Julien Le Cardinal : « Il faut kiffer le moment, prendre le plus de plaisir possible en Ligue des Champions »
En deux ans, Julien le Cardinal est passé de la Ligue 2 à la Ligue des Champions. Le Briochin, qui a sillonné les quatre coins de la France avant de poser ses bagages à 146 km de sa ville natale, a largement prouvé qu’il avait, comme son équipe, le niveau pour évoluer en Ligue des Champions. Unique buteur face au PSV Eindhoven, "Cardi" savoure et vit l’instant présent, conscient malgré tout que rien ne le prédestinait à vivre une telle trajectoire. Rencontre avec un personnage attachant qui loue les valeurs de groupe, la notion de travail et l’humilité. Un discours qui détonne dans le football d’aujourd’hui.

Foot Mercato : Julien quelle fin d’année pour vous !
Julien Le Cardinal : bah ouais, carrément. Ça ne pouvait pas mieux se goupiller, entre guillemets. Après, même s’il y a eu un petit match un petit peu compliqué à Lille récemment. En plus, j’ai joué beaucoup plus ces derniers temps, donc c’est clair que cette fin d’année 2024 est top pour moi.
FM : il y a deux ans, tu jouais latéral droit en Ligue 2, aujourd’hui, tu es défenseur central titulaire à Brest, tu joues la Ligue des Champions, c’est une ascension assez incroyable non ?
JlC : tout est allé vraiment très très vite entre ces deux années. C’est que du bonheur, il faut profiter le plus possible. En fait, tout est arrivé super vite. Vous voyez, il y a deux ans, je pensais même pas avoir un enfant, je ne pensais pas être marié et je ne pensais clairement pas jouer la Ligue des Champions. En deux ans, toute ma vie a radicalement changé que ce soit l’aspect foot et puis les à-côtés. Là, je ne peux pas être plus heureux que je ne le suis aujourd’hui.
«A Lens, j’ai vraiment appris des choses qui m’ont fait grandir»
FM : qu’est-ce qui fait que d’un coup comme ça, votre vie a basculé aussi vite ?
JlC : je pense déjà que c’est un choix qui m’a aidé en partant du Paris FC au moment où j’ai eu la chance de signer à Lens. Je pense que c’est là où tout a commencé. Découvrir le haut niveau à Lens qui était vraiment sur le toit de la Ligue 1 au moment où j’ai signé là-bas c’était incroyable, d’autant que cette expérience m’a beaucoup appris. Donc voilà, je pense que c’est ce choix-là qui a fait tout démarrer.
FM : justement au RC Lens, vous avez basculé dans le très haut niveau. Est-ce que du coup, cette marche-là n’a pas été trop haute à un moment donné pour vous ?
JlC : si bien sûr, je me suis posé la question. Après, même si je n’ai pas été à mon vrai niveau, je ne jouais pas réellement à mon vrai poste. Mais même si je n’ai pas joué beaucoup dans ce club, j’ai réellement appris beaucoup de choses en très peu de temps. En neuf mois, j’ai côtoyé un top coach et des joueurs qui ont une expérience, un vrai vécu. A Lens, malgré un temps de jeu limité, j’ai vraiment appris des choses qui m’ont fait grandir.
FM : tu as côtoyé des supporters de Lens aussi… Racontez-nous…
JlC : oui (rires), je pense que je ne revivrai pas ça un jour. Tu passes du Paris FC où il y a peut-être 2 000 personnes à 38 000 supporters, donc oui, tu vois la différence. C’est exceptionnel d’avoir vécu ce moment-là et cette communion permanente avec le public.
FM : malgré tout, rapidement, la décision de partir s’impose et Brest arrive…
JlC : au départ, ce n’est pas moi qui prends la décision. C’est plus Lens qui m’a dit que ça serait bien que je trouve un prêt, parce que le club pensait qu’en tant que piston, c’était un peu compliqué pour moi. De mon côté, j’étais d’accord avec cette analyse. Vu qu’il y avait une hiérarchie derrière et que ça jouait à 3, j’étais le cinquième, voire le sixième donc ils m’ont dit « si tu veux aller chercher du temps de jeu, on t’ouvre la porte à un prêt ». Et ensuite ça s’est fait archi vite avec Brest, au final, en deux jours. D’un côté, je pouvais rester à Lens, mais d’un autre, j’avais envie de voir aussi autre chose et évoluer à mon vrai poste qui est défenseur central.
FM : quand vous arrivez à Brest, est-ce que vous sentez déjà qu’il se passe quelque chose déjà dans ce club ?
JlC : je l’ai ressenti quand j’ai fait mon premier match, mon premier groupe. Je crois que mon premier groupe, c’était contre Lyon, je crois qu’on gagne 1-0 contre eux. Et là, tu te dis waouh, il se passe quelque chose, il y a vraiment quelque chose. Je crois qu’en plus, on est premier ce soir-là. Dès que tu arrives, tu vois que le groupe vit super bien, il y a une top ambiance, il y a un bon groupe de travail, donc tu te dis « ouais, il y a quelque chose à faire ici carrément ».
FM : en fin de saison, quel est votre état d’esprit, rester à Brest ou retourner à Lens ?
JlC : j’ai rapidement eu l’envie de rester dans ce club qui est très familial, qui me correspond un peu plus et ce n’est pas loin de la maison, de chez moi aussi, donc ça a joué aussi, pour la famille qui est à côté (ndlr: il vient de Saint-Brieuc), parce que c’est important pour moi la famille. Donc oui, j’ai vite eu le souhait de rester au club.
FM : est-ce que vous attendiez à avoir autant de temps de jeu en début de saison à Brest ?
JlC : il ne faut pas oublier qu’on a eu quand même un gros début de saison, qu’il a fallu digérer ce qui s’est passé la saison dernière. Ca a été un peu compliqué au début, c’est sûr. Même moi, j’ai eu du mal à me mettre dedans et comme il n’y a pas grand monde qui était arrivé, je continuais à jouer. Je me suis toujours dit qu’il y avait une possibilité. Personnellement, je ne me donne jamais de limites et même s’il n’y avait pas eu de départ, j’aurais essayé de tout faire pour jouer parce qu’on joue au foot pour jouer, pour regarder les autres jouer.
«On a envie de gagner tous les matchs même si c’est Barcelone, même si c’est n’importe quelle équipe.»
FM : vous sentez aujourd’hui justement que le fait d’enchaîner les matchs dans une dynamique positive, ça se ressent dans vos performances ?
JlC : c’est tout de suite plus simple et tu as les automatismes plus rapidement, ça aide. C’est vrai que quand tu n’enchaines pas tous les matches, ça peut vite devenir compliqué. Il faut à chaque fois de se remettre dedans. Alors c’est exact que quand tu enchaînes, la confiance vient naturellement, tu as plus d’automatismes avec les personnes avec qui tu joues donc je ne vais pas nier que ça m’a fait du bien d’enchaîner les matchs.
FM : au final, vous enchainez les matches, vous jouez à Barcelone, face au Barça de Lewandowski, où vous faites un bon match à titre individuel…
JlC : (il coupe) après, vous savez, en tant que défenseur quand on prend trois buts face au Barça, ce n’est pas un bon match. Après oui, on va dire que je n’ai pas été mauvais dans ce match-là…
FM : on sent beaucoup d’humilité dans vos propos. Parce que le grand public minimise vos performances en Ligue des Champions. Mais aussi bien pour vous que pour Brest, chaque match européen reste une découverte non ?
JlC : je pense qu’on a tous un peu la même mentalité dans le groupe, on se dit tous : «pourquoi se mettre une pression, alors qu’on joue des matchs qu’on rêvait de jouer». Se mettre une pression et entre guillemets perdre un peu ses moyens, c’est gâcher tout ce que tu as fait avant. Parce que, tu as été chercher cette qualification, et tu devrais te dire "oh, putain, on joue contre le Barça, on a peur d’eux". Mais pourquoi ? Enfin, nous, on ne trouve pas de raison de faire ça. Il faut kiffer le moment, prendre le plus de plaisir possible, même si quand tu prends 3-0, forcément, tu ne prends pas trop de plaisir, (rires). Il faut les regarder en face, et puis se dire, ce sont 11 gars comme nous donc, pourquoi on perdrait nos moyens ? Je pense qu’on a tous un peu la même mentalité dans le groupe, on a envie de gagner tous les matchs même si c’est Barcelone, même si c’est n’importe quelle équipe.
FM : c’est exactement le sens de ma question suivante, cet état d’esprit sans faille, votre détermination, est-ce que c’est ça qui fait que vous êtes aussi bien placé dans ce championnat de Ligue des Champions ?
JlC : voilà, c’est ça. Comme je viens de le dire, on kiffe le moment et puis on ne gâche pas tout en se mettant une sorte de pression de se dire, qu’on joue contre une équipe qui a toujours joué en Ligue des Champions, de se faire déjà le match dans sa tête avant qu’il soit joué. On se prend la tête, on joue notre jeu, on se donne à fond. Après du moment qu’on s’est donné à fond et qu’on a mouillé le maillot, si le résultat est négatif au moins, il n’y aura pas de regrets et s’il est positif, tant mieux, on aura fait le job.
«C’est bien pour le football français aussi de montrer que les gars en France n’ont pas un si petit niveau que ça»
FM : est-ce que vous avez le sentiment justement, qu’avec vos performances, vos adversaires vous regardent de manière un peu différente ? Par exemple, William Saliba d’Arsenal disait il y a peu qu’il suivait votre parcours, et qu’il était fier de voir qu’il y avait des clubs français qui se donnaient à fond ?
JlC : oui c’est bien qu’on le reconnaisse, je ne l’avais même pas vu qu’il avait parlé de nous. Mais oui, c’est bien pour le football français aussi de montrer que les gars en France n’ont pas un si petit niveau que ça, ce que j’ai entendu beaucoup. Il faut continuer à avoir cette fraîcheur et cette insouciance dans cette compétition.
FM : justement après Lewandowski, Pedri & co, ce sont Mbappé, Vinicius et Bellingham qui vont venir à Brest le 29 janvier. Est-ce que vous en parlez entre vous ou pas ?
JlC : Non, non. C’est comme tous les autres matchs, on en parlera quand ce sera le moment d’en parler. On avait plus nos têtes à Nantes, à la Coupe de France et à tous les matchs qui vont arriver avant donc non, on n’en a même pas parlé du Real Madrid. On en a parlé quand il y a eu le tirage et qu’on a tiré le Real mais depuis, on n’en a pas parlé. Il faudra parler de ce match quand cela sera le moment parce que si on se le met dans les têtes maintenant, on risque de ne pas se focaliser sur ce qui est le plus important pour l’instant, à savoir le championnat.
FM : et du coup, est-ce que le fait de prendre les matches comme ils viennent, la Ligue 1, ce n’est pas plus compliqué à enchainer après un match de Ligue des Champions, qu’après un match lambda ?
JlC : c’est vrai que peut-être inconsciemment avant les matches de Ligue des Champions, on y pense un peu trop et après, on refait le match. Mais au sein du groupe, on ne réfléchit pas comme ça, on essaie de rester focus au maximum match après match. Evidemment qu’on aimerait gagner tous les matchs, mais on ne peut pas tous les gagner malheureusement…
«Ce qui est bien à Brest, c’est qu’il n’y a pas de flemmard ou de joueurs qui se cachent»
FM : En Ligue 1, vous êtes bien calés dans le milieu de tableau. En début de saison, forcément, on doutait de votre capacité à enchainer sur les deux tableaux, Ligue 1 plus C1 avec un effectif loin d’être pléthorique. Est-ce que vous vous sentez en surrégime ?
JlC : Pour l’instant sûrement un peu parce qu’on a pas mal de blessés. Mais on a un bon groupe et on a vu que quand il y avait des absents, ceux qui les remplaçaient faisaient le job. Après, je pense que c’est une question de mentalité, c’est que la mentalité de chaque joueur de ce groupe, c’est de se donner à fond pour les copains, pour le club et pour gagner surtout. Ce qui est bien ici, c’est qu’il n’y a pas de flemmard entre guillemets, ou de joueurs qui se cachent. C’est un groupe sain, ça bosse et c’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui, on arrive à sortir des performances comme ça face au Bayer Leverkusen ou face au PSV Eindhoven.


FM : pour finir un peu sur vous, sur votre cas personnel. A 27 ans, on vous sent épanoui dans ce club est familial. Vous avez eu un parcours atypique. Est-ce que vous avez le sentiment d’être un peu une sorte d’OVNI dans le football français ?
JlC : non, parce que je trouve qu’il y en a de plus en plus de cas comme le mien. Après, c’est vrai qu’arriver ici à un tel niveau aujourd’hui, je n’y aurais jamais pensé. Depuis que je suis parti de Saint-Brieuc et que je suis arrivé à Bastia, je ne me fixe aucune limite, je ne me prends pas la tête. Je vis le moment présent et puis le futur, on verra. Si je peux aller encore plus haut, j’irai encore plus haut. Après, je sais que j’ai 27 ans, donc il va falloir se dépêcher (rires).
FM : pour la suite que peut-on vous souhaiter, vous qui avez joué dans le sud (en Corse), dans le Nord à Lens et dans l’Ouest à Brest ? Un séjour dans l’Est de la France ?
JlC : Non (rires). Aujourd’hui, j’ai encore 2 ans et demi de contrat avec Brest. A l’instant T, on ne sait pas ce que la vie nous réserve. La, je suis heureux à Brest, ce qu’on peut me souhaiter c’est plein d’autres belles victoires avec le stade Brestois.
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