Alexandre Lafitte, Stade d’Abidjan : « Je voulais être numéro 1 »
Seulement âgé de 26 ans, Alexandre Lafitte est le plus jeune tacticien français à entraîner dans une première division à travers le monde. Un accomplissement qu’il doit à sa détermination et à la confiance accordée par le Stade d’Abidjan, club prestigieux de Côte-d’Ivoire. Il s’est confié au micro de Foot Mercato afin de revenir sur plusieurs points tels que ses méthodes de travail, sa vision du football ivoirien mais aussi ses ambitions à court et long terme. Entretien.
Foot Mercato : Après avoir été adjoint à Tarbes, au Paris FC féminin puis à Gueugnon, vous êtes désormais à la tête du Stade d’Abidjan. Alexandre Lafitte, comment qualifierez-vous votre parcours jusque-là ?
Alexandre Lafitte : On peut dire que c’est atypique. Là où je suis actuellement, c’est ce que je voulais. Mais le parcours pour y arriver n’a pas forcément celui qui a été totalement espéré. Je suis fier de mon parcours.
FM : Pourquoi avez-vous quitté la France si tôt alors que vous n’avez que 26 ans ?
AL : Je voulais être numéro 1. La complexité dans le football, notamment en France, c’est qu’on fait peu confiance aux jeunes, donc réussir à l’étranger était un objectif.
FM : Comment avez-vous vécu ce manque de crédibilité à cause de votre âge ? Avez-vous le sentiment que cela vous a fermé de nombreuses portes ?
AL : J’étais assez frustré parce que je voulais que ça aille plus vite. Maintenant, je me dis que le système est comme ça et il faut trouver les ressources pour se faire son propre chemin.
FM : Comment les supporters ivoiriens ont-ils perçu votre arrivée sur le banc du Stade d’Abidjan, l’un des clubs historiques du pays ?
AL : Quand je suis arrivé en Côte-d’Ivoire, le club était mal en point sportivement. J’arrive un peu comme un inconnu. Les gens avaient de l’attente à mon égard. Certains supporters ont sûrement été sceptiques au départ, mais rapidement après, on m’a mis en confiance.
FM : Justement, quel accueil vous a été réservé dès votre arrivée ?
AL : J’ai été accueilli par des centaines de personnes à l’aéroport, c’était dingue. Je ne m’y attendais pas. Le propriétaire n’était pas là, mais le directeur de la section football me dit, juste avant que je m’envole, qu’il y aura beaucoup de monde qui m’attendra à l’aéroport. J’ai pensé avant d’y aller que je devais bien être habillé. J’ai bien fait (rires). On m’a super bien accueilli.
«Je suis plus dans la peau d’un manager»
FM : Vous êtes-vous rapidement acclimaté à la vie à Abidjan ?
AL : Abidjan, c’est quatre fois Paris. Il y a de tout en termes de diversité. On peut y vivre comme un "européen". Les embouteillages sont un peu embêtants (rires). Je me suis bien habitué et j’ai mes repères. Avec mon travail, je n’ai pas beaucoup de temps pour sortir mais mon cadre de travail est agréable dans un environnement où ce n’est pas toujours simple de travailler.
FM : Selon vous, quelles sont les différences entre la France et la Côte d’Ivoire au niveau du cadre du travail ?
AL : Culturellement, en termes de professionnalisation. Travailler ici prend beaucoup d’énergie. La mentalité et la culture demandent d’être adaptable. On n’est jamais à l’abri des imprévus.
FM : Avez-vous l’impression de devoir en faire plus que vous en feriez si vous étiez en France ?
AL : C’est moi qui gère les recrutements et un peu tout ce qui englobe le sportif. Je suis plus dans la peau d’un manager. C’est parfois fatigant. Je ne suis pas entouré d’un staff pléthorique et le staff est local. Il est digne de confiance et intéressant.
FM : Cela doit être assez enrichissant pour vous et cela vous servira assurément pour la suite de votre carrière…
AL : Oui, clairement. En terme de pression populaire, il faut être costaud. C’est très émotionnel. Dès que tu gagnes, t’es le meilleur du monde, dès que tu perds, c’est plus compliqué. La deuxième partie de saison dernière m’a donné beaucoup de crédibilité. Pendant un moment, nous avions été la meilleure équipe pendant longtemps sur la phase retour.
«Un championnat compliqué où toutes les équipes se valent»
FM : Ressentez-vous que le championnat ivoirien est particulièrement suivi ?
AL : Il y a un engouement incroyable pour la sélection nationale. Mais pour le championnat, cela dépend des équipes et des matches. C’est assez suivi.
FM : D’ailleurs, à quel niveau évalueriez-vous le niveau du championnat ivoirien ?
AL : Le championnat ivoirien, je le mettrais au niveau de la N1 française. Néanmoins, il y a beaucoup de joueurs qui ont un très fort potentiel et qui peuvent rapidement jouer dans les divisions supérieures en Europe.
FM : Vous avez déjà eu ce genre de joueurs prometteurs sous vos ordres ?
AL : À titre d’exemple, j’ai eu un joueur qui, sous mes ordres, a vraiment explosé. C’est Eroine Agnikoi. Il va avoir 18 ans et il est défenseur central. Il ne jouait pas beaucoup avant que j’arrive. Il a participé au tournoi de Toulon avec la sélection U23 de Côte d’Ivoire en mai dernier et a été promu capitaine lors du dernier match. Il était en Espagne avec la sélection U23 lors de cette trêve avec des joueurs évoluant en Ligue 1 et Ligue 2 français notamment. Plusieurs clubs européens s’intéressent à lui, j’espère que tout se passera bien pour lui.
FM : Vous êtes actuellement à votre deuxième saison à la tête du club. Avez-vous un projet sur le long terme avec le club ?
AL : Quand je suis arrivé, on est partis sur deux ans. Après il y a une clause qui m’autorise à écouter si de belles offres viennent à moi. Après, nous avons fait un recrutement impressionnant. Même si, pour le moment, ce début de saison n’a pas tourné en notre faveur.* On a recruté le gardien international ivoirien qui avait remporté la CAN sous Hervé Renard, Sylvain Gbohouo. Il souhaite participer à la CAN. Nous avons fait un vrai recrutement qui me permet d’être vraiment confiant pour la suite. C’est un championnat compliqué où toutes les équipes se valent et il est très dur de marquer ici.
FM : Comment expliquez-vous ça ?
AL : Il faut savoir que le joueur ivoirien est très intelligent et très technique. Cela est notamment dû au football de rue, très développé dans les «Maracana», avec notamment des petits buts.
«J’aimerais revenir en Europe»
FM : Le club n’a plus remporté de titre majeur depuis 2000. Permettre au club de regagner, est-ce un objectif dans le coin de votre tête ?
AL : Il y a ce petit défi, oui. Sur la deuxième année, pourquoi pas. On aimerait être Africain l’année prochaine, ce serait beau. Nous sommes le premier club ivoirien à avoir remporté la Ligue des Champions. Pour le moment, il faut y aller pas à pas, mais ce serait fantastique de ramener un titre.
FM : La CAN arrive dans quelques semaines désormais. Comment jugeriez-vous les infrastructures ivoiriennes et comment cela empiète sur votre saison ?
AL : Je pense que les infrastructures seront prêtes. Il y a eu un petit souci de pelouse qui a été réglé. Comme le championnat a repris tardivement, nous enchaînons tous les trois jours, ce qui est un rythme assez effréné.
FM : On a franchement l’impression que vous êtes au cœur d’un projet assez ambitieux. Cela ne vous donne pas envie de vous inscrire sur la durée à Abidjan ?
AL : Sur le papier, oui. Nous sommes dans un pays de passionnés, il est rare de rester 3 ou 4 ans en poste, même si c’est de plus en plus le cas en France. C’est une belle expérience qui me permet de lancer pleinement ma carrière d’entraîneur principal et d’expérimenter beaucoup de choses. Nous avons essayé de professionnaliser sur certains points en optimisant par exemple le staff médical. Nous verrons comment le club se développe par la suite.
FM : Dans ce cas, quels sont vos objectifs d’avenir dans les prochaines saisons ?
AL : J’aimerais revenir en Europe. Pas forcément qu’en France. J’ai eu des contacts avec le Portugal et la Belgique, des clubs de deuxième division. Dans l’idéal, je voudrais un projet où je puisse produire de la haute performance et mettre mes idées en place.
: au moment de l’interview, le Stade d’Abidjan comptait 2 nuls et 1 défaite en 3 rencontres. Désormais septièmes, les joueurs d’Alexandre Lafitte comptent 3 victoires, 7 nuls et 2 défaites en 11 matches de championnat.
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