Pourquoi le Luxembourg est devenu le nouvel eldorado des joueurs français ?
Depuis plusieurs années, une vague de joueurs français, composée d’amateurs comme de professionnels, investit massivement le Luxembourg. Car sous l’effet conjugué de l’émergence du championnat, et de l’équipe nationale, le Grand-Duché propose aujourd’hui des avantages indisputables.
Le Luxembourg vit un peu sa seconde jeunesse avec les joueurs français. Modeste eldorado du début des années 2010, où plusieurs ex de Ligue 1 avaient posé leurs valises à l’image de Tony Vairelles ou Cyrille Pouget, le Grand-Duché a vu son contingent s’envoler depuis. Encore cette saison, 148 joueurs français, pour certains bi-nationaux, sont à recenser dans le championnat. Parmi les 16 clubs qui le composent, 15 en répertorient au moins 4, quand les plus friands pourraient même parfois en aligner un onze de titulaire et un banc. Le FC Mondercange, club le plus gourmand dans l’exercice, dénombre pas moins de 20 Français dans son effectif cette saison. Une osmose patente, mais qui ne serait pas possible sans attirance mutuelle. Car aujourd’hui, difficile d’ignorer l’éventail d’arguments que propose le Luxembourg.
L’été dernier, une nouvelle vague française a ainsi déferlé sur ce tout petit état de 640 000 âmes, l’équivalent de l’agglomération nantaise. Du laissé-pour-compte dans son club de L2, au jeune de 18 ans barré par la concurrence en L1, à l’amateur revanchard et désireux d’aller voir plus haut que la N3, les profils sont hétérogènes. En revanche, la mission reste souvent la même : se servir du Luxembourg comme tremplin. C’est d’ailleurs ce qu’avait confié avec transparence Rayan Philippe, joueur le plus décisif d’Europe la saison dernière avec Hesperange (30 matches, 32 buts, 26 passes décisives), aujourd’hui à Braunschweig en D2 allemande. «j’ai préféré partir au Luxembourg pour retrouver du temps de jeu, retrouver du plaisir, et m’en servir comme tremplin pour espérer remonter au haut niveau, si possible», avait-il confié à France Bleu Bourgogne. Tout bien considéré, le plan n’était pas si farfelu. Cette saison, malgré un contexte collectif laborieux (Braunschweig bataille pour le maintien), le joueur non-conservé par Dijon en 2021 occupe la deuxième place des meilleurs buteurs de son club.
Une atmosphère déjà très francophone et une proximité géographique non négligeable
Parmi les éléments de réponse à cet exode massif : un environnement déjà très familier, où le français demeure la langue de communication principale. Thierno Millimono, passé par les centres de formation de l’OM, Nice et Sochaux, se refait aujourd’hui une santé dans cette petite enclave située au confluent de la France, de l’Allemagne et de la Belgique. Il explique : «le Luxembourg, c’est à la frontière de tout. L’avantage, c’est qu’on peut donc presque tous vivre en France. Moi, je vis à Metz, à 45 minutes du Luxembourg. Presque personne ne vit ici car le coût de la vie reste plus élevé. Mais il y a quand même de nombreux Français dans l’équipe (14 exactement, dont le petit frère de Benjamin Bourigeaud, Alexis), et ça rassure toujours, surtout quand tu quittes ton pays à 20 ans», développe le latéral gauche de Mondorf-Les-Bains.
Guillaume Trani, l’un des meilleurs joueurs du championnat et débarqué chez le leader Differdange en 2022, fait lui aussi le pendulaire au quotidien. «Je vis à Thionville, à une demi-heure de la frontière franco-luxembourgeoise. Au Luxembourg, il n’y a pas grand chose à faire, c’est donc une plus-value de pouvoir vivre en France mais de jouer ici, confie le joueur pré-formé à l’OM et fignolé par la Nike Academy, école de foot de la seconde chance qui lui a permis d’affronter Brahim Diaz ou Phil Foden. Après la Nike Academy, j’ai fait deux saisons en N2 à Endoume, puis le COVID est arrivé. J’avais des contacts en N1 à l’époque, mais les championnats étaient gelés. Puis j’ai finalement signé au Luxembourg, à Hostert, car ça continuait de jouer là-bas. C’était juste à côté de la France, je savais que j’allais beaucoup jouer et que ça pouvait aussi être un tremplin. J’ai performé puis j’ai signé à Differdange, l’un des gros clubs du pays. Aujourd’hui, je ne regrette pas», persiste le joueur de 26 ans, nommé dans l’équipe type de BGL deux saisons de suite et aujourd’hui courtisé à l’étranger.
Un championnat en plein essor
Esquisser l’ambition de rivaliser avec les plus gros championnats du continent serait illusoire, et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de la Ligue luxembourgeoise. Aujourd’hui, l’essentiel réside ailleurs : dans l’ambition de voir le championnat se développer à longueur de saison. C’est le cas, mais à des niveaux encore bien disparates selon les clubs, que ce soit en termes de moyens financiers ou sportifs : «je pense que le haut de tableau du championnat pourrait évoluer en National 1, voire même Ligue 2 pour Hesperange et Differdange. Le reste, c’est l’équivalent de National 2 ou 3. En amical, on a réussi à faire 0-0 contre Nancy et on a battu Sedan», défend Guillaume Trani. Le niveau global, lui, reste en constante évolution, et c’est d’ailleurs ce qui favorise l’arrivée de «gros noms» ces dernières saisons. Parmi eux : Jonathan Schmid, arrivé cet été à Niederkorn après neuf saisons en Bundesliga, l’ex-Monégasque Nabil Dirar, le joueur formé au PSG, Kenny Nagera, qui s’éclate chez le leader Differdange, l’international marocain Rachid Alioui, ou encore le champion d’Italie 2023 avec Naples, Karim Zedadka.
«Le niveau du championnat a fortement évolué depuis 2/3 ans, et on le voit au niveau des noms qui arrivent. Mais ce qui montre aussi qu’il y a du progrès, c’est que lorsqu’ils arrivent, ils ne sont pas LES stars du championnat. Ils se fondent dans la masse», précise Theo Brusco, présélectionné en Equipe de France jeunes, et qui fait aujourd’hui les beaux jours de Differdange. Au niveau des infrastructures, ces joueurs qui ont pourtant souvent connu le confort et le luxe des centres de formations français, ne se lamentent pas non plus. «À Differdange, on a l’un des meilleurs stades du pays. Il a une capacité de 3 000 places et est d’ailleurs homologué pour la Coupe d’Europe. On a des bains de récupération, des installations et du matériel plus que correct», souligne l’ex-Marseillais Guillaume Trani. Le néo-international malgache, Thierno Millimono, confirme : «À Mondorf, on a de bonnes installations également. Ce qui change, en revanche, par rapport à la France, c’est l’accès au niveau médical. En centre de formation, on avait souvent 3 ou 4 kinés, des tables de massages, des docteurs, beaucoup de personnel, là on est encore en développement.»
La BGL tend à se professionnaliser
Ce qui tient encore la BGL à distance du monde professionnel, ce sont en revanche les contrats qu’elle distribue. Les contrats professionnels se chiffrent au compte-goutte, et tous les joueurs ne vivent pas uniquement du football, hormis à Hesperange, le Goliath du championnat. «Beaucoup d’éléments font que ça pourrait être un championnat professionnel mais ici, à Mondorf, on s’entraîne que le soir. Ce qui serait bien, ce serait de doubler les séances. Car de nombreux joueurs cumulent encore le football et le travail», raconte Millimono, arrivé cet été à Mondorf. À Differdange, l’un des cadors du championnat, on met encore un peu plus de beurre dans les épinards. Une source explique : «le salaire moyen se situe autour de 2 500 - 2 800 euros nets à Differdange. 80% de l’effectif ne travaille pas à côté afin de se consacrer pleinement au foot, ce qui explique aussi les écarts avec d’autres équipes. Certains clubs de milieu de tableau proposent de juteux contrats à 3 ou 4 000 euros, mais d’une manière générale, en-dessous de la 6e place, les salaires oscillent entre 1 200 et 1 600, ce qui est monnaie courante en National 3. Il y a des contrats de travail qui permettent aux joueurs de cotiser. »
L’autre axe sur lequel la BGL aspire à se professionnaliser, c’est la diffusion de son championnat. Aujourd’hui, les présidents de club et le diffuseur, RTL, entretiennent des relations polaires, et c’est un euphémisme. Sous couvert d’anonymat, plusieurs dirigeants avaient manifesté leur agacement au mois de juillet lorsqu’il était question de la qualité des retransmissions des matches. «Parfois, certaines rencontres ne sont pas diffusées sans que personne ne sache pourquoi. Dans d’autres matchs, je ne sais pas si les caméras ne sont pas nettoyées, mais le soleil fait qu’on ne voit absolument rien… Ce n’est pas possible», avait pesté un président interrogé par le média «Moien Mental». Outre la météo, certains impondérables viennent également polluer les rencontres, comme ces bugs techniques récurrents, ou ces décalages occasionnant parfois des retards de plusieurs minutes. En 2021/2022, RTL avait tout de même enregistré un impressionnant nombre de clics, dépassant le million de visiteurs pour le visionnage du championnat. Depuis, les présidents de club réclament à cor et à cri une amélioration significative du partenariat, tant sur le plan qualitatif que financier. Car non, contrairement à ce qui peut se faire ici ou ailleurs, les clubs ne perçoivent aucune rétribution de la part de leur diffuseur. L’avantage alors ? De voir leurs rencontres être retransmises sur des plateformes comme InStat, Wyscout ou Hudl. Par ces canaux, les clubs peuvent entre autres avoir accès à des statistiques en direct, leur facilitant la tâche en matière de recrutement.
Une visibilité non-négligeable
Si la BGL reste aujourd’hui un championnat semi-professionnel, elle constitue souvent un joli tremplin pour les joueurs français… Mais pas une garantie automatique de succès. À date, quelques échecs, car il en faut, restent à recenser. Prêté à Niederkorn par Saint-Etienne l’été dernier, Yanis Lhéry (20 ans) a finalement vu son prêt être écourté après avoir disputé seulement 4 petits matches de championnat. Amiens, de son côté, a cédé le jeune Henri Dupays à Pétange le temps d’une saison, où il peine à faire ses preuves et doit souvent compter les papillons depuis le banc. «Il ne faut pas non plus venir ici en pensant que tout est donné. Ça reste un niveau correct, où le niveau peut parfois s’approcher du National 1. Ce n’est pas toujours facile de s’y imposer. La première saison de Rayan Philippe ici a par exemple été plus compliquée pour lui. Moi, quand je suis arrivé de Villerupt-Thil (R1) en 2019, j’étais pas loin de vomir aux entraînements. L’intensité, c’était autre chose», se souvient le joueur formé à Nancy, Theo Brusco, qui a finalement su tisser sa toile au gré des saisons pour s’y faire une place. Titulaire indiscutable chez le leader Differdange, le défenseur de 24 ans a d’ailleurs fait l’objet d’approches en Ligue 2 cet hiver, ce qui valide bien la thèse d’un attrait grandissant pour le Luxembourg au-delà des frontières.
«C’est un championnat de plus en plus observé. Aujourd’hui, les clubs appellent mon agent pour lui parler de tel ou tel match alors qu’avant, c’était lui qui devait faire le premier pas et il était même parfois ignoré. Les top match du championnat (qui concernent Hesperange, Differdange, Dudelange et Niederkorn) sont regardés car ils sont disponibles sur Wyscout (une plateforme qui diffuse des milliers de matches et où les recruteurs peuvent défricher les zones inexplorées)». Il y a eu une vraie évolution depuis 2/3 ans, juge Brusco, qui a grandi à la frontière et avoue ne jamais avoir imaginé qu’un tel engouement gagnerait le Luxembourg. Cet engouement et cette visibilité, certains ont d’ailleurs su en tirer avantage. Outre le phénomène Rayan Philippe, Simon Banza a lui aussi performé à Petange avant de revenir à Lens en 2018, et de faire aujourd’hui le beau temps de Braga au Portugal. Le jeune Elias Filet a quitté Sochaux et rallié Istra en D1 croate l’été dernier, quand Amine Naïfi a signé à Saarbrücken (D3 allemande) cet été, tombeur du Bayern Munich et de Francfort en Coupe d’Allemagne. Mais pour Guillaume Trani, proche de signer à Maribor l’été dernier, les clubs français risquent de dresser leurs antennes encore plus consciencieusement après l’épisode Van Den Kerkhof, une jurisprudence aujourd’hui :
«Celui qui a aussi donné un gros coup de pub pour le championnat, c’est Kevin Van Den Kerkhof. Il était à Dudelange. Metz aurait pu l’avoir gratuitement un an plus tôt, surtout que c’est qu’à 30 minutes du Luxembourg. Finalement, il a été vendu à Bastia presque 3 millions d’euros», explique le milieu offensif. Si ces exemples de réussite attirent de plus en plus les joueurs français, notamment au niveau amateur, Theo Brusco prévient : «ce n’est pas la porte ouverte. Aujourd’hui, les clubs luxembourgeois peuvent venir recruter à la source, notamment en France, si tu surperformes. Sinon, ce sont des agents mandatés qui tirent les ficelles. Mais les clubs regardent beaucoup le CV». En clair, un passage dans un centre de formation français ou des expériences écumées dans des championnats nationaux restent appréciés, même si tous les clubs n’axent pas leur recrutement autour des mêmes critères. Hesperange, par exemple, s’apparente au «PSG luxembourgeois» en termes de ressources financières. Avec un budget semblable à ce que l’on peut retrouver en milieu de tableau de L2, le club distribue des salaires copieux dépassant 6 000 euros par mois. Ces dernières saisons, des noms déboulent en grappes dans ce club situé dans une petite localité de seulement 16 000 habitants. L’été dernier, l’international marocain Rachid Alioui a par exemple débarqué, tout comme l’Autrichien Raphael Holzhauser, meilleur buteur et meilleur passeur décisif de Jupiler Pro League avec Beerschot en 2021.
La perspective de jouer une compétition continentale
En interrogeant une demi-douzaine de joueurs de BGL sur la raison principale de leur venue ici, un même argument revient fréquemment : la perspective de jouer la Coupe d’Europe. Thierno Millimono explique : «même si ce sont parfois "que" des qualifications, l’Europe reste un argument très important. Mondorf a terminé 6e la saison dernière donc je ne la joue pas. Mais le champion participe aux tours préliminaires de la Ligue des Champions. Cette saison, Hesperange a été battu au premier tour par Bratislava (1-1, 0-2)». À date, le Luxembourg se classe en effet à la 43e position du coefficient UEFA, ce qui lui permet de placer un club au premier tour de qualifications de Ligue des Champions (le vainqueur du championnat), et trois autres en C4 (les 2es et 3es du championnat, en plus du vainqueur de la Coupe nationale). Guillaume Trani, actuel leader avec Differdange et en bonne posture pour y goûter à son tour, ne reste pas non plus indifférent devant cette opportunité : «en signant ici, je savais que Dudelange avait fait les poules de Ligue Europa deux fois, en affrontant l’AC Milan et Séville. Ce n’est pas ce qui m’a poussé à venir ici mais je me suis dit que ça pouvait être intéressant. Je n’ai pas encore joué la Ligue des Champions mais j’ai joué les barrages de Ligue Europa Conférence. La saison dernière, on a perdu contre Ljubljana, la meilleure équipe, mais en les regardant dans les yeux (1-1, 2-1 a.p), et cette saison, on perd contre Maribor.»
Après un match nul obtenu à domicile lors du match aller (1-1), Differdange a en effet été douché par un penalty litigieux de Josip Ilicic sur le gong (4-3 a.p), et ce, malgré un doublé de Guillaume Trani. C’est d’ailleurs sa prestation ce jour-là qui a poussé le club slovène à l’approcher. Faute d’accord avec Differdange, le natif de Marseille a rempilé pour une saison au Luxembourg. «Aujourd’hui, je préfère jouer là ou je suis que de jouer le maintien en N1 en France. Je prends du plaisir, j’ai l’opportunité de jouer ces matches de coupe d’Europe, et ça me permet de me mesurer au plus haut-niveau et de voir si je réponds présent. La BGL reste un championnat semi-professionnel, mais ça reste de la D1 et les matches sont catalogués UEFA. C’est plus valorisant que des matches de National 2. Cette saison, on a même des internationaux : Manuel Pami, international bissau-guinéen et Christoffer Mafoumbi, international congolais», maintient Trani. Car oui, le Luxembourg offre aussi une vitrine à l’échelle internationale. C’est notamment le cas de Thierno Millimono, récompensé de ses belles prestations par une convocation avec les U-23 de Madagascar. «En juin, j’ai été convoqué pour la première fois. Je suis en contact avec le sélectionneur des A, il pourrait y avoir une convocation prochainement, je l’espère. Mais ça montre aussi la visibilité qu’offre le championnat, en N3 ça aurait été impossible. Pour les bi-nationaux, la sélection, ça peut être une motivation supplémentaire», explique-t-il. En parlant de sélection, celle du Luxembourg entend bien prolonger l’euphorie jusqu’au bout. 3es de leur poule de qualification pour l’Euro derrière le Portugal et la Slovaquie, mais devant l’Islande ou encore la Bosnie-Herzégovine, Les Lions rouges auront une séance de rattrapage via les barrages de Ligue des Nations en juin. Ce sera face à la Géorgie de Willy Sagnol, puis, en cas de victoire, la Grèce ou le Kazakhstan en finale.
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