Serie A : le Calcio toujours bloqué entre développement archaïque et crise économique
Les heures dorées du football italien semblent désormais bien lointaines. L’époque où la Serie A s’érigeait en meilleur championnat du monde avec la Juventus, l’AC Milan, l’Inter Milan, l’AS Rome ou encore le Parma Calcio n’est qu’un agréable souvenir perdu. Le Calcio vit des moments bien sombres depuis plusieurs années et peine à assimiler la modernité du football.
Les absences répétées de la Nazionale en Coupe du Monde, les nouveaux problèmes judiciaires de la Juventus, la gestion désastreuse du cas Nicolò Zaniolo, les problèmes dans les tribunes… Ces épisodes ne forment qu’une infime particule dans la crise globale que traverse le football italien depuis plusieurs années. Avec une direction toujours plus instable, marquée par la démission surprise de Paolo Dal Pino au début de l’année 2022, la Lega est désormais dirigée par Lorenzo Casini qui a pris la succession de l’intérimaire Luca Percassi, actuel vice-président. C’est dans ce climat que Gabriele Gravina, réélu il y a deux ans à la tête de la Fédération italienne de football (FIGC) jusqu’en 2024, doit réformer un Calcio plus que jamais malade et dépassé par l’évolution de ce sport.
«Les données de notre rapport sont comme toujours impitoyables, réalisées par une analyse minutieuse de notre bureau fédéral, magistralement coordonnée par Niccolò Donna. Les données deviennent aujourd’hui une sorte de rappel de ce qui s’est passé pendant la pandémie. Nous sommes passés d’un moment de grande dette, en 12 ans nous avons accumulé une perte cumulée de 4,1 milliards d’euros : nous avons perdu un million d’euros par jour, tout cela en dit long», avait commenté Gabriele Gravina en juillet dernier lors de la publication de la douzième édition du Football Report, le document présenté aujourd’hui par le Centre d’études de la FIGC en collaboration avec AREL et PwC Italia, deux agences italiennes spécialisées en conseils et analyses juridiques et fiscaux.
La crise économique des clubs
Durant le dernier mercato hivernal, la Serie A a dépensé la modique somme de 31 millions d’euros, beaucoup moins que la Premier League (830 M€), la Ligue 1 (127 M€), la Bundesliga (68 M€) ou même de LaLiga (32 M€). Un constat symbolique qui lève le voile sur les maux économiques dont souffrent les écuries italiennes. Les droits TV sont bien trop insuffisants : un club de Serie A touche en moyenne 58,7 millions de droits TV. Un gâteau peu apetissant à se partager en comparaison des 135 millions des équipes anglaises et des +80 millions des clubs espagnols et allemands. Le championnat italien prend finalement de plein fouet une crise double, à la fois nationale et culturelle. L’appauvrissement économique de l’Italie, qui est passée de la cinquième puissance économique au début des années 90 à la huitième place aujourd’hui, n’arrange pas la situation globale. La Serie A peine, de surcroît, à attirer des investisseurs étrangers - même si les Américains tendent à regarder le Calcio d’un bon œil grâce à la riche histoire italo-américain avec une quinzaine d’équipes italiennes sous pavillon étasunien.
«Un système comme celui du football a un impact important sur l’économie de notre pays, j’en suis également convaincu que le monde du football sain devienne aussi un monde économique crédible et compétitif par rapport aux autres réalités. Il faut progressivement prendre conscience, en appliquant aussi les indicateurs qui doivent être des éléments identiques pour l’ensemble du monde professionnel, assez avec les différenciations . Ils doivent être identiques pour la Serie A, la Serie B et la Lega Pro, c’est une étape historique sur laquelle nous travaillons», a alors promis le président de la Fédération italienne qui continue de travailler pour réformer le football italien.
La nostalgie de stades en ruines
Si l’Italie a toujours été attachée à ses valeurs footballistiques, à son style de jeu bien iconique ainsi que son romantisme des derbys régionaux historiques, cette philosophie semble aujourd’hui trop dépassée pour le modernisme d’un football toujours plus centré sur l’économie, le marketing et la communication. Les débats pour la construction de nouveaux stades continuent de faire rage de l’autre côté du Mont Blanc, alors que l’Italie peaufine son dossier de candidature pour organiser l’Euro 2032 où onze villes transalpines se disent prêtes à accueillir des rencontres. Entre 2007 et 2022, un total de 187 nouvelles enceintes ont été construites en Europe avec un investissement de 21,7 milliards d’euros. En Italie, il n’y en a que cinq stades flambant neufs (Juventus, Udinese, Frosinone, Albinoleffe et Südtirol), ne représentant qu’un petit pourcent des investissements européens. La moyenne d’âge des stades italiens varie entre 62 et 64 ans pour la Serie A et la Serie B.
L’achèvement de la construction des stades, actuellement en projet, garantirait des bénéfices très importants pour le football italien. Il y a désormais douze projets de nouvelles enceintes, auxquels s’ajoute la volonté de l’AS Roma de construire le stade de Pietralata. Lorsqu’elles seront finalisées, ces interventions pourraient conduire à un investissement avoisinant les deux milliards d’euros, avec un impact positif à la clef : augmentation de la fréquentation des stades (+2,7 millions), des recettes de billetterie (+176,8 millions d’euros) et des emplois avec la création de 10 000 postes. Le bras de fer interminable entre l’Inter Milan, l’AC Milan et la municipalité autour de San Siro dure désormais depuis plus de trois ans, symbole d’un vrai frein social et politique quand il s’agit de réformer ou reconstruire le football italien.
La faible utilisation des jeunes
Le dernier gros souci qui s’abat sur le football italien touche les jeunes. Un sacré paradoxe puisque les Espoirs de la Squadra Azzurra affichent de solides résultats en compétition majeure (demi-finale de l’Euro en 2017, puis quart de finale en 2021), à l’heure où leurs aînés viennent de manquer une nouvelle fois la Coupe du Monde au Qatar, après avoir déjà loupé l’avion pour la Russie en 2018. Si le sacre européen face à l’Angleterre à l’été 2021 n’est que l’arbre qui cache la forêt, la Nazionale rencontre des difficultés à développer efficacement ses prodiges. Une statistique inquiétante a d’ailleurs été révélée dans les colonnes de La Stampa : le temps de jeu des U-21 italiens en Serie A représente qu’1,5% sur le temps global du championnat. Pire encore une véritable fuite des talents a lieu de plus en plus tôt, on pense notamment aux départs précoces de Wilfried Gnonto pour Zurich puis Leeds, Sebastiano Esposito précédemment en prêt à Anderlecht et Bâle, Gianluca Scamacca à West Ham et plus récemment Nicolò Zaniolo à Galatasaray. La réussite de Marco Verratti, parti très jeune au PSG après une saison à Pescara en Serie B, a ouvert la voie au développement des Italiens à l’étranger. Même constat pour Moise Kean, qui a terminé son explosion à Everton puis à Paris, avant de revenir à la Juventus.
«C’est un sujet complexe, le talent est là et cela est démontré par le stage effectué par notre entraîneur Mancini, avec 54 joueurs qui peuvent facilement servir en Serie A mais ils jouent très peu. L’opportunité de réussir ici manque. Si nous poursuivons cette politique de résultats sportifs à court terme, il est clair que nous brûlerons nos ressources futures. Il est évident qu’il y a une dispersion des talents, il n’y a pas de patience et il n’y a pas de confiance dans les jeunes», s’était lamenté Gravina.
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