FC Barcelone : pourquoi tant d’espoirs de La Masia floppent au haut niveau
De nombreux joueurs formés au FC Barcelone présentés comme des futurs cadors n’ont pas réussi à percer au plus haut niveau. Et il y a bon nombre de raisons qui expliquent ce phénomène.
Dans l’imaginaire collectif, La Masia est souvent considérée comme le meilleur centre de formation du monde. Et c’est plutôt justifié. Dans des infrastructures d’élite, avec des formateurs plus que qualifiés, les jeunes pousses du FC Barcelone grandissent dans un environnement idéal pour se former en tant que joueurs et en tant qu’humains. Aux quatre coins du Vieux Continent et même au Barça, des joueurs qui ont lancé leur carrière dans le prestigieux centre de la Ciudad Condal brillent chaque week-end. La Masia accueille environ 80 pensionnaires tous les ans, généralement des jeunes qui ont au minimum 12 ans et viennent d’autres régions espagnoles voire d’autres pays. Tous les joueurs des équipes inférieures du Barça n’y vivent pas à l’année, contrairement à ce qu’on peut penser. Les gamins catalans passent généralement la journée au centre, mais rentrent chez eux dans des taxis affrétés par le club dans l’après-midi. Quoi qu’il en soit, une fois ce petit point technique éclairci, tous les mômes ont le même rêve : débuter avec l’équipe première du club. Mais les places sont chères, très chères. Au total, il n’y a que 194 joueurs passés par le centre de formation blaugrana qui ont réussi à défendre les couleurs barcelonaises en pro. Et beaucoup d’entre eux ne comptent que quelques apparitions par ci par là. Vous l’aurez compris, il est extrêmement difficile de devenir le nouveau Messi, le nouveau Piqué ou le nouveau Xavi.
Dans un contexte aussi médiatisé que celui du FC Barcelone, avec un nombre incroyable de médias et de journaux qui suivent l’actualité du club, les jeunes les plus prometteurs sont très vite médiatisés. On notera d’ailleurs que ce ne sont pas toujours ceux qui ont eu le plus de buzz qui ont réussi sur la durée. Loin de là même. Ces dernières années, énormément de joueurs issus de la formation catalane avaient cette étiquette de future star, mais beaucoup ont déçu. De là à parler de flops ? Là aussi, il convient de relativiser. Chaque cas est différent, bien sûr. Des joueurs du calibre de Gerard Deulofeu, probablement le joueur offensif issu de La Masia le plus talentueux depuis Messi pour beaucoup, n’ont pas réussi à briller à Barcelone, mais ont une carrière brillante loin du Camp Nou et de La Masia. En plus de la vedette de l’Udinese, on peut aussi évoquer les noms d’Alejandro Grimaldo, André Onana, de Thiago Alcantara ou même de Sergi Roberto. D’autres, un peu moins médiatisés à l’époque, ont aussi réussi à mener une carrière tout à fait honorable en jouant dans des bons clubs, à l’image d’Adama Traoré, Christian Tello, Marc Bartra, Munir El Haddadi ou Keita Baldé.
Qui dit La Masia dit surcotage ?
Mais pour un Gavi, un Pedro, un Dani Olmo, un Sergio Gomez, ou un Puyol, il y a beaucoup de ratés derrière. Bojan, à qui on promettait aussi un avenir à la Messi, en est un bon exemple, avec une carrière très instable, ayant certes évolué dans certains jolis clubs comme l’Ajax ou Milan, mais ne réussissant jamais à s’y imposer et à rester sur la durée. Au Japon également, on retrouve Sergi Samper, qui était appelé à être la relève de Sergio Busquets. Et que dire de Gai Assulin… Certains joueurs considérés comme des pépites n’ont même pas eu la possibilité d’effleurer le haut niveau. On pense notamment au Français Théo Chendri, qui a joué avec toutes les équipes jeunes de la France jusqu’aux U19 inclus, et qui n’a jamais réussi à jouer au haut niveau. Du haut de ses 25 ans, il est actuellement sans club après avoir quitté Badajoz, club de D3 espagnole. Cas de figure similaire pour Jean Marie Dongou, considéré comme le futur Eto’o à l’époque et venant d’ailleurs de la fondation du buteur camerounais. Lui aussi est au chômage après avoir résilié son contrat avec l’Anagennisi Karditsas en D2 grècque. Au cours de sa carrière, il a multiplié les clubs, principalement dans les divisions inférieures espagnoles, ne s’imposant nulle part. Son compatriote Lionel Enguene, lui aussi arrivé très jeune à Barcelone via la fondation Eto’o, qui est même passé par le Koweït ou la Géorgie, et qui est sans club depuis l’été dernier. Maxi Rolón, décédé en mai dernier à 27 ans, était sans club depuis 2021 et son départ du championnat d’Irak, alors que quelques années auparavant, il était considéré comme l’un des plus gros espoirs du foot argentin. Et la liste de joueurs dans un cas de figure similaire est longue et pourrait remplir plusieurs articles…
Comment expliquer qu’autant de joueurs ayant surnagé lors de leur passage à La Masia ne parviennent pas à exploser au plus haut niveau ? Il y a de nombreux facteurs qui peuvent servir d’explication à ce phénomène, qu’on retrouve finalement dans beaucoup de gros clubs européens. Comme cité plus haut, la surmédiatisation du Barça est un des principaux éléments à mettre en avant. Même les équipes de jeunes sont observées de près par les journalistes et les médias, et des gamins sont donc régulièrement en une des journaux locaux. En Espagne, certains tournois U12 sont même diffusés en clair à la télévision et regroupent des centaines de milliers de téléspectateurs à chaque édition ! Tout ceci contribue donc à la sur-exposition de joueurs dès leur plus jeune âge, et ceux qui parviennent à briller deviennent très rapidement connus, créant énormément d’espoirs et d’attentes autour d’eux. Le tout, avec cette volonté et cette anxiété de tout l’environnement médiatique et social autour du club de trouver la nouvelle pépite, le nouveau Messi. Encore plus dans un club comme le Barça, où le centre de formation est aussi important. Un phénomène médiatique qu’on ne retrouve pas dans des clubs un peu moins huppés, où les jeunes joueurs évoluent dans un contexte un peu plus privé et discret. On peut imaginer qu’on aurait jamais entendu parler de certains des joueurs cités plus haut s’ils avaient fait leur formation dans un club de milieu de tableau. Clairement, certains gamins sont donc surcotés - dans le sens premier du terme - et vus plus beaux qu’ils ne le sont réellement du fait d’évoluer au Barça et de sa machine médiatique. L’étiquette Masia contribue aussi à cette sur-valorisation des jeunes pour le grand public, puisque naturellement, on aura tendance à penser qu’un jeune issu du Barça est meilleur qu’un jeune issu de Levante ou d’Eibar, pour citer deux exemples au hasard.
Facile de briller chez les jeunes ?
Cette exposition aussi précoce est-elle négative pour l’évolution d’un joueur ? Les avis sont plutôt partagés à ce sujet. Certains estiment que c’est de la pression rajoutée sur les épaules d’adolescents qui n’en ont clairement pas besoin. Certains peuvent aussi prendre le melon comme on dit. En revanche, d’autres estiment que les meilleurs joueurs savent résister à cet emballement médiatique même en étant jeunes. Surtout au Barça, où les jeunes pousses sont particulièrement couvées, dans une bulle, et ont des préparateurs et psychologues qui les suivent au quotidien. Mais au delà de l’aspect mental, c’est surtout sur le plan footballistique que se trouvent bon nombre d’arguments pour expliquer la quantité de fiascos issus de la formation barcelonaise. Tout d’abord, il faut savoir que jusqu’aux U19, outre certains tournois comme la Youth League créée récemment, les Barcelonais jouent des championnats contre des équipes de leur région. La Catalogne en l’occurrence. Et le niveau est très hétérogène. Si les jeunes du Barça ont une vie de joueur professionnel pratiquement, s’entraînant dans des infrastructures de qualité, avec des préparateurs qui leur concoctent des séances d’entraînement individuel et collectif de haut niveau, ils affrontent régulièrement des clubs amateurs avec très peu de moyens, où les jeunes ont une vie "normale", allant à l’école et s’entraînant deux ou trois fois par semaine seulement. Ce n’est donc pas surprenant de voir bon nombre de joueurs du Barça se promener sur les terrains, où la différence de statut entre les clubs se fait sentir. Sur le plan physique notamment. Une fois arrivés au plus haut niveau, où le niveau s’homogénéise et où les adversaires sont aussi professionnels, ils ont logiquement plus de mal.
Le FC Barcelone offre des conditions rêvées, et pour les joueurs qui n’arrivent pas à se faire une place en équipe première, ce qui n’a rien d’honteux, le passage dans un autre club est très compliqué à négocier. Une fois partis du Barça, où ils sont chouchoutés, beaucoup se retrouvent livrés à eux-mêmes, dans des clubs où les infrastructures, le staff et les différents services de médecins, de kinés etc n’ont rien à voir avec ce qu’ils ont connu pendant leur formation. Pour beaucoup qui rêvaient de s’imposer et de jouer au Camp Nou, c’est aussi un coup terrible pour leur égo. « Si tu pars parce qu’on ne t’as pas conservé, le coup moral est énorme. Et ça nous touche tous, les joueurs comme la famille. Mais tu dois penser que c’est un pas en arrière pour en faire deux en avant », confiait à Relevo Ruben Gomez, ancien pensionnaire de La Masia et frère de Sergio, joueur de Manchester City. « Quand tu vois que tu es bon pendant tant d’années, beaucoup pensent qu’ils vont jouer en équipe première, mais la réalité est différente, c’est compliqué. Quand tu quittes la bulle Barça, soit tu es fort mentalement et tu gardes la tête froide, ou la claque peut être terrible », confiait au média Aleix Piqué, l’agent de Marc Cucurella. Si les deux joueurs en question ont bien négocié leur départ du Barça et évoluent chez des cadors anglais, la majorité a énormément de mal à s’en remettre…
Un modèle dépassé ?
Contrairement à ce qui se passe ailleurs, La Masia n’a pas pour vocation d’être un levier financier pour le Barça. L’objectif est de sortir des joueurs opérationnels pour l’équipe première, et pas forcément de vendre les joueurs issus de l’académie pour renflouer les caisses. Dès leurs premiers pas au centre de formation, les jeunes sont formés en suivant un modèle bien précis, afin de faciliter leur progression au sein des équipes de jeunes et éventuellement s’adapter très rapidement au jeu de l’équipe première. Le cliché du joueur issu de La Masia est celui du joueur très technique, au petit gabarit et plutôt à l’aise dans un jeu privilégiant la possession de balle. Presque à l’opposé du football à la mode aujourd’hui, plutôt basé sur un jeu très direct, et où on demande aux joueurs d’avoir de grosses qualités athlétiques. Ceci peut aussi être l’une des clés qui expliquent pourquoi beaucoup de joueurs ont du mal loin du Barça. Bien sûr, les joueurs réellement talentueux parviendront à s’adapter, à l’image de Thiago Alcantara, mais pour ceux qui n’ont pas autant de facilités, c’est forcément plus difficile. Et c’était déjà le cas avant, où beaucoup de joueurs avaient du mal lorsqu’ils arrivaient dans une équipe avec un plan de jeu bien différent de celui qu’ils ont connu pendant leur formation.
Enfin, l’étiquette Masia est lourde. Si elle n’est pas spécialement difficile à porter lorsqu’on est encore au Barça en raison du travail des préparateurs barcelonais avec les jeunes comme expliqué plus haut, c’est bien différent une fois arrivé dans un autre club. Les attentes autour des joueurs venant du Barça sont énormes, et ajoutent un poids supplémentaire dans le cartable bien plein des joueurs, qui ont déjà généralement du mal à assumer leur départ et s’adapter ailleurs. Beaucoup sont également considérés comme des "flops" par le simple fait d’avoir quitté le Barça, et ce même s’ils rebondissent dans des clubs de première division, et c’est aussi difficile à gérer au niveau de l’estime de soi. Tout comme passer d’une équipe victorieuse qui écrase tout jusqu’aux U19 à une équipe qui gagne peu est compliqué à vivre. On dit que la victoire est une drogue, et on peut le dire, les jeunes formés à La Masia y deviennent logiquement accroc. Lorsqu’ils rejoignent des équipes de milieu ou bas de tableau dans le monde pro, le retour sur terre est dur. Plus qu’une question de niveau des joueurs formés à La Masia, c’est une question de contexte qui provoque certains échecs remarqués. Mais rien qui ne remette en question la qualité de la formation barcelonaise, qui reste exceptionnelle.