Eliminatoires CM - Asie

Inde : pourquoi le football pèse-t-il aussi peu malgré 1,5 milliard d’habitants

L’Inde, avec sa population gigantesque et sa passion indéniable pour le sport, aurait pu devenir une puissance du football mondial. Pourtant, malgré des initiatives récentes et l’essor de l’Indian Super League (ISL), le pays reste un acteur marginal sur la scène footballistique internationale. Tandis que des nations bien plus petites brillent sur les terrains, l’Inde peine à se hisser au niveau des grandes équipes.

Par Valentin Feuillette
12 min.
Fédé indienne @Maxppp

Pourquoi un pays aussi vaste, avec un réservoir de talents théoriquement immense, n’a-t-il jamais produit une équipe de premier plan ? Entre manque d’infrastructures, culture sportive dominée par le cricket et faible soutien institutionnel, de nombreux freins expliquent cette anomalie. La sélection nationale indienne de football, surnommée les Blue Tigers, a une histoire riche, mais reste un acteur modeste sur la scène internationale. Bien que l’Inde ait connu des succès continentaux dans le passé, elle peine à s’imposer dans le football mondial. L’Inde ne s’est jamais qualifiée pour une Coupe du Monde. En 1950, le pays s’était hissé par défaut pour le tournoi au Brésil après le retrait de plusieurs équipes, mais a refusé d’y participer (souvent attribué, à tort, au refus de jouer en chaussures - la raison principale étant des contraintes financières et un manque de préparation). Malgré une finale perdue en 1964, l’Inde n’a jamais vraiment brillé non plus en Coupe d’Asie avec seulement cinq participations en 1964, 1984, 2011, 2019 et 2023, et des résultats modestes. Son meilleur classement FIFA a été 94ᵉ en 1996, et oscille généralement entre la 100ᵉ et la 110ᵉ place. Sous l’entraîneur Igor Štimac, la sélection a tout de même montré des progrès récents, notamment en remportant la Coupe de la SAFF 2023. Malgré un fort potentiel avec une population massive et un engouement croissant, le football indien reste limité. Cependant, avec des investissements croissants et une meilleure formation des jeunes, il aspire à un avenir plus compétitif sur la scène asiatique et mondiale.

La suite après cette publicité

Lors de la 141e Session du CIO organisée à Bombay en 2021, le Premier ministre indien, Narendra Modi, avait largement vanté les mérites du sport dans une société : «Le sport est un élément très important de notre culture, de notre mode de vie. Il a toujours été un volet important de notre histoire. Nous, les Indiens, ne sommes pas seulement des amateurs de sport, mais nous vivons notre vie par le sport. Il n’y a pas de perdants dans le sport, il n’y a que des gagnants et des apprenants. Le langage du sport est universel, l’esprit du sport est universel. Le sport n’a d’autre but que de s’exprimer. Il renforce l’humanité et lui donne l’occasion de s’épanouir. À travers le monde, tout athlète peut battre des records, mais c’est l’humanité entière qui s’en réjouit. Le sport est une famille et un avenir. Le sport n’est pas simplement un moyen de gagner des médailles, mais un vecteur pour gagner le cœur des gens. Le sport appartient à tout le monde. Il s’adresse à tous. Le sport ne crée pas seulement des champions. Il fait aussi la promotion de la paix, du progrès et du bien-être. Le sport est un moyen très fort et très puissant de connecter le monde», a expliqué Olivier Da Lage, chercheur associé à l’IRIS. Malheureusement, hormis quelques disciplines, l’Inde est quasiment invisible dans la majorité des sports les plus pratiqués et populaires dans le monde, surtout dans le monde du football. Même en Angleterre dans un pays où le football est ultra-populaire et où la diaspora indienne est puissante comme celle du Bangladesh ou du Pakistan.

La suite après cette publicité

La face cachée du sport indien

Depuis son accession au poste de Premier ministre en 2014, Narendra Modi a mis en œuvre diverses initiatives pour promouvoir le sport en Inde, renforçant ainsi l’image du pays sur la scène internationale. Le gouvernement a lancé plusieurs programmes pour encourager la pratique sportive et améliorer les infrastructures, tels que Khelo India. Ce programme vise à développer le sport à la base en identifiant et en soutenant les jeunes talents, tout en améliorant les infrastructures sportives à travers le pays. Il y a certes eu des investissements accrus avec un budget national dédié au sport qui a été augmenté, reflétant une volonté de soutenir diverses disciplines sportives. Malheureusement, la vérité du terrain est loin d’être aussi glorieuse, puisque les infrastructures sont loin d’être aux normes pour briller à l’international. La décision de renommer le stade de Motera en "stade Narendra Modi" en 2021 a suscité des critiques de la part de l’opposition politique, qui y a vu une tentative de personnalisation excessive des infrastructures publiques. : «le premier ministre indien a identifié le sport comme un instrument de soft power, autrement dit d’influence. Il a lancé en 2018 un plan stratégique intitulé "Khelo India" doté d’un budget triplé depuis 2014 visant à faire de l’Inde une puissance sportive mondiale. Les infrastructures sportives publiques, pratiquement inexistantes ou en très mauvais état, font également l’objet d’un effort d’investissement. Mais à peine 10 % sont aux normes olympiques alors que l’Inde a posé sa candidature pour accueillir les jeux en 2036», poursuit Olivier Da Lage. Certains observateurs estiment que le gouvernement Modi instrumentalise le sport pour renforcer son image nationale et internationale, ce qui peut parfois éclipser les besoins réels des athlètes et des infrastructures sportives de base. Le gouvernement de Narendra Modi utilise le sport, notamment le yoga, comme un levier de soft power.

Dès le début de son mandat, Modi a créé un ministère dédié au yoga et a œuvré pour l’établissement de la Journée internationale du yoga le 21 juin. Cette initiative vise à diffuser la culture indienne et à renforcer son influence culturelle à l’étranger. L’Inde a formalisé sa candidature pour accueillir les Jeux Olympiques de 2036, démontrant son ambition de s’affirmer sur la scène sportive internationale. Ces efforts reflètent une stratégie visant à utiliser le sport comme vecteur d’influence culturelle et diplomatique, renforçant ainsi le soft power de l’Inde sous la direction de Narendra Modi : «le stade olympique d’Ahmedabad au Gujarat (l’État qu’il a dirigé pendant plus d’une décennie) porte son nom ; en 2021, il a accueilli la 141e Session du CIO à Bombay (Mumbai), où il a vanté "le sport comme liant universel". Mais si le premier ministre, nationaliste hindou, ne néglige aucun vecteur pour se mettre en avant et vanter sa politique, il n’atteint pas le niveau des pays que vous avez cité. Le prochain objectif, qui lui tient à cœur, est que l’Inde soit choisie pour accueillir les olympiades de 2036. Le choix du pays-hôte étant au moins aussi politique que sportif, l’Inde peut nourrir des espoirs», détaille Olivier Da Lage. En somme, bien que des efforts significatifs aient été déployés pour promouvoir le sport en Inde, des défis subsistent, notamment en matière de gouvernance, d’éthique et d’inclusivité.

La suite après cette publicité

Depuis son accession au poste de Premier ministre en 2014, Narendra Modi a été l’objet de diverses critiques concernant sa gouvernance et ses politiques. Des observateurs ont mis en lumière une érosion des institutions démocratiques en Inde sous son mandat. Des accusations d’instrumentalisation de la justice et de harcèlement des opposants politiques ont été formulées. Par exemple, en 2023, des figures de l’opposition ont été arrêtées pour des critiques à l’encontre du Premier ministre, soulevant des inquiétudes quant à la liberté d’expression. Le gouvernement de Modi a été accusé de tenter de réécrire l’histoire de l’Inde pour promouvoir une vision nationaliste hindoue. Des initiatives, telles que la création d’un nouveau musée national avec l’aide de la France, ont suscité des craintes quant à une possible réinterprétation du passé indien. Malgré une croissance économique notable, l’Inde fait face à des défis tels que le chômage élevé parmi les jeunes diplômés et une classe moyenne stagnante. Certains analystes craignent que le pays ne parvienne pas à atteindre le statut de nation développée d’ici 2047, comme le souhaite Modi. Ces critiques reflètent les préoccupations de divers segments de la société indienne et de la communauté internationale concernant la direction prise par le pays sous la gouvernance de l’actuel chef du gouvernement. La montée du nationalisme hindou a exacerbé les tensions entre les communautés religieuses. Des incidents de vandalisme ciblant des lieux de culte musulmans et chrétiens ont été signalés, alimentant les préoccupations concernant la protection des minorités. Et parfois ce nationalisme hindou peut être représenté par un prisme sportif : le cricket nationaliste hindou face au football international et cosmopolite.

Le football trop peu discret

Le cricket occupe une place centrale dans la société indienne, bien au-delà d’un simple sport. Il est souvent considéré comme une véritable religion en Inde, unifiant des millions de personnes à travers les castes, les religions et les régions. Bien que le hockey sur gazon soit officiellement le sport national de l’Inde, le cricket est de loin le plus populaire. Il est pratiqué dans les rues, les écoles et les villages, et suivi avec ferveur à la télévision : «pour les Indiens, qu’ils vivent en Inde ou à l’étranger, le cricket est plus qu’un sport, c’est presque une religion. De nombreux Indiens pratiquent cependant le football, mais cette pratique, essentiellement en amateur, ne peut en rien se mesurer au cricket qui est et demeure le sport par excellence. Au point qu’après les olympiades de Pékin en 2008 où il avait obtenu une médaille d’or, frustré par le désintérêt de la presse indienne, le tireur indien Abhjinav Bindra avait publiquement suggéré que les journaux indiens changent le titre de leurs pages "sports" pour les rebaptiser pages "cricket"», raconte Olivier Da Lage. L’Inde utilise le cricket comme un outil diplomatique, notamment dans ses relations avec le Pakistan. Les rencontres entre les deux nations sont chargées d’émotions et suivies par des millions de personnes. Grâce à la Indian Premier League (IPL), le cricket indien s’impose comme une puissance économique et culturelle mondiale, attirant les meilleurs joueurs étrangers et générant des milliards de dollars. L’IPL, créée en 2008, est aujourd’hui l’une des ligues sportives les plus riches au monde, avec des contrats de diffusion s’élevant à plusieurs milliards de dollars. Les joueurs de cricket, comme Virat Kohli ou Sachin Tendulkar, sont considérés comme de véritables idoles et jouissent d’une immense influence médiatique et commerciale.

La suite après cette publicité

A contrario, le football est presque invisible. Même au sein de l’énorme diaspora indienne présente au Royaume-Uni, rares ont été les joueurs qui ont réellement explosé dans les championnats écossais, gallois, irlandais ou anglais. Une curieuse impression alors que des joueurs binationaux qui partagent des origines avec le Nigéria ou la Jamaïque ont déjà porté le maillot des Three Lions par exemple, c’est le cas de Marcus Rashford, Bukayo Saka, Dele Alli ou encore Raheem Sterling. Néanmoins, toutes les anciennes colonies ou autres pays du Commonwealth ne sont pas représentés : il n’existe presque aucune trace d’Indiens ni de Sud-Asiatiques dans le football britannique. En 146 ans de football, aucun Britannique d’origine indienne n’a joué pour l’Angleterre. En mars 2023, ils représentaient 0,45 % des 5 000 joueurs professionnels. Pourtant, l’Inde fut la plus grande colonie britannique et 59 % de la population avec des origines étrangères au Royaume-Uni est d’origine indienne, soit 6,8 % de la population anglaise. Même s’il a été annoncé que le nombre de joueurs professionnels sud-asiatiques dans le football anglais avait augmenté pour une deuxième année consécutive. Ce phénomène est observé de près depuis plusieurs années par la Football Association (FA). Une enquête menée par la Commission pour l’égalité raciale en 2004 a révélé que seulement sept footballeurs professionnels britanniques d’origine asiatique évoluaient au Royaume-Uni. La même étude a également recensé dix jeunes joueurs d’origine asiatique dans les académies de Premier League. En février 2008, ce nombre était tombé à cinq, et moins d’un jeune sur 100 dans l’ensemble des académies du système de ligue de football anglais était asiatique : «sa popularité progresse mais les meilleurs clubs locaux, comme le Chennai FC, peinent à rivaliser avec leurs homologues étrangers. La sélection nationale se classait l’an dernier au 126ème rang et dans son histoire, l’Inde n’a participé qu’à une seule coupe du monde, et cela remonte à 1950 ! Cela dit, le nombre de téléspectateurs suivant l’Indian Super League (ISL) a considérablement augmenté ces dernières années : son audience est passée de 74,7 millions en 2014 à 211 millions en 2021», se réjouit Olivier Da Lage. Dans les années 2000, Michael Chopra avait fait une croix sur la sélection indienne en espérant représenter les Three Lions - sans succès. Plus récemment Yan Dhanda, formé à Liverpool et ancien international jeune anglais, a exprimé le désir de représenter l’Inde au niveau international et possède une citoyenneté indienne d’outre-mer. Cependant, la loi indienne empêche les citoyens d’outre-mer de représenter la nation dans tout événement sportif, tandis que la double citoyenneté n’est pas non plus autorisée. Malgré cela, il a exprimé sa détermination de jouer pour les Blue Tigers, voulant emboîtant le pas d’Hamza Choudhury, joueur de Sheffield, qui a finalement opté pour la sélection du Bangladesh.

Bien que le cricket demeure le sport prédominant en Inde, le football a gagné en popularité ces dernières années. L’Indian Super League (ISL), lancée en 2013, a attiré l’attention sur le football en Inde, en accueillant des joueurs internationaux renommés et en augmentant la visibilité du sport. On peut notamment citer David Trezeguet, Nicolas Anelka, Alessandro Del Piero, Marco Materazzi, Luis García, Fredrik Ljungberg, Alessandro Nesta et Joan Capdevila. Il y a également eu des régions à forte culture footballistique comme les états du Bengale occidental, de Goa et du Kerala qui possèdent une riche tradition footballistique, avec des clubs historiques tels que Mohun Bagan et East Bengal. Lors des Jeux olympiques de Paris 2024, l’Inde a remporté un total de six médailles, se classant à la 23ᵉ place au tableau final. Des résultats qui semblent très insuffisants pour un pays aussi vaste et peuplé : «les piètres résultats de l’Inde aux JO de Paris l’an dernier ont été un choc : seulement six médailles alors que de bien plus petits pays les collectionnaient par dizaines. Non seulement les disciplines dans lesquelles l’Inde se distingue sont peu nombreuses (le tir en fait partie) mais le manque criant d’infrastructures sportives publiques élimine de toute pratique de potentiels futurs médaillés. Enfin, on y revient, les trois quarts des budgets sportifs vont au cricket. De ce point de vue, l’Inde peut nourrir quelques espoirs pour Los Angeles puisque le cricket y sera une discipline olympique», conclut Olivier Da Lage. La domination du cricket en Inde laisse peu de place aux autres disciplines comme le football, l’athlétisme ou le hockey sur gazon (qui était historiquement le sport national). Bien que le gouvernement tente de diversifier les sports avec des programmes comme Khelo India, le cricket reste de loin le sport le plus suivi et pratiqué.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité
Copié dans le presse-papier