Ligue des Champions : l’UEFA est en train de tuer le football européen
À force de gonfler les primes et d’élargir la Ligue des Champions, l’UEFA creuse un fossé toujours plus profond entre les clubs européens. Tandis que les plus riches s’envolent, les championnats nationaux s’appauvrissent, menaçant l’équilibre du football continental.

«Vous appelez ça un clasico, pour moi, ce n’est pas un clasico. On ne peut pas comparer l’effectif et la force économique des deux clubs. Le clasico, c’est quand il y a une lutte, tu prends un coup, tu en remets un. J’aime la pression mais ce n’est pas la réalité entre Paris et Marseille. Je suis peut-être fou mais je vois ça comme ça. Il n’y a pas de compétition, vraiment». En ces mots, Roberto De Zerbi a totalement minimisé la rivalité historique avec le Paris Saint-Germain, avançant que l’écart économique et sportif était bien trop important pour espérer une affiche réellement partagée. Reprenant cet argumentaire, la nouvelle formule de la Ligue des Champions a finalement des effets néfastes bien plus graves dans les autres pays européens. Si le top 5 - Premier League, Liga, Serie A, Ligue 1, Bundesliga - a aussi des soucis en interne, les autres championnats européens plus mineurs souffrent bien plus, à cause de la politique toujours plus lucrative de l’UEFA et la FIFA. Lors de l’événement «Un phénomène mondial – Coupe du Monde des Clubs de la FIFA 2025», organisé à l’Université Luiss de Rome en collaboration avec Tuttosport, Romy Gai, Business Officer de la Fifa, a évoqué le tournoi prévu cet été aux États-Unis :
«Nous avons simulé l’audience totale au sens large, y compris numérique. Les chiffres parlent de 3,2 milliards, des chiffres extraordinaires. Et pour la seule finale, les prévisions tournent autour de 2 milliards. Prenons l’exemple de l’Espagne, qui compte 50 millions d’habitants. Si l’on pense au Real Madrid, on pense à des chiffres qui dépassent le milliard, et on multiplie tout cela par 32. À un moment historique où la communication a évolué, il est important d’offrir à chacun la possibilité de se montrer sur la scène internationale, notamment grâce aux nombreux sponsors qui gravitent autour. Le football est mondial par définition, les clubs n’avaient aucune opportunité de le démontrer». Une sortie médiatique qui prouve, une fois de plus, que le football va continuer de peser toujours plus lourd en termes de milliards d’euros, ce qui va automatiquement créer un écart toujours plus conséquent entre les clubs d’un même championnat. Au sein du G8, il n’y a que des représentants de la Premier League, de la Liga, de la Bundesliga, de la Serie A et de la Ligue 1.
Un parfum de Super League ?
La nouvelle formule de la Ligue des Champions s’est révélée être un immense succès pour les clubs, y compris pour ceux qui n’ont connu que des défaites. C’est l’effet d’une compétition plus lucrative que jamais. Les tournois internationaux injectent des sommes considérables dans les caisses des clubs participants. Claudius Schafer, récemment élu président de l’European Leagues (l’association des ligues européennes), a été stupéfait en découvrant le montant du prix attribué à la Coupe du monde des clubs en juin : un milliard de dollars. Une somme qui bouleverse l’équilibre des compétitions. Par exemple, si un club autrichien perçoit 50 millions de dollars, l’impact sur son championnat national est significatif. Or, la compétitivité des ligues nationales est un enjeu majeur. Ces récompenses faramineuses menacent justement cet équilibre, en particulier dans les petits et moyens championnats. Le football évolue à des rythmes différents, et ce phénomène ne date pas d’hier : l’explosion des droits télévisés a creusé un fossé entre les marchés les plus attractifs et les autres. L’UEFA et la FIFA, sous pression face aux velléités sécessionnistes des grands clubs, ont poursuivi une politique d’expansion qui a accentué ces déséquilibres économiques. Tandis que la Coupe du monde des clubs a lieu tous les quatre ans, la Ligue des Champions, elle, ne connaît aucune interruption. Cette saison marque d’ailleurs un tournant avec un format élargi à 36 équipes, regroupées dans une seule poule, et un minimum de huit matchs garantis par club, contre six auparavant. Résultat : une augmentation de 21 % des revenus par rapport à la saison passée, portant le jackpot total à 2,5 milliards d’euros, soit 500 millions de plus qu’auparavant. Ces dernières semaines, l’impact des compétitions européennes sur les championnats nationaux est devenu un sujet brûlant parmi les dirigeants du football. Le consensus est clair : le problème atteint un seuil critique et ne peut plus être ignoré. L’expansion de la Ligue des Champions et l’augmentation des ressources distribuées par l’UEFA posent deux défis majeurs : la préservation de l’équilibre compétitif des championnats nationaux, comme le souligne Schafer, et la menace d’une cannibalisation des droits télévisés qui leur sont attribués.
Pour les dirigeants des Ligues européennes associées, l’écart croissant entre les primes versées par l’UEFA et les revenus générés par les championnats nationaux devient un problème majeur. Une tendance se confirme : plus un championnat est peu attractif, plus le fossé financier entre ces deux sources de revenus se creuse. Les Pays-Bas en offrent une parfaite illustration avec le PSV et le Feyenoord, qualifiés pour les huitièmes de finale de la Ligue des Champions. L’an dernier, le PSV avait déjà atteint ce stade, engrangeant 152 millions d’euros de recettes, dépassant ainsi l’Ajax pour la première fois depuis la saison 2015-2016. Un tiers de cette somme provenait directement des primes de l’UEFA. Cette saison, ces gains européens sont encore plus conséquents : le PSV et le Feyenoord ont respectivement perçu 64 et 62 millions d’euros, soit plus de cinq fois ce qu’ils touchent via les droits télévisés de l’Eredivisie. En Belgique, le Club Bruges, éliminé en huitièmes de finale, illustre bien cette disparité avec 60 millions d’euros récoltés grâce à la Ligue des Champions, soit la moitié de son chiffre d’affaires, contre seulement 11 millions issus des droits TV de la Jupiler Pro League. L’écart est encore plus frappant en Écosse : le Celtic a empoché 46 millions d’euros en disputant les barrages de la Ligue des Champions, tandis que la Scottish Premier League ne lui rapporte que 5 millions. Le cas le plus spectaculaire est celui du Dinamo Zagreb, en Croatie. Proche d’atteindre les barrages, le club a tout de même perçu 40 millions d’euros, alors que la Hrvatska Nogometna Liga ne génère qu’un million d’euros de droits TV pour son vainqueur. Même constat en Serbie, où l’Étoile Rouge a remporté un million en tant que champion national, une somme dérisoire face aux 32 millions obtenus via la Ligue des Champions cette saison. Enfin, en République tchèque, le Sparta Prague a reçu 28 millions d’euros de primes européennes, alors que l’ensemble des droits TV nationaux s’élève à seulement 25 millions, répartis entre les 16 clubs de la ligue.
Fait encore plus surprenant : la nouvelle réforme de la Ligue des Champions permet à certains clubs de recevoir d’importantes primes, même sans récolter le moindre point sur le terrain. Les Young Boys, après huit défaites en huit matchs, ont ainsi empoché 30 millions d’euros, soit 15 fois plus que la récompense attribuée par la ligue suisse pour un titre national. De son côté, le Slovan Bratislava a perçu 22 millions, une somme 19 fois supérieure aux revenus générés par sa victoire en championnat slovaque. Autre illustration de ce déséquilibre : le Red Bull Salzbourg, cité par le président des Ligues européennes, s’est qualifié pour la Coupe du monde des clubs grâce à son classement UEFA. Certes, la prime garantie par la FIFA sera bien inférieure aux 50 millions évoqués par Schafer, mais c’est surtout la participation régulière aux compétitions européennes qui a creusé l’écart entre Salzbourg et les autres clubs autrichiens. D’après les chiffres publiés par la Bundesliga autrichienne, le club a enregistré un chiffre d’affaires brut de 183 millions d’euros sur la saison 2023-2024, soit trois fois plus que Sturm Graz, deuxième force économique du championnat, et 30 fois plus que la lanterne rouge. Avec l’essor de la Coupe du monde des clubs, cette dynamique risque de s’intensifier, menaçant encore davantage la compétitivité des championnats nationaux et laissant planer des incertitudes sur leur avenir. Avec sa nouvelle réforme, l’UEFA a fait de la Ligue des Champions une machine à cash toujours plus lucrative. Mais à quel prix ? Derrière l’explosion des primes et l’augmentation du nombre de matchs, un déséquilibre grandissant menace les championnats nationaux. Tandis que les clubs les plus modestes peinent à exister, les puissances financières du football européen creusent un fossé de plus en plus profond. Les écarts de revenus entre compétitions domestiques et coupes européennes atteignent des sommets, mettant en péril l’équité sportive. Face à cette dérive, certains estiment que l’UEFA, en répondant aux exigences des grands clubs, est en train de tuer le football européen tel que nous le connaissions.
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