Formation en Algérie : le Paradou, un phare dans la nuit
L'Algérie a respiré le foot depuis toujours. C'est l'histoire même de ce pays, qui a vécu des hauts et des bas. Depuis 1994, le Paradou AC existe. En 2007, l'Académie est créée pour former des jeunes talents. C'est le seul club à avoir pris, à l'époque, conscience de ce besoin de former les jeunes talents bruts du pays. Foot Mercato a essayé de comprendre les difficultés algériennes concernant la formation, l'exportation de ses joueurs. Pour cela, nous sommes revenus sur la création de l'Académie du Paradou.
L'Algérie est un pays qui respire le foot. Il convient de se rappeler de la Coupe du Monde 2014, où les Fennecs étaient à deux doigts de faire chuter l'Allemagne, future championne, ou encore de la Coupe d'Afrique des Nations remportée contre le Sénégal le 19 juillet 2019. Les plus anciens, eux, parleront de mythes fondateurs, comme la Coupe du Monde 1982 et le match de la honte entre l'Allemagne de l'Ouest (RFA) et l'Autriche au Stade El Molinón de Gijón. Mais une nation se forge aussi sur des déroutes, des déceptions. Comment apprécier les hauteurs quand on n'a pas connu les tréfonds ?
Dans certains pays, ceux qu'on appelle communément « de foot », le ballon représente bien plus qu'un sport. Si c'est le cas sur le continent africain en règle générale, cela l'est probablement encore plus en Algérie. D'origines algériennes, Bilal Achour-Tani, cofondateur du Club des 5, nous a expliqué l'histoire d'amour entre le peuple algérien et le football.
Le roman national
« Le foot se vit depuis la naissance, il est raconté, il est au centre des foyers, des familles. Le football en Algérie fait partie intégrante de la création de ce pays. Les joueurs de l'équipe de France avaient déserté les Bleus en 1958 pour créer la première équipe nationale algérienne. Ils ont fait la promotion d'une équipe qui n'existait pas, qui était l'équipe du FLN (Front de libération nationale, ndlr) puis qui est devenue l'équipe nationale. Ils ont fait le tour du monde pour promouvoir la question de l'indépendance. Le football et l'Algérie, ça va de pair depuis l'indépendance. C'est raconté partout, ça a une importance qui est fondamentale », nous explique-t-il.
Nabil Djellit, journaliste chez France Football et Europe 1 notamment, rappelle lui les heures sombres du pays : « il ne faut pas oublier que dans les années 90 jusqu'aux années 2000, c'est un pays qui a vécu des choses très difficiles, un pays qui a été frappé très lourdement par le terrorisme. Ils avaient d'autres chats à fouetter que le football et la formation. Le niveau du pays a régressé, dans autre chose que le football. Ils ont aussi régressé en handball, où ils étaient très forts ».
Une exportation de joueurs compliquée
Nécessairement, avec tous les problèmes liés à l'instabilité du pays, les joueurs avaient du mal à quitter leurs clubs, quand ces derniers étaient encore en activité. La période sombre est bien relatée par l'une des figures du Club des 5 : « l'exportation, ça s'explique par les périodes d'instabilités du pays. Les joueurs algériens s'exportaient entre 60 et 80 avec Mustapha Dahleb et Rachid Mekhloufi, qui ont fait la gloire de clubs français. Cette passerelle a disparu parce que l'Algérie a connu une période de dix ans de terrorisme, la décennie noire. L'Algérie était sous embargo, les relations étaient donc coupées ».
Avec cette période plus que troublée, les relations diplomatiques étaient donc coupées, le football plus au centre des préoccupations entre 1990 et le milieu des années 2000, c'est une véritable descente aux enfers pour le pays. Certains éléments parviennent à arriver en Europe, mais la masse se perd, le talent s'éparpille. Ces raisons, en revanche, ne sont pas les seules qui expliquent le déficit d'exportation. La formation était aussi un problème.
Dualité de philosophie
L'histoire des clubs du championnat algérien explique en partie cette absence de volonté de formation. Il existait ainsi deux façons de voir les choses : l'investissement sur le long terme et la volonté de gagner tout de suite. « Les grands clubs étaient adossés à des entreprises étatiques, comme dans les ex-pays soviétiques. Dans les années 90, les clubs ont été récupérés par des hommes d'affaires. Leurs objectifs, c'était de gagner. Ils ont délaissé la formation alors qu'avant il y avait une stratégie globale. Il y avait même eu une réforme en 1977, qui a produit ensuite une grande équipe dans les années 80. Les clubs ont été récupérés par des hommes d'affaires dont le but était de gagner tout de suite quitte à surpayer des joueurs moyens », explique Nabil Djellit.
Même son de cloche chez Bilal Achour-Tani : « l'Algérie partait du niveau zéro, les moyens pour les jeunes étaient inexistants. La plupart des investissements étaient vers des joueurs vedettes qui n'avaient pas un rendement exceptionnel. Les clubs algériens ont manqué de projets de formation. Les talents bruts qu'on avait, soit mettaient énormément de temps, soit devaient partir à l'étranger. Le championnat de l'époque est très confidentiel. Les joueurs comme Slimani ou Belamri, qu'on découvre en Ligue 1, font partie de cette génération sacrifiée. Des joueurs qui n'ont pas eu de cadre pour l'expression de leur talent. Pour Slimani, Soudani, ils ont eu la chance de prendre le train de l'équipe nationale pour exploser et bénéficier d'un cadre de travail stable et intéressant, ils sont miraculés. Dans les années 2000 il y a eu beaucoup de joueurs de talents qui ont émergé, mais qui n'ont pas fait carrière parce que le talent brut était là, mais leur formation inexistante. Le marché algérien n'avait pas le vent en poupe non plus ».
La création du Paradou AC
Sauf qu'à un moment donné, un homme s'est dit, lui, qu'il allait tenter l'aventure formation. Tout n'a pas été rose, au début. En 1994, c'est dans la petite ville d'Hydra, sur les hauteurs d'Alger, que commence à s'écrire l'histoire. Le Paradou est un quartier de cette commune, où les nouveaux riches se sont installés, c'est aussi dans cette ville où se trouvent les ambassades. La différence, c'est que tous les clubs algériens ont un vécu, une histoire. Le Mouloudia d'Alger, créé en 1921, est le premier club, à connotation musulmane, qui amène une contestation dans le sport. L'USM Alger dans les années 40 a une part dans la bataille d'Alger. Chaque club a une part d'histoire et le Paradou, est un club jeune, qui n'a pas de base populaire.
Kheïreddine Zetchi, un homme d'affaires qui vient de l'est du pays, est issu d'une famille bourgeoise ayant fait fortune dans la faïencerie et le bâtiment notamment. Lui a fait ses études en Suisse où il a joué à un niveau universitaire. « À chaque retour en Algérie, il allait jouer au foot avec ses amis. En 1994 avec ses amis et son frère, Hassan, il décide de créer un club. C'était un petit club entre eux, histoire de jouer le week-end », nous raconte Mohamed Brahdji, auteur d'un documentaire à paraître sur l'Académie du Paradou et journaliste à DZ Foot.
La faïencerie autour du projet
Kheïreddine Zetchi reprend alors les affaires familiales et connaît un grand succès dans la faïencerie. Le club monte alors les échelons et débarque en 2005 en première division algérienne. C'est alors que les erreurs expliquées un peu plus tôt dans cet article vont aussi être commises. Le patron du club décide donc de miser sur des joueurs connus localement. Sauf que Zetchi, lui, utilise l'argent familial et ne dispose pas, comme d'autres écuries, de fonds sans limite. L'équipe alors construite est sympathique, mais sans réelle structuration logique.
Manque de chance, l'équipe redescend. La réflexion mûrit alors chez le grand patron. Il se dit qu'il ne peut pas rivaliser ainsi avec les gros clubs. Par son travail dans la faïencerie, il va être amené à voyager en Espagne, dans la région de Valence notamment. À force de se rendre là-bas, il va regarder un peu comment se passe le football. Et rencontrer des personnes travaillant à Villarreal. La révélation arrive. Mohamed Brahdji raconte : « il se dit alors : "moi, je ne peux pas rivaliser avec les gros clubs d'un point de vue financier, donc je vais créer un centre de formation. Il n'y a pas de base populaire où je suis, je n'ai pas de pression de supporter, je n'ai pas d'impact médiatique par rapport aux résultats et j'ai le temps de voir venir". C'est cette réflexion précise qui va l'amener à investir dans le centre de formation ».
À ce moment-là, il regarde ce qui se fait en Afrique, du côté de l'ASSEC Abidjan. Il entend alors parler d'un homme, Jean-Marc Guillou, qui est ouvert à des opportunités, puisque son aventure à l'ASSEC Abidjan s'est terminée. C'est ainsi que les deux hommes vont se rencontrer et se mettre d'accord pour un partenariat (sur un contrat de sept années au départ) afin d'ouvrir l'Académie JMG Paradou, qui va ouvrir en 2007.
Les débuts de JMG au Paradou
Au départ, il n'existe rien. L'Académie dispose d'une villa pour dormir et le stade d'Hydra où joue l'équipe du Paradou pour s'entraîner. C'est alors que va commencer le travail. Tout le circuit de détection est fait par JMG, qui est ouvert à travailler avec des locaux. Un jour, Olivier Guillou, le neveu de Jean-Marc et directeur de l'Académie, décédé depuis, tombe sur Djamel Aïch, qui est éducateur à Constantine. JMG se déplace alors dans toutes les régions de l'Algérie pour faire des plateaux de détection.
Entre temps, Djamel Aïch a donné son accord pour rejoindre les éducateurs de l'Académie, mais à une condition : apporter deux joueurs, qui évoluent du côté de Constantine, avec lui. Le premier est Zakaria Messibah, qui joue toujours à l'Athletic Club de Paradou, et un autre désormais connu mondialement, qui évolue en Allemagne : Ramy Bensebaini. Le recrutement se fait alors autour d'une quinzaine de joueurs, nés en 1994 et en 1995, et l'aventure est lancée.
La première génération
Olivier Rousset, ancien directeur de l'Académie (2012-2016), aujourd'hui au Viêt Nam, nous raconte cette première génération : « la première promotion des joueurs nés en 94, ils ont 18 ans, trois partent au Paris FC avec Olivier Guillou, qui est recruté là-bas. Il y en a quelques-uns qui montent en équipe première. Ils jouent alors en 3e division, c'est dur. C'est un autre sport, trop d'engagement. Les coaches ne sont pas en phase avec l'Académie. Les premières générations, c'est difficile ».
Une version confirmée par Mohamed Brahdji : « le club tombe alors en troisième division et ils se demandent si ce n'est pas le moment de lancer les jeunes. Ramy Bensebaini va jouer en troisième division par exemple ! Ce sont des bouchers ! Tu veux bien jouer, en face, tu as des bouchers, un arbitrage plus que limite aussi. Il y a une saison d'apprentissage où ils sont un peu dans le dur et ils vont faire une remontée fantastique et enchaîner les montées en étant champion en D3, deux saisons en D2, puis champion et ils montent en D1 avec l'Académie ».
Une méthode de travail très particulière
Lorsque Jean-Marc Guillou ouvre l'Académie en 2007, il n'y a pas de structure ni de concurrence réelle au niveau de la formation. La création de l'Académie est un réel évènement et c'est suivi d'un peu partout. Mais c'est surtout parce que les méthodes sont extrêmement particulières. Au départ, les équipes jouent sans gardien et pieds nus. Ils apprennent dès 12 ans à faire leurs gammes techniquement. Ils jouent en général contre des joueurs de trois ou quatre ans plus âgés et ils les battent à chaque fois. Le Mouloudia d'Alger, le CRB et l'USMA s'en rappellent encore. Médiatiquement, ça fait le tour du monde et en plus, ça coïncide avec la qualification de l'Algérie à la Coupe du Monde 2010. Le petit stade d'Hydra se remplit, des milliers de personnes se massent dans le stade pour voir l'avenir du football algérien, des jeunes joueurs des catégories des moins de 13 ans.
Olivier Rousset nous explique : « on commence les championnats avec le groupe JMG quand les joueurs sont prêts à jouer au foot à 11. Donc le U13 et le U15, on ne le fait pas. On commence avec les U17, ça peut être des U15 ou U16 en avance physiquement. Les petits U19 au Viêt Nam, mais comme on ne triche pas sur l'âge, on va se retrouver avec des joueurs plus vieux. Pour le développement du joueur, ce n’est pas adapté. On a des petits talentueux qui ne sont pas prêts à jouer. À JMG, tu les fais monter ensemble et quand ils sont prêts à jouer au foot à 11, ils commencent. On a commencé comme ça. La deuxième année on a participé au championnat U20 ».
Une structure étonnante
Mais l'Académie n'est pas le centre de formation du Paradou AC directement. En effet, le club possède aussi ses équipes de jeunes. « Au Paradou, il y a aussi les équipes du club. L'Académie est en dehors. Il fallait s'accorder avec le club puisqu'ils avaient aussi leurs équipes. Souvent, il y a des joueurs du club qu'on récupérait. Grâce à l'Académie, ils avaient beaucoup de joueurs qui allaient au club dans l'espoir de rejoindre l'Académie », détaille Olivier Rousset.
Ce qui va finalement s'opérer, c'est que JMG va s'ouvrir et créer des passerelles entre sa structure et les équipes de jeunes. C'est ainsi que des éléments comme Farid El-Melaïli, Hamza Mouali ou Tayeb Meziani sont venus grossir les rangs de l'Académie en provenance directement du club. Ce phénomène se retrouve surtout sur la deuxième génération.
Des tentatives de ventes
En 2012-2013, un bruit court. Quatre jeunes, dont Ramy Bensebaini, ont été faire des essais en Europe (Villarreal, Porto). Ils sont tous concluants, mais Kheïreddine Zetchi devient gourmand et les transferts ne se font pas. En 2014-2015, Bensebaini va faire des essais à Arsenal, la presse algérienne s'en empare directement.
Les essais n'aboutissent pas, il existe un problème financier, mais ça reste assez flou comme nous l'explique Mohamed Brahdji. Abou Nef, lui, part faire des essais du côté de l'Olympique Lyonnais. Une nouvelle fois, ceux-ci s'avèrent concluants, on peut même encore retrouver une vidéo où le jeune Algérien fait des centres à l'attention de Bafétimbi Gomis.
Drame à l'Académie
Le pire arrive. Pour Abdou Nef, les clubs s'entendent. Le joueur revient sur Alger pour prendre ses affaires et dire au revoir à ses coéquipiers. Alors que la voiture qui le transporte roule sur la bande d'arrêt d'urgence, un camion vient la frapper de plein fouet. Dans la soirée qui suit l'accident, Abou Nef décède. L'Académie s'arrête alors un peu de jouer, certains pensent même à tout arrêter.
Olivier Rousset, lui, se souvient. « C'était dur. C'était un joueur né en 95, un super joueur. Il était en train de signer à Lyon, il y a eu cet accident. Cela a mis un coup. L'Académie, le modèle, c'est des groupes restreints. Ça me manque, on a beaucoup de joueurs ici (au Viêt Nam, ndlr). Au Paradou c'était la famille. Abdou, il a 17 ou 18 ans, il attendait pour partir. Ça faisait cinq-six ans qu'il était à l'Académie, ils étaient tous comme des frères. C'était un drame terrible », nous raconte-t-il. Finalement, le jeu reprend ses droits, avec des jeunes hommes très touchés.
La fierté Hichem Boudaoui
En 2019, sur la Côte d'Azur, nous avons pu observer débarquer un jeune Algérien en provenance du Paradou AC. Son nom ? Hichem Boudaoui. C'est l'une des très belles histoires du club et, surtout, le plus gros transfert de l'histoire de l'Algérie (4 M€). À la fin de l'année 2017, les jeunes du Paradou ont deux rencontres importantes. Ils jouent, à quelques heures d'écart, une rencontre de Coupe d'Algérie et un match important en championnat contre l'USMA. Olivier Rousset décide donc, avec l'entraîneur Kamel Gharbi, de faire jouer les meilleurs en Coupe et de prendre les plus jeunes pour la rencontre de championnat. C'est alors qu'Hichem Boudaoui sort du chapeau.
« L'USMA jouait avec des vrais U17 et nous des U16. Ce jour-là on met Hichem devant la défense avec un joueur qui était né en 97 pour qu'il l'encadre. On bout de cinq minutes, Hichem a encadré tout le monde : il replaçait ses coéquipiers, prenait ses responsabilités. C'était incroyable. Les mecs de l'USMA, à l'échauffement, ils ont vu ce petit black, tout frêle. Au bout de quinze minutes, tout le monde parlait de lui, c'était le boss. Quand tu vois ça, sur le point de vue technique, tu sais que c'est un joueur qui va réussir », explique le directeur de l'Académie de l'époque.
Pourtant, au départ, ce n'était pas gagné pour Boudaoui tant il était différent. « Hichem, c'est un enfant du sud de l'Algérie. C'est tout le contraire des Algériens en fait. Dans le sud, ils ne sont pas excités (rires), ils sont sages. L'image des gens du désert. Hichem, il a du mal au début parce qu'il est très réservé. Il a fallu être patient et lui donner le temps. Ce sont de belles expériences. En Algérie, selon les régions, les gens sont très différents. Je suis un menteur si je te dis qu'à 19 ans, il allait gagner la CAN et jouer à Nice, mais il était différent », poursuit Olivier Rousset.
Un peuple travailleur et talentueux
Nabil Djellit, fidèle défenseur des joueurs algériens, résume ainsi : « globalement, l'Algérie c'est un peu comme le Brésil. Du talent, il y en a partout, ça ne suffit pas. Il faut structurer et former les gamins, avoir un logiciel de jeu, une DTN forte. Il faut mettre des moyens. Cela a été sacrifié pour des clubs qui sont d'un niveau moyen avec des joueurs surpayés. Ils ont commencé à venir chercher des joueurs ici, en France, en CFA ou en National, qui étaient en échec. Tactiquement, ils étaient meilleurs que des joueurs de Ligue 1 ici. C'est ça le grand problème du foot algérien : tactique et physique. Techniquement, il n'y a aucun problème. Ils sont aussi bons, voire meilleurs que la plupart des gamins, ailleurs. Après, il manque tout le reste et l'hygiène de vie. Ce sont souvent des gamins qui viennent de milieu de modeste, qui gagnent beaucoup d'argent très vite. C'est un peu comme en France, mais à une tout autre échelle ».
Pierrick le Bert, lui, est arrivé après Olivier Rousset à la tête de l'Académie. « Ici, ce qu’il faut savoir, ce n'est pas mal, mais les Algériens, en grande majeure partie, ont un manque de rigueur. Ici, les joueurs, c'est du talent brut. Il leur manquait un cadre, le cadre de travail, de respect. Comment pouvoir être ambitieux et avancer dans un collectif. Le foot algérien de l'époque est individualiste. Tous les clubs maintenant travaillent autrement, comme en Europe. Le niveau s'élève. Il y a de plus en plus de concurrence, ce qui est nouveau », lâche l'ancien formateur du FC Lorient, où il est resté 13 années.
Pour Olivier Rousset, cela s'explique facilement : « dans le système, ils rentrent à 12-13 ans, tu essaies de ne recruter que des joueurs talentueux. Contrairement à ce qu'on pense, ils ne manquent pas de discipline. Pourquoi dit-on qu'ils manquent de discipline ? Parce qu'il n'y a pas de système de formation. Mais les jeunes Algériens sont comme tout le monde ! Si tu les mets dans un système avec une certaine rigueur et des choses précises ils se mettent dedans, ce sont des gros travailleurs. Ils viennent souvent de familles peu aisées, donc ils ont envie de réussir et pas seulement en Algérie, en Europe aussi. Ils ont une ambition, tu n'as pas besoin de les pousser chaque jour ».
Des histoires incroyables
Nécessairement, cette envie de réussir et ce côté travailleur expliquent beaucoup de belles histoires. Au tout début des périodes de détection, Raouf Benguit, aujourd'hui à l'Espérance de Tunis, passait son test chez lui, à Laghouat. Il était totalement passé à côté. Il a appris ensuite que des détections avaient lieu trois jours plus tard à Constantine. Il a donc demandé à son frère de prendre la voiture, d'effectuer entre 600 et 700 kilomètres pour faire le plateau et finalement être pris.
Youcef Atal, qui joue avec Hichem Boudaoui à Nice, a connu aussi une expérience particulière. Bien loin de ce que faisait l'Académie. Alors que le club est en deuxième division, Olivier Rousset accompagne les moins de 19 ans qui vont affronter la JS Kabylie. Lors de cette rencontre, ils découvrent un ailier qui court partout, qui joue partout. Youcef Atal a alors 16-17 ans et son père fait le forcing pour qu'il soit pris à l'Académie, alors que ce n'est pas la méthode et, finalement, après le match retour, Atal fait des essais avec l'Académie et finit par être pris. Cela explique aussi son côté virevoltant, puisqu'il n'a pas complètement été formé dans le moule de l'Académie.
Des hommes qui comptent
La réussite de l'Académie, c'est avant tout celle d'hommes qui ont tout donné. Le premier, le président fondateur Kheïreddine Zetchi. « Le président Zetchi, c'est un amoureux du foot et, surtout, de la formation. Il aime le beau jeu, mais il veut former des joueurs. C'est un gars qui a tenu le club à bout de bras pendant des années. Avec les transferts, il n'a plus besoin d'injecter de l'argent. Il va encore améliorer l'Académie. Il a des sociétés et il est président de la fédération. Quand il partira, il reviendra au club. C'est par passion et pas par ambition de gagner de l'argent. C'est un vrai passionné, il peut aller voir les matches chaque semaine. Il est sur tous les terrains. Il peut être à un entraînement, un match U11 ou U9. Pas une semaine ne passait sans qu'il vienne », explique Olivier Rousset, qui, lui, veut aussi mettre la lumière sur Djamel Aïch.
« Il y a un coach dont on ne parle jamais c'est Djamel Aïch, l'historique, il est là depuis le début. Il a ramené Bensebaini, puisqu'ils l'avaient à Constantine. C'est le gars le plus important de l'Académie. Il est arrivé en 2007, il a tout donné à l'Académie. Quand ils ont cherché un assistant pour Olivier, ils le prennent. Il est resté toutes les années. Djamel dort à l'Académie, sa famille vit à Constantine, tu imagines le sacrifice. Il est parfait sur les premières années. Sur les plus jeunes, c'est un vrai éducateur. Quand il voit des lacunes, il peut te le prendre à 6h du matin ou à 9h du soir pour l'aider à progresser. Il est au service des jeunes, sa chambre est toujours ouverte. C'est l’élément clé de l'Académie avec l'intendant Omar, qui est là depuis le début. Ce sont des gars qui ont donné leur vie à l'Académie. Ça fait quinze ans que ça dure et on ne les cite pas assez. Eux ne cherchent pas la lumière, mais ils ont fait un travail incroyable », s'émeut-il. Mais finalement, quel est l'esprit de l'Académie ?
Un projet socio-éducatif aussi
Pierrick le Bert, actuellement au club, a tenu à nous expliquer quelle était son idée : « mon projet à l'Académie, ce n'est pas que le foot. Il y a un projet éducatif et scolaire. Je fais pareil qu'à Lorient où j'ai été treize ans. J'ai mis en place le même fonctionnement. On a une structure exceptionnelle avec de l'administratif, du terrain, mais du scolaire aussi. Ils ont tout aménagé. Je cale mon planning d'entraînement en fonction de la scolarité. C'est un fonctionnement comme en France », commence-t-il à expliquer avant de poursuivre plus en détail.
« Mon modèle éducatif est simple : on a créé un règlement intérieur. Ils doivent s'y plier et dès lors qu'il sort de ce schéma, il est sanctionné. Au départ, j'avais du mal parce qu'ils n’avaient pas l'habitude, l'Algérie est assez fière ! Mais il y a des règles, il y a des choses... il ne faut pas aller trop loin. Ça fait partie de leur formation, des clés pour les faire avancer, grandir au fil des mois et des années. C'est leur donner des billes de la vie en communauté, un cadre collectif aussi. J'ai été éduqué comme ça et façonné comme ça avec Christian Gourcuff. Je suis sur les mêmes principes. Au niveau de la scolarité, ça a tout changé. Quand je suis arrivé, c'était la catastrophe. Ils n'allaient pas en cours et personne ne disait rien. Il n'y avait aucun bachelier, aujourd'hui, on en a 8-10 par an ! Ça ne bossait pas. Il fallait leur faire comprendre l'intérêt d'avoir une certification. Surtout dans un pays comme l'Algérie où il y a deux niveaux de classe : une assez aisée, l'autre très pauvre. Si vous devez rentrer dans le milieu du travail, il faut avoir une certification, c'est important, c'est ça qu'il fallait leur dire. On est fier de ce qu'on a mis en place. Il n'y a pas que de la réussite. Il faut aussi des échecs parce que ça fait partie du cursus de formation. L'échec doit leur permettre d'avancer plus vite. Je suis très exigeant à ce niveau-là. Il ne doit pas y avoir que de la réussite, sinon c'est trop facile. Sur une passe, par exemple, j'ai beaucoup d'exigence parce qu'une passe peut changer le fil d'un match, mais il faut leur faire comprendre », développe l'actuel directeur de l'Académie. Même son de cloche du côté d'Olivier Rousset : « depuis toutes ces années, on a essayé de former des bons joueurs. Des beaux joueurs aussi, que tu as envie de voir jouer. C'était l'esprit de tout le monde, on voulait ça, la culture du beau joueur et du beau jeu. C'est quelque chose d'important pour définir l'Académie ».
Pourquoi ne s'exportent-ils pas plus ?
Finalement, le Paradou est donc un modèle de réussite, un modèle même envié sur le continent. Toutefois, peu de joueurs accèdent encore à l'Europe. « Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve qu'il n'y a pas assez de joueurs qui partent en Europe. Je ne maîtrise pas tout, mais est-ce que les gens qui travaillent sur les transferts ne sont pas assez bons ? Je ne sais pas. Les gens qui travaillent sur l'Académie JMG au Mali, c'est énorme le nombre de joueurs qui partent en Europe alors qu'ils ne sont pas meilleurs qu'au Paradou. Les clubs maintenant adorent récupérer des joueurs à 18 ans pour faire de la post-formation. Au Paradou, comme ils jouent en équipe première, la post-formation se fait là bas », raconte Olivier Rousset.
Mêmes idées chez Nabil Djellit : « la différence entre l'Algérie et les pays d'Afrique Subsaharienne, c'est que les Algériens ont un championnat un minimum compétitif. Leurs joueurs ne sont pas vendus à 15-16 ans. Au Mali, par exemple, les jeunes viennent en Académie et partent en Europe pour faire de la post-formation. En Algérie, ils suivent un cursus normal et ils jouent dans le championnat, qui est du niveau du National. Certains joueurs ont des niveaux potentiel Ligue 1 voire plus. Il y a des questions de réseaux, le scouting n'est pas très développé, il y a l'image des joueurs, parfois pas très positive. Il y a des talents quand même. C'est une question de structuration. La fédération essaye de pousser, mais ça dépend des gars à la tête du club. Mais ils n'ont pas de vision. Quand un gamin flambe un peu, ils pensent à l'argent alors que le gamin n'est pas prêt pour évoluer au haut niveau en Europe ».
Mais ce n'est pas tout. La difficulté existe aussi pour faire venir les recruteurs. Contrairement au Maroc ou à la Tunisie, l'Algérie demande un visa pour accueillir du monde. Avec les journées fréquemment reportées, ça complique les choses et cela devient plus contraignant. Certains recruteurs et agents nous ont confié préférer aller regarder dans d'autres pays, où les conditions de débarquement étaient moins contraignantes, Olivier Rousset nous l'a confirmé : « ils vont en Tunisie et au Qatar parce que c'est facile. Il y a un problème en Algérie. Quand les recruteurs, agents ou autres veulent venir, ils ont besoin d'un visa. Le championnat algérien, parfois, tu as des journées reportées. Les recruteurs sont lassés, ils préfèrent aller en Tunisie, c'était mieux organisé à l'époque. C'est pour ça qu'il n’y a pas beaucoup de joueurs qui partent en Europe. C'est plus difficile de voyager en Algérie qu'en Tunisie ou au Maroc. C'est ça qui bloque aussi et qui fait que les joueurs algériens sont moins regardés ».
Du beau monde arrive
Pierrick le Bert, lui sait que le modèle est bon et que certains sont sur le point d'éclore : « en Algérie, le Paradou, c'est un club que tout le monde ambitionne d'être avec les infrastructures notamment. On a à disposition tout pour mettre les jeunes dans les bonnes conditions. On est le seul modèle en Algérie. On a des résultats probants parce qu'on travaille. On a un projet de jeu précis, des axes de travail qui sont propres au Paradou. On travaille dans la qualité plus que dans la quantité ». Par conséquent, doit-on s'attendre à des pépites ? C'est ce que sait Olivier Rousset.
« La génération 2000-2001, ils vont sortir, ils jouent en équipe première. Adem Zorgane, tout le monde parle de lui ! C'est la grande classe depuis petit. C'est le fils d'un ancien grand joueur. Contrairement à Hichem, il était en avance sur tout. Il comprenait tout. Il partira en Europe. S'il n’y avait pas eu la COVID, il serait déjà parti. Il y a aussi le petit Abdelhak Kadri, il est exceptionnel, un petit Iniesta ! Est-ce que les clubs européens vont être intéressés ? Je ne sais pas, peut-être en Espagne. Je vois jouer le petit Pedri au Barça, c'est ce type de joueurs, une pépite ! J'ai l'impression qu'ils doivent jouer en sélection pour partir... Je les connais jusqu'aux 2001. Il y a des supers joueurs. Je les vois jouer de temps en temps, c'est très bon, mais faut qu'ils partent. Kadri, s'il était en Espagne, il jouerait déjà en Liga », confie-t-il depuis le Viêt Nam alors que le partenariat entre JMG et le Paradou AC s'est arrêté en 2017.
Une chose est certaine, le Paradou depuis 13 ans maintenant forme les futurs grands talents d'Algérie. Jean- Marc Guillou, en 2008, annonçait à DZ foot : « je peux vous dire que 70 pour cent des joueurs que vous voyez devant vous constitueront l'ossature de l'équipe nationale dans dix ans au plus ». Douze ans plus tard, le compte n'y est pas encore, mais les Fennecs savent qu'ils peuvent compter sur le club. Des hommes forts, une histoire sensationnelle et nouvelle, un projet, tout ce qui manquait réellement aux clubs algériens pour bâtir sur le long terme. Il y a eu des hauts et des bas, des choses fantastiques, des drames, mais c'est ce qui fait aujourd'hui la fierté de l'Algérie. Le Paradou a même emmené dans son sillage d'autres clubs dans son aventure. Des clubs qui commencent à se structurer, à comprendre que la formation est l'avenir de son football et que son salut passe par là.
À retrouver : Formation en Argentine : c'est quoi le problème ?
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