Ligue 1

Les joueurs face au défi d’un calendrier toujours plus infernal

L’apparition de compétition comme la Ligue Europa Conférence ou encore les nouveaux formats avec toujours plus d’équipes font apparaître un constat. Il y a plus de matchs à disputer, surtout pour les meilleurs joueurs sans cesse sollicités en club et en équipe nationale. À l’instar d’Aurélien Tchouaméni ou Pep Guardiola, des voix commencent à s’élever pour dénoncer ces calendriers toujours plus chargés. Certains chiffres du syndicat des joueurs sont même particulièrement édifiants.

Par Maxime Barbaud
8 min.
Kylian Mbappé en match @Maxppp

«J’ai tout donné, physiquement et psychologiquement. Mais le très haut niveau, c’est une machine à laver, on joue tout le temps, on ne s’arrête jamais. On a des calendriers surchargés, on joue non-stop. En ce moment, j’ai l’impression un peu d’étouffer et que le joueur est en train de bouffer l’homme.» En février dernier, quelques heures après avoir annoncé sa retraite internationale à seulement 29 ans, Raphaël Varane fustigeait les cadences infernales imposées aux joueurs professionnels. Arrivé très jeune chez les Bleus, à 19 ans, et responsabilisé dès ses premières sélections, l’ancien vice-capitaine de l’équipe de France a dit stop après 93 sélections (5 buts). «Nous verrons des carrières beaucoup plus courtes, prophétisait le joueur de Manchester United. Je le crains, et que les joueurs soient obligés d’abandonner l’équipe de France très tôt parce que, physiquement ou mentalement, ce que l’on demande aujourd’hui est tout simplement au-delà de toute limite.»

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Au repos durant les trêves internationales, le défenseur peut se consacrer à sa vie de famille, nécessaire pour régénérer les corps et les têtes, les deux faisant la paire. Il n’avait eu droit qu’à neuf jours de repos entre la finale du Mondial perdue contre l’Argentine et son premier match avec son club. Il y a d’autres chiffres qui viennent appuyer son propos. À y regarder de plus près, on comprend mieux sa lassitude de la sélection, mais surtout de tout ce que cela comporte. D’après une étude de la FIFPro, le syndicat mondial des joueurs, parue cette année, Varane a disputé 248 matchs entre le début de la Coupe du monde 2018 et la fin du Mondial 2022 avec une moyenne de 89,5 minutes jouées. Il aura passé 324 heures en avion, traversé 110 fuseaux horaires et effectué presque 230 000 kilomètres. Sur cette même période, il a passé 243 jours avec les Bleus, soit 15% de son temps. Sa retraite internationale lui permet donc de gagner entre 30 et 50 jours de repos sur un an.

A 24 ans, Mbappé a déjà disputé 37% de minutes en plus que Thierry Henry au même âge

De tels chiffres donnent à réfléchir. La santé des joueurs n’est plus un tabou. Désormais, il n’est pas rare d’entendre ici et là qu’untel a fait appel à psychologue, un autre à un préparateur mental. C’est même un véritable sujet. Depuis le début de cette saison, de nombreux acteurs du foot comme Didier Deschamps, Pep Guardiola, Jürgen Klopp ou encore Rodri ont publiquement demandé à diminuer le rythme des compétitions. «Évidemment qu’on joue trop de matchs, c’est une surprise pour personne, s’est plaint Aurélien Tchouaméni en conférence de presse avec les Bleus la semaine passée. Aujourd’hui, c’est rare d’avoir une semaine à un seul match. Ça se matérialise par des blessures, ce sont aux instances et aux joueurs de taper du poing sur la table, on a l’impression que ça ne va pas s’arranger avec de nouvelles compétitions. Il faut faire quelque chose. Quand c’est trop, ça devient un problème.» Sauf que la tendance n’est pas à la diminution mais bien à l’augmentation des matchs.

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Ces derniers mois, la FIFA a fait passer la Coupe du monde de 32 à 48 nations et la Coupe du monde des clubs de 7 à 32 équipes. De son côté, l’UEFA a remis la 3e coupe d’Europe au goût du jour, tandis que la future formule de la Ligue des Champions promet toujours plus de rencontres. Cette évolution est même déjà constatée sur les terrains. Les joueurs débutent toujours plus tôt et à des rythmes toujours plus effrénés. À la fin de la saison dernière, Kylian Mbappé avait déjà disputé 37% de minutes en plus sur l’ensemble de sa carrière que Thierry Henry au même âge. Le champion du monde 98 était pourtant reconnu pour sa précocité. À 20 ans, Jude Bellingham a passé 14 400 minutes sur les terrains, soit 3 500 de plus qu’un Wayne Rooney à la même période, pourtant plus jeune buteur de la Premier League à moins de 17 ans. C’est même 10 000 minutes de moins que deux légendes anglaises, Steven Gerrard et Frank Lampard. Vinicius Jr a lui 12 000 minutes d’avance sur les temps de passage de Ronaldinho…

Tchouaméni tape du poing sur la table

Les exemples ne manquent pas, alors même que la venue des données calculées pendant les matchs et les entraînements permet de mesurer une intensité encore plus élevée qu’il y a quelques années. Toujours plus vite, plus haut, plus fort, mais jusqu’où ? Dans ces conditions, la colère commence à monter chez les joueurs. «On ne nous demande pas forcément notre avis, regrettait d’ailleurs Tchouameni. Au fur et à mesure des saisons, on se rend compte qu’il y a de plus en plus de matchs. Il y a un problème par rapport à ça. J’ai vu une statistique : je faisais partie des joueurs ayant joué le plus de matchs en Europe sur une période alors que j’avais été blessé. Quand je dis taper du poing sur la table en tant que joueur, c’est qu’au bout d’un moment, si on est tous contre le fait de jouer autant de matchs, il faut qu’on se rassemble tous et qu’on prenne une décision pour se faire entendre. Si chacun parle un petit peu de son côté, il n’y a pas de force.» Un discours qui séduit même si la mise en œuvre est toujours plus difficile.

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Ce grondement de fond, les instances se forcent encore de ne pas l’entendre. Depuis plusieurs mois pourtant, la FIFpro fait remonter cette problématique, à travers sa récente étude notamment. «Il faudra changer le système de gouvernance. Il ne fonctionne pas puisqu’il n’est pas protecteur envers les joueurs mais c’est un doux rêve, concède David Terrier à notre micro. On dénonce ça depuis au moins 3 ans. Les matchs et l’intensité des matchs sont accentués. Tout le monde le dit dans nos études, les médecins, les datas… Mais ça ne sert à rien en fait. Les joueurs constatent que ça ne change pas, qu’on n’y arrive pas. Ils commencent à comprendre que ça passera par des démarches collectives pour être entendu. Les instances veulent que les joueurs continuent à être eux-mêmes, c’est-à-dire très individualiste, comme ça, ça continue mais elles seront obligées de trouver des solutions au problème posé si ça prend une dimension collective», poursuit le vice-président de l’UNFP et président de la FIFPro Europe.

«Des joueurs me disent qu’il ne jouent plus les matchs à fond»

«Quand on discute avec les entraîneurs et les présidents, ils confirment que le rythme devient trop important mais ils ont quand même validé ces projets. Les fédérations par l’intermédiaire de la FIFA et l’ECA, qui représente les clubs au niveau mondial, ont signé cet accord, notamment pour la Coupe du monde des clubs. Les décideurs acceptent ça. Personne n’est raisonnable. Personne ne se dit prêt à refuser cette entrée d’argent.» Pour mettre en évidence ce propos, le syndicat mondial des joueurs prévoit une augmentation de 11% de matchs supplémentaires pour la saison 2024/2025 en raison des nouvelles formules en C1 et en la Coupe du monde des clubs. Un joueur pourrait participer jusqu’à 89 rencontres sur un an. Forcément, ce sort n’est réservé qu’à une minorité des footballeurs professionnels, ceux qui sont au plus haut niveau, mais cela va déjà à l’encontre du spectacle. «Des joueurs me disent : “David je ne joue plus les matchs à fond. Je ne suis plus à 100%.” C’est fou de dire ça. Et pourtant le public paye son abonnement à 100% pour voir les joueurs jouer à 100%. Le spectateur est floué. Il est aussi victime de ça mais c’est impossible de jouer 60 matchs par an.»

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L’argent est également un sujet dans ce débat. Les nouvelles compétitions génèrent de nouveaux revenus grâce aux droits TV notamment, et finissent dans la poche des instances, des clubs, des dirigeants, et bien sûr des principaux acteurs : les joueurs. Ces derniers seraient-ils disposés à faire une croix sur une partie de leur revenu s’ils étaient amenés à moins jouer ? Ce n’est pas gagné à en croire les propos de Virgil van Dijk. Le Néerlandais expliquait qu’il n’était pas prêt à baisser son salaire, tout en réclamant l’allègement des calendriers. «Les joueurs sont bien payés, mais cela ne devrait jamais se faire au détriment de notre santé. Nous devons jouer de plus en plus de matchs. (…) Je ne suis pas prêt à renoncer à 10% (de son salaire, ndlr). Je ne pense pas que cela devrait dépendre de mon salaire.» Un point de vue qui peut sembler compliqué à entendre pour le "spectateur moyen". Il émarge à environ 10 M€ par an à Liverpool.

Moins de matchs donc moins d’argent ?

Le problème serait ailleurs pour David Terrier. Selon l’ancien défenseur de Metz et d’Ajaccio, ce sont surtout les autres joueurs, les moins connus, qui seraient impactés. «Les meilleurs joueurs auront toujours les salaires les plus importants. Ils gagnent plus d’argent en dehors de leur contrat de joueur grâce au sponsoring. Donc dire qu’ils gagneront moins parce qu’ils joueront moins, c’est faux. On le voit par exemple avec les salaires de Ligue 2 qui sont déjà à la baisse. C’est une réalité.» L’apparition de ces nouvelles compétitions laisse en effet de moins en moins de place aux championnats nationaux et aux acteurs qui les composent. «Si les meilleurs ne peuvent pas jouer tous les matchs, ils vont finir par choisir les plus importants au niveau médiatique, comme l’équipe nationale, la Ligue des Champions, la Coupe du monde des clubs, au détriment des championnats domestiques, qui perdront en valeur.» Le combat serait donc pyramidal, l’élite jouerait moins, laissant plus d’exposition aux autres. Reste à se faire entendre des instances.

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