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Yoann Lemaire : «l’homophobie peut être tout aussi destructeur que le racisme»

Par Maxime Barbaud
14 min.
Yoann Lemaire, président de Foot Ensemble @Maxppp

Président de l’association Foot Ensemble et à la pointe du combat contre l’homophobie dans le football professionnel et amateur depuis deux décennies, Yoann Lemaire déplore la multiplication des chants à caractère homophobe entendus depuis le début de la saison. Soutenues par la LFP, les interventions auprès des institutions, des clubs, des joueurs et des supporters n’ont pourtant jamais été aussi nombreuses.

C’est devenu un triste marronnier en Ligue 1. Des chants homophobes se font entendre dans les différents stades, encore récemment lors de PSG-OM le 24 septembre ou encore de Rennes-Nantes une semaine plus tard. Sur l’ensemble de la saison 2022/2023, pas moins de 202 sanctions ont été prises par la commission de discipline de la ligue pour des actes discriminants. 95% d’entre eux l’étaient pour des faits à caractère homophobe. La répréhension n’est pas la seule arme. La LFP passe également par la pédagogie pour tenter de remédier à un problème, qui, rappelons-le, est un délit aux yeux de la loi. Grâce au travail d’associations partenaires (LICRA, Foot Ensemble, Panamboyz & Girlz United, Ovale Citoyen, SOS Homophobie), elle entreprend des actions auprès des clubs et des joueurs à travers bon nombre d’ateliers (48 dans 20 clubs professionnels depuis novembre 2021) de sensibilisation à la lutte contre les discriminations, qui ont pris de l’ampleur depuis cette année après avoir été intégrés à la précieuse Licence Club (permettant notamment de débloquer le versement d’une partie de l’argent des droits TV). Yoann Lemaire, président de l’association Foot Ensemble et visage bien connu en France pour être l’un des précurseurs de la lutte contre l’homophobie dans le football fait le point sur ce début de saison et ce combat perpétuel, qui n’est pas perdu d’avance.

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Foot Mercato : quel est votre sentiment après les chants homophobes entendus depuis le début de la saison au Parc des Princes, au Roazhon Park et ailleurs ?

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Yoann Lemaire : on ne va pas se mentir, ça fait des années que ça dure et c’est pénible. C’est très énervant quand on s’intéresse de près à la lutte contre l’homophobie parce que, même si ça évolue dans le bon sens, pour beaucoup de gens ça fait partie du spectacle, de la culture et du folklore. Néanmoins, c’est de l’homophobie. Pour moi, ce ne sont pas des chants homophobes, mais des chants avec des propos homophobes. Il faut le distinguer. Quand vous discutez avec les supporters, à aucun moment ils ne pensent à l’homosexualité ou au fait d’agresser des homosexuels. Certains chantent avec eux. Par contre, ils assument que "enculé", "pédé" ce n’est pas homophobe, ça fait partie de leur rituel, ils aiment bien dans les grands matchs, les derbys. C’est un sujet qui mérite bien plus de sérieux, de moyens et de réflexion pour lutter contre l’homophobie, aussi bien dans le milieu amateur que professionnel. Les mecs qui sont en tribunes, ce sont souvent des gars qui jouent en district, en ligue, ou alors c’est leur père ou leur fils. C’est un sujet bien plus profond. Il est aussi politique. Il ne faut pas se limiter à un ou deux sujets dans l’année et dire : "ce n’est pas bien, il y a de l’homophobie, il faut tout fermer". Non. Croire cela, c’est habiter sur Mars, et ne rien connaître au sport.

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FM : si vous ne voulez pas fermer les tribunes, quelles seraient les sanctions adaptées ?

YL : moi je suis contre les sanctions collectives qui ne résoudront rien. Je dis l’inverse de ce que j’ai pu dire il y a 5 ou 6 ans en arrière. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. On a été sur le terrain, entre un et deux déplacements par semaine, on écoute tout le monde et à un moment on se rend compte que c’est une connerie. Les gens reviennent au stade encore plus déchaîné, encore plus énervé. La lutte contre l’homophobie, j’y crois mais il ne faut pas fermer une tribune ou un stade parce qu’on a dit quatre fois le mot "pédé". Il y a plein de gens qui n’ont rien dit qui vont être punis à cause de 20 ou 250 mecs. Il faut faire un travail pédagogique avec eux et individualiser les peines. Par exemple, ce mec a été sensibilisé, il a été filmé en train de chanter un chant homophobe, c’est lui qui doit rendre des comptes.

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FM : alors comment faire dans le cas où c’est toute une tribune qui chante ?

YL : il n’y a pas grand-chose à faire… Il faut qu’il y ait des référents supporters dans les clubs, qu’ils soient salariés ou bénévoles. La LFP et les clubs doivent investir là-dedans avec l’aide de l’État. Il en faut plus. Vous avez des gens formidables, comme à Reims la semaine dernière, au point sur la lutte contre les discriminations mais des fois vous voyez des gens très bons dans les déplacements de supporters, la pyrotechnie, mais très mauvais dans ces autres thèmes parce qu’ils n’en ont rien à faire. Il faut des gens qui interviennent tout de suite auprès des capos qui lancent les chants, il faut responsabiliser les gens influents des groupes de supporters. On sait que ça part de là. Il y a en 600 qui ont chanté ça, que c’est tel groupe de supporters, on appelle le président, le capo et les gens influents et on discute avec eux. On demande si on peut arrêter ça, et s’ils répondent :"non, on assume", et bien il y a des caméras dans les stades, des procureurs, l’Etat, et essayer d’individualiser, c’est-à-dire le mec qui lance le chant, le président de l’association, les mecs filmés. Mais il faut être prudent avec tout ça car ce n’est pas si simple… Quand vous avez 3000 personnes qui chantent…

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«Il faut connaître le foot. Les supporters ne veulent pas parler avec des gens qui n’y connaissent rien»

FM : pour éviter d’en arriver là, il faut travailler en amont. Quelles actions peuvent être mises en place auprès des supporters ?

YL : à court terme, il faut déjà calmer le jeu pour ne pas monter en escalade comme en 2019. À l’époque, on a eu beaucoup d’arrêts de matchs après des chants homophobes mais ça devenait une provocation. Les supporters pour envoyer balader, les médias, la LFP, tout le monde, ils n’ont fait que ça. Plein de matchs étaient arrêtés. Il faut calmer le jeu après des gens influents du milieu du supportérisme. Communiquer un peu moins et travailler sur le fond à moyen et long terme. Je pense que ça passera par énormément d’actions pédagogiques auprès d’eux.

FM : comment faites-vous pour mettre des ateliers en place avec les supporters ?

YL : c’est le club qui nous contacte directement ou passe par la LFP. Ça se fait beaucoup, de plus en plus. On a même du mal à suivre. Il y a deux autres associations qui se sont jointes. L’une était à Ajaccio la semaine dernière et à Annecy. On fait Valenciennes… Il y a un peu plus de monde. Ils veulent des gens modérés. Il fait connaître le sujet. Il faut connaître le foot. Les supporters ne veulent pas parler avec des gens qui n’y connaissent rien, ça ne les intéresse pas. C’est la réalité du terrain.

FM : quelles sont vos relations avec le milieu du supportérisme ?

YL : j’ai rencontré un certain nombre de présidents d’associations ultras ou non ultras. Ce sont des gens très bien, équilibrés, qui ont des enfants. Ils estiment que ce n’est pas homophobe mais quand on discute pendant une heure et on finit par leur dire que si c’est son gamin, il va peut-être en souffrir vers 15 ou 16 ans, il n’osera pas parler. Mais, on n’a pas de leçon de morale à leur faire. Certains luttent contre l’homophobie dans la vie de tous les jours, mais il faut que tout le monde s’y mette, l’Association National des Supporters, l’INF, l’État, et puis aider les clubs. On n’oublie pas de parler avec les directeurs de sécurité des stades. Ce sont des gens passionnants. Il faut comprendre leur problématique et les voir parler de leur métier. Comment ils peuvent arrêter certaines violences dans les stades, arrêtés des chants ? Mais ils ne sont pas toujours aidés par les pouvoirs publics non plus.

«Des fois ça descend de la tribune VIP»

FM : l’État ne fait pas assez selon vous ?

YL : je ne connais pas les moyens du ministère de la Justice, du ministère de l’Intérieur mais j’entends des choses. Souvent, les clubs font le maximum. Ils envoient leurs analyses vidéos, on sait qui fait quoi, ils donnent même des noms en off mais c’est parce que les policiers ne peuvent rien faire. Ça met les clubs en difficultés car ils ne sont pas accompagnés et il faut que ça aille vite. Et puis ce n’est pas si simple de porter plainte. Si on un capo qui n’a que ce mot là à la bouche pendant une demi-heure, c’est facilement caractérisable mais des fois ça descend de la tribune VIP, de la tribune sponsors, de la tribune familiale. On fait quoi ? On arrête le match ? on vire tout le monde ? Il faut faire des actions.

FM : votre association Foot Ensemble collabore en ce sens avec la LFP depuis de nombreuses années mais il y a comme un air de déjà vu…

YL : la LFP, on ne peut pas leur reprocher grand-chose. Arnaud Rouger, le directeur général, parle toutes les semaines de ce sujet, le directeur de la communication est toujours avec nous avec ses équipes auprès des joueurs pros. Ils sont tout le temps là, il y a eu les maillots, où est-ce qu’on voit ça ailleurs en Europe !? Où est-ce qu’on voit des équipes pros avec tous les joueurs de l’effectif assis pendant une heure et demie et on parle de ce sujet là, sans la presse, sans communiqué de presse, sans rien pour que les choses se disent. J’ai fait Lyon il y a trois semaines en pleine crise sportive ! Ils ont poussé l’entraînement pour venir avec nous avec Lacazette, Tolisso, Cherki. On ne voit ça nul par ailleurs.

FM : qu’attendez-vous du milieu professionnel ?

YL : les joueurs professionnels doivent être sensibilisés, et c’est le cas, pour absolument comprendre les enjeux : pourquoi en parle ? C’est quoi l’homophobie ? Parce qu’ils ne savent pas. Pour eux l’homophobie, c’est taper deux gays. Mais eux, ils répondent qu’ils ne veulent pas taper de gays. Certains disent même qu’ils iraient les défendre. Par contre, on n’est pas pour la Gay Pride ou ce genre de chose. Ils ont le droit de le penser. Il faut vraiment leur expliquer ce qu’est l’homosexualité, l’homophobie et les drames qu’il peut y avoir dans les collèges par exemple. Ça, ils comprennent car ils ne sont pas fous, ils écoutent. Ça peut être leurs enfants plus tard.

«Parfois c’est compliqué, il y a les religions, les traditions, les cultures, l’éducation, mais aussi le virilisme du sport»

FM : avec le temps, vous observez un changement du milieu professionnel ?

YL : ce n’est plus tabou. Les clubs et les joueurs connaissent le sujet. Il y a encore 5 ans en arrière, c’était assez froid, ça ne les intéressait pas. Maintenant, ils ont un avis, ils savent, même s’ils disent aussi des bêtises mais ils nous écoutent, ils parlent. Parfois c’est compliqué, il y a les religions, les traditions, les cultures, l’éducation, mais aussi le virilisme du sport. Je suis vraiment agréablement surpris que les clubs ouvrent leurs portes très facilement. Ils nous laissent le temps qu’il faut. Après on assiste à l’entraînement, et parfois les mecs reviennent après pour en rediscuter. "J’ai réfléchi à un truc. Si j’ai un fils gay, comment dois-je réagir ?" On met la petite graine. Des fois on s’engueule, même si ça va (rires). Mais l’UNFP (le syndicat des joueurs, ndlr) nous suit aussi et systématiquement, ils prennent position. Ça, c’est nouveau aussi. Depuis cette année, ils sont à nos côtés.

FM : comment ça se passe un atelier avec un effectif de professionnels ?

YL : les joueurs arrivent tous en même temps, tous assis, c’est très précis, très pro. Ils sont à l’écoute. Je dis ce que j’ai à leur dire mais c’est un échange. Ce n’est pas une formation avec un PowerPoint. On pose des questions très concrètes : "qu’est-ce que vous pensez de l’homophobie ? Des chants homophobes ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? Que feriez-vous si vous aviez un coéquipier homo ? Est-ce que le maillot arc-en-ciel vous dérange ?" Et ils prennent la parole. Moi, je demande toujours au capitaine ce qu’il ferait s’il avait un coéquipier homo. On va les chercher avec des questions qui les dérangent. Ils n’ont pas beaucoup envie d’en parler mais je vois une évolution qui est admirable. Alors, attention parce que c’est fragile !

FM : en début de saison, il y a eu le cas Kevin N’Doram qui a été particulièrement médiatisé (le milieu de terrain avait employé le terme "tapette" à la mi-temps de Metz-OM pour décrire la façon de jouer de son équipe. Il s’est excusé au coup de sifflet final. La commission de discipline lui avait infligé un match de suspension avec sursis pour sa bonne foi alors qu’il risquait jusqu’à 10 matchs de suspension selon le règlement). C’est la preuve qu’il y a encore du travail ?

YL : je suis pour une sanction comme Kévin N’Doram de Metz, de façon à ce que ça soit réparateur. En gros, on en discute, on te demande d’arrêter. Tu fais une action avec une association LGBT et tu as compris que c’était de l’homophobie. Et s’il continue, et bien il rend des comptes devant la justice. Je ne suis pas fou non plus. S’il assume pleinement, là il faut qu’il prenne. Là, N’Doram, tout de suite il s’est excusé. C’est une grande avancée déjà, avec le travail qui a été fait par le club. À la minute où N’Doram dit ça en direct sur Prime Video, le club a tout de suite réagi et lui dit : "Il faut que tu ailles t’excuser parce que c’est inadmissible". Ils ne lui ont pas fait de cadeau. Ils savent qu’il n’est pas comme ça. Je l’ai rencontré un mois avant. On en a parlé pendant une heure et demie. Il s’est immédiatement excusé. La LFP a pris note et lui a proposé une action avec une association qu’il a acceptée. J’ai appris ce que c’était, c’est très bien. Il assume et il va le faire. Derrière, Metz remet les bouchées doubles. Ils m’ont demandé d’intervenir auprès de la N3, de la formation et de la pré-formation. Le club refait des formations en interne. C’est génial et c’est une belle réponse.

«Tous les joueurs que j’ai été voir récemment parlent du cas Kevin N’Doram»

FM : avez-vous pu en discuter de ce cas précis avec les joueurs professionnels que vous avez rencontrés ?

YL : tous les joueurs que j’ai été voir récemment parlent du cas Kevin N’Doram. Tous me disent : "ça peut m’arriver demain. Nous, jamais on ne lui tombera dessus". Ils me disent quelque chose d’intéressant. "Nous, à l’école, on est né avec le mot "tapette". Au foot, on a toujours entendu ça. Expliquez-nous pourquoi c’est homophobe parce que pour nous, c’est quelqu’un qui n’a pas de courage". Ce n’est pas simple de trouver des définitions. C’est comme ça dans leur tête, il faut changer. "Pour nous c’est quelqu’un qui a peur". En rien, ils ne pensent à l’homosexualité. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça car c’est homophobe mais il faut en discuter. Et puis après vient toute une liste avec toutes les insultes (rires) : "tarlouze", "fiotte", "tafiole". On essaye de qualifier tout ça. Il ne faut pas non plus hésiter à leur rentrer dedans car l’homophobie peut être tout aussi destructeur que le racisme. Il faut écouter les gens, et ne pas les juger.

FM : votre association part également à la rencontre des jeunes en centre de formation. Les enfants et les adolescents sont-ils réceptifs à votre discours ?

YL : on a rencontré 3000 jeunes un an et demi. Ce n’est pas rien ! On rencontre des gamins de 12 à 17 ans et c’est compliqué mais ça dépend de beaucoup de choses, du club, de la région, des valeurs que le club défend. Il y a des clubs dans lesquels j’ai été, c’était très dur, catastrophique même. Les 15, 16 et 17 ans, c’est le pire. Les ados sont pénibles. Et puis il y a des clubs qui veulent absolument lutter contre les discriminations, le sexisme, les réseaux sociaux, les paris sportifs, l’environnement… Les gamins sont très cadrés, et très réceptifs, ils ont des choses à dire. C’est carré, comme à Marseille, au PSG. Il y a même une 2e association qui y va au PSG. Il y a un très gros travail de fait. A Marseille, j’ai été super bien reçu, les gamins ont été adorables. On va partout, Auxerre, Troyes, Strasbourg, Caen, bientôt on va à Lorient. Et grâce à la "fondaction" et à la LFP, les clubs nous invitent à rencontrer ces jeunes. C’est ça l’essentiel car il faut les éduquer à l’acceptation de l’autre.

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