Serie B

Calcio en lambeaux : la lente et douloureuse mort des petits clubs italiens !

Derrière les éclats européens de quelques géants, le football italien s’effondre en silence. Dans les divisions inférieures, des clubs historiques disparaissent les uns après les autres, étranglés par les dettes, l’indifférence et un système à bout de souffle. Le calcio meurt lentement — à sa base.

Par Valentin Feuillette
9 min.
 Cosenza, Turris, Messina, Taranto Gabriele Gravina (FIGC) et Matteo Marani (Serie C Lega Pro) @Maxppp

Pendant que certains clubs italiens brillent encore sous les projecteurs européens, atteignant régulièrement les sommets des compétitions continentales ces dernières années, le reste du football transalpin s’effondre lentement, dans une indifférence quasi générale. Derrière le vernis des grandes soirées de Ligue des champions, le calcio est en pleine dérive : des infrastructures vétustes, parfois dignes d’un autre siècle, une formation des jeunes laissée à l’abandon, des tribunes désertées, une attractivité en chute libre, à la fois pour les sponsors, les supporters et les talents, et une sélection nationale, quadruple championne du monde, absente des deux dernières Coupes du monde. Le paradoxe est flagrant : les résultats de quelques clubs masquent une crise structurelle profonde et ancienne que les institutions semblent incapables — ou peu désireuses — de résoudre. On repeint les façades pour masquer les ruines. On s’émerveille des victoires alors que les fondations du football italien pourrissent dans un silence assourdissant. Mais c’est dans les divisions inférieures que la situation devient franchement alarmante. Chaque saison, des clubs historiques ou solidement enracinés localement mettent la clé sous la porte dans l’indifférence générale. Faillites à répétition, dettes abyssales, salaires impayés, licenciements en série… C’est un paysage sinistré, presque post-apocalyptique, qui s’étend loin des caméras et des gros titres. Ces clubs, souvent fondés il y a plusieurs décennies, parfois plus d’un siècle, sont les veines du calcio — et pourtant on les laisse se vider de leur sang, sans un mot, sans un geste. Le tissu local s’effiloche, les identités régionales s’éteignent, les enfants ne rêvent plus en noir et blanc ou en rouge et bleu, mais regardent ailleurs, vers des championnats qui respirent encore. Et personne — ni la fédération, ni les autorités locales, ni les grands clubs — ne semble vouloir tendre la main. Ces clubs, pourtant essentiels à la vitalité du football italien, sont sacrifiés sur l’autel de l’inaction, de la mauvaise gestion et d’un système qui a choisi d’oublier ses racines. e calcio meurt, non pas d’un coup, mais à petit feu — et le pays regarde ailleurs.

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Le football italien est le miroir fidèle des fractures géographiques et économiques du pays. Le fossé entre les clubs du Nord et ceux du Sud n’a cessé de se creuser, au point de devenir abyssal. Dans le Nord, les clubs bénéficient d’un tissu économique solide, d’infrastructures modernes, de partenariats industriels stables et d’un soutien politique souvent actif. Milan, l’Inter, la Juventus, l’Atalanta ou encore Bologne disposent de centres d’entraînement ultramodernes, de projets de stades neufs, de réseaux de recrutement structurés et de finances relativement saines. À l’opposé, dans le Mezzogiorno, les clubs survivent dans un environnement marqué par le chômage, l’instabilité économique et l’absence d’investisseurs pérennes. Le contraste est brutal : d’un côté, des clubs qui visent l’Europe, de l’autre, des entités précaires qui luttent chaque saison pour ne pas disparaître. Même lorsqu’un club du Sud accède à l’élite, comme Bari, Salernitana ou Reggina par le passé, il peine à s’y maintenir durablement, plombé par un manque de vision stratégique et de ressources. Mais ce clivage va bien au-delà du terrain : il est enraciné dans le tissu social lui-même. Dans de nombreuses villes du Sud, un club de football est souvent le dernier bastion d’identité collective, le seul espace de cohésion face à une précarité chronique. Pourtant, ces clubs sont les premiers à sombrer dès que la situation financière se tend, faute de marges, de relais publics ou de mécènes. Les stades tombent en ruine, les centres de formation ferment, les jeunes talents s’exilent vers le Nord dès l’adolescence. Le Sud n’exporte plus ses clubs, il exporte ses enfants. Le sport, censé être un vecteur d’ascension sociale, devient un miroir cruel d’un déséquilibre que l’État et les instances sportives n’ont jamais réellement tenté de corriger. Cette fracture Nord-Sud est l’un des angles morts les plus criants de la crise du calcio : tant que l’on continuera à abandonner des pans entiers du territoire, le football italien restera structurellement déséquilibré — éclatant au sommet, vidé à la base.

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Euthanasie des clubs par le système

La Serie C traverse une crise profonde et sans précédent. La saison 2024-2025 a été marquée par l’exclusion de clubs historiques tels que Tarento et Turris, victimes de graves défaillances financières et administratives. Taranto, lourdement sanctionné par une pénalité de 19 points, a finalement été exclu du championnat pour irrégularités administratives majeures. Turris a connu un sort similaire, incapable de respecter les échéances fiscales et les obligations liées à la sécurité sociale. À ces exclusions s’ajoute le rouge alarmant de Messine, relégué en Serie D et désormais au bord de la faillite, plombé par une dette estimée à deux millions d’euros. Le parquet enquête sur le transfert suspect du club, effectué le 2 janvier 2025, de la famille Sciotto vers le fonds luxembourgeois AAD Invest Group. La liste des clubs en difficulté s’allonge encore : Foggia, Lucchese et Triestina ont tous été déférés devant la Cour fédérale pour non-paiement des salaires et cotisations sociales, Foggia étant déjà placé sous administration contrôlée. Casertana est également dans une situation critique. Même Cosenza, fraîchement relégué de Serie B, voit son avenir incertain, n’étant pas sûr de pouvoir honorer ses engagements. Selon les prévisions actuelles, basées sur les états financiers et les procédures en cours, entre six et huit équipes pourraient être dans l’incapacité de s’inscrire au prochain championnat. D’après une enquête de la Gazzetta dello Sport, la Serie C aurait enregistré une perte globale de 140 millions d’euros au cours de la saison 2023-2024, soulignant une crise structurelle qui touche particulièrement les clubs sans stratégie claire de gouvernance ni de maîtrise des coûts.

Face à ce désastre, le président de la FIGC, Gabriele Gravina, a promis une réforme en profondeur, évoquant une possible réduction du nombre de clubs de 60 à 40 pour améliorer la compétitivité et alléger les charges de gestion. Depuis l’an 2000, plus de 180 clubs professionnels italiens ont déposé le bilan. Cela représente en moyenne sept faillites par an — un chiffre accablant, qui concerne majoritairement des clubs de Serie C, mais pas uniquement. Ce constat implacable démontre que l’échec économique des clubs n’est pas un accident ponctuel, mais bel et bien un phénomène structurel du football italien. La saison qui s’achève risque d’alourdir encore ce triste bilan, tant les fragilités financières sont nombreuses. Au-delà de l’atteinte à l’équité sportive que représente l’exclusion d’un club en plein championnat, les conséquences économiques peuvent être colossales, avec un impact variant de quelques dizaines à plusieurs centaines de millions d’euros. Sur le plan social, la disparition d’un club professionnel entraîne des répercussions profondes sur son territoire. Elle affecte l’économie locale, vide les stades et les rues, coupe le lien générationnel entre les supporters, et surtout, elle laisse des centaines de jeunes sans structure sportive, faute d’écoles de football ou de centres de formation. On ne ferme pas seulement un club : on efface un lieu de rassemblement, d’identité, d’avenir.

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Des régions abandonnées et isolées

À l’été 2024, la Région Sicile a accordé, dans le cadre de sa loi financière, une aide publique pouvant aller jusqu’à 300 000 euros en soutien au club de Trapani. Une décision controversée, d’autant plus que l’un des gérants et avocat de l’entreprise bénéficiaire n’est autre que Roberto Schifani, fils de Renato Schifani, président de la Région. Sans surprise, une plainte a été déposée auprès de la Cour des comptes. Ce genre de dérive clientéliste n’aide en rien à redorer l’image d’une Lega Pro censée incarner le sérieux et la crédibilité du football professionnel. Depuis des années, les réformes s’accumulent sans jamais s’attaquer aux racines du problème : plafonnement des prêts en provenance des clubs de niveau supérieur, obligation d’aligner des joueurs de moins de 21 ans, ou encore — plus récemment — la proposition du président Matteo Marani d’introduire un plafond salarial dès la saison 2025-2026. Mais ces mesures restent des rustines sur une plaie ouverte. Elles corrigent à la marge des dysfonctionnements qui relèvent en réalité d’un déséquilibre systémique bien plus profond : «le plafond salarial est l’une des propositions que j’ai faites pour le nouveau mandat, j’ai tenu aujourd’hui la première réunion du conseil d’administration au cours de laquelle nous avons introduit le sujet, dans les prochaines semaines, nous aurons des tables de travail permanentes sur ce même sujet, nous aimerions pouvoir l’introduire dans la prochaine saison, donc 2025/2026, nous devons le modéliser et aussi comprendre sur la base de quels modèles sont disponibles en Europe, il y en a qui fonctionnent et qui sont valables. En général, nous devons contrôler les coûts, sinon le football implosera. Si les finances ne sont pas en ordre, vous ne pouvez pas jouer au football».

Autrefois, le marché des transferts permettait aux clubs de Serie C de survivre, voire de prospérer. Ces clubs jouaient le rôle de tremplin pour les jeunes joueurs, de détecteurs de talents régionaux, et tiraient leur valeur économique de cette capacité à former et revendre. Aujourd’hui, ce modèle est à bout de souffle. Les grands clubs ont étendu leurs réseaux de scouting sur l’ensemble du territoire, privant les petits clubs de cette fonction de repérage local. De plus, dans un contexte où les joueurs disposent de plus de liberté contractuelle, un jeune de 16 ou 17 ans repéré précocement peut désormais partir librement à la fin de son contrat, rendant tout retour sur investissement incertain. Ce manque de garanties économiques prive les clubs de ressources essentielles, et les pousse à abandonner peu à peu leurs centres de formation. Ceux qui n’ont pas d’investisseurs extérieurs solides se retrouvent contraints à vivre de prêts, de montages précaires, et de paris à court terme. L’idée même d’un retour à l’amateurisme, avancée comme ultime mesure de réduction des coûts, aurait des conséquences sociales et professionnelles dramatiques, notamment sur l’emploi. En réalité, aucun scénario de sortie ne semble viable. La Serie C, dans son état actuel, ne sert plus grand monde — si ce n’est quelques clubs du haut du panier qui y placent leurs équipes réserves. Ne reste que l’illusion de la représentation territoriale : avec 60 clubs et des matchs dans toute la péninsule, la Serie C touche encore l’Italie dans sa largeur. Mais que vaut ce maillage, s’il ne transmet qu’un football de précarité, de dettes et de renoncements ?

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