Pape Gueye : décryptage d’une ascension programmée
Après Lassana Diarra ou Paul Pogba, la Cavée verte a produit un nouveau milieu au potentiel très intéressant. A la manière d’un bon vin de garde, le HAC l’a laissé mûrir à l’ombre le temps qu’il a fallu. De sentinelle reculée à joueur d’impact, Gueye a réalisé une mue salvatrice dont Oswald Tanchot est à l’origine. C’est donc avec l’ex-entraîneur havrais que Foot Mercato s’est entretenu pour comprendre le phénomène.
Tout était ficelé. Le 29 avril, Watford annonce la signature pour cinq ans de la pépite havraise sur tous ses supports digitaux. Et puis, Patatras ! Quelques heures plus tard l’intéressé et son avocat contestent la validité de l’accord conclu par son ex-agent Bakary Sanogo. En attendant d’avoir le fin mot de cette histoire, Foot Mercato décrypte comment Gueye est devenu ce milieu tant convoité.
Pendant que Tino Kadewere accaparait la lumière, Pape Gueye a gravi les échelons sans sourciller, avec son visage de bambin vissé sur son corps longiligne. En moins d’un an il est devenu l’une des plus grandes attractions de la Ligue 2, sans fioriture. Du 1er avril 2019, date de sa première titularisation en professionnel, au 6 mars 2020 (jour du dernier match du Havre avant la coupure liée au coronavirus), Pape Alassane Gueye est passé du statut de jeune du centre de formation à celui de capitaine par intermittence du Havre (cinq fois cette saison). Une ascension fulgurante durant laquelle le natif de Montreuil n’a manqué que trois journées de championnat. Une statistique qui illustre à quel point celui qui a rongé son frein durant un peu moins de deux saisons en réserve, après avoir signé son contrat professionnel en juin 2017, est devenu indispensable au sein de la formation doyenne.
Mais s’il avale les étapes comme des petits fours aujourd’hui, c’est avant tout parce qu’il a été couvé à souhait avant cela. Débarqué en Normandie en 2012, Gueye est passé par les U17, a été finaliste du championnat de France avec les moins de 19 ans dirigés par l’ancien du Havre Abasse Ba, avant donc de faire main basse sur le capitanat de l’équipe première à seulement 21 ans. Alors que son contrat touche à son terme et que le HAC évoluera encore en Ligue 2 l’année prochaine, l’idée que Pape a (déjà) fait le tour de la question dans son club adoptif se pose comme une évidence.
Un profil technique d’une extrême richesse
Quand on évoque Pape Gueye, la comparaison avec son aîné Paul Pogba ne tarde pas à sortir du chapeau. Parce que comme lui, il sait jouer à tous les postes du milieu. Ni tout à fait milieu défensif ni offensif, sans pour autant être relayeur. Gueye est les trois à la fois. Un joueur capable de gratter un ballon dans un duel avant d’effacer le retour de son poursuivant d’une roulette et d’user de son jeu long précis pour trouver un partenaire parti en profondeur. Un profil qui passe difficilement inaperçu en Ligue 2. C’est d’ailleurs ainsi qu’Éric Junior Dina-Ebimbe, jeune milieu prêté par le PSG au Havre, nous le présentait il y a quelques semaines : « Pape… (il réfléchit) Je ne vais pas dire que c’est un Paul Pogba mais ça s’en rapproche. C’est un joueur élégant à voir, c’est un gaucher, techniquement il est très fort, il a une bonne vision de jeu, défensivement il est très solide… » Ajoutant que durant sa formation à Paris, il n’avait pas croisé un milieu supérieur au Havrais.
Sa vision de jeu et sa patte gauche, Gueye les a depuis toujours, ou presque. Pas le reste. Passé professionnel à 18 ans, Pape manque encore de force et de qualité d’appuis pour coller aux exigences du niveau professionnel. D’autant qu’à l’époque, il évolue essentiellement dans un rôle de milieu défensif reculé. Un poste occupé par l’expérimenté Victor Lekhal. Sa maturité physique est relativement tardive et le défi de son entraîneur du moment, Oswald Tanchot, est de le faire jouer un cran plus haut, entre les lignes adverses, pour l’associer à Lekhal. « Il était habitué à jouer dans un certain confort pendant sa formation, se souvient celui qui a lancé Pape dans le grand bain. Il jouait uniquement en sentinelle, il avait tendance à beaucoup sécuriser son jeu, à jouer assez bas et très peu entre les lignes. Il se rapprochait plus d’un troisième défenseur central (un poste qu’il peut aussi occuper, ndlr) que d’un milieu de terrain. Il avait été formé comme ça mais moi je le faisais travailler pour qu’il puisse jouer comme un relayeur, comme un joueur d’impact au milieu parce qu’il est capable de jouer entre les lignes et sa grande force aujourd’hui c’est qu’il peut jouer aux trois postes du milieu. » Une transformation dont a bénéficié le nouvel entraîneur du HAC, Paul Le Guen, qui a changé sept fois de système cette année (trois positionnements différents pour Pape) et qui a aligné le duo Lekhal-Gueye à sept reprises depuis le retour de blessure de l’Algérien en janvier.
« Il peut bouder un peu quand il perd des petits jeux »
Car si l’ambition d’Oswald Tanchot est d’associer les deux hommes, c’est finalement la mauvaise fortune du premier qui va accélérer le destin du second. Le sort s’acharne sur Victor Lekhal, qui connaît la troisième rupture des ligaments croisés du genou droit de sa carrière, et Gueye prend sa suite : il vit sa première titularisation le 1er avril 2019. Logique au regard de ses facilités à ce poste, mais aussi et de plus en plus grâce à l’aura qui émane de lui.
Oswald Tanchot se souvient d’un leader naturel malgré son jeune âge : « c’est quelqu’un de très respectueux dans le fonctionnement quotidien, avec les gens du club, les coéquipiers. C’est un bon camarade, qui est vivant, qui rigole mais qui sait faire la part des choses et se reconcentrer sur le travail. C’est quelqu’un qui par son aura et son calme apporte quelque chose. Il peut bouder un peu quand il perd des petits jeux… C’est un gagneur. Pape, si on oublie la date de naissance, c’est un vrai leader. Il fait bien les choses à l’entraînement, il aime son métier, il incarne le club… » Au point que Paul Le Guen lui a, en fonction de la conjoncture (suspensions de cadres ou blessures), laissé le précieux brassard de capitaine cette saison.
Des pistes d’améliorations connues
Pape Gueye a donc toutes les cartes en main, reste à les jouer dans le bon ordre et avec précaution. Ses statistiques, par exemple, sont encore trop maigres pour un milieu de très haut niveau (0 but et 2 passes décisives en 25 rencontres lors du dernier exercice). Même si selon Oswald Tanchot, le garçon a une vraie marge de progression dans ce domaine : « s’il joue en relayeur il faut qu’il soit plus décisif. Il est vraiment capable en plus. À l’entraînement quand il y a des jeux réduits ou avec des buts rapprochés, il marque beaucoup de buts. Il a vraiment un bon pied gauche, il a une très belle frappe. Quand il va se débloquer, il va commencer à en mettre. » Rien d’inatteignable donc.
Autre piste d’amélioration : dicter le rythme d’un match. L'apanage des grands. « Il a une tendance à parfois oublier de mettre la même intensité dans toutes les phases de jeu mais ça, avec l’Angleterre (au moment de l’interview il est annoncé à Watford, ndlr), il va l’acquérir parce qu’il a les capacités athlétiques pour le faire. Il était aussi un peu mono rythme à une époque mais il a vraiment beaucoup progressé là-dessus. » Si jusqu’ici sa vision de jeu et la qualité de son jeu long lui permettent de briller dans un système fait de transitions rapides et de verticalité, ses prédispositions techniques laissent imaginer qu’il pourrait s’épanouir à l’avenir dans une formation avec d’avantage de maîtrise, dans des espaces plus réduits. Une polyvalence qui, si elle est utilisée à bonne escient, pourrait servir de nombreux clubs.
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