D'ordinaire, le statut de joueur libre est un avantage sur le marché des transferts. Mais avec la Covid-19, la situation a un peu changé. Comment les joueurs vivent-ils cette situation parfois inconfortable ? Témoignages.
«Un été low cost». As soulignait cette semaine que le marché en Espagne faisait la part belle aux joueurs libres, avec deux tiers des transferts concernés de l'autre côté des Pyrénées. Sergio Ramos, Gianluigi Donnarumma, Georginio Wijnaldum, Memphis Depay, Sergio Agüero, Eric Garcia, David Alaba et bien d'autres ont négocié avec leurs nouveaux clubs en tant qu'agents libres. Mais ils sont encore beaucoup à attendre de trouver leur bonheur sur un marché tournant toujours au ralenti en raison des difficultés des clubs liées aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Comment vivent-ils cette situation ? Foot Mercato leur a demandé. Et un mot revient : le travail.
«Du travail, du travail, et encore du travail. Comme on est libre, qu'on n'est pas dans le contexte d'un club avec des entraînements en groupe, il faut se prendre en main et travailler soi-même. S'entourer d'un préparateur physique, maintenir une bonne hygiène de vie, et se donner deux fois plus pour être prêt pour le moment où un club fera appel à moi. L'avantage, c'est que tous les exercices que je fais sont focalisés sur moi, et me permettent donc d'être vraiment au taquet. Je m'entraîne vers chez moi, là où j'ai grandi, aux côtés d'un préparateur physique. On travaille ensemble tous les jours ou presque, pour vraiment perfectionner ma condition et rendre optimale mon arrivée dans un club. Bien sûr, la vie de groupe manque, c'est clair. Si on fait un sport collectif, c'est aussi pour ça, s'éclater avec ses coéquipiers sur le terrain, être stimulé par la concurrence, tirer tous dans le même sens pour que le groupe grandisse. Rien ne remplace ça», nous a confié Youssef Aït Bennasser, libre depuis la fin de son contrat avec l'AS Monaco.
Même son de cloche pour Eliaquim Mangala, dont le contrat avec le Valence CF a expiré fin juin. «J’ai un préparateur physique qui bosse avec moi, donc je fais deux séances par jour. Une le matin, une le soir. J’arrive à intégrer qu’on est dans une période de préparation. Tu n’as pas les contraintes fixes d’une vie en club. Tu es plus libre dans l’organisation de ta journée. Mais je fais comme si j’étais en présaison dans un stage. J’essaie de me calquer sur ça pour me maintenir en forme au maximum, même si ça ne remplacera jamais une séance collective. Mais j’essaie de faire le maximum. C’est vrai que la vie de groupe, ça manque un peu, c’est différent. Mais après, avec un coach individuel, un entraînement personnalisé, tu peux travailler vraiment sur toi, travailler ce dont tu as vraiment besoin. C’est sûr que rien ne remplace le travail collectif, qui te permet de prendre des repères, de vivre des situations plus réalistes», nous a indiqué le défenseur central.
Tous les deux sont convaincus qu'il ne s'agit pas forcément d'un obstacle pour leurs futurs débuts dans leur nouveau club. «Quand on parle de préparation, c’est surtout important sur le plan physique, pour avoir le bagage pour te maintenir en forme toute la saison. Avec un travail individuel, tu peux être à niveau. Tu as moins de charges de travail à engranger. Tu peux pousser un peu plus sur le côté purement physique. Après, ce qui manque, c’est le rythme collectif en termes de jeu. Il faut faire le maximum physiquement individuellement pour ne pas être trop en retard», explique l'international tricolore, repris par le milieu international marocain (24 capes). «Mon préparateur me connaît sur le bout des doigts, il sait sur quels domaines axer les séances, comment travailler pour que je sois bien, donc quelque part, avoir une préparation vraiment spécifique et tourner sur mon corps peut être un avantage au moment de reprendre avec un club».
Physique et mental à travailler
Wilfried Bony, lui, s'entraîne avec Newport County, pensionnaire de League Two (équivalent de National 2), depuis la reprise en attendant de trouver un nouveau club. «Je m’entraîne avec Newport, déjà, j’ai cette chance-là. Beaucoup s’entraînent seul, c’est encore plus compliqué. Il faut vraiment se motiver, sinon tu n’as même pas envie de te lever», nous a lancé le buteur ivoirien. La motivation, justement, semble être le maître mot, alors que les distractions sont forcément plus nombreuses. «C'est toute la difficulté. Mais il faut savoir ce que l'on veut dans la vie. Personnellement, mon objectif est de trouver un bon projet, dans un club qui me fera confiance et où je pourrai m'épanouir. À partir de là, la moindre des choses en retour est de savoir être sérieux en amont, de travailler sans relâche pour être prêt lorsque l'occasion se présentera», assure le Lion de l'Atlas.
«Je suis toujours motivé. Le jour où je perds ça, le jour où je n’ai plus faim, j’arrêterai. J’ai toujours envie de jouer, de gagner», embraye l'Éléphant, à la recherche d'un nouveau challenge depuis près de huit mois, qui souligne l'importance du mental dans cette situation. «On se tient prêt, ça peut se décanter à tout moment, ça peut venir à tout moment. Il faut prendre ça de la bonne manière. Mais ce n’est pas facile. Personne n’aime être libre», ajoute l'ancien goleador de Manchester City. Son ancien coéquipier chez les Skyblues met lui en avant la patience. «Il faut être patient, surtout qu’avec le coronavirus, c’est totalement différent. Le mercato est très lent. Il y a aussi eu l’Euro et la Copa América, donc ça démarre plus tard. Niveau budget, les clubs aussi sont serrés. Ils doivent d’abord dégraisser. Tout commence un peu plus tard. Ce n’est pas l’idéal quand tu es libre. Je suis totalement conscient de la réalité des choses. Je gère les choses assez bien. Je fais ce qui est à ma portée, mon travail physique. Le reste, c’est entre les mains des clubs et du mercato», a expliqué Mangala, repris par Aït Bennasser.
«Entre le coronavirus, l'Euro qui a figé les positions des clubs, ou le manque de rentrée d'argent lié aux droits télé... Je pense qu'on vit tous un mercato particulier, qui a du mal à démarrer. Les clubs ont pour la plupart besoin de vendre avant de recruter, donc il y a une sorte de grand stand-by. On va dire qu'il faut savoir s'armer de patience». L'ancien Nancéien garde la tête froide et ne veut pas se précipiter. «Il ne faut surtout pas précipiter les choses. Signer pour signer, à quoi ça sert ? L'idéal est de prendre son temps, non pas pour manquer de respect aux clubs, mais bien pour savoir quel est le projet, savoir ce que le club en question veut faire de moi, quel rôle je peux jouer et quel impact je peux avoir. Mon but, c'est de signer dans un club dans lequel je me sentirai bien, où je sentirai qu'on compte sur moi, et au sein duquel je pourrai être la meilleure version de moi-même. Alors, s'il faut attendre deux semaines de plus pour trouver ça, aucun problème», a-t-il avoué.
«On veut toujours signer le plus rapidement possible, sans faire n’importe quoi non plus. Mais c’est un mercato spécial, il faut en prendre compte. Une deadline, oui et non, ce serait bien de trouver avant le début du championnat. Mais vu la situation, il faut se tenir prêt et prendre son mal en patience. On voit au jour le jour, semaine après semaine, on s’adapte», ajoute l'ex du FC Porto. Des offres, certaines sont déjà arrivées. «Oui, il y a déjà eu de nombreuses discussions qui n'ont pas abouti. Ce sont les aléas d'un mercato. Mais il ne faut pas avoir peur de ce que nous réserve le lendemain. Il faut au contraire savoir peser le pour et le contre, et faire son choix», explique Aït Bennasser. «Il y a des contacts, des réflexions, mais je ne peux pas dire que j’ai été à deux doigts de faire quelque chose. On est dans une période de réflexion», indique pour sa part l'homme aux 8 sélections en équipe de France.
Attendre le bon projet, dans tous les sens du terme
Son ancien compère à City, lui, se souvient d'une proposition récente. «On m’a parlé d’une offre pour jouer à Malte. Je connais un peu le pays alors j'ai demandé un peu plus de détails sur la proposition. On m’a dit 3 000€ par mois. Je sais que ce n'est pas rien, mais comment je paye l’école de mes enfants ?», a conté le serial buteur, abordant, sans tabou, l'aspect financier des choses. «Ce n’est pas qu’une histoire d’argent. On a besoin d’argent, évidemment. Mais il faut être content d’aller là où tu vas jouer. Il faut être pressé, excité d’aller à l’entraînement, de sentir la pelouse, d’aller au stade. Il y a l’argent bien sûr, mais surtout le projet. Je suis prêt à faire des efforts, mais il y a des efforts que tu ne peux pas faire. Il y a des choses que tu peux accepter, d’autres non. Ce n’est pas par plaisir que certains joueurs restent six mois ou plus sans club. Daniel Sturridge par exemple. Il ne signera pas dans son nouveau club pour 15 000€ par mois. Je suis conscient de la situation actuelle, je ne demande pas la moitié de ce que je touchais. Même un quart, c’est déjà bien, tu vois que le club, malgré un contexte difficile, fait un effort pour toi », a-t-il lancé avant de développer.
«Je suis prêt à faire beaucoup de sacrifices. Mais si tu penses à cet aspect-là tout le temps, tu ne peux pas performer. Tu as toujours un stress dans un coin de la tête. Tous les joueurs veulent jouer. Le mental d’abord. Si tu n’es pas prêt dans la tête, comment tu peux performer ? C’est comme si on était esclave du système. On ne voit que ce qui brille, pas ce de quoi est vraiment faite la vie d’un footballeur. C’est ce qu’on montre. Personne ne montre qu’il vomit parfois, que le footballeur n’a pas de vie. Sa vie se résume au football. Si tu veux être au top, il faut faire un choix entre ton travail et ta famille. Il y a beaucoup de sacrifices. Pourquoi penses-tu que beaucoup de footballeurs ou sportifs de haut niveau finissent ruinés ou en dépression ? C’est difficile cette vie. Personne ne parle de ça. On ne parle que des belles histoires, pour faire des audiences. Il n’y a pas que l’argent, il y a le mental. Tous les jours, tu dois te lever pour travailler. Oui, on gagne beaucoup d’argent. Mais pour avoir ça, il faut beaucoup travailler. Mais avant les entraînements, je vais courir. Après les entraînements, je fais des soins avec un physio, je suis suivi par un nutritionniste. Parler et te montrer au travail devient une obligation, sinon, les gens pensent que tu t’assois et tu ne fais plus rien. Mais, si tu te contentes des entraînements, tu ne peux pas être au top», a-t-il insisté avant de marteler.
«Quelqu’un qui passe un an sans salaire, il devient fou. Il n’a pas d’équipe. Il est triste à l’intérieur. Le regard de sa famille sur lui change. Il faut garder la tête haute, faire comme si tout allait bien. Ce sont des sacrifices qu’on fait. On porte ce fardeau-là», a témoigné Bony. Dans ces moments de doutes, parfois difficiles, l'agent peut être un soutien de taille. «Quand on est impliqué dans la saison de son club, on essaie de rester loin des discussions pour se concentrer sur le foot. Là c'est sûr que, en qualité de joueur libre, il y a un contact quasi permanent qui se met en place avec son agent. Il faut discuter de tout, des différents clubs qui nous sollicitent, des propositions de contrat quand il y en a, des conditions, etc. Donc bien sûr, la relation évolue avec l'agent, avec qui il faut être en contact régulier», souffle Aït Bennasser.
Il faut surtout faire le tri sur ceux qui espèrent, aussi, profiter de leur situation pour travailler. «Comme à chaque mercato, il y a toujours des agents qui appellent pour proposer telle ou telle chose. Dans tous les cas, je les renvoie vers mon agent», assure le milieu. Pareil pour Mangala. «Ça va très vite, il y en a énormément qui appellent, mais avec moi, ça va très vite, je donne le numéro de mon agent. C’est lui qui gère et il me fait des retours. Souvent, ce sont des dossiers sur lesquels on est déjà placé et chacun essaie de faire un coup de son côté. Ce n’est pas toujours très intéressant», a-t-il conclu, pas fermé à la découverte d'un nouveau championnat et à une première aventure en Ligue 1. À bon entendeur. Exigence, travail, patience, lucidité. Autant de qualités que doit arborer un joueur libre de sorte à maintenir une force mentale et physique lui offrant dès lors l’occasion du rebond tant attendu. La gestion parfaite d’un quotidien passé dans l’ombre pour se donner à nouveau le droit de prendre la lumière.
En savoir plus sur