Euro 2024 : comment le football a-t-il participé à la construction européenne ?
L’Euro 2024 débute ce vendredi en Allemagne. L’occasion pour certains pays de profiter des projecteurs pour y apposer une large dimension géopolitique et diplomatique. Car le football européen n’a pas cessé de jouer un rôle direct dans la construction de l’Union européenne.
Alors que les premières sélections nationales sont en train d’arriver en Allemagne à l’aube du grand début de l’Euro 2024 (14 juin - 14 juillet), la deuxième plus grande compétition de football au monde représente aussi une occasion dorée pour quelques pays d’imposer une patte géopolitique au tournoi, surtout avec la récente actualité mouvementée suite aux élections européennes qui ont vu plusieurs partis d’extrême droite triompher et ainsi développer leur place au Parlement européen. Et depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe sur ordre du président Vladimir Poutine le 24 février 2022, le ballon rond a plus que jamais retrouvé sa casquette de moteur international dans les enjeux diplomatiques en Europe. D’ailleurs, l’UEFA et la FIFA avaient rapidement interdit à toutes les équipes russes de participer aux événements internationaux peu après le début de «l’opération spéciale» lancée par le Kremlin : «D’habitude, je suis contre tout boycott. Mais dans cette situation, nous devions le faire. Et nous avons été parmi les premiers à l’avoir fait. Je ne pense pas que le football aidera beaucoup. Mais chacun de nous peut faire sa part» a déclaré récemment Aleksander Čeferin, le président de l’Union des associations européennes de football (UEFA) dans un entretien accordé à la Deutsche Presse-Agentur, l’agence de presse allemande.
Un projet de l’UEFA de septembre visant à réadmettre les équipes de jeunes russes comme neutres a pris fin après que plus de 10 fédérations nationales ont déclaré qu’elles ne joueraient pas contre elles, et ont ensuite également invoqué des raisons techniques : «En Russie, les enfants sont élevés dans le cadre d’une propagande selon laquelle nous ne les aimons pas, nous les détestons, nous ne les acceptons pas. À partir de ce moment, s’ils étaient venus en Allemagne et s’ils avaient reçu le soutien et l’amour d’autres jeunes de 15 ou 16 ans venant d’Allemagne, de la Slovénie ou de n’importe quel autre pays, les jeunes russes penseraient différemment. À l’heure actuelle, des générations entières sont incitées à haïr encore davantage. La situation en Europe est effrayante. Cela me fait peur. Un retour de la Russie ? Il n’y a aucun moyen de le faire pour l’instant parce que certaines fédérations subissent une énorme influence ou pression de la part de leurs gouvernements», a poursuivi Čeferin. C’est dans ce climat très politisé précis que l’Euro 2024 va prendre place dans les prochains jours. Mais ces liens étroits entre le football européen, l’Union européenne et plus largement le continent Europe ne datent pas d’aujourd’hui.
L’UEFA comme outil européen
Créée le 15 juin 1954 à Bâle en Suisse, l’UEFA n’a pas cessé de se développer au rythme de l’évolution de la scène diplomatique européenne avec l’éclatement du bloc de l’URSS en 1989, la fin progressive de la Yougoslavie jusqu’en 2003 mais aussi la dissolution de la Tchécoslovaquie en 1992. En ce sens, le football européen a été spectateur mais aussi acteur de ce nouveau paysage européen : «Il y a forcément des liens entre UEFA et Union européenne du fait de l’importance économique de l’UEFA mais des liens qui dépassent même le cadre de l’Europe avec 55 fédérations membres et que ces questions se posaient aussi à l’époque au début de la guerre Russie/Ukraine puisque Gazprom était l’un des sponsors principaux de l’UEFA donc il y avait une logique de faire sorte que l’UEFA minimise ses liens avec la Russie. L’économie et le sport restent très liés. L’UEFA est une organisation tournée vers la construction européenne puisqu’elle a émané d’un français, Henri Delaunay, de l’Italie et de la Belgique. Elle avait dépassé les clivages du Rideau de fer», nous explique Kévin Veyssière, géopolitologue du sport, qui vient de publier une réédition de son premier livre «Football Cub Geopolitics, 22 histoires insolites pour comprendre le monde» aux Editions Max Milo dans lequel il revient largement sur cette construction européenne à travers le football.
Avec le traité de Maastricht et le traité de Rome signés en 1992, l’Union européenne est fondée et met ainsi un coup d’accélérateur à la création d’une Europe commune. A partir de ce moment, l’UEFA et plus largement le football européen deviennent un moteur important de cette construction européenne et les compétitions telles que la Ligue des Champions mais surtout l’Euro représentent une véritable stratégie diplomatique pour certains dirigeants et notamment pour les petits territoires qui peinent à glaner une reconnaissance unanime. C’est le cas du Kosovo dont sa Fédération de football (FFK) est officiellement devenue le 55ème membre de l’UEFA et le 210ème de la FIFA : «L’UEFA représente un enjeu et une visibilité importante. Le cas le plus récent reste celui du Kosovo qui a été reconnu comme état membre de l’UEFA et de la FIFA. Dans la bataille du Kosovo, dans sa reconnaissance en tant qu’état, c’est relativement important car ils ont une tribune et une plateforme pour promouvoir leurs symboles nationaux et leur identité propre. En plus, avec le football, il y a des confrontations équipe par équipe. Cela les met sur le même pied que les autres états et cela peut être interprété aussi comme une victoire du Kosovo dans sa reconnaissance, dans cette logique de vouloir être reconnu par les organisations internationales», poursuit Kévin Veyssière, fondateur du média FC Geopolitics. Mais en raison de la grandeur du territoire européen, le football permet aussi de répondre à des questions internationales à travers le ballon rond…
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Le football pour diversifier l’UE
A l’heure actuelle, neuf pays sont officiellement candidats pour intégrer à leur tour l’Union européenne : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie, la Turquie et l’Ukraine. Et l’UEFA, à travers son institution, représente un moyen d’apporter un foisonnement de culture, de langue et d’histoire au sein du territoire : «L’UEFA a réussi à avoir 55 fédérations membres, parfois au-delà des frontières géographiques de l’Europe avec notamment la situation du Kazakhstan et aussi d’Israël avec le conflit israélo-palestinien. Cela permet à certains pays qui ne sont pas indépendants d’être présents comme Gibraltar et aussi les Îles Féroé. Grâce au Kosovo, on a vu qu’il était plus simple d’intégrer des organisations sportives où il y a moins de freins politiques et on a eu l’utopie de croire que ce n’était que du sport, mais cela peut se répercuter sur le champ politique», détaille Kévin Veyssière. Mais si l’UEFA se veut facilitateur diplomatique et médiateur de paix, la réalité géopolitique rattrape parfois l’institution.
En raison des conflits entre états, certaines rencontres de football sont aussi décrites comme étant «des matchs impossibles». Par exemple, lors des tirages au sort ou des matchs amicaux, l’Ukraine ne peut pas croiser la Russie ou la Biélorussie. L’Espagne ne jouera jamais contre Gibraltar. De même pour le Kosovo qui ne croise pas le fer avec la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. L’Arménie et l’Azerbaïdjan ne s’affrontent également pas sur les pelouses de foot en raison du conflit du Haut-Karabakh : «Dans le cas du Kosovo, je me souviens d’un différend avec l’Espagne car le Kosovo devait jouer en Espagne qui n’avait pas utilisé la bonne carte. Je ne pense pas que le football soit victime du politique mais le football et le sport en général sont le reflet de la situation internationale et s’il y a des tensions et des sanctions, le sport peut être impacté et cela fait partie d’un packaging car le sport est un enjeu économique mais aussi de visibilité», ajoute Kévin Veyssière. Ces interdictions imposées par l’UEFA mettent en évidence l’intersection de la politique et du sport, où les tensions politiques peuvent avoir un impact direct sur l’organisation et le calendrier des tournois internationaux.
La Géorgie, le nouveau football diplomatique
Alors qu’elle s’apprête à disputer son premier Euro après une qualification historique aux barrages, la Géorgie traverse une situation politique très mouvementée depuis plusieurs mois. De vastes manifestations ont eu lieu à Tbilissi pour protester contre le projet de loi d’ingérence étrangère, inspirée d’une loi déjà polémique votée en Russie. Cette loi prévoit que toutes les ONG ou organisations médiatiques recevant plus de 20% de leur financement de l’étranger s’enregistrent en tant «qu’organisations poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère» : «Le cas géopolitique de cet Euro 2024 sera celui de la Géorgie puisque c’est la première participation à un Euro pour le pays et il y a des débats au sein de la Géorgie sur l’intégration à l’Union européenne, surtout que la Géorgie est candidate pour l’intégration à l’Union européenne mais ils ont un gouvernement plutôt orienté pro-russe et avec toutes les manifestations et les principaux joueurs qui ont pris position contre les répressions à ces manifestations donc ce sera à scruter pour voir si le débat se prolonge sur le terrain», a souligné Kévin Veyssière. Levan Kobiashvili, président de la Fédération géorgienne de football, a dénoncé les pressions «incroyables» exercées sur les joueurs de l’équipe nationale.
Candidate pour rejoindre l’Union européenne, la Géorgie est aujourd’hui divisée en deux gros blocs. D’un côté, les fervents supporters pro-Bruxelles. De l’autre, les conservateurs proches du Kremlin et défenseurs du passé russe du pays. Mais grâce au football, le Premier ministre Irakli Kobakhidze a déclaré que la vente de billets d’avion pour assister à l’Euro en Allemagne serait subventionnée : «Au-delà des Eliminatoires, une participation à un Euro a son rôle à jouer. Prenons l’exemple de la Croatie à l’Euro 1996 qui sortait de la Guerre de Yougoslavie, ça a pas mal joué sur l’image de la Croatie et ça a participé à réhabiliter la Croatie après les guerres. Il y a le cas aussi de la Macédoine du Nord qui était en conflit territorial et linguistique avec la Grèce et du fait des accords mis en place entre les deux pays, la Macédoine change de nom et il y a un enjeu pour faire comprendre au monde l’histoire du pays et expliquer pourquoi ce changement. C’est plus simple avec une tribune sportive qui dépasse les clivages», a conclu Veyssière. Les troupes de Willy Sagnol jouent donc une compétition à multiples enjeux, alors que les Croisés disputeront des rencontres contre le Portugal, la Turquie et la Tchéquie. L’Euro de football et la construction de la grande Europe idéalisée vont de pair.
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