Camavinga, Doué, Tel… Comment Rennes s’est imposé comme le meilleur centre de formation français ?

Par Jordan Pardon
14 min.
Stade Rennais @Maxppp

Au mois de juin, le Stade Rennais a été sacré meilleur centre de formation français par la FFF, et ce, pour la deuxième année consécutive. La récompense d’un travail au long cours.

Longtemps identifié comme le meilleur laboratoire à talents français, l’Olympique Lyonnais a vu le Stade Rennais lui griller la politesse. En réalité, cette valorisation des centres de formation ne répond à aucun barème universel, si ce n’est à l’étude annuelle publiée par la Fédération française de football. Et cela fait maintenant deux ans que le club breton truste le top de ce classement, déterminé par cinq critères majeurs : la professionnalisation, le temps de jeu en équipe première, les sélections nationales, la scolarité, et la représentation européenne. Avec un résultat de 4,750 étoiles sur 5, Rennes a donc de la marge sur le reste du monde (Lyon est à 4,2 quand Paris ne dépasse pas les 4). Mais alors comment décrypter cette prééminence ?

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« Lorsque Rennes a développé son centre de formation, c’est-à-dire au début des années 90, une figure emblématique en est rapidement sortie : Sylvain Wiltord. Tout part un peu de là, ça a donné une forme d’assise au club, de légitimité. Au début des années 2010, les meilleurs jeunes de région parisienne signaient souvent à Rennes, rappelle François Rauzy, journaliste pour France Bleu Armorique et suiveur du Stade Rennais de la première heure. Il y avait aussi quelqu’un de très compétent, Patrick Rampillon, emblématique directeur du centre de formation. Il a fait 38 ans au club avant de partir en 2018. Il a tout structuré en recrutant aussi de très bons éducateurs et recruteurs.» Parmi eux, Pierre-Emmanuel Bourdeau, Romain Ferrier, Jérôme Hiaumet ou encore le responsable recrutement historique, Philippe Barraud, parti à Nice l’été dernier.

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Un réel savoir-faire dans la détection de talents

Trouver les bons mots, la bonne formule, et les bons arguments pour persuader les familles de remettre leur enfant à un club, plutôt qu’à un autre (généralement Monaco, l’OL ou le PSG), traduit aussi un certain savoir-faire. Mais en termes de communication, Rennes a toujours su tirer sur la corde sensible pour convaincre, souvent par la voix de Philippe Barraud. La méthode était assez simple auprès des entourages : «à Rennes, on joue relativement tôt en pro lorsque l’on est un très bon jeune joueur. Et le temps de jeu, on en trouve sûrement plus qu’ailleurs, qui plus est dans un club qui se bat pour les places européennes. Le cadre scolaire est aussi excellent, avec près de 100% de réussite au BAC chaque année », résume François Rauzy. Un argument de poids auprès des familles, conscientes que l’ascenseur du football prévoit peu de place pour beaucoup candidats, et que de nombreux rêveurs seront laissés sur le bord de la route. Depuis trois ans, Rennes peut donc s’enorgueillir d’enregistrer 100% de taux de réussite au BAC, ce qui n’est pas le cas de tous les clubs, où on est parfois en dessous des 50%.

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Mais avant d’attirer un Eduardo Camavinga, un Mathys Tel, ou encore un Désiré Doué, c’est un processus au long cours que met le club en place. Un ancien recruteur du Stade Rennais, à l’origine des arrivées de plusieurs talents évoluant aujourd’hui dans des écuries du gratin européen, explique : «quand on recrute un joueur à 13/14 ans, on se projette en essayant d’imaginer s’il sera capable de fouler la pelouse du Roazhon Park à 18/19 ans. C’est ce qu’il y a de plus dur car un tas de paramètres entre en jeu : son physique, sa morphologie, sa mentalité, son entourage, tout ça va compter dans son développement. Les observations peuvent ainsi durer plusieurs mois, plusieurs années, avec bien sûr, la menace d’être devancé par d’autres clubs, mais c’est le jeu.» C’est de cette façon que des joueurs comme Kylian Mbappé, Odsonne Edouard, Youssouf Fofana, Moussa Diaby, Jean-Philippe Mateta ou Jeff Reine-Adélaïde, se sont envolés vers d’autres cieux après avoir participé à plusieurs entraînements, stages, voire même tournois avec Rennes, mais qui n’engageaient en rien. Ces dernières années, le choix de prendre un virage plus local porte aussi ses fruits à Rennes. Camavinga est par exemple originaire de Fougères, Désiré Doué d’Angers, Sofiane Diop de Tours, et Georginio Rutter de Vannes.

La génération 2000, un grand cru

À chaque recruteur ses approches et ses méthodes, mais notre ancien scout de Rennes, qui écume les terrains franciliens depuis plus de 20 ans, a les siennes, et elles ont fait la bonne fortune du club breton : «en banlieue parisienne, on peut facilement se rendre d’un point A à un point B. En général, je peux regarder une mi-temps, parfois même 20 minutes, ce qui fait que je peux me rendre à 4 matches un samedi. Quand je supervise, je m’appuie sur 4 points fondamentaux que j’ai identifiés comme «les 4P», détaille-t-il. Tu pars d’un potentiel, tu as ensuite la projection : est-ce que tu vois loin avec ce joueur ? Tu as ensuite la performance, qui compte forcément, peu importe l’âge, et qui te permet de réaliser si ce joueur a quelque chose en plus. Puis la personnalité, pour tout ce qui a trait à l’aspect mental, l’entourage, sa mentalité de travail. À Rennes, le critère technique est aussi plus important que les caractéristiques athlétiques. C’est ce qui fera la différence au haut-niveau». Arnaud Abbas, ancien coéquipier de Sacha Boey, Sofiane Diop ou encore Adrien Truffert, a ressenti cette volonté de mettre l’accent sur l’aspect technique, parfois même dès l’école de foot.

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«Didier Le Bras, aujourd’hui décédé, a été l’un des grands initiateurs de ce genre de séances à Rennes. Vous pouvez demander à tous les plus de 20 ans formés au club, ils seront unanimes, insiste l’attaquant de 24 ans, aujourd’hui aux États-Unis. Il nous prenait cas par cas, nous faisait bosser la technique et rien d’autre. On avait 12 ans et en début d’entraînement, on faisait 15 minutes de semelles, de petites touches de balles, on répétait nos gammes. Même en l’ayant eu qu’un an, ça a suffi.» Un travail acharné aux effets salutaires pour la génération 2000 bretonne, devenue la mine d’or de la Piverdière. Si on dit généralement qu’un, deux, voire exceptionnellement trois joueurs d’une catégorie d’âge, ont des chances de passer le cap du monde pro, cette génération a fait voler cette thèse en éclats. Ils sont en effet plus de 10 à avoir goûté au football professionnel, à Rennes ou ailleurs. Et la plupart d’entre eux rythment aujourd’hui nos week-end foot : Sacha Boey, aujourd’hui au Bayern Munich, Warmed Omari, prêté par Rennes à l’OL, Sofiane Diop, passé par Monaco et Nice, Lorenz Assignon, toujours à Rennes, mais aussi Arnaud Abbas, devenu international centrafricain après avoir bifurqué vers le PFC, Mathis Picouleau, Adrien Trouillet, Wilson Isidor, Léo Leroy ou encore Alan Kerouedan. Par ailleurs, Rennes peut se targuer d’être l’un des principaux fournisseurs des équipes de France de jeunes, et ce, depuis plus de 10 ans.

La quête de l’optimisation

En échangeant avec plusieurs intimes du Stade Rennais, revient aussi souvent l’idée d’éducateurs malléables, toujours soucieux de maximaliser le talent de leurs jeunes en leur apportant un suivi personnalisé. François Rauzy, journaliste de France Bleu, développe : «à Rennes, on offre aux jeunes un cadre collectif, mais aussi individuel. Tout est méthodique, on s’adapte à chaque profil. Les jeunes identifiés à 14/15/16 ans, réussissent souvent, et ont une continuité linéaire qui les emmène jusqu’en équipe de première. Les déceptions sont très rares ces dernières années», note-t-il. Même d’autres qui n’étaient pas nécessairement programmés au départ, parviennent à creuser leur sillon. C’est notamment le cas de Lorenz Assignon, encore très chétif lors de son entrée au centre de formation, et même à la cave à une certaine période, ou encore de Guela Doué, deux ans de moins, injustement soupçonné d’être «pistonné» en raison de son lien familial avec le phénomène du centre, Désiré. Mais la réussite de profils sensiblement proches, comme Assignon et Doué, pas évidents à détecter au départ, vient aussi renforcer l’idée d’un club qui accompagne, et reste conscient qu’une éclosion tardive peut toujours se produire.

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Sur deux générations, Rennes a ainsi propulsé quatre latéraux droits en professionnel : Sacha Boey (2000), Lorenz Assignon (2000), Brandon Soppy (2002), parfois utilisé dans l’axe, et Guela Doué (2002). Plus ou moins en concurrence à un certain moment de leur formation, les quatre en sont sortis grandis. «Même si certaines trajectoires ont pris plus de temps à se dessiner que d’autres, ils avaient tous des prédispositions physiques ou techniques, rappelle tout de même François Rauzy. Mais c’est clairement l’optimisation des joueurs, on arrive à les porter au maximum de leur potentiel. » Ce que confirme Clément Gavard, rédacteur en chef de SoFoot, et suiveur alerte du Stade Rennais : «à Rennes, il y a une sorte de base éducative. Même ceux qui sont peut-être en retard en jeunes, s’entrainent avec les meilleurs, sont bien accompagnés, ont un terreau un peu fertile. Tout cela fait qu’ils vont sûrement plus progresser que dans un club moins structuré, et moins réputé pour sa formation. Il y a un an, pas grand monde n’aurait misé sur Guela Doué.»

Le surclassement et la stimulation de l’esprit dès le plus jeune âge

Dans cette quête perpétuelle de l’optimisation d’un potentiel, Rennes a aussi souvent recours au surclassement. Une pratique largement répandue aujourd’hui dans les centres de formation français, mais étrennée par le Stade Rennais. Depuis une dizaine d’années, il est fréquent de voir des joueurs évoluer une, voire deux catégories d’âge au-dessus de la leur. François Rauzy explique le phénomène : «ce surclassement systématique remonte à plus de dix ans. Avant, on voyait des joueurs arriver en pro, mais pas préparés physiquement. Aujourd’hui, Rennes apprête ses joueurs, et ils sont parfois amenés à jouer en réserve, contre des adultes, à 16/17 ans. Quand Camavinga arrive en pro à 17 ans, il n’a pas cette peur. » Un parti pris assumé, en partie à l’origine des résultats fluctuants de la formation rennaise, des fois relégués au second plan. Ces dernières années, elle a connu quelques jolies parenthèses, comme le titre de champion de France U17 en 2018, ou celui d’U19 en 2019, mais il faut par exemple remonter à 2008 pour trouver trace de Rennes dans une finale de Gambardella.

Un ancien membre du département recrutement de Rennes explique cette inclination : «le surclassement est une caractéristique du centre. Laisser un joueur surperformer dans sa catégorie d’âge, c’est un frein à sa progression. Il faut le confronter à des difficultés pour qu’il puisse trouver les clés. Sur la génération 2000/2001, il y a eu énormément de réussites. Sacha Boey, lorsqu’il est arrivé à Rennes, il s’est par exemple cassé la jambe. Il a failli partir et est finalement revenu plus fort. Tout ça découle aussi du ciblage au départ. Sans sa personnalité et sa mentalité, on n’aurait pas eu le Boey d’aujourd’hui.» À Rennes, on veut donc des têtes bien faites, mais aussi des esprits curieux, pas enfermés dans des carcans. Dans cette optique, les éducateurs bretons s’échinent à travailler l’adaptabilité de leurs joueurs à différents contextes. Une autre force du club breton, capable d’aller gratter en profondeur pour tirer le meilleur d’eux : «j’ai pu échanger avec plusieurs joueurs passés par le centre, et on me parle souvent des qualités des éducateurs pour façonner les jeunes. L’un d’eux, qui joue aujourd’hui la Ligue des Champions, a compris qu’il y avait un réel savoir-faire à Rennes, une fois qu’il avait quitté le club. Ici, de nombreux formateurs ont par exemple bougé les joueurs de poste pendant leur formation pour les mettre en difficulté et élargir un peu leur palette. Beaucoup ont pris en maturité très tôt », remarque Clément Gavard.

Parmi eux : Mathys Tel, au départ défenseur puis milieu de terrain, ou encore Désiré Doué, autre membre de la génération 2005 comme Belocian et Tel, qui a certainement gagné en rigueur en étant repositionné derrière. Arnaud Abbas, dans une certaine mesure, en a aussi fait les frais : «plus jeune, j’étais ailier gauche, mais très rapidement, Julien Stéphan m’a dit que j’avais plus de potentiel et de chances de réussir dans l’axe. Quelques semaines plus tard, il m’a fait jouer en pointe en N2. Il y a un cadre à respecter, mais aussi une grande place pour laisser exprimer ses qualités.» Même si tous n’arboreront pas les couleurs rouge et noire au Roazhon Park, ils pourront au moins s’appuyer sur une base solide garantie par le club, pour construire leur carrière. «Ca m’arrive de retrouver des joueurs perdus de vue en regardant des matches », sourit Clément Gavard. Ces derniers mois, plusieurs talents ont trouvé un coin de ciel bleu, loin de la Bretagne, à l’image de Georginio Rutter, transféré de Leeds à Brighton pour près de 50 millions d’euros cet été, Loum Tchaouna, titulaire à la Lazio Rome, Andy Diouf, devenu international espoir français et aujourd’hui à Lens, Lucas Da Cunha, joueur de rotation dans le Côme de Fabregas, ou encore Yann Gboho, éclaircie du début de saison toulousain.

Trop miser sur les jeunes a aussi ses limites

Si la feuille de route du Stade Rennais implique d’accorder du temps de jeu aux jeunes du centre de formation, cette politique peut aussi parfois s’apparenter à un frein. Structuré pour être un club du TOP 5 français, le club dirigé par la famille Pinault se heurte à son plafond de verre, à savoir être européen chaque saison. Pour François Rauzy, cette situation s’explique en partie par le manque d’expérience de l’effectif, presque tous les ans : «c’est une fierté de développer le centre de formation, mais si tu te limites à la 4e place - hormis la 3e en 2020 lors de la saison stoppée par le COVID - c’est lié à ça. Paradoxalement, quand ton équipe remporte la Coupe de France en 2019, et fait le beau parcours en Europa League (1/8e de finale, éliminé par Arsenal), c’est l’une des rares saisons depuis 20 ans sans aucun jeune du centre titulaire dans le onze. Revenir en étant mené 2-0 par Paris en finale de Coupe de France (Rennes s’était imposé aux tirs au but en 2019), je ne pense pas qu’on l’aurait fait avec autant de jeunes que l’an passé par exemple.»

Cette saison néanmoins, Rennes a prévu de revoir sa copie, et il faudra attendre quelques mois avant de tirer des conclusions. Aujourd’hui, Adrien Truffert est le seul représentant de la Piverdière dans le onze de Julien Stéphan. Peut-être aussi parce que les 2006, 2007 ou 2008 sont encore trop verts pour postuler en Ligue 1, même s’il faudra tout de même surveiller les trajectoires de l’ailier guinéen Amadou Diallo (18 ans) et du très prometteur Kelvin Dongopandji (17 ans), car on ne ferme jamais la porte à une éclosion. Un équilibre entre ambition sportive et incorporation de jeunes joueurs, c’est ce que cherche aujourd’hui le Stade Rennais. Car il est évidemment inconcevable de tirer un trait sur la formation, poumon économique du club, qui n’a jamais présenté les recettes de merchandising d’un OM ou d’un PSG.

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