Pelé, l’éternel génie précoce du football mondial
Le Roi Pelé s’est éteint à l’âge de 82 ans, à l’hôpital Albert Einstein de São Paulo entouré de sa famille et de ses amis, après plusieurs mois d’un long combat contre un cancer du colon. Le monde du football est en deuil tandis que le Brésil pleure la disparition d’un génie du football qui a révolutionné le jeu. L’heure de dresser l’itinéraire de la première pépite de l’histoire du ballon rond.
Admis à l’hôpital Albert Einstein de São Paulo depuis le 30 novembre dernier, Pelé est décédé ce jeudi à l’âge de 82 ans des suites d’un cancer du colon et d’une insuffisance cardiaque et rénale. Si l’état de santé de la légende brésilienne était préoccupant depuis plusieurs semaines, malgré quelques communiqués rassurants rédigés par sa famille, l’éternel numéro 10 de Santos a perdu son dernier match contre la maladie, mais non sans laisser derrière lui une trace indélébile sur le football. Entre génie précoce et icône nationale, l’homme au plus de 1 300 buts, comme il aimait le rappeler, a écrit sa propre épopée mythique, aux bribes parfois méconnues.
« Pour moi, le football est comme une religion. Je vénère le ballon et je le traite comme un dieu. Trop de joueurs le perçoivent comme une chose juste bonne à jouer. Ils devraient apprendre à le caresser et à le traiter comme une pierre précieuse », ce sont en ces mots que Pelé décrivait le football qu’il a réussi au fil de sa carrière et de sa vie à personnifier, à glorifier pour l’ériger au rang d’art. O Rei a quitté son trône pour rejoindre les étoiles qu’il a déjà frôlées par son talent et sa complexité.
L’enfant du Minas Gerais devenu roi de São Paulo
Edson Arantes do Nascimento naît le 23 octobre 1940 dans la petite ville Três Corações (que l’on peut traduire par « Trois Cœurs » en français), située dans l’État du Minas Gerais. Il est bercé par le football dès son plus jeune en accompagnant son père João Ramos do Nascimento dit Dondinho, qui a porté les couleurs des clubs de Fluminense et de l’Atletico Mineiro, à ses entraînements. Le surnom de Pelé tire son origine des coéquipiers de son père, puisque le jeune Edson, âgé de 3 ans à l’époque, s’amusait à crier le nom de Bilé, gardien du Vasco da Gama où jouait son père, mais en le prononçant Pilé. Ainsi le surnom de Pelé naquit : « Durant toutes ces années, j’ai appris à vivre avec deux personnes en moi. L’une est Edson, qui s’amuse avec ses amis et sa famille, l’autre est le footballeur, Pelé. Je n’ai pas voulu de ce nom. "Pelé" sonne comme un mot de bébé en portugais », affirma-t-il sur cette anecdote tirée de son enfance.
Après deux petites années passées au club de Bauru AC, Pelé signe, sur les conseils de son mentor Waldemar de Brito, dans le mythique club de Santos FC, ville portuaire située à quelques kilomètres de São Paulo. Dès son arrivée à l’âge de 15 ans en 1956, il s’entraîne déjà avec l’équipe professionnelle bien qu’il dispute les rencontres avec l’équipe junior. En seulement quelques mois, le jeune attaquant brésilien bluffe tous les observateurs et joue donc sa première rencontre officielle le 7 septembre 1956 au cours d’un match amical face aux Corinthians de San André : première apparition et premier but. Une précocité impressionnante qui lui vaut une convocation en Seleção face à l’Argentine au cours de laquelle il marque un but dans la victoire des siens. Pelé a écrit la préface de sa légende en ce jour.
Un génie technique en avance sur son temps
Avec un talent inédit à son époque et des qualités techniques hors-normes, Pelé est propulsé titulaire à Santos dès 1958 seulement deux ans après son arrivée chez les Peixe. Une première campagne aboutie puisqu’il termine meilleur buteur du championnat local de la région de São Paulo avec 17 réalisations en 15 rencontres. Le sélectionneur du Brésil, Vicente Feola le convoque pour disputer la Coupe du Monde 1958 en Suède. Au cours de cette édition, la première télévisée en mondovision de l’histoire, Pelé profitera des projecteurs mondiaux pour noyer le monde du football par son talent. Alors qu’il n’était pas censé être titulaire, il gagne des minutes au fil de la compétition pour terminer son voyage en Scandinavie avec six buts marqués en quatre apparitions, dont un doublé légendaire en finale remportée contre la Suède (5-2). Le Brésil de Garrincha devient celui du jeune Pelé, fraîchement champion du monde à seulement 17 ans. De quoi enterrer définitivement le souvenir amer du Mondial 1950, perdu en finale par les Auriverde au Maracanã, face à leurs voisins uruguayens : « La première Coupe du Monde dont je me souviens est celle de 1950, quand j’avais 9 ou 10 ans. Mon père était un footballeur, il y avait une grande fête, et quand le Brésil a perdu contre l’Uruguay, j’ai vu mon père pleurer », se rappelait Pelé.
Le nom de Pelé rime souvent avec statistiques et palmarès, tant il est riche sur ce terrain : sous le maillot de Santos (660 matchs, 643 buts), il a remporté onze fois le championnat de São Paulo, six fois le championnat national du Brésil mais aussi deux Copa Libertadores et avec le maillot jaune de la sélection, ses trois Coupe du Monde remportées en 1958, 1962 et 1970 constituent un record unique pour un joueur dans l’histoire du football. Élu « Athlète du siècle » par le Comité international olympique (CIO) et « joueur du XXe siècle » par la FIFA, Pelé ne se résume pas qu’à ces simples données chiffrées. Il est avant tout un révolutionnaire qui a installé une dimension technique et physique au collectif offensif. Son style de jeu unique combinait vitesse, créativité et aisance technique avec puissance physique, endurance et athlétisme. Son excellence technique, son équilibre, son anticipation et son agilité lui ont permis de passer ses adversaires en conservant le ballon, ce qui était assez rare à l’époque où le jeu de passes courtes était privilégié. Pionnier dans le domaine, il est l’un des premiers créateurs de gestes techniques devenus aujourd’hui communs tels que les feintes de frappes, les contrôles orientés, les conduites de balle individuelles ou le « drible da vaca » qui consiste à éliminer un joueur en croisant son dribble : « J’ai joué au futsal en grandissant à Bauru. Au futsal, vous avez besoin de penser vite et jouer vite, donc c’est plus facile quand vous passez au football normal », expliquait le Roi Pelé.
Un impact extra sportif souvent questionné
Dans un contexte particulier, Pelé a souvent été étroitement lié à la vie politique de son pays. En 1961, le gouvernement du Brésil sous le président Jânio Quadros a déclaré Pelé « comme trésor national officiel » pour l’empêcher d’être transféré hors du pays, enterrant ainsi définitivement les rumeurs de départ pour le Real Madrid , la Juventus, Manchester United, l’Inter Milan et le Valence CF. Mais pendant plusieurs décennies, le Roi Pelé a été pointé du doigt pour sa complaisance, voire sa sympathie envers la dictature miliaire du Général Garrastazu Médici, marquée par le slogan « Brasil : ame o ou deixe o » (traduit en « Brésil : tu l’aimes ou tu le quittes ») en vigueur après l’installation de l’AI-5 qui abroge la constitution et supprime les derniers droits politiques dont le droit à la défense. Pelé a conduit durant sa carrière plusieurs délégations diplomatiques pour représenter le gouvernement militaire à l’étranger, notamment lors des tournées en Europe de son équipe du Santos FC qui jouait des rencontres amicales contre les plus grands clubs européens. La Seleção, championne du monde 1970 et surnommée « L’Escadron » (« esquadrão » en portugais), a longtemps été utilisée comme outil de propagande. Pelé a souvent posé tout souriant en photos avec le dictateur Médici à Brasilia : « Saluer un président était un geste de politesse. Cela ne voulait pas dire que je soutenais la dictature. Il est difficile d’éviter un président comme Geisel et Médici. Indirectement, bien sûr, c’était une utilisation de mon image. Mais j’étais au courant. J’ai cédé parce que, dans ma position, il fallait faire des compromis », confiait-il des années plus tard. Mais ces critiques d’une partie du peuple brésilien sont bien évidemment à relativiser, compte tenu de la privation quasi totale de droits durant cette triste page de l’histoire du Brésil.
Durant sa retraite, Pelé a également alterné entre les bonnes actions remarquées et les sorties plus controversées. Il a milité avec l’UNICEF et la Fondation Pelé en faveur de l’éducation et de la santé des enfants et avec l’ONU, par le biais de l’UNESCO, pour l’écologie et l’environnement. Sa signature au New York Cosmos aux États-Unis en 1975 et sa proximité avec certains présidents américains comme Bill Clinton, n’ont pas forcément été perçues d’un bon œil au Brésil. Nommé ministre des Sports, sous la première présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-1999), Pelé a proposé plusieurs plans de refontes du football brésilien, notamment pour rendre public les finances des présidents des clubs : « Quand j’étais ministre des Sports au Brésil, j’ai proposé une loi qui obligerait les présidents de club à rendre leurs comptes publics, comme les autres entreprises. Ça n’a pas été accepté, mais je pense que c’est une histoire importante qui pourrait faire un bon film ». Il a aussi dénoncé la corruption qui régnait dans la Confédération brésilienne de football (CBF) sous la direction de Ricardo Teixeira, ce qui lui a valu un bras de fer avec la FIFA de João Havelange. Parmi ses grandes révolutions politiques, une loi, portant son nom et aux allures d’arrêt Bosman, a été votée pour donner plus de liberté et de sécurité aux joueurs du championnat.
C’est une icône nationale qui nous a quittée, aussi mythique que mystérieuse, aussi légendaire que pionnière mais Pelé, le joueur flamboyant et l’homme complexe, restera à jamais le visage historique du foot : « Pelé ne meurt pas. Pelé ne mourra jamais. Pelé vivra éternellement » disait-il de lui-même.