Matchs Amicaux

Argentine : la lumineuse Albiceleste fait sa rentrée en pleine crise nationale

Derrière l’enthousiasme nationale et la folie populaire, l’Argentine vit des heures bien sombres dans une année jugée capitale pour l’avenir du pays. L’Albiceleste apparaît comme une petite capsule heureuse qui rassemble un pays fracturé.

Par Valentin Feuillette
5 min.
Les joueurs argentins célébrant leur victoire @Maxppp

Les extraordinaires scènes de liesse dans les rues de Buenos Aires sur l’avenue du 9 Juillet et les manifestations euphoriques parfois jugées excessives outre-Atlantique pour célébrer le sacre de l’Argentine lors de la dernière Coupe du Monde, sont loin d’être un souvenir passé pour le peuple argentin. La fête ne s’arrête toujours pas et les reconnaissances se poursuivent aux quatre coins du pays. La fièvre pour l’équipe nationale championne au Qatar a déjà dépassé toutes les limites connues, du moins dans l’histoire moderne du football. Alors que la championnat et la Copa Libertadores ont bien repris ses droits depuis, la seule chose qui mobilise les 46 millions d’Argentins est de pouvoir revoir sur les pelouses nationales Lionel Messi, Dibu Martinez, Angel Di María et toute la troupe étoilée surnommée «La Scaloneta».

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Pour célébrer leurs retrouvailles contre le Panama (24 mars) et le Curaçao (28 mars), le sélectionneur Lionel Scaloni a composé un groupe élargi à 35 joueurs, dont les 26 qui ont trouvé la gloire éternelle après avoir battu la France en finale au Qatar, le 18 décembre dernier. On retrouve bien évidemment Lionel Messi et ses coéquipiers mais ainsi que plusieurs jeunes tels que Valentín Carboni (Inter Milan), Lautaro Blanco (Elche), Máximo Perrone (Manchester City) et Facundo Buonanotte (Brighton). A noter également les retours de Nicolás González et Giovani Lo Celso, Emiliano Buendía et Nehuén Pérez, qui n’étaient pas présents lors de l’épopée qatarie par décisions techniques ou en raison de longues blessures. Quant à Alejandro Garnacho, il manquera finalement le rassemblement après voir contracté une blessure avec Manchester United, alors que le sélectionneur l’avait bien convié à cette trêve.

Un contraste bien sombre en Argentine

«Le stade affiche complet. Merci pour tout cet amour que vous portez aux champions du monde», a remercié l’Association du football argentin (AFA) après un marathon inédit pour se procurer des billets. L’équipe championne du monde va refouler les pelouses pour la première fois depuis cette finale d’anthologie contre la France, avec un premier match amical jeudi contre le Panama dans le plus grand stade du pays, El Monumental de Buenos Aires, enceinte de River Plate. Inutile de préciser que l’engouement est total en Argentine : «Le retour de la sélection argentine a provoqué une réaction ahurissante du public», écrit le quotidien La Nación, précisant que 131 537 demandes d’accréditations ont été enregistrées, 63 361 billets ont été mis en vente en ligne sur un seul site et 1 895 772 personnes s’y sont connectées en espérant pouvoir s’offrir la seule lumière dans un quotidien morose pour le peuple argentin. Puisque derrière ces larges sourires et cette joie démesurée, se cache une véritable crise nationale dont souffre un peuple au bord de l’implosion.

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L’Albiceleste endosse un véritable costume social, un outil pour combattre de nombreux maux qui attaquent la société argentine en cette année 2023. Certains joueurs de la sélection comme l’extravagant gardien Dibu Martinez enchaînent les dons pour des hôpitaux et les campagnes de charité pour aider les enfants de sa ville natale Mar del Plata. Les prochains mois seront décisifs pour le pays puisque des élections présidentielles auront lieu le 22 octobre 2023. Si le président de gauche sortant, Alberto Fernández est éligible à un second mandat, le contexte ambiant est bien compliqué avec une inflation record, l’une des plus élevées au monde, de 6,6 % de hausse des prix en février 2023, ce qui augmente le total à 102,5 % d’inflation sur un an. Du jamais vu depuis 1991. Le chef d’Etat a également lancé une procédure parlementaire visant à destituer les quatre juges de la Cour suprême en janvier dernier, qu’il a qualifié de «Mafia judiciaire». Les tensions entre les pouvoirs exécutif et judiciaire ne cessent de s’intensifier après la condamnation pour corruption de la vice-présidente, Cristina Kirchner, victime d’une tentative d’assassinat l’été dernier. À dix mois de l’élection, les sondages pronostiquent un triomphe de l’opposition.

L’insécurité augmente aussi avec un narcotrafic toujours plus destructeur, notamment à Rosario, ville natale de Lionel Messi et Angel Di Maria. Après l’assassinat de Máximo Geres, un garçon de 12 ans, en pleine rue et en plein jour dans un quartier pauvre, le gouvernement argentin a déployé des moyens colossaux pour contrer ces cartels avec 1 400 membres des forces militaires envoyés à Rosario. Le sentiment d’abandon s’y accroît au point que certains habitants se font justice eux-mêmes : «Le chaos était total, et les faits d’une extrême violence. On fait justice nous-même, puisque la police ne fait rien», a expliqué un membre de la communauté au média local Cadena 3. Pour diminuer ce problème social, Aníbal Pineda, président de la Chambre fédérale de Rosario, aimerait utiliser l’Albiceleste et notamment Lionel Messi et Angel Di Maria dans une campagne de prévention contre la vente et la consommation de drogues. Vous l’aurez compris : la dernière Coupe du Monde remportée par l’Abliceleste apporte bien plus qu’un simple souvenir de Noel pour les millions d’Argentins. Et la fête attendue aux abords du stade River Plate devrait faire office de seconde célébration massive pour raviver des moments magiques pour des citoyens en proie à la crise.

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