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Benjamin Aidoo, leader des Coffin Dancers : « je rêve de conduire Ronaldinho jusqu’à sa dernière demeure »

Sujets d’un meme qui a envahi Twitter au début du confinement, les « Coffin Dancers », littéralement « Danseurs au cercueil », sont devenus de véritables stars au Ghana, et bien au-delà. Amateur de football au pays des Black Stars, le créateur du mouvement, Benjamin Aidoo, s’est confié à Foot Mercato.

Par Mathieu Rault
8 min.
Benjamin Aidoo et ses "pallbearers" ont fait le buzz avec le "coffin dance" @Maxppp

L’échange se fait un mercredi après-midi. Il est seize heures en France, deux de plus au Ghana, lorsque « John », manager kényan de star naissante, rejoint la « réunion » que nous avons créée sur la désormais célèbre plateforme Zoom. Rendez-vous a été pris il y a maintenant deux semaines. Soit à peu près le temps nécessaire pour qu’un buzz né sur les réseaux sociaux ne soit enterré. D’inhumation, il est ici question. Après avoir fait les présentations, John nous laisse en compagnie de Benjamin Aidoo, créateur de l’entreprise funéraire la plus enjouée du Ghana et peut-être la plus atypique au monde.

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Des airs de magicien. Lunettes de soleil sur le nez et chapeau haut de forme noir vissé sur la tête, sourire aux lèvres, l’étudiant a bien grandi. Devenu « pallbearer » (porteur de cercueil) pour payer ses études il y a 18 ans, Benjamin Aidoo a fini par créer Nana Otafrija* Pallbearing & Waiting Services, à Accra, capitale du Ghana, en 2007, avec l’idée de célébrer la vie et répandre la joie lors des cérémonies funéraires. « Certaines personnes n'ont plus envie de pleurer, d'autres pleurent, mais qu'elles aient envie de pleurer ou non, nous les rendons heureuses, nous les rendons joyeuses grâce à ce que nous faisons », vante l’entreprise sur un compte Facebook fraîchement créé.

Devenu mondialement célèbre au début de la pandémie de COVID-19 avec le Coffin Dance, vidéos de danses endiablées cercueil à l’épaule devenues memes sur les réseaux sociaux, Benjamin Aidoo a tapé dans le ballon et continue de le faire. Mais au pays d’Abedi Pelé, l’entrepreneur qui emploie désormais plus de 100 personnes à travers le pays et reçoit des dizaines de CV par jour depuis le buzz, a rapidement préféré les enterrements aux entraînements et regarde aujourd’hui d’un œil lointain les performances de la sélection du Ghana. Pour Foot Mercato, il a tout de même accepté d’évoquer, devant une fresque de lui-même, le ballon rond.

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FM : bonjour M. Benjamin, pouvons-nous supposer qu’en tant que Ghanéen vous êtes un fervent supporter des Black Stars ?

Benjamin Aidoo : oui, je suis né et j'ai été élevé au Ghana. Et j'aime le football, j'adore le football. J'ai été footballeur et je le suis toujours, dans une petite équipe. Mais pour ce qui est des Black Stars, ils aiment jouer avec nos émotions. On leur donne de l'argent, des primes, le gouvernement les dorlote et ils doivent aller jouer, gagner la coupe et revenir à la maison. Mais ils ne font que nous balader entre joies et déceptions. Ils seront là et ils se donneront à fond et puis nous les encouragerons, mais ils ne rapporteront pas la coupe au Ghana donc pour moi, les Black Stars c’est fini !

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FM : jusqu’à ce qu’ils gagnent de nouveau et ramènent la coupe à la maison ?

BA : s'ils jouent, je ne les regarde pas du tout. Parce que je sais que si je les regarde, ils ne vont pas gagner, donc je ne vais pas les regarder. Je suis très superstitieux.

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FM : le Ghana ne s'est pas qualifié pour la Coupe du monde de 2018 en Russie et s'est fait éliminer en 8e de finale de la dernière Coupe d'Afrique des Nations en 2019. Avez-vous une idée de ce qu’il faudrait changer ?

BA : beaucoup de choses. On se souvient de la Coupe du Monde 2010, c’est bien. On a toujours été dans les quatre premiers en coupe continentale ces dernières années (lors des six éditions de la CAN précédant 2019, ndlr) mais la dernière coupe remonte à quand ? (une CAN en 1982, ndlr) Aujourd’hui, ils ont besoin de jeunes joueurs. Les anciens devraient laisser la place aux jeunes pour qu'ils puissent explorer leurs talents. Vous avez fait votre part, vous devez laisser aux jeunes la chance de montrer ce qu’ils peuvent faire.

FM : nous avons lu que vous étiez un grand fan du FC Barcelone. Est-ce exact ?

BA : oui, oui, oui, je suis un grand fan de Barcelone.

FM : n'est-ce pas un peu étrange pour un Ghanéen de soutenir une équipe dans laquelle joue Luis Suarez ?

BA : (il éclate de rire) oui, oui, oui ! Je suis partagé. J’ai honte. Je me sens tellement mal. Chaque fois que je vois ce joueur, même quand j'entends son nom, ce Suarez, si j'entends ce nom, je suis triste. Parce qu'une main de ce Suarez, a renvoyé les gars à la maison et a fait que mon équipe du Ghana est rentrée au pays sans pouvoir disputer la demi-finale, ce qui est dramatique (lors du quart de finale Uruguay-Ghana de la Coupe du Monde 2010, ndlr). C'était dramatique. Vraiment. Nous avons un dicton ici pour Suarez. Le nom de Suarez signifie l’impossible. Si vous voulez réaliser quelque chose ou aller quelque part et que Suarez est là, cela signifie que vous n’y parviendrez pas. Si vous désirez vraiment quelque chose et que Suarez est là, vous ne parviendrez jamais à l’atteindre.

FM : Asamoah Gyan reste le joueur le plus capé et le meilleur buteur de l’histoire du Ghana. Après la main de Luis Suarez, il a manqué le penalty qui aurait pu envoyer le Ghana en demi-finale du Mondial. Le peuple ghanéen lui a-t-il pardonné ?

BA : non, non, ils ne lui ont toujours pas pardonné. Vous savez que les Ghanéens ne pardonnent pas. Nous ne pardonnons pas. Le jour où il a manqué le penalty, les Ghanéens sont allés chez sa mère, ils l’ont harcelée. Son échec a eu des conséquences sur la santé de sa mère après ça, c'était vraiment triste. Alors, sa mère a dit à Asamoah de ne jamais plus tirer un penalty de sa vie. C'est pourquoi vous ne reverrez jamais Asamoah s’aventurer à tirer un penalty. Parce qu'il lui a promis de ne plus jamais s’y risquer. Et maintenant que sa mère a 80 ans, je pense qu'il suit son souhait, de ne plus jamais tirer de penalty pour le Ghana.

FM : et vous, êtes-vous rancunier ?

BA : oh moi, je sais que c'est la nature humaine, vous comprenez ? Vous savez, il faut que quelqu'un perde pour que quelqu'un gagne. Donc pour moi, je pense que c'est normal. Je pense qu’il a fait de son mieux. Nous ne sommes que des spectateurs. Si vous n'êtes pas sur le terrain, c’est que vous n’avez pas le niveau, vous ne pouvez donc pas juger. S'il est là, c’est qu’il a une bonne raison d'être là et nous devons l'encourager, qu'il soit bon ou mauvais. Je ne lui en veux pas. Ce qui me dérange c’est que je connais les joueurs ghanéens, ils aiment nous rendre chèvre. Vous les payez, vous y croyez, mais à la fin ils perdent. Je ne les regarde plus, j'attends. S'ils gagnent alors je jubilerai et s'ils ne gagnent pas je vaquerai à mes occupations.

FM : connaissez-vous le football français ? Y a-t-il un joueur que vous aimez ?

BA : pas vraiment. Ce que j’aime bien c’est regarder la Ligue des Champions et puis surtout si j'entends parler de mon équipe du Barça ou de Chelsea, parce que j'aime toujours voir les joueurs ghanéens jouer dans des équipes étrangères, sortir du Ghana et jouer. La raison pour laquelle je suis devenu fan du Barça et de Chelsea est que j'aime leurs joueurs. Alors que Michael Essien jouait pour Chelsea, j'ai suivi l'évolution de sa carrière. Je sais qu’il venait de Lyon, mais c’est à peu près tout ce que je sais du football français. Vous savez que j'aime Lionel Messi et la façon dont il joue. Ce n'est pas un joueur égoïste, donc j'aime toujours le regarder jouer.

FM : en tant que supporter, croyez-vous que Neymar devrait revenir à Barcelone ?

BA : oui, il devrait y retourner. Sans lui, Lionel Messi a l’air triste.

FM : cette question va peut-être vous paraître étrange, mais quel joueur aimeriez-vous accompagner jusqu’à sa tombe ?

BA : (il rit) je leur souhaite une longue vie, bien sûr, mais si j’avais cette chance, je rêve de conduire Ronaldinho jusqu’à sa dernière demeure. Puis Maradona et enfin Messi. Ronaldinho, c’est un joueur qui m’a toujours impressionné. Ce serait un hommage du danseur que je suis au danseur qu’il était sur le terrain.

FM : que pensez-vous de l'idée que des joueurs de football célèbrent un but en faisant votre célèbre « Coffin Dance » ?

BA : j'en serais heureux. J'adorerais, j'adorerais, je sauterais partout ! S'ils essaient de copier ce que je fais, oui, je serais impressionné parce que si quelqu'un venait à capturer ce moment, cela atterrirait sur les réseaux sociaux et cela deviendrait viral. J'aimerais beaucoup. Je leur serais reconnaissant de faire cela. Surtout Messi !

FM : avant de vous laisser, pouvez-vous nous dire comment envisagez-vous l’avenir ?

BA : je suis motivé pour développer mon entreprise. A la fin de la pandémie, je vais établir des contacts dans différents pays et des filiales seront ouvertes là-bas. Oui, car en cas de demande à l’étranger, si quelqu'un fait appel à nos services funéraires, avec les frais, les billets d'avion... les dépenses seront élevées si nous devons nous déplacer. Donc le mieux serait de collaborer avec des gens sur place ou même de les former depuis leur pays.

FM : auriez-vous un dernier mot à ajouter ?

BA : je dirais aux fans de respecter les règles et les règlements de confinement, de rester à l'intérieur. S'ils n'ont nulle part où aller, qu’ils restent dans un endroit clos. Que les gens utilise l'eau courante et du savon et des désinfectants pour les mains et surtout qu’ils mettent toujours leurs masques. Je vous en supplie, mettez vos masques. Une fois la pandémie terminée, nous nous retrouverons tous nous pourrons nous remonter le moral.

*Nata Otafrija signifie « Nous réalisons l’impossible ».

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