Après nous avoir dévoilé les coulisses de sa préparation physique durant sa longue période passée sans club, Sloan Privat nous livre les secrets mentaux de sa longévité dans un métier beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît.
Foot Mercato : Sloan, dans la première partie de l’interview, vous disiez que votre préparateur physique personnel vous a aidé à garder votre motivation intacte. C’était crucial pour vous pendant cette longue période sans jouer ?
Sloan Privat : Oui, vraiment. Il m’a poussé tous les jours pour que je revienne au top. Ma famille aussi a été très importante. J’ai vraiment de la chance d’être bien entouré. Grâce à eux, j’ai su me mettre dans une bulle qui m’empêchait d’écouter les critiques ou les ragots à mon égard. Je sais que certains disaient que j’étais cramé et que mes genoux étaient en vrac alors je n’avais rien du tout. Je sais que ça m’a fermé des portes mais c’est comme ça. C’est le monde du foot et il faut savoir avancer. D’ailleurs, je remercie le club de Bourg-en-Bresse Péronnas qui a pris le temps de me voir, de m’observer pour constater que tout ce qui pouvait se dire sur moi était faux. Le fait de rentrer dans une bulle avec mes proches m’a fait du bien parce que j’ai aussi pu voir sur qui je pouvais vraiment compter. Je n’oublierai jamais les gens qui m’ont aidé, avec qui j’étais au téléphone pratiquement tous les jours. C’est dans ces périodes compliquées que l’on voit qui sont les vrais amis. C’est grâce à eux que je suis toujours là.
FM : Ces critiques dont vous parlez sont-elles devenues aussi une source de motivation ?
SP : Oui, clairement mais au final, je suis passé au-dessus de tout ça. Vous savez, la meilleure réponse est sur le terrain donc c’est à moi de prouver maintenant. Mais je ne me prends pas la tête et je ne vais critiquer personne dans la presse. Quoi qu’il arrive, je pourrai me regarder dans une glace en me disant que j’ai tout donné. Ma meilleure réponse sera sur le terrain.
FM : Je vous propose que l’on fasse un petit flashback. Que l’on retourne à vos débuts, à Sochaux, avec cette finale de la Coupe Gambardella en 2007. Vous êtes remplaçant puis vous entrez en jeu et à 3 minutes de la fin du temps réglementaire, vous égalisez. Derrière, vous remportez la Coupe. À ce moment-là, comment imaginiez-vous la suite de votre carrière ?
SP : Vous savez, à cette époque-là, je n’étais pas encore professionnel. Je n’étais que stagiaire à Sochaux. J’étais même quasiment le seul dans cette situation dans l’équipe. Donc déjà, à ce moment, il fallait juste que je prouve que j’avais ma place. C’est drôle parce que ça m’a suivi toute ma carrière. J’ai toujours dû prouver des choses. J’ai dû me battre pour obtenir ce que je voulais. On ne m’a jamais rien donné ! En vérité, je ne regrette absolument rien de ma carrière car je me suis forgé en me battant sur le terrain. Mais c’est vrai que cette finale de Gambardella était magique. On gagne la Gambardella puis les pros gagnent la Coupe de France derrière. C’était vraiment de belles années qui ont suivi avec mon premier match en Ligue 1, des bonnes performances en CFA puis ma première titularisation avec Francis Gillot contre Lille, et mon premier but. C’était magique ! Mais je ne me suis pas reposé sur mes acquis. J’ai bossé pour aller chercher mon contrat professionnel et après j’étais lancé.
FM : Quelles émotions vous ont procuré ce premier but contre Lille ?
SP : Ah ben c’était beaucoup de joie. Tout s’est un peu chamboulé dans ma tête car à l’époque, je jouais encore en équipe réserve et d’un coup, on me titularise en Ligue 1 et je marque. Ça m’a fait quelque chose quand même. Mais avec l’insouciance de la jeunesse, je ne me suis pas trop posé de question et j’ai foncé.
« Les mentalités ont un peu évolué. Il y a moins de passion dans le football aujourd’hui »
FM : Il y a ensuite ce prêt à Clermont en 2010, en Ligue 2. Et là, vous cartonnez, 20 buts en 36 matches + 2 buts en Coupe. Comment vous sentiez-vous à cette époque-là et comment expliquiez-vous cette réussite devant le but ?
SP : À Sochaux, Francis Gillot m’avait dit que ce serait bien que je continue sur ma dynamique et que pour cela, il fallait que j’enchaîne les matches en étant prêté. Je ne l’ai pas mal pris car je n’étais pas pressé et je savais que c’était pour mon bien. De nos jours, les mentalités ont un peu évolué et les joueurs sont moins patients dans ces situations. C’est un peu dommage d’ailleurs car ça me fait penser qu’il y a moins de passion dans le football aujourd’hui. Toujours est-il qu’à l’époque, j’étais content de jouer à Clermont avec Michel Der Zakarian et je me suis épanoui car les entraînements étaient tops. J’avais une très bonne relation avec mon entraîneur, qui était très honnête avec moi. J’avais soif de jouer, de m’entraîner, de recommencer et de continuer à travailler. J’étais épanoui car je prenais du plaisir tous les jours et ça se ressentait sur le terrain.
FM : Derrière à Sochaux, vous jouiez davantage, vous mettiez 14 buts en 2 saisons et finalement vous décidiez de rejoindre la Gantoise. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
SP : Sochaux était disposé à me vendre tout simplement. La Gantoise était venu avec un projet intéressant et un contrat de 4 ans. Après, il s’est passé ce qu’il s’est passé. Vous savez, les histoires d’agents… Et puis, l’entraîneur qui m’a fait venir s’est fait limoger un mois après le début de la saison. C’est comme ça.
FM : Heureusement derrière, vous rejoignez Caen en prêt puis Guingamp, toujours en prêt en 2015, et ça se passe bien pour vous. À ce moment-là, vous vous relancez complètement. Même question, comment expliquez-vous cette bonne passe ?
SP : Bon, déjà à Caen, j’ai dû me remettre à niveau. J’ai fait deux préparations physiques pour être en forme et puis à partir de décembre, la machine s’est mise en route et on a assuré le maintien en fin de saison. Derrière, Jocelyn Gourvennec me voulait à Guingamp. Il me faisait confiance et tout s’est très bien passé. Donc le club lève l’option d’achat mais l’année suivante est plus compliquée avec le départ du coach Gourvennec à Bordeaux et l’arrivée d’Antoine Kombouaré. Voilà, c’est comme ça !
FM : Je rebondis sur ce que vous dites. La relation entre un entraîneur et son attaquant est peut-être une chose sous-estimée. Vous confirmez que c’est crucial pour qu’un attaquant enchaîne les bonnes prestations ?
SP : Complètement ! Quand tu as un entraîneur qui te pousse, qui sait tout ce que tu peux lui apporter, qui connaît à la perfection ton jeu, qui te donne du temps de jeu, derrière la confiance en soi est renforcée. Ça te booste, ça te donne envie de te battre encore plus.
FM : Mais comment faites-vous quand cette confiance n’est pas au rendez-vous ?
SP : L’erreur à ne pas faire surtout, c’est de baisser les bras. Si l’entraîneur ne te fait plus jouer, il ne faut pas changer le joueur que tu es pour autant. Si tu as des qualités, il faut garder ces qualités. Il ne faut pas surjouer en tentant des choses que tu ne sais pas faire. Il faut rester soi-même et continuer à travailler jusqu’à ce que l’on te donne ta chance. Et si cette chance ne vient pas dans ce club, il y aura d’autres opportunités ailleurs. Même si c’est avec la réserve, il faut y aller avec envie. De par mon expérience, j’ai appris que dans le football, il fallait toujours garder une bonne image parce qu’elle peut te suivre longtemps et partout. Le monde du football est petit donc ça ne sert à rien de bouder si tu ne joues pas. Il faut savoir rester professionnel en toutes circonstances.
« Les plus jeunes ne s’identifient qu’aux stars sans comprendre que la réalité du joueur moyen est différente »
FM : Qu’avez-vous appris sur vous-même durant ces périodes délicates dans votre carrière ?
SP : J’ai appris que j’avais un mental à toute épreuve. Je n’ai jamais rien lâché, je suis toujours allé jusqu’au bout de moi-même. Qu’il faisait chaud, froid. Qu’il pleuvait, qu’il neigeait. J’étais toujours debout, je restais motivé parce que j’avais mes objectifs, et je savais qu’ils étaient durs à atteindre. Je ne me suis jamais donné d’excuses. J’ai foncé et je suis encore là aujourd’hui.
FM : Finalement, votre histoire illustre bien ce qu’est réellement la carrière d’un joueur de football professionnel. Le grand public a tendance à croire que des superstars comme Neymar, Mbappé, sont la norme alors que la majorité des joueurs ont une carrière non linéaire et doivent sans cesse batailler pour avoir du travail. Pensez-vous que l’on idéalise trop ce métier ?
SP : Oui, complètement. Les gens ne voient que le côté bling-bling du football. Le côté brillant, l’argent, la célébrité, etc. Ils se disent que les footballeurs sont payés des millions juste pour taper dans un ballon mais en réalité, ce n’est pas ça le foot. Déjà, il n’y en a pas beaucoup des joueurs qui touchent des millions par mois. C’est une minorité si on regarde l’ensemble. Ces joueurs deviennent des stars car ils sont surmédiatisés mais ils ne représentent pas la majorité des joueurs de foot. Et le problème, c’est que les plus jeunes ne s’identifient qu’à ces stars sans comprendre que la réalité du joueur moyen est différente. Mais c’est aussi à nous de leur expliquer que le football ne se résume pas à ça. Aux millions, à la célébrité. Et quand bien même vous parvenez à devenir une star, il y a beaucoup de travail derrière et mentalement, c’est difficile. Vous vous levez tous les jours en sachant que votre place est remise en cause quasiment à chaque match. Vous vous remettez en question tous les jours. Vous devez aussi faire des choix importants chaque jour. Vous devez encaisser des critiques et vivre avec donc il faut être très fort pour ne pas flancher. Pour être footballeur pro, il faut apprendre à souffrir, apprendre à accepter l’autorité, apprendre à donner le meilleur de soi en toutes circonstances. Tout ça, ce n’est pas facile d’autant qu’il y a toujours plus de joueurs qui passent professionnels et donc que la concurrence est rude. Du jour au lendemain, on peut vous remplacer sans état d’âme. Rien n’est acquis dans le football. C’est un univers assez violent en réalité.
FM : Justement, j’ai le souvenir qu’à Caen, votre entraîneur avait fait appel à un préparateur mental. Aviez-vous, vous-même, déjà fait appel un coach mental personnel ?
SP : Personnellement, non. J’avais gardé une bonne expérience de ce qui avait été mis en place collectivement à Caen mais derrière, je n’ai jamais pensé à faire appel à un coach mental. J’ai quand même bien conscience que certains joueurs peuvent en avoir besoin car j’ai déjà vu des dépressions mais aussi des joueurs qui mettaient fin prématurément à leur carrière car ils n’en pouvaient plus.
« Ça me fait du bien de couper du football car ça me fait oublier le côté performance à outrance »
FM : Comment expliquez-vous cette force mentale qui vous caractérise ?
SP : J’arrive à relativiser, à prendre du recul sur ma situation. Je me dis que j’ai galéré pour décrocher mon premier contrat professionnel et que beaucoup, beaucoup de personnes aimeraient être à ma place. En me disant ça, c’est impossible pour moi d’abandonner. J’aime trop le foot. J’ai trop galéré pour en arriver là donc tant que je peux jouer, je jouerai. J’irai jusqu’au bout, je me donnerai toujours à fond car ça reste un beau métier même s’il est difficile. Je pense à ces gens qui auraient aimé être à ma place et ça me donne de la force. J’ai aussi la chance d’être soutenu par ma famille et mes amis donc je veux aussi les rendre fiers.
FM : Vous avez aussi une grande passion pour l’aviation. Est-ce que le fait de vous identifier à autre chose que votre métier vous aide à affronter la pression inhérente au football ?
SP : Oui, ça me permet de voir et de penser à autre chose. Quand tu fais de l'aéromodélisme, tu passes beaucoup de temps à réfléchir, à calculer, à coller, à construire un avion. Puis, quand c’est fini, tu dois faire des réglages puis tu fais voler ton avion. Et quand tu voles, tu t’évades, tu penses à autre chose. Ça me fait du bien de couper du football comme ça car ça me fait oublier le côté performance à outrance.
FM : Cette passion pour l’aviation a-t-elle eu des fins thérapeutiques ?
SP : Oui, peut-être. On peut le voir comme ça !
FM : Finissons cet entretien en parlant de la Guyane. Malgré la distance, parvenez-vous à vous y rendre régulièrement ?
SP : Malheureusement, non. C’est vraiment compliqué. C’est aussi pour ça que la sélection nationale a été importante pour moi. J’ai eu la chance de faire partie de l’équipe de Guyane qui s’est qualifiée pour la première fois de son Histoire à la Gold Cup en 2017 grâce à une victoire en Haïti, où je mets un triplé. C’était l’un des plus grands moments de ma carrière. C’était énorme et ça m’a donné envie de regoûter à cette joie. Il y a la Gold Cup en juillet et j’espère être de la partie. Ça me donne une motivation supplémentaire pour être performant avec Bourg-en-Bresse Péronnas. Jouer des compétitions internationales, c’est un moment magique.
Pouvez-vous me parler de votre première sélection contre le Honduras en 2015, lors du barrage aller de la Gold Cup. Vous aviez inscrit un doublé ce jour-là ?
À l’époque, ça faisait un moment déjà que je voulais rejoindre la sélection guyanaise mais ça ne s’était pas encore fait. Puis, vint ce moment où c’est devenu réalité. J’ai saisi l’opportunité sans trop calculer alors que l’on affrontait quand même une nation qui avait affronté l’équipe de France, un an auparavant en Coupe du monde. Et là, je marque deux buts. Évidemment, ça m’a fait quelque chose mais malheureusement, je n’ai pas pu jouer le retour et on ne s’est pas qualifié.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite de votre carrière ?
Avant tout la santé. C’est le plus important ! Et ensuite, continuer à jouer le plus longtemps possible mais aussi continuer à marquer et à faire ce que j’aime.
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