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Entretien avec Stéphane Raymond, le créateur des crampons qui ont conquis Cristiano Ronaldo

Fondateur de Smart Power, l’entreprise française qui conçoit des crampons optimisés portés actuellement par Cristiano Ronaldo, Stéphane Raymond a répondu à nos questions. Comment et pourquoi ces crampons permettent d’aller plus vite et contribuent à diminuer les blessures ? Comment a-t-il convaincu Cristiano Ronaldo de tester ses crampons ? Vous allez tout savoir dans cet entretien.

Par Frederic Yang
14 min.
Stéphane Raymon de Smart Power @Maxppp

Foot Mercato : Bonjour Stéphane, pouvez-vous vous présenter et nous dire comment en êtes-vous venu à vous lancer dans la conception de crampons ?

Stéphane Raymond : Je m’appelle Stéphane Raymond, j’ai 47 ans et je suis le fondateur de Smart Power. Avant ça, j’ai principalement travaillé dans le secteur de l’automobile et notamment pour le groupe Michelin. J’ai une bonne expérience en ce qui concerne la liaison au sol. En 2014, j’ai créé mon entreprise Smart Power, qui est spécialisée dans l’impression 3D. Cette technologie nous permet d’étudier et de prototyper rapidement des nouveaux produits. J’en ai donc profité pour faire l’amalgame entre les crampons et les pneumatiques puisque le pneumatique est à la voiture ce que le crampon est au joueur. Pendant 3 ans, j’ai pu faire des milliers et des milliers de prototypes de crampons avant de développer le crampon que vous avez actuellement et que j’ai commencé à commercialiser début 2017.

FM : Pourquoi avoir cibler spécifiquement les crampons ?

SR : Je suis un sportif hétéroclite. Je suis très curieux et j’aime tous les sports. J’ai d’ailleurs pratiqué le football pendant de nombreuses années au niveau amateur. Aujourd’hui, je travaille dans le sport par vocation parce que j’aime ses valeurs et les émotions qu’il peut véhiculer. J’ai choisi de me limiter aux crampons et de ne pas aller toucher directement aux chaussures de sport car en faisant une comparaison avec l’automobile : Michelin fait des pneus et Porsche des voitures de sport. Chacun a son métier. Donc j’ai lancé mon entreprise en ayant pour but de devenir “le Michelin” du sport et devenir la référence ultime du crampon.

« Je me suis aussi aperçu que le crampon était le seul élément qui n’avait pas vraiment évolué dans les chaussures de foot »

FM : En tant que pratiquant, avez-vous déjà ressenti de la frustration, de la déception concernant vos crampons ?

SR : Non, car à l’époque, je n’avais pas encore cette réflexion. Je jouais avec ce que j’avais sans penser à optimiser quoi que ce soit. Plus tard, je me suis rendu compte que plusieurs joueurs glissaient sur le terrain et parfois se blessaient à cause de leurs crampons. En analysant la question, je me suis aussi aperçu que le crampon était le seul élément qui n’avait pas vraiment évolué dans les chaussures de foot, hormis les lamelles qui ont fait plus de mal qu’autre chose. Donc je me suis dit qu’il y avait mieux à faire dans ce domaine surtout que j’avais une bonne expérience dans l’adhérence et la transmission de puissance.

FM : Pouvez-vous nous parler plus en détail des premiers prototypes ? Par quelle étape êtes-vous passé avant de trouver la forme parfaite ?

SR : On a fait ce que l’on appelle de l’innovation frugale. C’est un type d’innovation qui ne nécessite pas de gros moyens mais qui demande de faire beaucoup d’itérations entre les convictions mécaniques et les essais sur le terrain. Au départ, on avait une conviction mécanique avec une forme de crampon que l’on a dessiné et puis ensuite, on l’a conçu et on est allé sur le terrain pour réaliser différents tests avec des joueurs de rugby et de football qui nous ont donné des retours, des ressentis tandis que de notre côté, on mesurait les gains. On voyait des choses que l’on corrigeait par la suite. Le fichier 3D était donc constamment modifié et on le réimprimait dans la foulée pour obtenir un nouveau crampon que l’on pouvait tester dès le lendemain. En trois ans, vous pouvez vous faire une idée du nombre d’itérations que l’on a pu effectuer ou du nombre d’essais que l’on a pu faire. C’est grâce à ces technologies d’impression 3D et à tous ces essais que l’on a obtenu ce produit final si abouti.

« On a mené une étude scientifique qui a démontré que l’on diminuait la fatigue musculaire jusqu’à 10% »

FM : En quoi ces crampons permettent-ils d’aller plus vite ?

SR : La forme du crampon a deux spécificités. La première, c’est qu’elle a des creux, qui servent à avoir plus de surface utile qu’un crampon classique. Prenez cette image, c’est comme si vous mettiez deux doigts dans le sable au lieu de quatre doigts. Avec quatre doigts, vous aurez plus de puissance. Donc en développant la surface du crampon, on arrive à être plus efficace. Et la deuxième spécificité, c’est que le crampon n’est pas droit, il est excentré. C’est-à-dire que la surface de contact est décalée de l’axe du crampon. Grâce à la forme en rondelle, on est capable d’orienter le crampon et changer sa fonction. Par exemple, les deux crampons avant n’ont pas la même fonction que les deux crampons intermédiaires, qui n’ont pas la même fonction que les deux crampons arrière. Donc selon l’orientation de la pointe, vous allez changer sa fonction. En général, les deux crampons avant sont très importants pour l’accélération donc on va orienter la pointe vers l’avant pour donner un effet de griffe qui va permettre d’avoir un temps moteur plus long. Les crampons intermédiaires sont importants pour le déplacement latéral donc on va les orienter vers l’extérieur du pied, pour à la fois stabiliser la cheville et avoir plus de stabilité lors des changements de direction. Enfin, les crampons arrière sont orientés vers l’arrière, ou orientés vers les talons. C’est idéal pour les tirs par exemple. Tout ce que je viens de vous dire sont les grands principes de base mais nous proposons une dizaine de configurations que nous avons testé et qui s’adaptent à différents profils et styles de jeu dans le foot mais aussi dans le rugby. L’utilisateur peut aussi configurer lui-même ses crampons selon ses envies et ses besoins du moment mais les nôtres ont été soigneusement testées et approuvées. On a notamment mené une étude scientifique avec une physiologiste, Véronique Billat, qui a démontré dans son étude que l’on diminuait la fatigue musculaire jusqu’à 10%. C’est une étude qui a été menée sur 6 semaines avec 12 joueurs du Stade de Reims.

FM : Vos crampons sont-ils uniquement en fer et donc à utiliser uniquement sur pelouse naturelle grasse ou avez-vous une solution pour les terrains synthétiques ou très secs ?

SR : On a une version plastique, qui reste un crampon vissé, mais qui est aussi confortable que des moulés. (Pour éviter les confusions, les crampons vissés désignent des crampons qui peuvent se visser et se dévisser. Il ne s’agit donc pas forcément des crampons en fer conçus uniquement pour terrain gras tandis que des crampons moulés désignent les crampons qui sont directement intégrés à la semelle extérieure, ndlr). L’idée est d’avoir une bonne chaussure où vous vous sentez à l’aise et nos crampons sont juste une solution qui s’adaptera à votre terrain de prédilection. C’est comme changer ses pneus selon les conditions climatiques. C’est le même principe. Nous avons un crampon 8 mm en plastique qui a été étudié pour les terrains synthétiques et les terrains très secs. Pour vous dire, j’ai testé ces crampons en courant pendant 2 km sur du goudron et je n’ai ressenti aucune douleur car le fait que les crampons soient excentrés permet aussi de ne pas ressentir un impact sous les métatarses, qui est généralement douloureux et qui peut laisser des traces quand on joue avec des crampons sur sol dur. Vu que les nôtres sont excentrés, ils ont tendance à se tordre et agir comme des tentacules d’une pieuvre qui va jouer avec la surface du sol. C’est comme si vous jouiez avec des ressorts en réalité. Donc la sensation de ces crampons 8 mm en plastique ne donne pas du tout l’impression de jouer avec des crampons traditionnels sur sol dur. D’ailleurs, de plus en plus de joueurs professionnels qui ne jouaient qu’en crampons moulés ont commencé à acheter des crampons vissés pour pouvoir utiliser nos crampons et avoir l’efficacité d’un vissé avec le confort d’un moulé. J’insiste mais la sensation de nos crampons n’ont rien à voir avec des crampons vissés classiques.

FM : Et vos crampons sont compatibles avec toutes les chaussures de foot qui existent sur le marché ?

SR : Oui, tout à fait. Sauf un ou deux modèles confidentiels. Donc grosso modo, nos crampons sont compatibles avec 99% des chaussures de football du marché.

FM : Les équipementiers ont un besoin constant de renouvellement. Même s’ils conçoivent la paire parfaite, ils sont presque obligés, d’un point de vue marketing, d’en sortir une nouvelle version deux voire un an après. Avez-vous le même genre de contraintes ?

SR : Je suis tenté de dire que toutes les entreprises ont la contrainte d’innover perpétuellement mais de notre côté, on ne s’est pas donné pour obligation de sortir un nouveau produit chaque année. On veut vraiment proposer une innovation qui soit très pragmatique. C’est-à-dire une innovation que l’utilisateur ressent et constate vraiment. On ne se sent donc pas obligé de sortir des nouveaux produits tout le temps. Par contre, nous avons pas mal de choses dans les cartons vu que notre ambition est de devenir la référence des crampons dans le sport. Tous les sports. On a commencé par le rugby puis le football. Et on s’est aussi attaqué à l’athlétisme et on accompagne notamment des athlètes olympiques. Il y a donc des nouveautés qui vont arriver.

FM : Mais comment faire pour aller plus loin quand on a déjà un produit performant ? Quel est le processus qui mène vers le progrès ?

SR : C’est notre recette magique. (Rires) On ne peut malheureusement pas tout vous dévoiler. Tout ce que je peux vous dire c’est que l’on a une méthode pour bien innover qui est rigoureuse. On ne fait rien au hasard. Quand on a un produit déjà performant, c’est vrai que l’on a une pression supplémentaire mais c’est aussi elle qui va nous pousser à vouloir nous améliorer. En tout cas, on a une approche très pragmatique de la question. On ne veut pas tomber dans du marketing pur et dur. On veut que l’innovation soit réelle et impactante sans tomber dans la surenchère. On souhaite toujours tenir nos promesses.

« Andy Delort a souhaité tester nos crampons et a battu le record de vitesse en Ligue 1 trois jours après »

FM : Vous travaillez avec de nombreux joueurs de rugby et de foot, comment les avez-vous convaincu de tester vos produits et de devenir des ambassadeurs ?

SR : Cela s’est fait par un bouche-à-oreille, qui s’est propagé année après année. On est présent depuis 2017 sur le marché comme je vous l’ai dit précédemment. C’est vrai que l’on a eu la chance d’équiper rapidement des joueurs des All Blacks, de l’équipe d’Angleterre, de l’équipe de France au rugby et aussi des féminines puis on a décidé de communiquer dans le football. Rapidement, des joueurs pros ont montré de l’intérêt et nous ont fait confiance. Et au fur et à mesure, ce bouche-à-oreille s’est étendu. L’une des dernières belles histoires, c’est Andy Delort qui a souhaité tester nos crampons et qui a battu le record de vitesse en Ligue 1 (36,8 km/h, ndlr) trois jours après. Bien sûr, il faut avoir les jambes pour courir aussi vite. Nos crampons ne sont pas magiques. Mais le fait qu’Andy batte ce record et fasse du coup partie des joueurs les plus rapides d’Europe prouvent que nos crampons sont efficaces. C’est ce genre d’expérience qui fait que le produit est devenu de plus en plus crédible. On y croit pas au début mais quand on l’essaye, on se rend rapidement compte des bénéfices. Et cela concerne les pros comme les amateurs, qui sont nos meilleurs ambassadeurs parce que certains joueurs professionnels ont peur d’essayer nos crampons. Mais petit à petit, cette peur disparaît car on a de plus en plus de références. Jusqu'à la référence ultime tout récemment.

FM : On allait y venir. Cristiano Ronaldo porte actuellement vos crampons. Pouvez-vous nous dévoiler les coulisses de l’opération ? Comment en est-il venu à jouer avec des crampons Smart Power ?

SR : Je ne peux malheureusement pas vous dévoiler les coulisses de l’opération car elle est confidentielle. Ce que je peux vous dire c’est que Cristiano Ronaldo est très satisfait. Il les porte depuis plusieurs semaines en réalité. Il a commencé à les porter pendant la période de confinement. Je dois préciser que Cristiano Ronaldo n’est pas un ambassadeur mais un utilisateur. On ne le paye pas pour qu’il porte nos crampons. C’est d’ailleurs lui qui a initié le contact et c’est d’autant plus valorisant pour nous.

FM : Avez-vous eu des échanges avec des représentants de Nike, son équipementier depuis toujours ? Ont-ils bien accueilli la nouvelle ?

SR : Oui, j’ai récemment eu un contact avec les représentants de Nike. Je leur ai bien expliqué que l’on ne cherchait pas à les concurrencer et qu’au contraire, on souhaitait collaborer avec eux. Encore une fois, on n’a pas du tout l’intention de faire des chaussures de foot donc on souhaite collaborer avec les équipementiers plutôt que de les concurrencer.

« On ne remerciera jamais assez Cristiano Ronaldo de nous avoir fait confiance »

FM : Maintenant que CR7 porte vos crampons, quelle est la prochaine étape ? De convaincre Lionel Messi ?

SR : Chiche ! (Rires). Mais l’idée n’est pas de collectionner des ambassadeurs de ce calibre-là. On est déjà extrêmement content et fier que Cristiano Ronaldo porte nos crampons. On se satisfait de cela car on est une petite entreprise qui est en train de démarrer une très belle aventure. Mais on ne remerciera jamais assez Cristiano Ronaldo de nous avoir fait confiance.

FM : Le podologue Jean-Luc Guer a lancé sa propre marque Wiz Wedge dans un souci de garantir une meilleure sécurité aux joueurs. Avez-vous pensé à une collaboration avec cette marque française ?

SR : Très honnêtement, oui. On est très sensible au Made In France et on a d’ailleurs déjà contacté Wiz Wedge pour une collaboration. Sans suite pour le moment...

FM : Pensez-vous que l'éclosion de marques comme la vôtre et Wiz Wedge est annonciateur d’une nouvelle donne dans le marché de la chaussure de foot ?

SR : C’est sûr que le marché va évoluer, déjà à cause de la crise économique due à la pandémie de Coronavirus. Les équipementiers vont sans doute se tourner davantage vers des fournisseurs européens. Après, je ne pense pas qu’une nouvelle marque soit en mesure de concurrencer Nike ou adidas à court et moyen terme. L’offre sera peut-être plus étendue mais les gros équipementiers seront toujours leaders du marché.

« On est capable de proposer des solutions pour diminuer les sollicitations sur les membres inférieurs et notamment les ligaments croisés »

FM : Que pensez-vous de l’évolution de crampons de foot et l’apparition de nouvelles formes, en lamelle, semi-coniques, à chevrons ?

SR : Avec nos six ans de recul, on est capable d’expliquer quelle configuration peut être mauvaise ou bonne pour les ligaments croisés et c’est justement là où on intéresse les équipementiers. Je ne peux pas vous en dire plus car ce sont des données extrêmement précieuses que nous nous permettons tout de même de partager aux joueurs professionnels. On a compris énormément de choses au niveau mécanique et notamment sur les sollicitations de tels muscles ou ligaments. Globalement, on est capable de proposer des solutions pour diminuer les sollicitations sur les membres inférieurs et notamment les ligaments croisés. Pour être bien clair, on n’est pas capable de savoir comment réagissent les ligaments car ce n’est pas notre métier. Par contre, on est capable de dire au staff médical que nous pouvons diminuer les efforts retransmis entre le terrain et les membres inférieurs. Et avant nous, peu d'entreprises ou de marques se sont vraiment penchés sur la question.

FM : Quel impact a eu l’émission “Qui veut être mon associé” pour Smart Power ? Qu’est-ce qui a changé depuis ?

SR : Cette émission nous a tout d'abord permis d’avoir un nouvel actionnaire en la personne de Marc Vanhove. Après, je pense que globalement, ça crédibilise la marque. On franchit les caps. On est devenu une entreprise qui commence à être connue dans le monde du sport. Il est aussi important que je souligne qu’avant l’émission de M6 et avant que Cristiano Ronaldo porte nos crampons, on était déjà distribué dans 15 pays dans le monde, notamment le Japon, l’Australie et les États-Unis. Dès le départ, notre vocation était internationale.

FM : Quel est le prochain objectif de Smart Power ?

SR : Notre prochain objectif, c’est de travailler avec un ou plusieurs équipementiers. Ce qui bien engagé, par ailleurs. Et après, je dirais que l’on souhaite convaincre définitivement le marché mais avec un utilisateur comme Cristiano Ronaldo, j’ose espérer que c’est aussi bien parti. On aimerait également équiper un club phare d’un des grands championnats ou une sélection nationale. Mais notre objectif ultime reste de devenir la référence mondiale des crampons dans le sport.

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