Les joueurs ont-ils vraiment le droit de faire grève ?

Par Jordan Pardon
5 min.
Rodri blessé contre Arsenal @Maxppp

Face à la cadence infernale de leurs calendriers, plusieurs joueurs ont évoqué la possibilité de mener une grève ces derniers jours. Mais en ont-ils vraiment le droit, et comment ?

Le dossier est remis sur la table. Face au rythme toujours plus effréné des calendriers, Rodri a peut-être mis un pied là où personne ne l’avait encore fait avant lui. Ces derniers jours, l’international espagnol a en effet évoqué la possibilité de faire grève, à l’heure où l’inaction semble être devenu le mot d’ordre chez l’UEFA et la FIFA. Dans son sillage, Jules Koundé, Dani Carvajal ou encore Thibaut Courtois sont montés au créneau, alors que Pep Guardiola et son ancien adjoint aujourd’hui à Chelsea, Enzo Maresca, ont également pris bonne note du mouvement réfractaire. Mais les joueurs, par leur statut assez singulier, peuvent-ils légalement faire front aux instances comme certains ont pu le laisser entendre ? Oui, en exerçant leur droit de grève, mais sous certaines conditions. Amir N’Gazi, avocat aux barreaux de Paris et Moroni, spécialisé en droit du sport et des affaires, explique :

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«Les sportifs professionnels, et en l’espèce, les footballeurs professionnels, sont salariés. Ils sont liés à leur employeur par un CDD. Comme tout salarié en France, ils sont soumis au Code du Travail qui prévoit tant des droits, que des obligations à leur égard. En France, comme en Europe, ce droit de grève est garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme», rappelle-t-il. Néanmoins, deux règles fondamentales doivent être observées dans le cadre de cette application : «la première, c’est que la grève doit correspondre à une revendication collective. Un joueur, théoriquement, ne peut pas faire grève seul, le principe même d’une grève étant collectif. La deuxième, c’est que la revendication doit être portée à la connaissance de l’employeur, donc du club, en amont de l’exercice de ce droit de grève. Sous ces deux réserves, il est possible pour un footballeur professionnel de faire valoir son droit.» Bien que le recours d’un joueur, à titre individuel, ne soit pas exclu pour manifester son opposition à une décision, cela reste essentiellement le rôle des syndicats qui ont, eux, la possibilité, la puissance et la légitimité de porter leur voix.

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Les syndicats comme porte-parole des joueurs

En France, l’UNFP est, et ce depuis 1961, l’unique syndicat des footballeurs professionnels. En tant qu’instance représentative des joueurs, sa mission est de défendre leurs droits, de participer au dialogue social avec les syndicats employeurs, ou encore de veiller à ce qu’aucune réforme n’altère leurs intérêts. À l’échelle mondiale, la FIFPRO rassemble, elle, les syndicats du monde entier. Et elle est aujourd’hui la plus légitime à contester des décisions prises par l’UEFA ou la FIFA. Ces dernières semaines, le syndicat mondial des joueurs avait d’ailleurs déposé une plainte à Bruxelles afin de contester la légalité des décisions prises par la FIFA, dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde des clubs 2025. Elle estimerait par ailleurs que le rythme des matches toucherait directement aux conditions de travail des joueurs.

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«La plainte déposée par la FIFPRO porte plutôt sur le caractère unilatéral de la fixation du calendrier par la FIFA, alors qu’une autre, intentée par plusieurs syndicats et ligues européennes (Bundesliga, Liga, Serie A et Premier League entre autres), porte véritablement sur la violation des règles de concurrence, explique Amir N’Gazi. En d’autres termes, la multiplication des matches internationaux viendrait affaiblir et atténuer l’attrait qu’on peut avoir pour les compétitions nationales.» En fait, le but de cette plainte n’est pas nécessairement d’infliger des sanctions pécuniaires à la FIFA, mais plutôt qu’elle soit enjointe de procéder différemment, d’adopter une autre attitude sur la fixation de ses compétitions.

Les clubs pourraient être impactés par une grève

Mais dans l’hypothèse où la FIFA étirait son mutisme sur la question de ses calendriers, il n’est pas impossible que certains joueurs s’ingèrent à l’avenir dans ces affaires, comme l’a expliqué David Terrier, vice-président de l’UNFP et président de Fifpro Europe, à L’Équipe : « certains pourraient tout à fait refuser de jouer cette Coupe du monde des clubs. Ils sont de plus en plus nombreux à prendre position publiquement. Les entraîneurs critiquent aussi le calendrier trop chargé. Un mouvement est en train de prendre ». Et s’il donnait suite à de véritables actions de la part des joueurs, ce sont les clubs qui pourraient en premier lieu être impactés, comme le rappelle l’avocat Amir N’Gazi.

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«Le mouvement de grève, s’il y a, viendrait d’abord affecter les clubs. Or, les clubs ne décident pas de l’organisation du calendrier, donc finalement, ce ne serait que par ricochet que les instances seraient touchées. Le fait que les grèves aient lieu au sein même des clubs ne pourrait pas entraîner automatiquement de changements, puisque les décisions prises sont à la discrétion des instances.» Mais si, pour manifester leur combat, les joueurs renonçaient à leurs fonctions lors de la prochaine Coupe du Monde des clubs, s’exposeraient-ils à des sanctions ? «Aucune sanction ou mesure discriminatoire n’est possible à l’égard des joueurs, dans l’exercice d’un droit de grève. Mais il faut garder à l’esprit qu’un employeur garde, en revanche, le droit de diminuer la rémunération d’un salarié, tant en droit commun que dans le sport professionnel, et ce, à hauteur des jours non travaillés. Donc si un joueur fait une grève pendant 50 jours, l’employeur peut le priver d’un montant correspondant à cette période donnée», ajoute l’avocat. Un "sacrifice" pour les joueurs, mais qui pourrait permettre d’indirectement sensibiliser, et de montrer aux instances que l’enjeu, est bien plus important.

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