Hervaine Moukam : « le Kazakhstan y va sans aucun espoir de succès, simplement heureux de jouer contre la France »
Depuis son départ du centre de formation du FC Metz, l’ailier franco-camerounais Hervaine Moukam a entrepris une carrière de globe-trotteur. Au Kazakhstan depuis février, il nous raconte ses débuts avec le FK Aktobe et nous présente les futurs adversaires de l’équipe de France.
Dimanche, les Bleus de Didier Deschamps affronteront le Kazakhstan pour le compte de la 2e journée des éliminatoires de la Coupe du Monde 2022, à l’Astana Arena de Noursoultan. Sur une pelouse synthétique que foulera cette saison Hervaine Moukam, ailier de 26 ans et l’un des six Français engagés en Premier Liga kazakhe. Un championnat confidentiel qu’il nous présente.
Foot Mercato : Bonjour Hervaine. On t’avait quitté en Biélorussie, on te retrouve 2400 km un peu plus à l’est, au Kazakhstan. Comment tu vas ? Tu sors de l’entraînement ?
Hervaine Moukam : C’est repos aujourd’hui (interview réalisée le lundi 22 mars). J’ai appris que c’est le nouvel an ici (Norouz, fête du printemps, qui tient lieu de nouvel an oriental). On est off jusqu’au 25 mars. On a joué contre le Tobol Kostanay, le vainqueur de la Supercoupe, samedi. On a fait nul (1-1, 2e journée). C’est plutôt bien, parce qu’ils ont de grandes ambitions.
FM : Peux-tu nous dire comment t’es-tu retrouvé en Premier Liga ?
HM : Il me restait cinq mois de contrat au BATE Borisov. J’avais des propositions en France, en Ligue 2, en Allemagne, en D2 et en D3, en Biélorussie aussi. Mais je me suis retrouvé au Kazakhstan par le biais de mon premier coach du BATE, Aleksey Baga, qui est arrivé au FK Aktobe en février. Il m’a appelé et je n’ai pas trop hésité. Quand je l’avais lui, je jouais beaucoup. Il m’a offert de la visibilité. J’avais besoin de jouer. Je sors de deux saisons sans beaucoup jouer. Donc sa présence avait quelque chose de rassurant.
FM : Peux-tu me parler de l’endroit où tu as posé tes valises, Aktioubé, une ville située à l’ouest du pays, « pas loin » de la frontière russe ?
HM : C’est la 5e plus grande ville du pays. Les distances ici sont immenses. Si je veux aller du nord au sud de ma région, c’est comme faire Lille-Marseille. Le pays est grand comme quatre fois la France. C’est pour ça que le climat n’est pas partout pareil. A Aktioubé, on commence seulement à sortir des températures inférieures (-10° en mars, en moyenne). Mais nous, on va s’entraîner à Almaty, l’ancienne capitale située à 2h10 d’avion, parce que là-bas il fait entre 10° et 15°.
FM : Tu fais 2000 km pour aller t’entraîner et tu rentres le soir ?
HM : Comme il fait encore très froid chez nous, que nos terrains, en herbe et synthétique, ne sont pas praticables, on a délocalisé nos entraînements à Almaty. Là-bas, on peut s’entraîner en short. On part quelques jours, on s’entraîne, on joue un ou deux matches, puis on revient. On fait des aller-retours.
FM : Neuvième plus grand pays au monde, le Kazakhstan c’est longues distances et paysages très différents ?
HM : Le premier match de la saison, on est allé jouer à Aktau (ville située sur les bords de la Mer Caspienne). Je me souviens, il faisait -13°. J’avais l’impression d’être au Maroc. Le côté habitations dans le désert. Un côté africain. Mon ancien coéquipier du BATE, il m’a dit la même chose sans même qu’on se concerte. C’est plein de paysages très différents.
FM : Peux-tu me parler de ton club, le FK Aktobe, une référence du football kazakh ?
HM : C’est un peu le Marseille du Kazakhstan. Historiquement parlant, ce sont eux qui ont le plus grand nombre de supporters dans le pays. Même quand ils étaient en D2 (l’an passé), les fans étaient derrière eux. J’ai pu le constater en arrivant. Tu vas au restaurant ou à l’aéroport, tout le monde adore ce club. Entre 2005 et 2013, ils ont gagné cinq fois le titre. Et le championnat n’existe que depuis 1992.
FM : Le championnat du Kazakhstan a moins de 30 ans. Que peux-tu m’en dire ?
HM : De ce que j’ai pu entendre, le football a pris beaucoup d’ampleur pour éviter de parler du quotidien, de la politique. D’où une grosse implication financière de l’État, qui a beaucoup investi dans le championnat.
FM : Des clubs financés par l’État, on imagine donc que la crise sanitaire a peut-être un peu moins impacté le football kazakh.
HM : On ne le ressent pas vraiment. Le pays est bien structuré. Les gens ne se plaignent pas. Il y a des riches, des moins riches. Aujourd’hui, le Kairat Almaty a réussi à prendre Vágner Love. Les clubs attirent des étrangers. Mon président nous a déjà dit que si on finissait dans les trois premiers, il allait privatiser le club. Il est en contact avec Gazprom, pour un sponsoring. La majorité des clubs ici sont financés en grande partie par l’Etat.
FM : Cette ingérence ne te dérange pas ?
HM : Il y a un avantage. Comme c’est l’Etat, tu as l’assurance d’être payé. Même si c’est le club qui te rémunère, tu peux être sûr de recevoir ton salaire. Pas de retard de paiement. Une fois les joueurs enregistrés dans le championnat, il y a une cellule spéciale qui concerne surtout les étrangers, qui vérifie si le club t’a bien payé, s’il paie ton appartement s’il s’y est engagé...
FM : Et tu gagnes bien ta vie au Kazakhstan ?
HM : Franchement, ça va. Je gagne mieux ma vie qu’à Minsk (Biélorussie). C’est largement mieux. Et c’est toujours du net ici, après impôt. Je sais que dans les tops clubs ici, des joueurs sont à 25 ou 30 000 dollars net par mois. Dans un pays où le litre d’essence est à 25 centimes, où la vie n’est pas chère, tu es bien.
FM : Il y a quelques années, on pouvait lire que le Kazakhstan était le paradis du match arrangé et des pots de vin. Tu le savais ?
HM : J’ai découvert ça en Biélorussie surtout. Là-bas, un joueur de mon équipe, avant d’arriver au BATE, il avait truqué des matchs dans son ancien club avec d’autres joueur. L'enquête a pris du temps, et l’an dernier il a été suspendu 2 ans, avec une grosse amende. Mais son implication n'était pas aussi grave que ses compères, qui eux on été bannis du football à vie.
FM : Votre effectif compte 18 joueurs kazakhs et 8 étrangers, l’entraîneur est biélorusse. Comment faites-vous pour communiquer ?
HM : Il nous arrive d’échanger en anglais, même s’ils ne maîtrisent pas trop. Ici, le russe est la langue officielle (avec le kazakh). C’était déjà le cas en Biélorussie, où j’ai passé trois ans. Quand le coach doit me passer des consignes, je peux comprendre, ça va j’ai bien progressé en russe même si je ne le parle pas très bien. Sinon, il y a un Français qui vient d’arriver (Tongo Doumbia) et puis l’attaquant serbe Bojan Dubajic, avec qui j’ai joué à BATE et qui parle russe et un peu français comme il a joué en Suisse. Donc, quand j’ai besoin d’aide pour des démarches administratives, il m’aide.
FM : En parlant de tes coéquipiers, dimanche la sélection du Kazakhstan accueille l’équipe de France, à Noursoultan. Des joueurs du FK Aktobe ont été sélectionnés ?
HM : Oui, il y en a trois. Deux appelés et un réserviste. Les deux appelés, c’est les deux Maksim. Il y a Maksim Samorodov, qui a 18 ans. Il est vraiment talentueux. Quand je suis arrivé, après quelques jours, je me suis permis de lui donner quelques conseils. En fait, ici, les joueurs tu as le sentiment qu’ils ne voient pas très loin. Ils sont dans leur championnat, ça se passe bien mais ils ne vont pas se dire qu’ils peuvent aller plus haut. C’est dommage. L’autre, c’est Maksim Fedin (24 ans). Un bon joueur. Ils jouent au même poste que moi, milieu excentré, ailier.
FM : T’ont-ils parlé de l’équipe de France ? Ou toi, de ton côté ?
HM : C’est plus le coach qui m’en a parlé. Il m’a demandé si j’allais aller voir le match ou si je connaissais des joueurs. J’avais pu échanger avec Olivier Giroud quand je jouais au BATE Borisov. On s’était rencontrés en Ligue Europa en 2018. On partage le même aumônier, Joël Thibault. On fait des études bibliques avec lui. Olivier m’avait envoyé une photo de lui avec mon maillot, j'avais trouvé ça sympa. J’avais dit à Jöel Thibault que si l'équipe de France était à Almaty je viendrais voir le match (le match sera finalement disputé à Noursoultan, à huis clos). Sinon, j’étais avec Kurt Zouma en équipe de France U16 et U17 mais on ne s’est pas parlé depuis trois ans.
FM : As-tu l’impression que la réception de l’équipe de France est un réel défi pour la sélection kazakhe ? Sais-tu comment ils appréhendent cette rencontre ?
HM : On a eu une discussion entre coéquipiers et on en rigolait à table. Ils y vont sans aucun espoir de succès, simplement heureux de jouer contre la France. Ils sont contents d’être sur le même terrain que de grandes stars. Honnêtement, il y a peu d’esprit de compétition. Je sais que le ballon est rond pour tout le monde, mais en face ce sont les champions du monde.
FM : Malgré l’écart que tu décris, y a-t-il quand même de l’espoir pour le football kazakh ?
HM : De ce que je connais, le football kazakh a dépassé le football biélorusse. Ou Presque. D’ici deux ou trois ans il l’aura totalement dépassé. Au niveau des clubs, des infrastructures... Les cinq tops clubs biélorusses, comparés au cinq tops clubs kazakhs, il n’y a pas photo. C’est pour ça qu’aujourd’hui les jeunes Biélorusses veulent tous signer au Kazakhstan. Au niveau du salaire, notamment.
FM : Peux-tu me donner une bonne raison de suivre le championnat du Kazakhstan ?
HM : Aujourd’hui, le top du top c’est le Kairat Almaty. Il y a deux ans, ils sont allés chercher un jeune coach au Dinamo Brest (Aleksey Shpilevski, 33 ans). Un Biélorusse qui avait fait tout son apprentissage en Allemagne, à Stuttgart où il n’avait pas percé comme joueur, et au RB Leipzig. Il était arrivé en Biélorussie avec une idée : faire jouer les jeunes, entourés de quelques cadres. Les Biélorusses, ça leur a fait peur. Il n’y avait pas les résultats, mais tu voyais qu’il y avait une idée de jeu. Ils n’ont pas eu de patience. Il a été viré après 8 matches. Il a débarqué à Almaty avec la même mentalité. Une discipline à l’allemande. Il a tout appris là-bas. Il a fini 2e à un point d’Astana la première saison et champion la saison dernière. Je pense qu’ils vont continuer à progresser.
FM : Il y a six joueurs de nationalité française au Kazakhstan. Dont cinq arrivés cet hiver. Tu as pu échanger avec eux ?
HM : Pas du tout. Le seul que je connaisse, il est dans mon équipe. Tongo Doumbia. Qui a une très belle carrière. Passé par Reims, Wolverhampton, Zagreb... Français, parisien, je le côtoie. Les autres, je ne les connais pas. Quand tu arrives à trouver quelqu’un qui parle la même langue que toi à l’autre bout du monde c’est bien. Mais j’arrive de toute façon très bien à m’adapter.
FM : Après deux journées, le FK Aktobe est dernier avec -1 point. Pourquoi ce retrait de points ?
HM : On est derniers après deux journées parce qu’on a commencé la saison avec 3 points en moins. Il y a cinq ans, la Ligue avait demandé aux clubs de se doter d’infrastructures pour pouvoir accueillir des matches peu importe la météo. Construire des terrains synthétiques couverts, qui puissent accueillir du public. Aktobe ne l’a pas fait. Et à partir de maintenant, quand tu ne joues pas un match dans ta ville, tu perds trois points. Il faisait -26°, on a été obligé de débuter la saison à Almaty à cause des intempéries. Tactiquement, techniquement, c’était impossible.
FM : Et vous êtes sûrs de pouvoir jouer le prochain match dans votre stade ?
HM : Oui. Apparemment, avec les températures qui arrivent, ils s’activent pour remettre notre terrain en état.
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