masters, Yousef Al-Obaidly, directeur général du groupe de médias beIN.

En dehors de la crise du Golfe, ces éléments de langage font notamment référence au piratage supposé par l'Arabie Saoudite de beIN Sports via beoutQ (dont la signification serait be out Qatar), un opérateur TV illégal. « On sait aujourd'hui, que l'Arabie Saoudite, un État souverain, serait, j'utilise le conditionnel à dessein, derrière cette opération. Le but est d'affaiblir beIN Sports en touchant à la principale revenue d'argent du football, les droits télévisuels. En piratant beIN, il l'empêche d'avoir des abonnements, notamment dans le Golfe. Sauf que cela a tellement bien fonctionné que, ce qu'on appelle aujourd'hui l'IPTV (Internet Protocol Television, ndlr) s'est développé, et que beoutQ est l'une des premières solutions de piratage dans le monde. À tel point que les principales ligues de sports se sont rassemblées pour contrecarrer cette stratégie qui fonctionne trop bien aujourd'hui* », détaille Jean-Baptiste Guégan.

On est donc dans un rapport de force, qui existe depuis l'essor du Qatar, débuté dans les années 90, un rapport de force qui se déroule dans une région très complexe. « La stratégie du Qatar est probablement l'une des stratégies de nation branding (valorisation de la marque pays, ndlr) les plus sophistiquées et les plus efficaces depuis 50 ans. Cela fait des jaloux et cet effort menace l'ascendant de l'Arabie Saoudite dans la région. Cela fait du Qatar un des acteurs géopolitiques incontournables, un statut qu'il n'avait pas. Les intérêts diplomatiques, stratégiques et économiques des Saoudiens et des Émiratis sont menacés. Initialement, les Saoudiens voient les Qataris comme des cousins, ils ont une pratique religieuse conservatrice relativement commune pour simplifier malgré des différences notables. Mais ils sont vus, j'aime bien l'image, de la manière dont nous, Français, voyons nos amis belges. Ce sont les cousins de l'autre côté de la frontière qui nous amuse… Mais quand vous les voyez avoir plus d'influence que vous, vous n'appréciez pas. C'est comme si les Français s'étaient fait battre par les Belges, qu'ils étaient devenus champions du Monde. On en aurait entendu parler pendant 20 ans », avance l'enseignant.

Des affrontements récents

Mais tout cela ne date pas d'hier. Le 5 juin 2017, la crise du Golfe démarre. Durant ce même été, des sources diverses et variées ont laissé sous-entendre une tentative d'intimidation voire d'invasion du Qatar par des mercenaires, le tout financé et organisé par les EAU et l'Arabie Saoudite. « La menace a été jusqu'à une possible tentative de renversement du régime qatarien et à la volonté aussi de faire revenir des anciens proches de la famille d'Al-Thani qui étaient en exil et qui auraient profité de la situation pour être mis au pouvoir et aligner le Qatar sur les positions saoudiennes et émiraties. La situation est tendue. BeOutQ l'a montré. Pirater un signal satellite, ce n'est pas commun. En faire une politique d'Etat si c'est démontré, c'est du jamais vu à ce niveau-là entre des acteurs de cette envergure. La situation a été suffisamment compliquée pour que les grandes puissances internationales soient obligées de prendre position et sifflent la fin de la récréation », nous explique-t-il.

La lutte a aussi fait rage sur d'autres dossiers, l'Arabie Saoudite ayant notamment accusé le Qatar d'être le principal financier du terrorisme international et surtout lors de printemps arabes. Les Saoudiens préféraient nettement soutenir les pouvoirs en place quand les Qataris, eux, sont du côté des révolutionnaires et financent notamment les Frères musulmans, classés comme terroristes du côté de Riyad, la capitale saoudienne.

Jusqu'où peut aller le Qatar ?

Mais la question que tout le monde se pose c'est : jusqu'où peut aller le Qatar pour empêcher les Saoudiens d'arriver en Premier League et que peuvent-ils faire ? Finalement, la seule réelle option du Qatar serait de rompre le contrat de diffusion avec la Premier League afin de couper le financement des clubs. Mais cela parait peu probable. BeIN Sports a le monopole des droits de la Premier League anglaise dans le Moyen-Orient et Afrique du Nord et jusqu'en 2021-2022 l'Australie, la Turquie, la Nouvelle-Zélande. Par conséquent, beIN Sports peut menacer la diffusion de la Premier League, et notamment chez les Saoudiens, alors beIN Sports est le plus gros détenteurs de droits au monde.

« On peut vraiment se poser la question de savoir jusqu'où ils peuvent aller. La vente est déjà effective, la première traite a été versée, les Saoudiens ne peuvent perdre la face comme cela. Ce serait surprenant. Après, est-ce qu'on peut avoir un recul de leur part ? Je ne pense pas. Est-ce que beIN peut laisser les droits du championnat le plus attractif à l'étranger ? Cela reste pour eux un atout. Ils vont donc mettre la pression et voir ce qu'il se produit. BeIN Sports a 24 pays sous contrat avec la Premier League. C'est l'un des premiers détenteurs de droits pour l'étranger de l'English Premier League . Peuvent-ils aller jusqu'à résilier le contrat ? Ont-ils la possibilité d'aller plus loin ? C'est la vraie question. On ne peut pas y répondre parce que l'idée, c'est de constituer un rapport de force pour négocier. Plusieurs options sont possibles parmi des dizaines : soit les représentants qatariens via BeIn Sports s'arrangent pour que les Saoudiens n'investissent pas de manière folle dans le club de Newcastle, soit ils mettent la pression sur la Premier League pour qu'elle régule et surtout arrête les investissements d'État dans le foot. C'est une tendance à ne pas négliger dans le cadre de la crise du coronavirus et elle est poussée par de plus en plus d'ONG. Que le Qatar critique cette prise de participation saoudienne est d'ailleurs assez ironique. Dans tous les cas, la prise de participation saoudienne dans le club de Newcastle compliquera considérablement les relations et cela peut amener le Qatar a investir plus rapidement et plus massivement dans l'une des pistes anglaises souvent relayées : Leeds. On retrouverait alors l'équivalent des derbies du Golf en Premier League (EAU, Qatar et Arabie Saoudite, ndlr) », philosophe Jean-Baptiste Guégan.

Que penser de la France ?

Avec les questions qui se posent en Angleterre, que penser de la France ? Depuis quelques jours, des rumeurs font état d'un éventuel achat de l'Olympique de Marseille par un homme d'affaires saoudien, le prince Al-Walid ben Talal ben Abdelaziz Al Saoud. Le club a démenti le fait que la formation phocéenne était en vente et le cousin de MBS a été embastillé par ce dernier et privé de son passeport avec interdiction de quitter le territoire, ce qui semble inconciliable avec le rachat d'un club étranger.

Mais le fantasme d'une rivalité entre l'Arabie Saoudite et le Qatar sur le sol français fait rage et intéresse tout le monde. Il reste donc à regarder comment le Qatar, via beIN Sports, va réagir. Sachant que Mediapro a quelque peu relégué le groupe qatari, la Ligue veut et doit progresser sur la vente de ses droits étrangers. L'improbable hypothèse saoudienne aurait de quoi séduire et c'est à ce moment précis que le Qatar revient en piste. En d'autres termes, cela pourrait vite devenir problématique. Et à l'heure actuelle, l'OM reste propriété américaine. Enfin, pour le moment…

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