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Romain Philippoteaux : «en Inde, j’ai vu des enfants se jeter sur moi pour des bouteilles d’eau»

Par Jordan Pardon - Chemssdine Belgacem
11 min.
Romain Philippoteaux @Maxppp

Profil foot d’en bas, Romain Philippoteaux a démarré sa carrière dans les championnats de France amateurs, avant de se faire un nom en Ligue 2, puis en Ligue 1. En 2022, l’ex-Nîmois s’est lancé un ultime défi : celui de rejoindre le Championnat indien. Une expérience aussi inattendue qu’enrichissante, qu’il a accepté de nous raconter dans le cadre de notre série "Les Expats".

Longtemps boudé par le football professionnel, Romain Philippoteaux a eu le cran d’aller au bout de ses idées pour toucher son rêve. En 2013, le natif d’Apt a claqué la porte à son métier de magasinier pour signer son premier contrat professionnel à Dijon. Une récompense, pour celui qui avalait près de 90 kilomètres par jour pour jouer dans son club du Pontet, en DH, trois ans plus tôt. Mais avec 124 matches dans l’élite, en transitant entre Lorient, Auxerre (en Ligue 2), Nîmes ou Brest, Philippoteaux est rapidement devenu un visage familier des observateurs de Ligue 1.

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C’est finalement il y a deux ans, à l’issue de son contrat à Brest, que l’ailier droit a quitté la France pour la première fois de sa carrière. Une destination insoupçonnable au bout du compte : l’Inde. Bien loin de l’ambiance tropicale de la MLS, où il s’imaginait raccrocher les crampons, Philippoteaux a quand même régalé les fans, qui lui ont attribué le surnom du «Magicien». Dans le cadre de notre série "Les Expats" - qui consacre chaque week-end un épisode à un joueur français parti s’aventurer dans un championnat lointain - le joueur de 36 ans nous a raconté cette aventure aussi accidentelle qu’enrichissante. La dernière de sa carrière puisqu’il a finalement pris la décision de dire stop il y a quelques semaines, comme Romain Alessandrini, premier intervenant de notre série la semaine dernière.

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Foot Mercato : Romain, tu quittes Brest librement en 2022 avant de signer en Inde. Qu’est-ce qui t’a convaincu d’aller là-bas ?

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Romain Philippoteaux : honnêtement, je n’avais pas prévu ça. J’envisageais plutôt de finir en MLS, étant donné que j’avais eu l’opportunité quand je jouais encore en Ligue 1. Mais ça ne s’est pas fait. Lors de ma dernière année à Brest, en 2022, je suis indésirable. Je cherche alors un projet en France mais c’est compliqué, puis il y a cette opportunité de dernière minute dans un Championnat que je n’avais jamais imaginé : l’Indian Super League. Ce dont je me souviens, c’est qu’à l’époque (en 2014), Eurosport avait acheté les droits de diffusion du Championnat quand Del Piero, Trezeguet, Pirès, Anelka et compagnie y jouaient. Ca avait fait un peu de bruit mais je ne connaissais rien d’autre. J’ai mon ami et ex-coéquipier Zakaria Diallo qui m’en a parlé car il avait joué là-bas, et puis c’est ce qui a fait la différence.

FM : comment on s’y prépare à ce genre de mouvement, à l’autre bout du monde, alors qu’on imaginait rester en France au départ ?

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RP : j’ai compris que la seule perspective, c’était d’aller voir ailleurs. En Inde, j’avais la chance de signer deux ans donc ça me permettait d’arriver en fin de carrière. Je me suis quand même estimé heureux d’avoir une offre de contrat car beaucoup n’en ont pas lorsqu’ils sont libres. Et puis voilà, je me suis dit 'vas-y, j’ai 34 ans, je suis en fin de carrière, c’est quasiment ma dernière saison, autant sauter le pas et découvrir ma première expérience à l’étranger’. Mais à 25 ou 30 ans, je n’y serais jamais allé.

«J’avais vu des films, mais la réalité du pays m’a frappé 10 fois plus en arrivant ici»

FM : avais-tu des craintes ou des appréhensions au départ ?

RP : j’avais vu beaucoup de films, de documentaires, mais la réalité du pays m’a frappé 10 fois plus en arrivant ici. La pauvreté, les conditions, c’est un pays sous-développé et là où je suis actuellement, c’est très précaire (à Guwahati, au Nord-Est du pays, à la frontière avec le Bhoutan). C’est un vrai changement, des amis à moi ont connu l’Afrique et m’ont dit que c’était le luxe par rapport à ce que je vis ici, ça donne une idée de ce que c’est. Mais ici, il y a un vrai mélange de culture. Exemple : avant chaque entraînement, on a une prière propre à chacun, et quelque soit la religion des uns et des autres.

FM : tu vis dans une résidence collective ?

RP : l’année dernière, j’étais dans une résidence un poil plus huppée par rapport à la moyenne générale. Mais cette année, je suis dans une résidence dans laquelle n’importe quel Indien pourrait vivre. On s’habitue aux coutumes, ça reste enrichissant même si c’est dur. Au moins, ça me fait revenir à l’essentiel et ce n’est pas plus mal.

«J’ai vu des enfants se jeter sur moi pour des bouteilles d’eau»

FM : enrichissant sur quel aspect ?

RP : c’est enrichissant parce qu’on réalise qu’en France, on se plaint parfois pour certaines choses futiles, sans s’imaginer ce qu’il se passe ailleurs. Je me rappellerai toujours d’une scène : on va jouer à l’extérieur et à la fin d’un entraînement, je vois des enfants qui ont le sourire jusqu’aux oreilles et veulent prendre des photos avec moi. Je rentre ensuite à l’hôtel, je prends deux packs d’eau, ressors, et puis je les vois se jeter sur moi pour de l’eau… Des bouteilles d’eau… C’était incroyable pour eux. Là, tu te dis qu’il faut savoir apprécier les choses et se plaindre pour des choses qui en valent vraiment la peine. On se plaint pour tout et n’importe quoi. Si je suis passé par là, c’est que c’était un passage obligé.

FM : tu as d’autres images marquantes comme celle-là ?

RP : ici, tu peux voir des familles entières dormir sur un bout de carton poussiéreux. L’Inde, c’est très pollué. Sur l’écologie, ils n’ont pas de notion. Même si le G20 leur allouait l’enveloppe la plus importante pour l’écologie, ce serait insuffisant. Ils sont nombreux, n’ont pas forcément le droit à l’éducation… La «street» c’est un peu la poubelle pour eux, beaucoup y jettent leurs papiers. Au niveau des conditions de vie, les vaches vivent limite mieux que certains humains en Inde. Car la vache, c’est un animal très sacré ici, il faut le rappeler.

FM : et ton acclimatation à ce nouvel environnement, comment elle s’est faite ?

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RP : ce qui m’a marqué d’abord, c’est la chaleur et l’humidité, c’est impressionnant. Pour le football, c’est un autre fonctionnement, le Championnat reste vraiment top, est bien organisé… Les installations de mon club ne sont pas terribles mais le stade est magnifique, la pelouse aussi. C’est le centre d’entraînement qui est très compliqué. On a sûrement le pire du Championnat. C’est presque une pelouse amateur en France post-hiver.

«Je ne vais pas me plaindre, il y en a qui sont militaires»

FM : qu’est-ce qui te manque le plus en France aujourd’hui?

RP : mes enfants, ma famille, l’éloignement, c’est ce qu’il y a de plus dur. Je ne te cache pas que j’ai été prolongé la seconde année, mais si j’avais su, je ne serais resté qu’une saison par rapport à ça. J’arrive en fin de carrière donc je l’ai fait. Mais là, tu ne peux pas te dire 'je prends un avion pour rentrer à la maison et j’arrive à 23h’. Un aller-retour Inde - France, c’est 2 jours. Mais ce sont des sacrifices, il y en a qui sont militaires, je ne vais pas me plaindre. Moi, j’étais magasinier et travaillais du matin au soir avant d’être professionnel. Je rentrais quand mes enfants étaient couchés, donc il ne faut pas se plaindre. C’était une parenthèse et après je pourrai profiter.

FM : quelle place a le football en Inde ?

RP : le sport le plus populaire, ça reste bien entendu le cricket. C’est un peu comme le football en France, et financièrement ça se rapproche de la NBA. Ici, le football reste quand même important mais si tu regardes le prorata des fans par rapport à la population, ça ne représente rien. D’ici 100 ans, ils devraient être 2 milliards en Inde (1,4 actuellement), ce sera une force mondiale mais footballistiquement, ils restent très loin. Même pour intégrer la Coupe du Monde, il y a un gros travail à mettre en place. Puis ils n’ouvrent pas non plus la sélection aux expatriés. Ils ne prennent que des joueurs locaux et c’est compliqué.

FM : il y a un vrai retard sur les autres voisins asiatiques ?

RP : j’ai suivi la Coupe d’Asie, et des matches que j’ai vus, il y a un retard, oui. Le carré final (Jordanie, Qatar, Iran, Corée du Sud), ils en sont par exemple très loin. Cette saison, Mumbai City était en Ligue des Champions asiatique. Ils ont implosé complet : derniers de leur poule, 0 points, et ils ont perdu 6-0 contre le Al-Hilal de Neymar.

FM : en Inde, est-ce qu’un joueur t’a particulièrement marqué quand même ?

RP : Adrian Nicolas Luna Retamar, un Uruguayen qui a joué en Liga (à l’Espanyol Barcelone), en Australie, c’est un joueur intéressant, intelligent, qui joue au Kerala Blasters, un club populaire un peu comme l’OM en France. Là-bas, tout ce qu’il fait, c’est décuplé. Il est décisif et quand il n’est pas là, tu sens que son équipe perd 50% de sa force.

FM : il y a des joueurs qui pourraient jouer en Ligue 1 par exemple ?

RP : non, il y a un retard important. En Ligue 2, ça ferait peut-être comme Nguyễn Quang Hải, «le Messi vietnamien» (qui a signé à Pau à l’été 2022). C’est-à-dire qu’il aurait un peu de mal. Pour le National 1, il faudrait voir au niveau de l’acclimatation mais je verrai surtout des joueurs de National 2. Techniquement et tactiquement, il y a un retard, mais par contre, ça court et ça met beaucoup d’intensité. Au niveau des barres kilométriques, c’est plus important qu’en Europe.

FM : tu vas terminer ta deuxième saison en Inde, quel est le meilleur souvenir que tu as envie de retenir ?

RP : on a failli aller en finale de Coupe. On ne passe à pas grand chose car on mène 2-0 et on se fait égaliser à la dernière seconde, avant de perdre aux tirs au but. Mais pour un petit club comme le nôtre, c’était exceptionnel. J’ai fait deux demi-finales de Coupe, c’est quand même à notifier. En début de saison, on avait l’équipe pour la remporter, mais les aléas n’ont pas joué en notre faveur. Jouer dans des stades de 80 000 places, c’est un kiff.

«On m’a donné le surnom du 'Magicien’ ou du 'King’»

FM : ta plus grande réussite ?

RP : d’avoir été performant dès mon arrivée. J’ai fait ce que je faisais en France, j’éliminais beaucoup, je faisais pas mal de «skills» comme ils appellent ça ici. Puis les supporters ont été marqués et m’ont donné le surnom du 'Magicien’ ou du 'King’. Forcément, ça reste. Je trouve le clin d’oeil très sympa. Pourtant la première saison était très compliquée en termes de résultats même si on atteint la demi-finale de Coupe.

FM : ton pire souvenir ?

RP : un déplacement où on s’est tapé 2 heures d’avion, 1 heure de bus, 4 ou 5 heures de train… Je précise, ce sont des trains avec couchettes, dans lesquels on était 25 par cabines, avec une odeur incroyable et des mecs qui passaient avec leurs sandwichs. Après, on a dû se retaper 2 heures de bus. Un périple de fou. C’est le seul match qui est hyper compliqué en termes de logistique, et on a perdu 1-0. L’Inde, c’est un pays assez vaste donc tu as souvent 2 vols dans la journée. Pour ce genre de déplacement, on partait la veille ou l’avant-veille.

FM : et la suite pour toi, c’est quoi ?

RP : je vais prioriser un retour en France et voir ce qui est envisageable. Le marché est très compliqué, quand tu pars dans des pays exotiques, c’est compliqué de revenir. Je sais que pour la L1 et la L2, ce sera par exemple très difficile. Pour le National, j’avais des touches, donc ce sera selon mon envie. Ces deux années ont été dures d’un point de vue géographique, je n’ai pas plus de pression que cela.

Nota Bene : cet entretien a été réalisé au mois de mars, quelques semaines avant l’expiration du contrat de Romain Philippoteaux. Depuis, l’ex-Dijonnais a annoncé qu’il se retirait officiellement du football.

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