Désormais retraité, David Bellion nous raconte comment il a traversé les différentes épreuves auxquelles il a dû faire face tout au long de sa carrière. L'ancien attaquant de Manchester United et des Girondins de Bordeaux expose sa vision du football et sa façon d'appréhender ce sport qui demande bien plus de ressources mentales qu'il n'y paraît.
Foot Mercato : ça fait maintenant quatre ans que vous avez raccroché les crampons. Vous arrive-t-il de jouer encore un peu ?
David Bellion : oui, je joue toujours au football, en foot à 7. Je ne le fais pas par besoin, mais plutôt par plaisir. Même si on ne joue pas en ce moment avec les restrictions sanitaires. Tant que j’aurais les jambes qui avancent, je jouerais. Je joue vraiment pour me faire plaisir et de toutes les façons, j’ai toujours vu ma carrière de footballeur comme un plaisir. J'étais toujours malheureux quand je n'en avais pas.
FM : en parlant de votre carrière, vous avez la particularité d’avoir signé votre premier contrat professionnel à Sunderland, en Angleterre. L'adaptation a-t-elle été compliquée ?
DB : non, elle n'a pas été vraiment compliquée puisque même si j’ai un demi-frère, j’ai vécu en tant que fils unique avec ma mère et mon beau-père donc j’étais vraiment à l’aise avec le fait de partir en solitaire. Le gros drame qui m’est arrivé, c’est que j’ai mis les pieds en Angleterre le samedi et le lundi, j’ai appris que mon beau-père, l’homme qui m’a élevé, avait mis fin à ses jours. Cet évènement a été un choc ultra violent pour commencer à vivre dans un autre pays, mais mon entourage a été génial, que ce soit le club, le staff, mon agent, ou mes amis qui venaient me voir dès le début de l’hiver pour me soutenir. Je l’ai donc considéré comme une partie de l’aventure. C’était un rêve de jouer en Angleterre, de connaître ce pays, d'apprendre une autre langue parce que je suis quelqu'un de curieux. J’étais vraiment dans le positif et pas dans le négatif.
FM : la France ne vous manquait-elle pas à ce moment-là ?
DB : pas vraiment, à part certains aliments que je ne trouvais pas en Angleterre. Je ne me considère pas comme quelqu’un de particulièrement attaché à quelque chose parce que mon père est sénégalais et ma mère est française. J’ai grandi avec beaucoup de gens de différentes nationalités donc je ne m’attache pas forcément à une patrie ou un territoire. Je me considère comme un citoyen du monde. Pour moi, la terre appartient à tout le monde. Je ne me disais pas que la France me manquait, je n'avais pas cette nostalgie. Quand j’avais du repos, j’étais bien évidemment content de rentrer en France voir ma mère, mes amis, etc. Mais si mes amis restaient 3 semaines en vacances en Angleterre, ça m’allait aussi.
Crédits : @LeBallonFC
« Je n'ai jamais été dans une compétition pour être le meilleur, je voulais juste jouer au ballon et prendre du plaisir »
FM : en 2002, vous êtes appelé en équipe de France Espoirs. Êtes-vous frustré de n'avoir jamais été sélectionné en équipe de France A ?
DB : non, ce n'est pas quelque chose de frustrant pour moi. Mon rêve était d’aller à Manchester United et j’y suis arrivé par passion et obsession. Bien sûr, j’étais très content d'être en Espoirs et j'aspirais à l'équipe A mais la plupart des joueurs veulent y aller à tout prix, ce n'était pas mon cas. Je n'ai jamais été dans une compétition pour être le meilleur, je voulais juste jouer au ballon et prendre du plaisir. Je suis quelqu'un d'obsessionnel avant d'être quelqu'un d'ambitieux.
FM : vous parliez de Manchester. Sir Alex Ferguson, en personne, est venu vous chercher à Sunderland. Quel type d'entraîneur était-il ?
DB : c'était un homme fantastique, qu’on joue ou qu’on ne joue pas. Sur le plan humain, il logeait tout le monde à la même enseigne. Après, sur le plan sportif, il y avait beaucoup de stars. Je le voyais plus comme un manager qu’un coach. C’était un très grand meneur d’hommes et voilà pourquoi il est, je suppose, considéré comme le plus grand entraîneur de l’histoire d’un seul club de foot. Il savait parler quand il fallait, ce qui est tout le contraire de ce que l’on voit souvent ailleurs, où les entraîneurs disent qu’ils n’ont plus le temps de parler aux joueurs. Cet entraîneur a fait rêver le monde entier dont plein de joueurs comme moi. C’est très puissant de se dire qu’on veut aller dans ce club parce qu’il y a Sir Alex Ferguson. Peu de coachs peuvent se targuer de ça.
FM : vous avez pu jouer avec Cristiano Ronaldo, Ryan Giggs, Paul Scholes, Wayne Rooney et bien d'autres stars. Comment étaient-ils dans le vestiaire mancunien ?
DB : ils étaient très humbles, il n'y avait pas de grosses têtes dans le vestiaire. Il n'y avait que des grands joueurs, même être remplaçant, c’était un exploit. Tout le monde était bien élevé, c'était un vestiaire très festif avec un mélange de seniors, de jeunes et de joueurs entre les deux qui faisaient le lien.
FM : malheureusement à Manchester, vous vous fracturez la jambe en 2005. Comment avez-vous vécu cette blessure ?
DB : c'était une drôle d’histoire pour moi parce que durant toute ma jeunesse, je me sentais invincible, j’étais robuste. Dans ma tête, quand je voyais des joueurs subir des fractures ou des ruptures des ligaments croisés, je ne m’imaginais pas me blesser. Quand c’est arrivé, pendant une semaine, j’étais traumatisé. Sir Alex Ferguson m’avait appelé à la fin du match pour me dire que ça irait, mais une semaine avant il m’avait dit que le club me prêterait. Il pensait que ce serait bien donc je n'ai même pas cherché à discuter, je pensais aussi que c’était une bonne idée. Même si je quittais mon club, j’étais heureux et je me disais que j’allais faire une super saison. Je pars donc à West Ham avec Alan Pardew qui comptait sur moi pour former un duo avec Jérémie Aliadière.
FM : alors, comment s’est passé votre prêt à West Ham ?
DB : je suis arrivé là-bas blessé, donc, j’étais en convalescence. Je marque lors de mon premier match en Cup pour mon retour puis on joue Liverpool en championnat. Et soudain, alors que je n'avais pas été mauvais malgré la défaite, Alan Pardew décide de ne plus me faire jouer avec Jérémie Aliadière. J'ai été le voir pour avoir des explications parce que l'on était bons à l'entraînement avec Jérémie Aliadière, et il m’a dit quelque chose qui m’a marqué: « Entre un joueur en prêt et un joueur sous contrat avec moi, je privilégierais toujours celui sous contrat. » J’ai contacté mon agent pour lui faire part de la situation et donc en décembre je suis revenu en France. C'était une année 2005 très compliquée pour moi, que ce soit au niveau sportif ou humain. C’était une expérience très courte à West Ham, pourtant j’étais content d’y aller jouer avec énergie et insouciance. Même la ville me plaisait, j'aimais bien la capitale anglaise.
« J’étais content de rentrer au bercail »
FM : votre retour en France est réussi à Nice, comment avez-vous fait pour remonter la pente après une année cauchemardesque en Angleterre ?
DB : franchement, je suis arrivé à Nice très insouciant parce que je ne connaissais pas le football français. J’étais content de rentrer au « bercail ». Même si je suis parisien, j’ai grandi à Cannes et j’y suis retourné vivre. J’ai besoin d’être heureux dans la vie pour être bon sur le terrain. Quand je suis malheureux, ça se ressent et comme j’étais content de revoir mes amis et retrouver ma routine que j'avais à 17-18 ans, j'étais épanoui. Je suis assez monomaniaque dans ma manière de vivre et donc c’était très bien de retrouver mes repères. Le fait d’être heureux dans ma vie m’a rendu bon sur le terrain donc j’ai très bien commencé avec Nice. Après, la saison 2006-2007 fut plus compliquée avec une nouvelle politique sportive intitulée: « 3 titulaires pour 2 postes ». Malgré la belle équipe sur le papier, nous nous sommes sauvés de la relégation lors de l'avant-dernière journée.
FM : durant l’été 2007, vous signez à Bordeaux. Vous enchaînez les bonnes performances qui font que vous êtes présélectionné en équipe de France. Puis derrière, le sélectionneur du Sénégal vous contacte pour vous faire rejoindre les Lions de la Téranga. Comment avez-vous vécu cette situation ?
DB : le Sénégal m'avait appelé plusieurs fois à mes débuts en professionnel, notamment après la Coupe du monde 2002, puis quand Guy Stephan était à la tête de la sélection. Je leur ai dit que j’étais trop jeune et que j'aspirais à l'équipe de France. C'était de la logique pure, j’ai grandi en France et je n'étais allé que deux fois au Sénégal. Je pensais être déphasé par rapport à la culture sénégalaise, je ne parlais pas la langue, je sentais que j'aurais été plus à l’aise en France. Je suis toujours un peu mal à l’aise dans ce genre de discussions parce que j’essaye toujours d’être gentil et donc ce n'était pas une situation facile. Quand je suis présélectionné en équipe de France, je commence à y croire. Nicolas Anelka revenait de blessures et ils l’ont finalement pris à ma place. C'est quelqu'un que j'adore donc le fait de me dire qu’à un moment donné dans ma carrière, j’ai pu le tutoyer, montre de quoi j’étais capable quand j’étais heureux dans la vie.
FM : Puis vint cette saison 2008-2009 avec les Girondins de Bordeaux et ce titre de champion de France mémorable avec Laurent Blanc. C’était un entraîneur que vous appréciez n’est-ce pas ?
DB : oui, j’ai beaucoup aimé Laurent Blanc, car il ne se prenait pas la tête. Je n'aime pas les entraîneurs qui mettent des tactiques en place pour éviter de prendre un but plutôt que d’en mettre un. J’aimais bien ses prises de risque. Au quotidien, il nous responsabilisait. On n'était pas des gamins surveillés. J’appréciais vraiment l’homme, qui était très honnête. Il avait ce côté « humain », j’aimais le personnage, qu'il me fasse jouer ou non. On a eu des moments merveilleux, même dans les défaites. De mon côté, j’espère avoir été une bonne personne pour mes entraîneurs avant d’avoir été un grand joueur. C’est le plus important pour moi et c’est ce que j’essaie de véhiculer aujourd'hui au Red-Star.
« Je n'étais pas quelqu’un qui se battait pour regagner sa place même si j’avais envie de jouer, ce n'était pas dans mon cœur »
FM : après Bordeaux, la suite de votre carrière s’est compliquée avec des blessures à répétition. Quelle approche mentale avez-vous eu pour y faire face ?
DB : la première blessure que j’ai eue à West-Ham n’a pas été bien guérie avec une rééducation perturbée à Saint-Raphaël en 2005, ce qui a fait que mon corps a compensé durant le reste de ma carrière. Ma cheville droite était en pierre, la jambe où j'avais eu ma fracture s'était même recassée fin 2006 mais jusqu'à 2010, j’ai réussi à ne plus me blesser. Quand je suis retourné à Nice en prêt, fin 2010, j’ai commencé à enchaîner les blessures : pubalgie, déchirure à l'adducteur, problème à l'oreille interne… Les quatre dernières années de ma carrière ont été catastrophiques pour plein de raisons. Je n'étais pas quelqu’un qui se battait pour regagner sa place même si j’avais envie de jouer, ce n'était pas dans mon cœur. Certaines des raisons qui ont rendu ma fin de carrière compliquée sont extra-sportives et humaines. J'ai quand même eu une carrière satisfaisante. Finalement, je suis allé où j’ai voulu aller et quand j’avais moins d’envie et moins de désir, et bien, j’ai fait moins d’efforts.
FM : en 2013, les Girondins gagnent la Coupe de France, mais vous n'êtes pas dans le groupe pour la finale. Comment l'avez-vous vécu ?
DB : je ne l'ai pas si mal vécu même si je les avais aidés à se qualifier plus tôt dans la compétition en inscrivant un doublé. Avec du recul et de la lucidité, je peux tout comprendre parce que Francis Gillot voyait peut-être que j'avais la tête ailleurs. J’avais ouvert un restaurant avec un micro club pour hommes à Bordeaux et j’avais demandé au président de me laisser partir m’entraîner au Cosmos de New York pendant l'été.
FM : pourquoi étiez-vous attiré par le Cosmos de New York ?
DB : Brooklyn, c’était ma ville rêvée. Pour aller au Cosmos, j’étais prêt à fortement réduire mon salaire alors qu’il me restait un an de contrat avec Bordeaux. Ça ne s’est pas fait pour plein de raisons, notamment le fait que le père de mon épouse soit tombé gravement malade avant de nous quitter l’année suivante. Jouer dans un club où Pelé a joué était l’un de mes rêves. Je rêvais d'aller à l’entraînement avec ma petite voiture, de rentrer chez moi et de partir faire du skate tranquillement à Brooklyn. Je voulais faire ma petite vie à Manhattan, mais ça ne s'est pas fait parce que ce n'était pas le moment opportun.
« Le cerveau ne réagit pas avec ce qu’il y a sur le compte en banque »
FM : les problèmes familiaux que vous avez connus, d'autres footballeurs les connaissent aussi, mais le grand public semble oublier que vous êtes avant tout des humains. Ne trouvez-vous pas qu'il y a une sorte de « déshumanisation » quand il s'agit de footballeurs ?
DB : totalement, et j'ai justement créé le magazine « Sport-Étude » parce que les gens pensent que nous sommes des robots, que nous ne sommes jamais malades, que nous n’avons pas de problèmes de couples et autres. C’est pour cette raison que j’aime bien aller poser des questions aux sportifs. Beaucoup d'entre eux ont eu des problèmes de dépression, de rivalité avec leurs frères ou des problèmes familiaux qui ont forcément un impact sur le terrain. Ma vie de footballeur était entièrement liée à ma vie d’homme. Quand j’étais heureux, je cartonnais sur le terrain et quand j’étais malheureux, ça ne fonctionnait pas. C'est ce qui résume ma carrière d'une certaine manière. Le grand public ne prend pas en compte nos émotions pour la simple et bonne raison que comme les footballeurs sont très bien payés, ils se disent: « t’es payé tant, tu dois mettre tant de buts », mais ça ne fonctionne pas ainsi. Le foot est un spectacle vivant, c’est du théâtre sportif, donc on ne peut pas être toujours en forme. À un moment donné, il y a des événements qui font que même les plus grandes stars ne peuvent pas être performantes et c'est valable dans plein de domaines. Ça n’a rien à voir avec l’argent, le cerveau ne réagit pas avec ce qu’il y a sur le compte en banque.
FM : en 2014, vous signez au Red-Star 93, qui est alors en National 1. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ?
DB : dans la continuité de mon rêve d’aller à New York et après une dernière année compliquée à Bordeaux, j’avais envie d'arrêter le foot de haut niveau. En janvier 2014, pendant la Fashion Week, j’étais dans le train entre Bordeaux et Paris pour voir un défilé et mon cher ami, Benjamin Eymère, m'appelle en me disant : « quand tu sors du train, je te prends un Uber en direction de mon bureau et je te présente le président du Red Star. Je sais que t’as envie d’arrêter le football, mais viens, c'est quelqu'un d'appréciable et cultivé. Il n'est pas dans le football à la base, mais plutôt dans la mode, les films... » C'était tout ce que j’aimais. J'ai donc rencontré Patrice Haddad et le courant est super bien passé. J'ai annoncé à mes amis et ma famille que j'allais y signer en fin d’année malgré des sollicitations de clubs de Ligue 1. J’ai dit à ma femme que cette rencontre pouvait m'aider à allier l’utile à l’agréable en n'arrêtant pas le football brusquement, mais plutôt avec une transition.
FM : Francilien de naissance, ce club plus « modeste » en Île-de-France était-il idéal pour vous ?
DB : mon père et mon frère vivaient à Paris et mon épouse et moi étions devenus propriétaires d’un appartement dans le Marais donc toutes les planètes étaient alignées pour que je vienne au Red Star, mis à part le côté financier, où j’ai fait un sacrifice gigantesque. C’était un choix à contre-courant de l’Homme en général, qui souhaite toujours monter très haut financièrement, mais je suis descendu parce que pour moi, c’était le prix de ma liberté. Je fonctionne plus avec le cœur qu’avec la tête. Je n'ai pas été élevé dans une famille riche, le fait d’avoir eu de l’argent très tôt dans ma carrière et de retourner à quelque chose de plus classique me fait dire que je préfère largement la vie plus classique puisqu'elle m'apporte une liberté intellectuelle et créative qui n'a pas de prix. Même dans ma vie de footballeur, mes plus beaux souvenirs sont ceux d’hommes et non de joueurs.
« Malheureusement, quand je suis rentré en France, je me suis formaté aux discours et à la mentalité du football français et c’est à ce moment de ma carrière que je me suis un peu perdu »
FM : vous travaillez maintenant dans le monde de la mode et vous êtes quelqu’un de très créatif. Comment vous exprimiez cette facette de votre personnalité sur le terrain ?
DB : je suis un soliste et non quelqu’un qui rentre dans un orchestre, je pense que c’est ce qui a plu à Sir Alex Ferguson et d’autres grands clubs. Malheureusement, quand je suis rentré en France, je me suis formaté aux discours et à la mentalité du football français et c’est à ce moment de ma carrière que je me suis un peu perdu. En France, Laurent Blanc m’a redonné goût à une certaine liberté sur le terrain. Je n’avais peut-être pas la mentalité d’un footballeur moderne. J’étais passionné par le football de Pelé, Johan Cruyff, Diego Maradona et même Karl-Heinz Rummenigge que mon père adorait. J’ai plus de mal avec les footballeurs modernes à part peut-être Zinédine Zidane, Ronaldo, Eric Cantona ou Youri Djorkaeff. J’aimais les joueurs élégants. Ce que j’aimais, ce n’était pas forcément la gagne donc j’étais un peu à l’ouest dans ma façon de jouer mon football. J’avais un football triste selon l’entraîneur que j’avais. J’ai retrouvé goût au football au Red-Star où j’ai vécu l’une des plus belles années de ma vie dans un club avec de super joueurs. J’étais très heureux dans ce club de National.
FM : vous ressembliez finalement à un joueur des années 1980, bien loin de toutes les exigences du football moderne. Considérez-vous que vous étiez un joueur d’instinct ?
DB : oui, je dirais même que je carbure à l’instinct. Je n’ai aucune manière stratégique ou tactique de jouer au foot. C’est une intelligence organique et j’aime jouer avec mes amis ou dans la rue de la même manière que sur le terrain. Quand je suis arrivé à Manchester, où j’ai atteint mon Graal, j’ai essayé d’adapter le foot de rue au football professionnel et je voyais que ça ne marchait pas, même si j’étais heureux. Je voyais des joueurs qui eux, réussissaient à adapter ce football. Tous les joueurs avaient de l’expérience, ils avaient fait leurs preuves. L’année précédant mon arrivée à Manchester, je n’ai pas joué parce que Sunderland savait que j’allais partir. Je suis arrivé à Manchester avec 1% de bagage professionnel, je n’avais jamais fait une année en tant que titulaire dans un club et j’étais le seul dans ce cas. Je n’ai pas pu vraiment montrer tout ce que je pouvais faire, mais je n’ai pas de problème avec ça parce que ma personnalité m’a permis de créer quelque chose qui n’existait pas dans le football: une agence créative.
« Le centre de formation a été un centre de déformation pour ma personnalité, ça a été une déconstruction »
FM : finalement, la plus grande réussite de votre carrière est peut-être d’avoir réussi en étant resté vous-même ? Vous qui étiez aux antipodes de la formation française.
DB : exactement. J’ai eu la chance de rentrer au centre de formation de l’AS Cannes, qui était l’un des plus grands centres de formation de France et pourtant, j’étais très malheureux. Cette période ne me convenait pas. On nous apprenait du football avec de la tactique, de la stratégie, de la concurrence, etc. Le centre de formation a été un centre de déformation pour ma personnalité, ça a été une déconstruction. Ce n’était pas adapté à mon profil. D’ailleurs, l’école non plus ne me correspondait pas, je suis quelqu’un qui apprend sur le tas. Ça ne veut pas dire que c’est mauvais, c’est juste que mon cerveau n’est pas adapté à ce type d’apprentissage. J’étais tout de même content parce qu'en sport-études, je sortais de l’école pour jouer au foot, mais la construction de ce football n’est jamais rentrée en moi.
FM : comment résumeriez-vous votre vision du football ?
DB : aujourd’hui, les joueurs qui me régalent sont évidemment Messi et Neymar comme tout le monde, ou Cristiano Ronaldo dans un autre style, mais un joueur que j’affectionne par-dessus tout, c’est Marco Verratti parce que sa folie symbolise le football que j’aime. Il respire un football de gamin et de jeunesse. À l’époque avec Pastore, ils étaient mes héros. Ils sont en quelque sorte l’anti-football moderne. Quand je les regardais, j’avais une boule au ventre de bonheur avec leurs passes folles, les roulettes, etc. J’adore aussi le football de Jürgen Klopp, c’est un chef d’orchestre qui donne une belle musique. Je resterai toujours un enfant qui a refusé de grandir et quand je regarde les matchs avec mon fils de 10 ans, on ne regarde même pas le résultat. On veut juste voir un grand match. Quand je vois le fameux Ajax-Tottenham en Ligue des champions, je vois mon football. Quand je regarde une finale de Ligue des champions avec un gagnant qui a fait un match moyen, je ne retrouve pas mon football. J’aime le football champagne avec un côté arcade, pas le football mathématique. Je pense que la plupart des footballeurs sont très heureux de l’être, mais qu’ils ont mis de côté leurs rêves de gosses pour être dans la performance. Mon enfance est toujours restée avec moi et c’est le beau jeu qui m’a amené dans mon club de rêve, Manchester.
Après avoir entamé sa phase de transition en signant au Red-Star en 2014, David Bellion s'est reconverti et travaille désormais dans le monde de la mode et de la création. L'ancien Bordelais nous en parle dans une seconde interview qui sera disponible le vendredi 26 février.