Dans le football, de plus en plus de clubs n’hésitent pas à changer leur identité visuelle quitte à renier leur blason ou nom historique. Ces changements, souvent critiqués par les supporters historiques de ces clubs, ne sont pourtant pas faits par hasard et ont un but bien précis. Enquête sur cette nouvelle tendance du football.
La Juventus, les Girondins de Bordeaux ou encore l’Inter Milan et la Fédération espagnole dernièrement… De nombreuses entités du football se dévoilent sous de nouvelles apparences au grand dam de leurs supporters les plus fidèles qui critiquent vivement ces décisions. Si ces entités voient leurs compères se faire critiquer lorsqu’ils changent d’identité visuelle, on peut se demander pourquoi elles continuent de le faire, quel intérêt y a-t-il vraiment derrière ces changements ? Et bien la réponse est simple et ne plaira probablement pas aux amoureux du foot d’antan.
Le football est le sport le plus populaire du monde, il est regardé sur tous les continents et face à cette mondialisation, les clubs et Fédérations sautent le pas et effectuent des changements d’identité visuelle à des fins généralement purement marketing. Le train est en marche et le football business n’est pas prêt de s’arrêter.
Les entités deviennent des marques globales
Si le changement d’identité visuelle n’est pas quelque chose de révolutionnaire, il est particulièrement en vogue ces dernières années. Les clubs de football, comme certains joueurs, deviennent de véritables marques globales. Ces changements d’identité sont évidemment réfléchis et travaillés en amont, ils ne sortent pas de nulle part et traduisent généralement la volonté d’être perçu d’une nouvelle façon à l’international. Les entités du football réfléchissent ainsi à l’image qu’ils veulent renvoyer dans l’optique d’optimiser toutes les opérations marketing qui découlent de ces changements, il s’agit de véritables stratégies mises en place qui sont dans la lignée de l’évolution du football business depuis maintenant de nombreuses années.
Les entités du football sont aujourd’hui de véritables produits vendus à travers le monde via les droits TV notamment, qui ont d’ailleurs fait l’actualité du football français cette saison avec le scandale Mediapro. Pour devenir des marques globales, les clubs investissent ailleurs que dans le football et notamment dans les jeux vidéo et plus précisément l’E-Sport comme on l’a vu ces dernières années au Paris Saint-Germain notamment. Changer son identité visuelle n’est donc qu’une étape de plus dans le processus, mais ce changement ne peut pas se faire à n’importe quel moment, il doit véritablement marquer un tournant dans l’histoire du club ou de la sélection.
Changer son image, oui… Mais quand ?
En observant attentivement les différents changements opérés ces dernières années, on peut s’apercevoir que les changements d’identité visuelle sont préférables à l'approche des grandes compétitions pour les sélections, comme l'Espagne l'a prévu pour 2022 avec un nouvel écusson sur le maillot et une nouvelle identité visuelle pour la Fédération. Pour les clubs, ces changements ont tendance à se faire au moment d'entrer dans une nouvelle ère avec par exemple une nouvelle direction ou de nouveaux actionnaires.
C’est le cas avec l’Inter Milan qui vient tout juste de changer d’écusson et qui prévoit même, selon certaines rumeurs, de changer de nom sous l’impulsion des propriétaires chinois du groupe Suning arrivés au début de la saison 2016-2017 et qui s’étaient rapidement dit prêts à investir massivement pour refaire du club lombard une place forte du football.
🛣️ Muchos caminos hemos recorrido para volver donde comienza todo.
— Selección Española de Fútbol (@SeFutbol) March 23, 2021
⚽️ Empieza un nuevo partido más intenso, abierto y moderno. Para llegar a todos los lugares.
🇪🇸 RFEF, EL FÚTBOL.#NuevaImagenRFEF pic.twitter.com/QVeF9NHR05
À la manière du Paris Saint-Germain ou de Manchester City qui avaient changé leur logo en 2013 et 2015, la nouvelle identité visuelle de l'Inter Milan est donc survenue sous la houlette de nouveaux propriétaires extrêmement riches souhaitant amener le club dans de nouvelles dimensions, aussi bien sur le terrain qu’en dehors.
« L’objectif est de rendre la marque Inter plus pertinente et reconnaissable au-delà de sa base de fans et de permettre à un public plus jeune et international de s’identifier aux valeurs d’inclusion, de style et d’innovation », explique la direction de l’Inter Milan pour justifier le changement d’écusson.
En plus de vouloir toucher un public international, il y a une véritable volonté de toucher la « génération Z » qui est une génération née à l’air où le numérique a une place immense dans la société.
Les changements stylistiques minimalistes en vogue
Pour toucher cette génération Z et donc s’adapter au numérique, les entités optent pour des blasons simplifiés et digitalisés, qui sont tout simplement modernisés.
Le 1er juillet 2019, la Ligue de Football Professionnel française déploie un tout nouveau logo pour incarner davantage son rôle d'institution pour le football français. « L'ensemble des signes visuels ont été modernisés pour gagner en impact sur les prises de parole et mieux faire émerger les nombreuses facettes de l'action de l'institution au quotidien (organisation et régulation des compétitions, développement économique, engagement sociétal) », explique l'instance dans un communiqué de presse.
Alors que la Juventus a le même écusson depuis le début du 20ème siècle, le président Andrea Agnelli en présente un nouveau en juillet 2017. Ce logo qui orne désormais les maillots et produits dérivés des Bianconeri est bien plus minimaliste que l’ancien. Adieu les bandes verticales noires et blanches, le taureau qui est le symbole de la ville et la couronne qui laissent place à un design avec deux simples « J » et l’inscription « JUVENTUS » qui est restée avant d’être enlevée par la suite pour renforcer ce côté minimaliste. La Vieille Dame ne représente plus réellement la ville mais se représente elle-même, elle représente désormais la marque « Juventus » à travers le monde. Ce nouveau blason change même de couleur en fonction du maillot utilisé.
Avec le « J » de la Juve ou les lettres « I » et « M » de l’Inter, les deux clubs italiens se positionnent sur le marché des marques avec une image très simple pouvant se rapprocher de la virgule de Nike, des bandes adidas et même des fameux « M » et « F » de McDonald’s et Facebook par exemple. C’est une véritable révolution touchant l’ADN de ces clubs.
Du côté de la Vieille Dame, cette nouvelle identité visuelle se traduit par l'obsession d’Andrea Agnelli de moderniser le football. Le président turinois s’est fait remarquer à de nombreuses reprises en poussant pour une « Super ligue européenne » qui permettrait de rapporter plus d’argent aux grands clubs inscrits. Pour reconquérir les jeunes et donc la génération Z qui aurait du mal à rester figée devant un écran pendant un long moment, il émet même l’idée d’un abonnement permettant de ne suivre que les 15 dernières minutes d’un match de football. S’adapter pour toucher un public plus large et plus jeune dans le but d’étendre sa marque ne se fait pas à n’importe quel prix. Les supporters haïssent le fait de voir leur club perdre une part de son identité.
Le mécontentement des supporters
Si l’objectif de ces changements d’identité est clairement tourné vers le marketing, c’est l’ADN des entités qui en prend souvent un coup, ce qui enrage bon nombre de fans. Il n’y a qu’à voir les réactions des supporters Bianconeri ou Nerazzurri sur les réseaux sociaux pour se rendre compte qu’un changement de blason est loin d’être évident à gérer. Pour préparer les supporters à ces nouvelles qui divisent toujours, les clubs opteraient peut-être même pour une fuite des visuels quelques mois avant l’annonce officielle. S’il est impossible de l’affirmer, c’est en tout cas une possibilité qui fait sens pour prendre la température du côté des supporters. Les nouveaux blasons de la Vieille Dame et de l’Inter Milan ont par exemple fuité bien avant leur annonce. À ce propos, de nombreuses rumeurs évoquent une refonte totale de l’image du club milanais depuis de nombreux mois avec notamment un changement de nom minimaliste qui passerait de « FC Internazionale Milano » à « Inter Milano ». Cette nouvelle ayant enragé les supporters Interistes, il se pourrait que les dirigeants du club aient fait machine arrière, se contentant simplement de moderniser l’écusson en mettant en avant les lettres « I » et « M » pouvant se traduire par « I Am », littéralement « Je suis ».
Communiqué du Nîmes Olympique, des GN91 et des Nemausus 2013. pic.twitter.com/K8VVcEB1fc
— 🐊 Nîmes Olympique (@nimesolympique) June 28, 2017
À Nîmes ou à Everton par exemple, c’est pire. Après avoir présenté leur nouvelle identité visuelle, les clubs ont fait face à de vives critiques et même un appel au boycott de la campagne d’abonnement du côté des Crocos, ce qui a poussé ces deux clubs à revenir sur leur décision en proposant un vote aux supporters qui ont attribué un nouveau logo à leur club fétiche.
Se pose alors un vrai débat, faut-il absolument rester dans l’essence du football ou faut-il plutôt laisser les entités casser les codes pour le bien de leur santé financière ? Parce que oui, les clubs sont déjà, ou deviennent, de véritables entreprises, qu’on le veuille ou non. Et parce qu’au détriment de la symbolique, moderniser son identité visuelle peut rapporter gros financièrement parlant...
Des résultats sans appel
Aujourd’hui, ce qui rapporte le plus aux clubs et aux sélections, ce sont les droits TV qui se vendent pour des sommes astronomiques et les revenus extérieurs liés au sponsoring et au merchandising. La billetterie est passée au second plan et représente une part plus faible du chiffre d’affaires des clubs et Fédérations aujourd’hui, d’autant plus qu’avec la pandémie mondiale actuelle, la plupart des matchs se jouent à huis clos. L’importance du merchandising se reflète d’ailleurs par le nombre de maillots proposés chaque années par les équipementiers, entre les maillots domicile, extérieur, les 3ème voire 4ème maillots et les maillots évènements, les supporters ne savent plus où donner de la tête.
C’est donc dans une optique d’augmenter ses revenus liés au merchandising que bon nombre d’entités veulent changer leur image. Suite au changement d’écusson, la Juventus est passée de 114,4 à 143,3 millions d’Euros de revenus commerciaux (sponsoring + merchandising) entre la saison 2016-2017 et la saison 2017-2018 selon le département de recherche Statista. Ces chiffres ne sont pas directement impactés par Cristiano Ronaldo puisqu’il est arrivé pour le début de saison 2018-2019.
Du côté du FC Nantes, le nouveau logo dévoilé en mai 2019 a été vivement critiqué par les supporters. Plus épuré et moderne à la façon de la Juventus, il a pourtant rapporté gros au club Nantais qui a vu ses recettes de merchandising augmenter de 85% grâce à une explosion de vente de 300% sur les maillots pendant les mois qui ont suivi l’opération selon L'Équipe.
Les bénéfices sont tellement importants que les clubs peuvent se permettre de se mettre à dos les supporters pendant quelques temps en dévoilant de nouveaux logos minimalistes auxquels un public international très large peut facilement s’identifier.
Quand on voit de tels résultats économiques pour ces entités qui deviennent tout simplement des marques, on peut se demander si ces changements d’identité graphique pourraient devenir la norme dans le football.
Tous les clubs sont-ils condamnés à changer leur identité visuelle ?
Face aux bénéfices évidents des changements d’identité visuelle, il paraît difficile de résister à la tentation de moderniser son image pour les différentes entités du football. Pourtant, c’est tout de même possible, et les clubs ne sont pas condamnés à le faire.
Déjà parce que les supporters sont parfois prêts à aller loin pour ne pas qu’on touche à l’ADN de leur club de cœur, mais aussi parce que pour certains clubs, même s’ils ne sont pas minimalistes et faciles à identifier, les logos sont ancrés dans la tête de tous, ou presque.
Ce presque est en fait assez important et représente les marchés qui émergent dans le football comme le marché asiatique ou américain. Avec de plus en plus de licenciés et de spectateurs en Chine notamment où le président Xi Jinping se démène pour développer le football, l’Asie est un marché à conquérir. On le voit depuis quelques années maintenant, le football européen cherche à plaire au marché asiatique avec des matchs programmés à des heures spécialement adaptées pour ce public.
Encore peu aguerri, ce public pourrait plus facilement s’identifier à des écussons minimalistes comme celui de l’Inter Milan par exemple. Il n’est donc pas exclu qu’un club comme le FC Barcelone qui a jusque-là conservé son logo en forme de marmite associant notamment la Croix de Saint-Georges au blason de la Catalogne, décide un jour de moderniser son logo pour toucher le continent asiatique et faire du Barça une image de marque. Il en va de même pour le Real Madrid, le Milan AC, l’Olympique de Marseille ou les grands clubs anglais par exemple. Cependant, ces institutions ont toutes une histoire bien particulière et des supporters qui vivent pour leur club. Bien que la Juve et l’Inter soient passés à l’action, il n’est pas dit que tous ces autres grands clubs les suivent forcément, même si la tendance va dans ce sens.
Autre fait pouvant aller dans le sens d’une conservation du logo actuel pour le Real Madrid, le Barça et les clubs anglais notamment, c’est le classement des entités sportives les plus intéressantes à sponsoriser pour une marque publié par le site britannique SportsPro. Pour mener cette étude, plus de 250 000 personnes âgées de 13 à 64 ans ont été interrogées à travers le monde et comme prévu, le football domine ce classement avec la Coupe du Monde à la première place, le Real Madrid et le FC Barcelone dans le top 5 et la Premier League à la 10ème place. Ce qui signifie que ces clubs ont déjà une image quasi sans égal dans le football et qu’un changement d’identité visuelle ne presse pas forcément, bien qu’il serait sans doute bénéfique pour toucher de nouveaux marchés...
Vous l’aurez compris, les changements de logo ou de nom chez les entités du football sont faits dans le but de se développer en tant qu’image de marque à l’international et cette tendance devrait se confirmer dans les prochaines années. Vous ne serez donc pas surpris si demain, votre club de cœur change d’identité visuelle en se modernisant...