Comment l’affaire Lassana Diarra peut révolutionner le mercato
Lassana Diarra s’est lancé dans une procédure au très long court, jusqu’à la Cour de justice de l’Union Européenne. Cette dernière doit rendre une décision qui pourrait aller jusqu’à modifier les règles du marché des transferts, comme ce fut le cas lors de l’arrêt Bosman en 1995.
Serions-nous à l’aube d’un changement majeur sur la planète football ? Nous le saurons le 4 octobre prochain, lorsque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) aura rendu son verdict dans le litige opposant Lassana Diarra et le syndicat des joueurs FIFPro (le syndicat représentants les joueurs professionnels dans le monde) à la FIFA et à la Fédération de football belge. Retraité des terrains depuis 2019 et la fin de son contrat au PSG, l’ancien milieu estime que la FIFA l’a empêché d’exercer son métier de footballeur professionnel entre 2014 et 2015. En fonction de la réponse du CJUE, le rendu de cette affaire pourrait faire jurisprudence et opérer une petite révolution sur le mercato. Explications et retour en arrière.
Avant d’aller plus loin, il faut une remise du contexte. Alors qu’il est lié au Lokomotiv Moscou depuis 2013 (et pour trois ans), Diarra estime que le club russe a baissé son salaire sans son accord. Dans ces conditions, il pense pouvoir casser son engagement pour s’engager ailleurs, libre. Le contrat est en effet rompu à l’été 2014 par les Moscovites mais «sans cause juste.» Ils réclament 20 M€ d’indémnités, montant calculé sur les règles de la FIFA entre la rémunération du joueur et ses avantages jusqu’au terme du contrat. Sans cause juste caractérisée, le club est dans son droit. Forcément, cela ralentit la recherche de nouveau projet de Diarra en raison du mécanisme dit de "codébition", relatif à l’article 17 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA. C’est cette règle précise qui nous intéresse dans cet article.
Le principe de "codébition" remis en cause dans l’affaire Diarra
Pour la faire courte, cela protège les clubs d’une rupture de contrat de manière unilatérale. Le nouvel employeur devient codébiteur et s’engage à partager l’amende de sa nouvelle recrue sur le principe de solidarité. En attendant, le Français est libre et intéresse le Sporting de Charleroi, qui envoie même une lettre d’engagement. Mis au courant de l’affaire avec le Lokomotiv, le club belge se protège. Avant de faire signer le joueur, il pose comme deux conditions suspensives afin de ne pas être solidaire d’éventuelles indemnités à payer aux Russes. Problème, l’une des conditions est invalidée par le règlement, la signature de Diarra est avortée. En parallèle, le Lokomotiv saisit la chambre de résolution des litiges de la FIFA et obtient gain de cause pour rupture abusive de contrat après une longue procédure.
En mai 2016, Lassana Diarra est condamné par le Tribunal du sport à verser 10,5 M€ à son ancien employeur et a une interdiction de jouer de 15 mois qu’il a déjà purgée entre 2014 et 2015, période où il était sans club. Entre temps, Lassana Diarra a rebondi à l’OM et a organisé sa contre-attaque judiciaire sur le temps long. Il a lancé une procédure devant la Cour de commerce de Mons (Belgique), puis devant la cour d’appel, dans son litige face à la FIFA et la fédération locale pour les attaquer dans le cadre de son transfert raté à Charleroi. La seconde juridiction belge a alors saisi en septembre 2022 la Cour de justice de l’Union Européenne. C’est elle qui doit déterminer si le principe de "codébition" est conforme ou non aux règles de droit communautaire sur la libre circulation des travailleurs.
Un changement majeur à venir sur le marché des transfert ?
«Rendre solidaire le nouveau club, c’est une manière d’empêcher un salarié de prendre une décision même si elle doit lui coûter», assurait Philippe Piat, président de l’UNFP (syndicat des joueurs français), en janvier dernier. Il est d’ailleurs engagé dans la défense de Lassana Diarra. En mai dernier, le Premier avocat général du CJUE, le Polonais Maciej Szpunar, estimait que «certaines règles de la FIFA en matière de transfert de joueurs peuvent s’avérer contraires au droit de l’Union», penchant de fait dans le camp du joueur. La plus haute juridiction du continent devra également déterminer si la fédération de l’ancien club sera en mesure de ne pas livrer le certificat international de transfert, indispensable pour valider un contrat avec un nouvel employeur.
Outre le cas individuel de Lassana Diarra, c’est une bataille de juristes et d’interprétation des textes qui s’engage. Son issue pourrait être un tournant, notamment sur le mercato. Si la CJUE donne raison à l’ancien Marseillais et Parisien, la jurisprudence modifierait en profondeur les règles du jeu. Un joueur serait davantage en capacité de rompre son contrat avec un club, pour en trouver un nouveau sans que celui s’expose à ce principe de "codébition". Le marché des transferts pourrait être chamboulé, et le modèle économique de nombreux clubs être remis en cause, à l’instar de l’arrêt Bosman de 1995. Il y a presque 30 ans, la CJUE avait déjà changé en profondeur les règlements de l’UEFA sur le principe de la libre circulation des travailleurs. Bis repetita ? Réponse le 4 octobre.
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