Coupe du Monde 2022 : comment la Russie et le football russe vivent-ils loin de l'euphorie qatarie ?
Pays hôte de la dernière Coupe du Monde, la Russie a été exclue de l'édition 2022 au Qatar. Une décision forte et commune de la part de la FIFA et de l'UEFA à la suite de l'invasion russe en Ukraine. Dans un contexte forcément particulier, comment la Russie vit-elle cette compétition pas comme les autres ?
Les montagnes russes. Il y a un peu plus de quatre ans, la Russie était la place forte du football mondial. Le pays hôte de la Coupe du Monde 2018 avait accueilli les sélections, les supporters et les journalistes du monde entier avec la ferme volonté de donner une bonne image. C'est ce que nous avait confié en 2018 plusieurs jeunes russes, qui souhaitaient que leur pays s'ouvre un peu plus. Et quoi de mieux que l'évènement le plus regardé du monde pour y parvenir ? Dans l'ensemble, le tournoi a été une réussite et il n'y a pas eu de couacs majeurs dans l'organisation. Mais quatre ans plus tard, le tournoi qui a sacré l'équipe de France le 15 juillet au stade Loujniki de Moscou semble très loin. Il appartient à un autre monde, un autre football. Celui qui se déroulait loin des champs de guerre et de ruine.
Engagée dans une longue guerre avec l'Ukraine, la nation dirigée par Vladimir Poutine a perdu gros au niveau footballistique. L'image qu'elle avait réussi à façonner en 2018 a disparu lorsqu'elle a intensifié son conflit avec le pays présidé par Volodymyr Zelensky. Aujourd'hui, la Russie est pointée du doigt et bannie de la planète football. Le 28 février dernier, elle a été officiellement exclue du Mondial 2022 ainsi que de la Ligue des Nations 2022-23 par la FIFA et l'UEFA. Une décision conjointe des deux instances. «Suite aux premières décisions adoptées par le Conseil de la FIFA et le Comité exécutif de l'UEFA, qui envisageaient l'adoption de mesures supplémentaires, la FIFA et l'UEFA ont décidé aujourd'hui ensemble que toutes les équipes russes, qu'il s'agisse d'équipes nationales ou de clubs, seront suspendues de la participation aux Compétitions de la FIFA et de l'UEFA jusqu'à nouvel ordre», pouvait-on lire sur le communiqué de presse.
La FIFA et l'UEFA ont exclu la Russie
Une sanction jugée abusive par la fédération russe (RFS). « L'Union russe de football est catégoriquement en désaccord avec la décision de la FIFA et de l'UEFA de suspendre toutes les équipes russes de participer aux matches internationaux pour une durée indéterminée. Nous pensons que cette décision est contraire aux normes et principes de la compétition internationale, ainsi qu'à l'esprit du sport. Elle a un caractère discriminatoire évident et nuit à un grand nombre d'athlètes, d'entraîneurs, d'employés de clubs et d'équipes nationales et, surtout, à des millions de supporters russes et étrangers, dont les organisations sportives internationales doivent protéger les intérêts en premier lieu. [...] Nous nous réservons le droit de contester la décision de la FIFA et de l'UEFA conformément au droit international du sport. » Déboutée à deux reprises par le TAS, la Russie a tout tenté avant de retirer son dernier recours au mois d'avril.
Le pays a aussi perdu l'organisation de la finale de la Ligue des Champions qui devait se tenir à Saint-Pétersbourg. En septembre, il a appris qu'il était exclu de l'Euro 2024. Rejetée par le monde du football et marginalisée, la Russie paye le prix fort. Mais la FIFA comme l'UEFA ne comptent pas changer de position et soutiennent l'Ukraine. Repliée sur elle-même, la nation dirigée par Vladimir Poutine maintient malgré tout son championnat. Les journées de Premier League se sont ainsi déroulées comme prévu dans les stades du pays jusqu'à la mi-novembre. Le Zénit domine d'ailleurs le classement avec 42 points, devant le Spartak Moscou (36 points) et Rostov (35 moins). Mais avec la trêve liée à la Coupe du Monde, la ligue russe a dû se mettre en pause. D'ailleurs, seulement deux joueurs de la Premier League Russe participent actuellement au Mondial au Qatar. Il s'agit de Dejan Lovren (Zenit/Croatie) et Moumi Ngamaleu (Dinamo Moscou/Cameroun).
Deux joueurs de Premier League Russe au Mondial
Ils ont réussi en quelque sorte à contourner l'interdiction des "Russes", même si les instances n'avaient pas menacé les éléments évoluant en Russie de représailles s'ils restaient là-bas. Leurs sélections ont estimé qu'ils avaient leur place malgré le fait qu'ils évoluent en Russie et les décisions prises par la FIFA et l'UEFA à l'encontre du pays soviétique. Maciej Rybus (Spartak), lui, a été écarté pour cette raison par le sélectionneur de la Pologne, pays allié de l'Ukraine. Comme dans d'autres disciplines, à l'image du basket où la France a mis de côté Thomas Heurtel car il évolue à Saint-Pétersbourg, certaines sélections ont décidé de se passer des services des éléments évoluant en Russie. Gaël Ondoua (Hanovre), qui aurait pu défendre les couleurs russes puisqu'il a grandi au pays depuis ses 9 ans, a lui opté pour le Cameroun. Mais il a eu une pensée pour la Russie puisqu'on a aperçu un drapeau de son pays et un autre de la Russie sur ses crampons jeudi face à la Suisse lors de la première journée de la Coupe du Monde.
Une compétition, en plus de la guerre, qui n'empêche pas le football russe d'avancer presque comme si de rien n'était. En attendant la reprise du championnat, qui sera pour début mars en raison de l'hiver glacial sur les terres soviétiques, les clubs en ont profité pour jouer la Coupe de Russie. C'est ce que nous explique le journaliste russe Dmitrii Zimin pour le site championnat.com. «Les matches de championnat ne se jouent pas en Russie à cause de la Coupe du Monde. Mais les clubs doivent jouer deux tours de la Coupe de Russie. Le premier tour a eu lieu il y a deux jours. Le second aura lieu ce week-end. Le calendrier a été établi de cette façon car les clubs ne voulaient pas donner trop de temps libre aux joueurs». En effet, cela aurait fait quatre mois sans jouer si les écuries n'avaient pas pris cette décision. De son côté, l'équipe nationale de Russie est également impactée par les décisions des instances dirigeantes. Valery Karpine fait face à un casse-tête au moment de convoquer des joueurs. Artem Dzyuba a par exemple refusé la sélection car de nombreux membres de sa famille vivent en Ukraine.
Presque personne ne veut affronter la Russie
Ce n'est pas le seul problème pour Karpine. En effet, peu de nations sont d'accord pour affronter la Sbornaïa. En septembre, elle a pu croiser le fer avec Kirghizistan (victoire 2-1, 24 septembre). En novembre, elle avait trois matches au menu mais n'en a disputé que deux. L'amical face à la Bosnie a été reporté et a créé des tensions puisque plusieurs cadres, comme Edin Dzeko et Miralem Pjanic, ont refusé de jouer cette rencontre organisée par leur fédération. Quoi qu'il en soit, la Russie galère à trouver des adversaires, nous avoue Dmitrii Zimin. «L'équipe russe a disputé deux matches amicaux face au Tadjikistan (0-0) et l'Ouzbékistan (0-0). Malheureusement, la plupart des pays refusent de jouer des matches face à la Russie. Par conséquent, l'équipe joue en Asie. Maintenant, l'entraîneur regarde surtout les jeunes joueurs et ne pense pas aux résultats. L'équipe nationale travaille et compte faire un jour son retour lors des tournois internationaux».
En attendant, les amateurs de ballon rond continuent de participer à leur façon à la Coupe du Monde. Alors que l'équipe nationale n'est pas la bienvenue au Qatar, l'évènement est très peu suivi au pays, nous raconte Dmitrii Zimin. «La chaîne spécialisée dans le sport diffuse la Coupe du Monde en direct. Tous les matches sont diffusés, il y a des studios avec des experts. Environ 50 journalistes russes travaillent au Qatar actuellement. Il n'y a donc aucun problème à ce niveau-là. Les Russes ne sont pas tellement intéressés par la Coupe du Monde sans l'équipe nationale russe. Je pense qu'il y aura beaucoup d'intérêt pour les séries éliminatoires». Il reste à savoir si d'ici là, le conflit russo-ukrainien sera terminé et quelles seront les décisions des diverses instances dirigeantes. En attendant, la Russie vit cette Coupe du Monde 2022 avec moins d'euphorie et de passion qu'il y a quatre ans. C'était une autre histoire.