Droits TV : DAZN ne fait pas non plus l’unanimité en Italie

Par Valentin Feuillette
12 min.
DAZN ITALIA @Maxppp

Avant que DAZN ne représente un long débat houleux dans le football français, l’Italie était déjà confrontée à de multiples problèmes avec la plate-forme anglaise. Toujours diffuseur du championnat italien jusqu’en 2029, la gronde populaire se fait aussi ressentir chez nos amis transalpins.

La Serie A n’a toujours pas trouvé de diffuseur en France alors même que 40 joueurs français y évoluent et près de 4 millions de Français sont d’origine italienne. Le sujet n’a d’ailleurs même pas été abordé lors de la dernière assemblée de la Lega Serie A, tant le dossier semble loin d’être avancé. Néanmoins, comme en France avec sa Ligue 1, l’Italie se déchire également sur ses droits TV où le diffuseur principal est DAZN. Le patron de la Serie A, Luigi De Servio, revenait sur ce mariage dans les colonnes de nos confrères de L’Equipe en décembre 2023 : «Nos relations avec la plateforme sont excellentes. Pour toujours améliorer la diffusion et créer surtout des contenus éditoriaux adaptés aux attentes de nos supporters. Pour l’instant, elle compte environ 2 millions d’abonnés. Nous avons demandé à notre conseiller financier, la banque Lazard, de vérifier la fiabilité financière des attributaires. Les garanties requises seront conformes aux normes du marché. De plus, DAZN se rapproche du point d’équilibre opérationnel après des années d’investissements soutenus dans le monde entier pour lancer son offre sportive». Néanmoins, la vérité semble avoir quelque peu changé ces derniers mois et malgré un accord prolongé, la cote de popularité de DAZN en Italie s’effondre. Le lanceur d’alerte italien, Fabrizio Corona, avait même largué une bombe dans son podcast, qui a ensuite été démentie : DAZN serait au bord de la faillite. L’entreprise l’a nié et la nouvelle semble peu probable, mais il est clair que l’entreprise est confrontée à une petite crise et tente de revoir la structure pour gérer les coûts.

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La première journée de la Serie A 2024/25 s’est terminée avec près de 4 millions de téléspectateurs sur DAZN, entre les matchs simples et la Zone DAZN. Il s’agit d’une légère baisse par rapport à la première série de la saison dernière, où les téléspectateurs étaient autour de 4,2 millions, mais ce chiffre est en augmentation par rapport aux 3,7 millions de téléspectateurs de 2022/23, la première saison au cours de laquelle les audiences ont été gérées et certifiées par Auditel avec la plateforme Total Audience. Le début encore plus précoce de la Serie A, qui a débuté dans la semaine d’août et avec de nombreux fans occupés pendant les vacances d’été, a également influencé les données du premier jour de cette année. Par ailleurs, le marché des transferts sans secousses majeures - et encore ouvert jusqu’à la fin du mois, date à laquelle les effectifs seront certainement plus complets - ne marque certainement pas un point en faveur des audiences. Le match le plus suivi a été celui de la Juventus de Thiago Motta, l’équipe qui a le plus suscité la curiosité des tifosi avec près de 950 000 spectateurs (le match a également été le plus suivi parmi ceux du premier tour de la Serie A 2022/23). Viennent ensuite l’Inter, champion d’Italie, avec près de 700 000 spectateurs, et l’AC Milan avec plus de 460 000 (le match a été diffusé en co-exclusivité avec Sky).

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Un contrat juteux jusqu’en 2029

La plateforme de streaming sportif DAZN restera le principal diffuseur de la Sere A jusqu’en 2029 dans le cadre d’un accord global d’une valeur de 4,5 milliards d’euros, a annoncé la Lega en mars dernier. Selon les grandes lignes de cet accord validé par 17 des vingt clubs de l’élite au cours d’une grande assemblée générale de la Ligue, la chaîne DAZN, principal diffuseur de la Serie A en Italie depuis 2021, prévoit de débourser 700 millions d’euros par an entre 2024 et 2029. La plateforme assoit ainsi sa domination sur le marché en retransmettant pour chaque journée de championnat les dix matches au programme (sept en exclusivité et trois autres co-diffusés par Sky Sport). Le patron de la ligue italienne, Luigi De Servio, s’était même réjoui de ce mariage prolongé avec DAZN : «L’accord prévoit un partage des revenus de 50% au-dessus de 750 millions du chiffre d’affaires de DAZN. Le choix projette donc des chiffres, entre coûts techniques et revenus, supérieurs à un milliard en moyenne sur cinq ans, sans aucun risque. Nous aurons les mêmes techniques du tournage que la Premier League anglaise. Nous serons à la hauteur et nous recevons des félicitations constantes de tout le monde et cela s’est avéré être la solution la plus ambitieuse en termes d’objectifs économiques, car nous partons d’un résultat de base de 900 millions par an, mais nous avons la possibilité de dépasser le chiffre d’affaires des trois années précédentes». Mais les problèmes économiques du football italien restent néanmoins un sujet capital comme tant d’autres. Stades vétustes, investissements bloqués, risque de perdre la co-organisation de l’Euro 2032… L’Italie doit s’activer pour répondre à toutes les demandes émises par l’UEFA pour l’accueil de cette édition. La Fédération italienne se retrouve, malgré elle, victime d’un jeu entre les villes, les clubs et le gouvernement de Giorgia Meloni comme nous vous l’expliquions ici.

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L’appauvrissement économique de l’Italie, qui est passée de la cinquième puissance économique au début des années 90 à la huitième place aujourd’hui, n’arrange pas la situation globale. La Serie A peine, de surcroît, à attirer des investisseurs étrangers - même si les Américains tendent à regarder le Calcio d’un bon œil grâce à la riche histoire italo-américaine avec une quinzaine d’équipes italiennes sous pavillon étasunien. Si l’Italie a toujours été attachée à ses valeurs footballistiques, à son style de jeu iconique ainsi que son romantisme des derbys régionaux historiques, cette philosophie semble aujourd’hui trop dépassée pour le modernisme d’un football toujours plus centré sur l’économie, le marketing et la communication. Les débats pour la construction de nouveaux stades continuent de faire rage de l’autre côté du Mont Blanc. Entre 2007 et 2022, un total de 187 nouvelles enceintes ont été construites en Europe avec un investissement de 21,7 milliards d’euros. En Italie, il n’y en a que cinq stades flambant neufs (Juventus, Udinese, Frosinone, Albinoleffe et Südtirol), ne représentant qu’un petit pourcent des investissements européens. La moyenne d’âge des stades italiens varie entre 62 et 64 ans pour la Serie A et la Serie B. À date d’avril 2024, absolument rien n’est avancé pour accueillir l’Euro 2032. Pire encore, un seul stade dans toute l’Italie, respectant les normes de l’UEFA, serait prêt à accueillir un Championnat d’Europe si la compétition venait à démarrer demain : celui de la Juventus. Pour le reste, aucune enceinte du pays n’entre officiellement dans les paramètres.

Plusieurs abonnements et une offre large

Alors qu’en France les prix font scandale avec seulement deux propositions : SUPER SPORTS (mensuel : 19,99 €/mois, annuel : 164,99 € pour 12 mois, annuel par mensualités : 14,99 €/mois) pour un seul match de Ligue 1 sur un seul écran ou alors UNLIMITED (mensuel : 39,99 €/mois, annuel : 329,99 € pour 12 mois, annuel par mensualités : 29,99 €/mois), l’Italie offre néanmoins plusieurs packages attractifs et intéressants. À ce jour, la Serie A reste la ligue nationale qui coûte le moins cher en comparaison aux autres grandes ligues européennes :

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  • DAZN Start (mensuel : 14,99 €/mois, annuel : 99,00 € pour 12 mois, annuel par mensualités : 11,99 €/mois) pour toute la Serie A, la Serie B et les autres sports (volley, basket dont l’Euroleague, tennis dont deux Grand Chelem, UFC, boxe, ski, cyclisme dont le Giro et le Tour de France) sur 4 écrans dont deux simultanément.
  • DAZN Goal Pass (mensuel : 19,99 €/mois, annuel : 129,00 € pour 12 mois, annuel par mensualités : 13,99 €/mois) pour les trois matchs de Serie A co-diffusés avec la Sky ainsi que les rencontres de Liga, de la Liga Portugal et de l’UEFA Women’s Champions League sur 4 écrans dont deux simultanément.
  • DAZN Standard (mensuel : 44,99 €/mois, annuel : 359,00 € pour 12 mois, annuel par mensualités : 34,99 €/mois) pour toute la Serie A, la Serie B et les autres sports ainsi que les rencontres de Liga, de la Liga Portugal et de l’UEFA Women’s Champions League sur 6 écrans.
  • DAZN Plus (mensuel : 69,99 €/mois, annuel : 599,00 € pour 12 mois, annuel par mensualités : 59,99 €/mois) pour 100% du contenu sportif sur 7 écrans dont deux simultanément connectés à deux réseaux Internet différents.

Des problèmes qui sont néanmoins liés à d’autres phénomènes plus nationaux, propres à l’Italie : «Nous, en tant qu’Italie, nous sommes à la traîne aussi en ce qui concerne les infrastructures, les services, la qualité du réseau internet et par conséquent même un produit comme DAZN qui naturellement base son utilisation sur la ligne internet en souffre. Il y a eu beaucoup de dysfonctionnements, surtout au début, des ralentissements dans la transmission des matchs, des courses souvent avec des interruptions du signal parce que vous avez besoin de la fibre pour pouvoir utiliser DAZN et parfois même avec la fibre. La plupart de ces problèmes ont été résolus, mais plusieurs fans se plaignent encore des problèmes de qualité du service», nous détaille Antonio Parrotto, journaliste basé en Emilie-Romagne. Cependant, en comparaison à la France, DAZN double ses packages d’offres avec d’autres avantages.

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Les offres italiennes de DAZN sont souvent accompagnées de partenariats tels que celles avec La Gazzetta dello Sport, Deezer, Virgin Active, Apple TV+ et GameStop. Ils ont d’ailleurs signé des partenariats avec le réseau TIM pour une meilleure distribution et Prime Video. L’association de consommateurs Udicon a commenté de manière virulente le lancement par la plateforme de streaming DAZN du nouveau plan Goal Pass, qui ne comprend que 3 matchs de Serie A par jour, en l’invitant à changer de stratégie commerciale, en proposant par exemple un forfait à prix réduits qui permet de suivre uniquement les matchs de votre équipe préférée : «Cette proposition, bien qu’économique, est très loin de ce que méritent les fans. On se demande : à qui s’adresse-t-il ? Peut-être aux amateurs de sport en général, mais pas aux supporters, qui veulent suivre leur équipe et ne pas voir trois matches quelconques. Il est clair que pour suivre tous les matchs de championnat et de coupe, les consommateurs seront obligés de souscrire plusieurs abonnements auprès d’autres plateformes. Cela contraste avec les promesses initiales selon lesquelles une compétitivité accrue entraînerait une baisse des prix. Nous invitons DAZN et d’autres plateformes à reconsidérer leurs offres et à mettre les besoins des fans au centre. Ce n’est qu’en accordant une plus grande attention aux consommateurs qu’il sera possible de retrouver l’intérêt et l’enthousiasme pour le football italien», était-il écrit dans le communiqué officiel. Malgré tout, comme en France, il existe une gronde populaire en Italie, pays au pouvoir d’achat plus faible où le football est bien plus populaire et priorisé dans la société.

Mais un travail bâclé…

Au moment de l’officialisation du nouvel accord par la Lega, certains dirigeants s’étaient publiquement plaints des contours de ce contrat pluriannuel : «C’est une défaite pour le football italien, avec cette offre, le football va mourir. Sky et DAZN ne sont pas compétents, ils ne sont pas bons pour le football italien. Le football italien pense toujours qu’il a besoin d’être soutenu par les autres, mais les supporters sont l’atout absolu d’un club de football. Ma relation doit être directe avec les supporters, pas directe avec Sky et DAZN», s’était agacé Aurelio De Laurentiis, président du Napoli qui faisait partie des trois clubs aux côtés de la Fiorentina et la Salernitana à voter contre cet accord à l’assemblée générale. Avec l’accord en vigueur, la Ligue italienne va recevoir chaque saison 900 millions d’euros, un montant légèrement inférieur aux 927,5 millions d’euros annuels perçus entre 2021 et 2024 et aux 973 millions d’euros annuels entre 2018 et 2021. Néanmoins, la plateforme britannique surnommée «le Netflix du sport» s’est engagée à verser 50% de ses recettes lorsque celles-ci dépasseront les 750 millions d’euros par saison. Le président des Partenopei avait ainsi mis le doigt sur un élément capital de cet accord avec DAZN : les tifosi au cœur de la culture italienne : «DAZN est très contesté en Italie : gros problèmes techniques (lag, erreurs de connexion, etc) et faible offre de programmes. Ils ont aussi récemment réduit le nombre de journalistes, mais en augmentant les prix (qui étaient déjà très élevés). Je pense que le sentiment général est plutôt négatif», nous confie Diego Fornero, journaliste italien basé à Turin. Ces bugs et autres problèmes ont d’ailleurs été soulignés et remarqués par plusieurs supporters français lors de la première journée de Ligue 1 le weekend dernier.

Un avis partagé aussi par Silvio Luciani, journaliste italien qui critique notamment l’arrêt des contenus footballistiques autour des rencontres telles que certaines émissions : «En général, il y a toujours eu une insatisfaction avec le service de streaming depuis que DAZN a acquis les droits de la Serie A. Dernièrement, les problèmes de service, en particulier dans la qualité du streaming, semblent de moins en moins présents mais les prix élevés n’ont pas été digérés par le supporter moyen. Personnellement, je doute encore de renouveler ou non l’abonnement, parce que la dernière hausse des prix a été accompagnée par la suppression de presque tous les programmes d’approfondissement. Parce qu’il faut dire aussi que, jusqu’à l’année dernière, en tant que produit éditorial, DAZN a eu une très haute qualité à mon avis (excellent format, récit ponctuel, excellents journalistes et talent à la hauteur de la situation). En tant qu’utilisateur, le fait qu’ils ont coupé plus de la moitié de la rédaction et démonté le programme, ajouté à l’augmentation des prix me pousse à ne pas renouveler». Près de 14 employés sur 32 ont été licenciés. Un projet qui s’est confirmé à travers un communiqué commun cinglant de la Fédération nationale de la presse italienne (FNSI) et de l’Association des journalistes lombards (ALG), surtout que DAZN a décidé ne plus envoyer de reporters dans les enceintes pour cinq des dix matches de chaque journée de Serie A : «Avec nos confrères, nous nous demandons comment il est possible de garantir et d’améliorer le niveau de l’offre en renonçant à la moitié des journalistes employés», pouvions-nous lire. Parmi les contrats qui n’ont pas été renouvelés se trouvent de nombreux journalistes qui ont dû élever le niveau de qualité de l’offre, comme Marco Cattaneo de Sky et Stefano Borghi et avec eux il y aurait aussi des consultants talentueux comme les anciens joueurs Massimo Gobbi, Riccardo Montolivo, Alessandro Matri, Giampaolo Pazzini et Luca Toni. DAZN aurait aussi complètement allégé la structure éditoriale, ce qui a un coût : tous les contenus approfondis qui ne concernent pas forcément les matchs ont été déprogrammés pour la nouvelle saison. Tout comme la France, DAZN n’est pas en terrain conquis en Italie.

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