De son passage à la Juventus Turin, de 2011 à 2014, jusqu’à son arrivée à l’Inter à l’été 2019, découvrez comment Antonio Conte a évolué tactiquement, enrichi de ses expériences avec la sélection nationale italienne (de 2014 à 2016) et avec Chelsea (de 2016 à 2018).
Ce dimanche 8 mars, Antonio Conte retournera donc à Turin pour affronter la Juventus. Un club spécial à ses yeux vu qu’il y a passé 13 saisons en tant que joueur et 3 saisons victorieuses en tant qu’entraîneur avec notamment 3 Scudetti consécutifs et 2 Supercoupes d’Italie. Après son départ de Turin, le technicien italien s’est forgé une forte réputation en menant l’équipe nationale d’Italie en quarts de finale de l’Euro 2016, avec un effectif modeste, puis en remportant la Premier League avec Chelsea en 2017. Désormais sur le banc de l’Inter Milan, Antonio Conte a réalisé une première partie de saison solide qui permet aux Nerazzurri de croire encore au Scudetto. Mais pour cela, il faudra qu’il joue un mauvais tour à la Juventus, ce club qu’il a remis sur des bons rails après quasiment une décennie de disette liée à sa relégation administrative en 2006 suite à l’affaire Calciopoli. Mais comment Antonio Conte a-t-il évolué depuis ses années turinoises et est-il vraiment capable de renverser la hiérarchie avec l’Inter ?
Une forte personnalité qui transcende ses joueurs
Avant d’aborder l’aspect purement tactique, il est important de comprendre la personnalité d’Antonio Conte. Hypnotique et charismatique, l’entraîneur de 50 ans est réputé pour son fort caractère et sa façon intense de vivre les matches depuis son banc. Durant sa carrière d'entraîneur, il lui est souvent arrivé de partir au clash avec ses dirigeants et même avec ses propres joueurs, peu importe leur statut. Il n’avait, par exemple, pas hésité à s’en prendre verbalement à Gigi Buffon devant tous les joueurs avant le dernier match de la saison 2013/2014 de Serie A pour une question de prime alors que la Juventus Turin était déjà championne - mais elle pouvait dépasser la barre symbolique des 100 points en championnat (chose qu’aucune autre équipe n’avait réalisé jusque-là en Serie A) - comme l'a relaté So Foot dans son édition de Février 2017. Au début de cette saison 2019/2020, Conte s’en est pris à son meilleur buteur Romelu Lukaku après le premier match de Ligue des champions disputé par l’Inter Milan face au Slavia Prague. « Je me suis fait engueuler comme jamais devant tout l’équipe. (...) Il m’avait dit que j’avais été bon à rien et qu’il me sortirait de l’équipe si je rejouais comme ça », avait confié l’attaquant belge à Sky Sport qui derrière a enchaîné les buts.
À l’instar du joueur qu’il était sur le terrain, Conte est un travailleur acharné, passionné, très exigeant envers lui-même et donc envers les personnes qui l’entourent. Sa franchise a souvent séduit ses joueurs, qui ont confiance en lui et qui sont prêts à « partir à la guerre avec lui ». Le technicien italien est donc un rassembleur, un leader charismatique, parfois agressif, parfois impulsif voire fou mais qui arrive souvent à entrer dans la tête de ses joueurs pour leur insuffler sa passion et sa combativité comme ce qu’arrive à faire Diego Simeone à l’Atletico Madrid. Mais réduire Conte a un meneur d’homme serait injuste. Il demeure un fin tacticien qui a beaucoup étudié avant de trouver sa voie et ses convictions d’entraîneur.
L’évolution tactique de Conte
Formé à Coverciano, le Clairefontaine italien, Conte fait partie des meilleurs de sa promotion. Il a notamment rédigé un mémoire de 38 pages sur le 4-3-1-2 avant d’opter pour un 4-2-4 à ses débuts avec Arezzo, en Serie B, avec «des ailiers très hauts qui jouent comme des attaquants, des attaquants centraux toujours en mouvement, deux milieux de terrain et quatre défenseurs », comme il l’avait lui même détaillé. Le début de carrière d’entraîneur de Conte est rempli d’essais et d’erreurs. Il se cherche, teste plusieurs dispositifs sans avoir d’idées arrêtées. Pendant son parcours initiatique d’entraîneur, il lui arrive souvent d’aller scruter des rencontres du championnat amateur italien mais aussi d’échanger avec d’illustres collègues comme Fabio Capello ou Arrigo Sacchi. Conte a une telle soif d’apprendre qu’il a un jour été surpris en train d’espionner un entraînement à huis clos de l’AZ Alkmaar pour découvrir les secrets d’entraîneur de Louis Van Gaal.
Quand il pose ses valises à la Juventus, à l’été 2011, il continue les expérimentations. « Lors de ses débuts avec la Juve, il a joué la carte de la continuité avec le 4-4-2 à plat, dans lequel l'équipe évoluait depuis des années. Au départ, il a même voulu le faire évoluer en 4-2-4, le système qu’il affectionnait à Arezzo, à Sienne et à Bari en Serie B. Mais dès son quatrième match de Serie A contre Catane, il a décidé de passer en 4-1-4-1 pour aligner Pirlo, Marchisio et Arturo Vidal ensemble quitte à sacrifier un attaquant. Puis c’est contre Naples, le 29 novembre 2011 qu’il a aligné pour la première fois un 3-5-2, à la base, pour se calquer au dispositif du Napoli de Mazzarri. Ç'a donné un match fou avec un 3-3 à l’arrivée. Par la suite, il a varié entre 3-5-2, 4-1-4-1 et 4-3-3 mais lors des gros matches, il optait pour un 3-5-2 pour pouvoir aligner trois monstres ensemble derrière : Barzagli, Chiellini et Bonucci », explique Salim Dib, journaliste football chez Canal Plus et grand fan de la Juventus Turin, dont il ne manque aucun match.
Il précise : « À cette époque, Conte n’avait pas de bon latéral gauche à sa disposition. Si bien qu’il alignait souvent Chiellini à ce poste par défaut. Défendre à 2 centraux lui contraignait aussi à se passer régulièrement de Bonucci et de sa faculté à bien relancer donc un passage à 3 derrière est devenu une solution évidente. Mais la bascule s’est peut-être vraiment faite lors d’un choc contre l’Inter Milan en mars 2012. Alors qu’il avait débuté le match en 4-3-3, Conte a décidé de sortir Simone Pepe en deuxième période pour faire entrer Bonucci et passer en 3-5-2. Derrière la Juve a mieux joué et a marqué 2 buts pour l’emporter. C’est vraiment ce jour-là que Conte a fait du 3-5-2 son système de prédilection car il lui permettait d’aligner deux pistons très offensifs qui étaient protégés derrière par trois bons défenseurs centraux qui savaient relancer, un meneur de jeu reculé, Pirlo, et deux milieux relayeurs très complets et capables de marquer des buts, Vidal et Marchisio. Dans ce système, Conte a régné en Italie et son équipe est devenu encore plus forte en 2013/2014 avec l’arrivée de Carlos Tevez et Fernando Llorente au mercato d’été. C’est grâce à ce duo que Conte a acquis une nouvelle conviction : aligner deux attaquants qui se complètent plutôt que des profils similaires, avec grossièrement, un pivot qui sera la cible des longs ballons du meneur reculé ou des défenseurs centraux, et un attaquant libre capable de tourner autour pour jouer les deuxièmes ballons et exploiter la profondeur. Il a ensuite utilisé le même schéma avec la Squadra Azzurra, avec Pelle et Eder, et il fait la même chose aujourd’hui avec Lautaro Martinez et Romelu Lukaku, qui est quand même plus complet qu’un simple pivot. »
Le 3-5-2 de la Juventus Turin lors de la saison 2013/2014 et son animation offensive avec l'importance du duo Tevez/Llorente devant
Lors de sa dernière saison avec la Vieille Dame, Conte a fait de sa Juve un rouleau compresseur en terminant le championnat avec 102 points, le record absolu en Serie A, avec l'utilisation systématique du 3-5-2, qu’il a parfois légèrement ajusté.
Un entraîneur porté vers l’attaque mais qui sait s’adapter
Même si on le dit parfois dogmatique avec son 3-5-2, voire même défensif, Conte s’est toujours adapté à ses joueurs et a toujours su trouver des solutions avec les moyens dont il disposait. À la Juve, avec l’éclosion de Pogba, Conte n’a pas hésité à transformer parfois son 3-5-2 en 3-5-1-1 en faisant jouer le Français en 10 derrière l’attaquant. « La réputation d'entraîneur défensif de Conte est injuste selon moi. En réalité, c'est un entraîneur porté vers l'attaque. Quand il jouait avec 3 milieux derrière Pogba en 10, c'est parce que les attaquants ne marquaient plus beaucoup. Or, il disposait de milieux buteurs comme Vidal, qui avait fini meilleur buteur du club en 2012/2013 avec 15 buts. Son 3-5-2 est très offensif puisqu'il aligne des pistons qui ne sont pas forcément des vrais latéraux de formation. On le voit avec Moses et Young aujourd'hui à l'Inter qui sont d'anciens ailiers. Sa ligne de 3 derrière est composée d'au moins un très bon relanceur. Et surtout, il veut désormais deux attaquants très adroits devant le but comme le sont Lautaro Martinez et Romelu Lukaku », défend Salim Dib.
Avec la Squadra Azzurra lors de l'Euro 2016, Conte ne possédait pas vraiment de joueurs de débordements, donc pour étirer le jeu et donner de l’espace à ses attaquants centraux, il a demandé à Giaccherini et Parolo, ses deux milieux relayeurs, d’effectuer des courses en profondeur ou sur les côtés sans ballon afin de libérer cet espace dans le cœur du jeu pour Pelle, qui excellait en appui et en déviation. Les bons pieds de ses trois centraux permettaient justement de trouver l’attaquant central facilement, en sautant la ligne du milieu de terrain, qui était dépourvu de grands techniciens capables de faire la différence balle aux pieds.
À Chelsea, après avoir opté pour 4-1-4-1 lors de ses premiers matches, il change tout après une large défaite (0-3) contre Arsenal. Au lieu d’appliquer son 3-5-2 fétiche, il a choisi un 3-4-2-1 qui s’adaptait parfaitement aux profils des joueurs à sa disposition. Il a replacé Cesar Azpilicueta en défense centrale avec Gary Cahill, alors en difficulté, et David Luiz, son défenseur relanceur et électron libre. Il a placé deux pistons très offensifs, Marcos Alonso et Victor Moses, protégés à la fois par les 3 centraux et par N’Golo Kanté, capable de combler toutes les brèches à lui seul. L’autre milieu central était Nemanja Matic, une sorte de meneur reculé capable de casser les lignes par ses passes verticales tout en gagnant des duels aériens. Devant, il a utilisé un pivot, Diego Costa, accompagnés non pas d’un mais de deux attaquants complémentaires. Hazard, qui tournait autour de Costa et Pedro, qui apportait de la profondeur avec ses appels tranchants. Dans ce dispositif, Chelsea est devenu pratiquement injouable et a remporté une Premier League très relevée avec 93 points.
Malheureusement sa deuxième saison avec les Blues a été pourrie par une relation qui s’est tendue avec ses dirigeants et ses cadres comme Diego Costa, qui est parti au mercato d’hiver, et Eden Hazard. À l’Inter, Antonio Conte a débarqué avec un nouveau statut et il a légèrement changé de façon de procéder.
La meilleure version de Conte à l’Inter Milan ?
Après une année sabbatique, Antonio Conte a donc effectué une arrivée en grande pompe à l’Inter Milan. Conscient de sa valeur et de son nouveau statut de grand entraîneur, Conte a été très directif lors de sa prise de fonction. « Comme on l’a dit précédemment, Conte s’était toujours plus ou moins adapté à ses effectifs que ce soit à la Juventus ou à Chelsea. Mais à l’Inter Milan, ç’a changé. Il est venu avec un plan et dispositif précis dans la tête. Dès le départ, il savait qu’il voulait jouer en 3-5-2 et a demandé à ses dirigeants des joueurs qui pouvaient s’imbriquer dans ce dispositif. Il a forcé pour mettre la main sur Lukaku. Il l’a eu. Au mercato hivernal, il a fait le forcing pour avoir deux pistons très offensifs et expérimentés, Moses et Young. Il a aussi obtenu Eriksen, qui a profil intéressant pour son milieu à 3. Et on a aussi vu qu’il était proche de faire venir Giroud, qui a ce profil de pivot qu’aime Conte. La vraie différence entre le Conte de la Juventus et celui de l’Inter, c’est donc qu’il a acquis le pouvoir de décider de son effectif. C’est évidemment devenu un meilleur entraîneur avec plus d’expérience mais d’un point de vue purement tactique, son Inter Milan reste l’équipe qui ressemble le plus à sa Juventus de 2014 », analyse Salim Dib. Si les principes de jeu sont effectivement similaires entre la Juve de 2013/2014 et l’Inter Milan de 2019/2020, Conte propose une légère variante au niveau de son milieu à 3 cette saison. Sa Juve était systématiquement composée d’une pointe basse et deux relayeurs positionnés plus haut tandis que l’Inter peut parfois évoluer avec une pointe haute et un double pivot. L’arrivée d’Eriksen, qui peut vraiment jouer en 10 derrière le duo d’attaquants, va peut-être permettre de généraliser cette tendance et apporter une vraie différence par rapport à son ancienne Juventus.
Mais cet Inter Milan a-t-il le potentiel de faire mieux que la Juventus Turin version Conte et de permettre à l'Italien de passer un cap en Ligue des champions l’année prochaine, son talon d’Achille jusqu’ici ? Salim Dib émet des doutes : « Quand on compare les deux effectifs, la charnière de l’Inter est moins forte que celle de la Juventus de l’époque. Au niveau des pistons et des milieux, c'est la même chose. Par contre, le duo Lautaro Martinez-Romelu Lukaku me semble plus fort que la paire Tevez-Llorente. Après, il faudra attendre de voir qui peut recruter l’Inter la saison prochaine. Quant aux difficultés de Conte en Ligue des champions, c’est difficile à expliquer. Conte lui même a dû mal à le faire d’ailleurs. Cette saison, l’Inter sort des gros matches à Barcelone et contre Dortmund à domicile mais il n’a pas réussi à sortir des poules. Mais c’est vrai que Conte a l’habitude de passer à côté des matches a priori plus faciles à cause d’un manque de préparation d'après certains médias italiens. Ce fut le cas contre le Slavia Prague cette saison mais aussi face à Copenhague et Galatasaray avec la Juventus en 2014. C’est peut-être sa plus grande faille actuellement : arriver à motiver ses troupes lors des matches abordables. » Heureusement pour Conte, le Juventus Turin - Inter Milan, comptant pour la 26e journée de Serie A, ne sera pas un petit match. L’issue de la rencontre sera un tournant de la saison pour l’Inter… et peut-être aussi pour la carrière de Conte !
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