Hasni Abidi est spécialiste de la stratégie de l'Arabie Saoudite, et donne des cours au Global Studies Institute de l'université de Genève. Il avait récemment évoqué deux hommes forts et surtout le fonds souverain saoudien concernant le rachat de l'OM. Il a tout expliqué à Foot Mercato.
Foot Mercato : vous avez évoqué deux hommes au coeur du dossier OM, pouvez-vous nous les présenter ?
Hasni Abidi : quand il s'agit d'acquisition d'un club, c'est une affaire d'État. Il existe deux hommes importants, qui sont écoutés de Mohammed ben Salmane, lui-même président du public investment fund (PIF), un des plus importants au monde, dont les missions sont d'investir à l'intérieur ou à l'extérieur. Rien ne pourra se faire sans l'accord de MBS, mais il a des hommes de confiance. Il y a donc Yasir Al-Rumayyan, un homme de confiance, qui est jeune. Il est gouverneur de ce fonds et ces missions sont pilotées par lui. Il prend des avis en matière de football. Yasser Almisehal, qui est un homme un peu neuf, qui s'occupe des compétitions de football. Il existe d'autres personnes dont un prince qui est chargé de moderniser le sport. Il existe une myriade de personnalités qui sont autour de MBS (Mohammed ben Salmane, ndlr), qui lui assure des consultations. Lui, il se préserve, car il ne veut pas apparaître comme l'homme pressé qui veut acheter ce club.
FM : pourquoi évoquez-vous le PIF (fonds d'investissement public d'Arabie Saoudite) ?
HA : je parle de PIF parce que quand il s'agit de montants aussi importants et surtout d'acquisition d'un club de football, ce n'est pas l'argent de Walid ben Talal, même s'il dispose des fonds nécessaires ou d'un autre homme d'affaires. Depuis l'arrivée de MBS, aucun homme d'affaires ne peut nourrir une politique ambitieuse à l'étranger sans son accord. Je vois que plusieurs personnalités s'agitent autour de l'OM et je voulais préciser que sans le fonds souverain, qui ne rend compte qu'à MBS, il est vain de s'attendre à un investissement saoudien. Il ne s'agit pas d'un investissement au rabais. Il s'agit de grande opération. Depuis 2019 et l'installation de MBS comme prince héritier en juin 2017, il existe une volonté ferme et déterminée de diversifier les investissements saoudiens. La première raison est que l'Arabie Saoudite a conscience qu'elle a mauvaise presse en Europe et à l'étranger pour moult raisons. Mais aussi parce qu'autour de MBS, il existe des hommes d'affaires qui disent et des membres de son cabinet qui plaident pour qu'un investissement à Marseille se concrétise. Car le pays est dans une grande opération de séduction et de diversification de ses investissements dans le cadre de Arabie Saoudite vision 2030. Pour eux, Marseille est un pied d'entrée dans un grand projet, un grand partenariat entre des sociétés françaises et l'Arabie Saoudite.
FM : que les deux Yasir soient des hommes-clés concernant l'OM, c'est une information ?
HA : le fonctionnement de l’Arabie saoudite est basé sur les alliances et l’allégeance et non pas sur les institutions qui ne résistent pas à la tradition monarchique. J’ai gardé des amis en Arabie depuis mes séjours sur place. Selon eux, le fonds d'investissement garde la main sur les grandes opérations en matière de foot.
FM : donc on vous a parlé de l'OM ?
HA : non. On m'a parlé de ceux qui ont l'oreille de Mohammed ben Salmane concernant les investissements, y compris l'OM. Plusieurs dossiers concernant des prises de participation ou acquisitions sont à l’étude.
FM : l'OM retient l'attention de MBS ?
HA : oui, absolument. Le projet a été présenté. Dans les dossiers d'investissement du PIF, l'OM, comme Newcastle, est sur la table. Est-ce que MBS a tranché ? L'OM a toujours été un projet de haute importance, pas comme Newcastle. Le championnat français, en termes de retombées, n'est pas le championnat britannique vu par Riyad. On sait qu'il y a plus de flexibilité en termes législatifs du côté britannique. Mais l'OM a deux atouts. Le premier est que la France a un président qui peut convaincre les Saoudiens. Quand un fonds souverain investit, c'est la meilleure des options. Le fonds est public et sous le contrôle du pouvoir politique ce qui offre une garantie. Ce n'est pas comme quand un investisseur achète un club et peut le revendre trois ans plus tard. Un financement étatique rassure tout le monde, notamment l'état français parce qu'il y aura, en parallèle, d'autres investissements souhaités par la France. C'est Nicolas Sarkozy qui a fait les relations publiques pour le Qatar. Il existait des accords importants sur la fiscalité des ressortissants qataris, des accords de coopération et de défense. Je crois que l'OM mérite un fonds public stable et solvable et qui sera aussi moins interventionniste sur la gestion interne et le choix du staff qui va gérer et entraîner le club.
FM : est-ce que l'Arabie Saoudite aurait besoin d'un intermédiaire comme Mohamed Ayachi Ajroudi, sachant que la vision religieuse est différente avec la Tunisie ?
HA : vous avez raison d'évoquer cela. MBS est soutenu par les États-Unis et les Occidentaux parce qu'il est perçu comme l’homme qui va réformer le visage du royaume. Il a promis de se débarrasser de cette image de l'Islam wahhabite qui colle au pays. Il renoue les relations avec Israël sans complexe. Il est intéressé par des investissements massifs en Occident parce qu'il veut tourner la page du passé. Il veut surtout se préparer à la succession de son père et il a besoin d'améliorer son image et de se présenter comme un homme libéral. Le prince de la rupture. La question de la religion n'est pas un handicap. Je n'ai pas réponse concernant la proximité entre Ajroudi et le premier cercle du prince, mais il y a des centaines de personnes autour de la couronne royale pour plusieurs projets. MBS reçoit beaucoup de visites, entre courtisans et apporteurs d’affaires et intermédiaires dans des affaires comme celle de l’OM. C’est le même scénario pour Newcastle et pour l'OM. Chacun arrive en Europe en expliquant qu'il a le soutien de l'Arabie Saoudite. Sachez, les amoureux du foot et de l'OM en particulier, que conclure une affaire avec l’OM est un investissement sportif, économique et politique très important. Il dépasse largement M. Ajroudi et d'autres personnes. Ça touche le coeur du pouvoir.
FM : donc ça pourrait être deux dossiers différents ?
HA : dans ses déclarations, Ajroudi dit que ce sont des fonds saoudiens.
FM : il a aussi dit que les Saoudiens et les Émiratis auraient moins de 50 %, c'est possible ?
HA : ce n'est pas une information de ma part, c'est une analyse : il y a une proximité inédite entre Riyad et Abu Dhabi. Mohammed ben Zayed (Emirats Arabes Unis) et Mohammed ben Salmane sont d'accord pour être sur la même ligne. Ils ont une convergence sans le moindre bémol. On ne peut pas exclure un investissement des deux parties. L'idée ne viendrait pas de MBS. Lui reçoit des propositions. L'homme membre de la famille royale qui aime le foot est connu, c'est AlWalid ben Talal. Il a essayé d'acheter à plusieurs reprises l'OM. Vu la situation actuelle où il a passé plusieurs semaines en détention et interdit de séjour à l'étranger, il n'est pas un cascadeur dans ses projets. Tous ses investissements actuels sont rationnels. Il sait très bien qu'il ne peut pas faire d'investissement politique, comme c'est le cas pour l'OM sans la bénédiction du Boss.
« Est-ce que le président a parlé directement du club à Mohammed ben Salmane ? »
FM : il ne pourrait pas faire Newcastle et l'OM...
HA : l'OM a deux avantages. Le premier, c'est que dans les pays du Golfe, on sait que les relations sont bonnes entre le Président Macron et Mohammed ben Salmane et que Macron ne serait pas contre, d'après ce que j'ai lu, que l'OM soit contrôlé par des fonds saoudiens. Mais le président de la République ne veut pas que des investissements dans un club, mais que d'autres affaires suivent. Jusqu'à maintenant, les Saoudiens n'ont pas sorti le carnet de chèques avec la France, n'ont pas honoré leurs promesses. Alors que Trump est ravi des bonnes affaires avec le Royaume. Aujourd’hui, MBS est un homme qui veut s'assurer le soutien politique de la France, il ne va pas se contenter de recevoir un lambda pour présenter le projet de l'OM. Du côté pouvoir, on attend un parrainage politique de cette prise de l'OM. L'exemple parfait : le PSG, sans Nicolas Sarkozy, il n'avait aucune chance d'avoir le soutien du père de l'émir actuel. C'est comme ça que ça fonctionne du côté du Golfe. Ils investissent, mais il leur faut un accompagnement politique. On est dans une dualité importante : le président français n'est pas contre une présence saoudienne à Marseille. MBS n'est pas contre, au contraire, mais je ne connais pas les coulisses entre les deux, que le club de l'OM soit une demande du pays et pas uniquement un business entre un Américain et un Saoudien. On ne peut pas demander au futur roi de l'Arabie Saoudite de traiter avec un homme d'affaires américain (Frank McCourt). Ceux qui vont lancer des ballons d'essai, ce sont des intermédiaires. Ce ne sera pas le prince lui-même ni les deux hommes que j'ai cités plus haut. Les intermédiaires vont servir à savoir si le club est à vendre et à quel prix. Il n'y a pas un mot dans les milieux sportifs en Arabie Saoudite parce que tant que Mohammed ben Salmane n'a pas montré son intérêt, personne ne dit rien.
FM : oui, mais Newcastle...
HA : concernant Newcastle, il y a un problème par rapport à l'OM. Je n'ai pas regardé les lois pour la Grande-Bretagne, mais c'est difficile de prétendre à l'achat d'un grand club quand on a des déboires avec les règles commerciales. Mais le gouvernement britannique s'est exprimé clairement à ce sujet : les Saoudiens doivent se débrouiller avec la Premier League. Ça agace les hommes politiques saoudiens puisque MBS s'est prononcé dans le rachat de Newcastle. Les Saoudiens ont vu qu'il n'y avait pas un enthousiasme débordant pour leur participation. Est-ce qu'ils ont les moyens et les envies de prendre les deux clubs ? Je pense qu'ils ont les moyens financiers de le faire. Les Saoudiens peuvent aussi jouer d'une concurrence dans les deux dossiers de rachat en essayant de voir quel serait l'accompagnateur politique qui donnerait plus de facilités et d'avantages à un acquéreur qui est foncièrement politique ?
FM : lequel des deux états préférerait voir l'Arabie Saoudite ?
HA : les autorités françaises. Mais est-ce qu'ils l'ont fait savoir ? La discussion téléphonique entre Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane n'a pas été confirmée. L'OM est soutenu par le président français. Mais est-ce que le président a parlé directement du club à Mohammed ben Salmane ?
FM : on pourrait s'attendre à quoi comme type d'investissement ?
HA : ce sont de grands investissements ? Comment impliquer toute la région dans le projet de la ville de Neome (Neom est un projet de ville futuriste située au Nord-Ouest de l'Arabie saoudite, à proximité de la frontière avec la Jordanie et l'Égypte), des investissements pour le tourisme aussi ? Les Saoudiens ne comptent pas leur argent sur ce sujet. Il s'agit aussi de voir quels seront les hommes choisis pour diriger le club. Il existe des personnalités françaises écoutées par MBS et qui s'occupent des relations publiques. On n'en parle pas, notamment un qui a ramené Carl Lewis et des grandes vedettes sportives au Qatar et qui a ensuite été embauché par MBS, qui a organisé la grande conférence de lancement d'Arabie Saoudite vision 2030 (Richard Attias, ndlr).
« C'est un peu difficile de parler au nom des Saoudiens sans avoir un mandat des Saoudiens »
FM : vous avez connaissance des rapports qu'entretient Mohamed Ajroudi avec le cercle du pouvoir saoudien ?
HA : je suis chercheur donc je n'ai pas accès à ça. Je ne connais pas ses entrées, ses liens importants. C'est un peu difficile de parler au nom des Saoudiens sans avoir un mandat des Saoudiens.
FM : mais le tandem Ajroudi-Boudjellal ne renvoie pas forcément une bonne image...
HA : quand j'ai évoqué des hommes-clés, je ne parlais pas d'eux. On ne va pas les crucifier directement. Ils pourraient être des intermédiaires, des hommes de deuxième ou troisième main. Pour Newcastle, comme pour l'OM, c'est le cœur du pouvoir, c'est le PIF saoudien. Il est chargé par MBS de présenter une politique plus offensive en termes d'investissements. Le sport en fait partie et l'OM en fait partie. Ce sont des modalités qui nous échappent à tous en matière de négociations et de coulisses.
FM : on pourrait imaginer qu'Ajroudi soit une sorte d'écran de fumée ?
HA : absolument. Les Saoudiens consultent beaucoup. Ils peuvent confier des petites missions pour sonder le marché, le vendeur ou le public. Un acheteur sérieux comme l'Arabie Saoudite ne veut pas s'exposer dès la première heure d'une manière publique. On se préserve jusqu'à la fin d'autant que le projet est politique. Vous avez vu toute cette fièvre autour des fonds saoudiens ? C'est un pays qui était rejeté après l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi qui voit aujourd'hui une demande française. C'est incroyable.