Romain Alessandrini : « Ibra ? Un sacré personnage mais quelqu’un de bien en dehors du terrain »
Rassasié et désireux de se consacrer à d’autres plaisirs de la vie, Romain Alessandrini a annoncé mettre un terme à sa carrière de footballeur en mars. Pour Foot Mercato et dans le cadre de notre série "Les Expats", l’ex-Marseillais a accepté de rembobiner le fil de son aventure au Los Angeles Galaxy (2017-2020), dont il garde un souvenir mémorable.
C’est dans la discrétion que Romain Alessandrini a souhaité mettre un point final à sa carrière. Si sa décision était déjà réfléchie depuis «un ou deux bons mois», l’ex-Marseillais ne l’a rendue publique que fin mars, lui qui était libre depuis la fin de son contrat à Shenzen, en Chine, au mois de janvier. Il s’était d’ailleurs expliqué sur notre site sur les raisons qui l’avaient amené à tirer sa révérence. Des opportunités, il en a eues, mais elles n’ont jamais vraiment collé avec ses projets familiaux pour lesquels il veut aujourd’hui se dédier.
Rentré en France, dans la région marseillaise, l’attaquant de 34 ans nous a accordé près d’une heure et demie d’entretien, le temps de passer en revue sa belle et aventureuse carrière, de parfois refaire le monde, mais surtout d’évoquer son expérience américaine (2017-2020) dont il garde un excellent souvenir. Dans le cadre de notre série "Les Expats" - qui consacrera lors des quatre prochains week-ends un épisode à un joueur français parti s’aventurer dans un championnat lointain - l’ex-Marseillais nous a raconté le Los Angeles Galaxy et Zlatan Ibrahimovic.
Foot Mercato : Romain, tu quittes l’OM en janvier 2017 pour rejoindre le Los Angeles Galaxy, pourquoi ce choix à 27 ans ?
Romain Alessandrini : je ne sais pas (il rigole). Non, plus sérieusement, j’avais voyagé à Los Angeles un été plus tôt et j’avais adoré la ville. J’avais aussi vu d’énormes panneaux publicitaires sur les autoroutes, vraiment taille américaine, où je voyais des campagnes des LA Galaxy avec Steven Gerrard et Giovani dos Santos. Ça a grandement joué. Je me suis dit 'et pourquoi pas moi ?' Toutes proportions gardées, car je ne me compare pas à ces joueurs-là, bien sûr. Mais à mon plus grand bonheur, la proposition est ensuite arrivée et c’était le bon moment d’y aller. Sachant que c’était une proposition de joueur désigné (la règle du joueur désigné, ou "règle Beckham", permet à chaque franchise de MLS de recruter trois joueurs en leur offrant un salaire libre, sans tenir compte des restrictions fixées par la ligue), et qu’elle arrivait en janvier, donc avant le début du championnat (la saison de MLS se dispute sur l’année civile). Puis voilà, je me suis aussi retrouvé sur les grosses affiches. C’est peut-être une question d’ego mais j’étais à nouveau considéré et ça faisait du bien.
FM : avais-tu quand même quelques craintes en quittant la France pour la première fois de ta carrière ?
RA : au début, oui, mais j’ai pris mes marques rapidement. Le fait de découvrir un nouveau pays, une nouvelle culture, un football différent, quand tu n’as jamais quitté la France, ça peut faire peur. Tout change. On dit souvent que quand tu rejoins un nouveau pays, il te faut un temps d’adaptation. Et c’est vrai (d’un ton ferme). Ton quotidien est bouleversé, la bouffe change, le fuseau horaire aussi. Je me souviens qu’en MLS, tu pouvais partir deux jours avant un match et revenir le lendemain. Tu avais un voyage à New-York long de quatre jours et tu avais trois heures de décalage.
FM : comment tu décrirais ton adaptation justement ?
RA : c’est allé assez vite. Ils m’ont aussi mis dans les bonnes conditions, puis je parlais déjà un peu anglais car je voyageais pas mal. J’avais aussi pris des cours d’espagnol car je m’étais dit que j’allais possiblement signer dans un pays d’Amérique du Sud ou au Mexique. Puis il y a trois joueurs qui parlaient français (le Franco-sénégalais Clément Diop, le Belge Jelle Van Damme et le Franco-malien Bradley Diallo), en plus d’un préparateur physique (Pierre Barrieu), donc c’était cool. Après il y a eu Michaël Ciani qui est arrivé donc on était un petit groupe et ça facilitait les choses.
FM : la MLS a dépassé tes attentes d’un point de vue footballistique ?
RA : c’est quand même bien moins fort que la Ligue 1. Les équipes qui jouent le haut de tableau restent solides car elles ont beaucoup de joueurs sud-américains. J’ai d’ailleurs vu beaucoup de matches d’Amérique du Sud et du championnat mexicain, car je suivais les matches de DD Gignac, et c’était vraiment technique, intense… Mais pour en revenir à la MLS, il n’y a pas de montées ni de descentes avec leur système de franchise, ce qui veut dire moins d’enjeu et de motivation. Les joueurs ne jouent pas leur vie car s’ils finissent derniers, ils sont encore là la saison suivante.
«Manger un hamburger en terrasse sans qu’on te prenne en photo, ça, c’est très appréciable»
FM : quelle a été ta plus grande surprise là-bas ?
RA : le fait de redevenir une personne lambda. Faire ce que je voulais dans la rue sans que l’on me demande un autographe, une photo, ou qu’on me parle de l’OM. Tu peux aller au restaurant, manger un hamburger frites en terrasse sans qu’on te prenne en photo, et ça, c’est très appréciable.
FM : tu te permettais plus d’écarts de ton côté aussi ?
RA : Non, j’étais le même (vigoureusement). Et je continuais même en Chine. J’ai toujours eu cette éthique de travail, car si en plus de mes blessures, je me rajoutais la malbouffe permanente et les sorties, ça aurait été chaud… Je l’ai fait étant jeune car j’étais bête. Quand j’ai rencontré ma femme à Marseille, avec qui je suis depuis 11 ans, il n’y avait plus de sorties. La malbouffe, c’était le dimanche après-midi en récompense après les matches, mais sinon j’étais très exigeant avec moi-même.
FM : quelle place avait le football là-bas ? As-tu senti un engouement grandissant ?
RA : non, pas vraiment. Il y a des sports tellement plus importants comme le basket, le baseball, le football américain, le hockey sur glace… Après, à Los Angeles, il y avait quand même cette culture de la gagne et un beau public. Mais à la télé, le foot tu n’en voyais que très peu.
«Ibra, c’est le meilleur joueur avec qui j’ai joué en carrière»
FM : quel est le joueur qui t’a le plus impressionné en MLS ?
RA : (il rigole) c’est facile de répondre à ça. Non, en vrai, c’est Ibra (Zlatan Ibrahimovic). C’est le meilleur joueur avec qui j’ai joué dans ma carrière, pourtant j’ai côtoyé des joueurs exceptionnels. Mais c’est un autre niveau : dans son exigence, son éthique de travail… À l’entraînement, quand il perdait, il devenait dingue. À chaque fois, je me dit ‘mais p.tain, c’est ça qui a fait le joueur qu’il est aujourd’hui quoi’. L’exigence qu’il s’imposait et qu’il imposait au groupe, c’était impressionnant. Un sacré personnage mais quelqu’un de bien en dehors du terrain.
FM : quelle était ta relation avec lui et t’a-t-il déjà chambré par rapport à l’OM ?
RA : non, une relation assez simple. Rien de spécial, mais en l’ayant croisé en Ligue 1, il me connaissait déjà. Il m’a parlé en français la première fois que l’on s’est vu et j’étais assez surpris. On s’était affronté quand j’étais à Rennes et Marseille, donc il y avait ce respect mutuel. Comme j’étais là depuis un an quand il est arrivé, il me demandait comment ça se passait dans le vestiaire, me posait des questions sur les équipes qu’on allait rencontrer… Moi je lui disais juste d’être patient parce qu’à Los Angeles, on n’avait pas les joueurs qu’il avait avec lui au PSG (il rigole), avec tout le respect que j’ai pour eux, bien sûr, parce que moi je me régalais. Mais c’est sûr que quand tu sors du PSG et que tu as la carrière de Zlatan, ça peut vite être compliqué.
FM : tu as une anecdote avec lui ?
RA : je m’en rappellerai toute ma vie. On avait perdu un match à Toronto sur un gros score (5-3), et j’avais un peu cette mentalité américaine où je me disais ‘bon ce n’est pas grave, on va faire mieux la semaine prochaine’. La semaine suivante, on est à l’entraînement, on gagne un tournoi et je chambre l’équipe adverse dans laquelle il est. Il m’entend et là, il m’incendie (il rigole). Il m’a dit ‘mais tu te prends pour qui ? On ne t’a même pas vu sur le dernier match. T’as pas le droit de parler à l’entraînement’. Et moi je lui ai répondu, ce qui l’a étonné parce que quand il parlait, tout le monde la fermait. On s’est échangé plein de mots et on ne s’est plus parlé pendant quelques jours. Puis quelques semaines après, je lui ai demandé de tirer un penalty parce qu’il avait déjà marqué un doublé. Il me l’a laissé puis c’est reparti.
«Jouer avec des gars aux carrières extraordinaires, pour un mec comme moi, c’est extraordinaire»
FM : La personne qui t’a le plus marqué là-bas hormis Ibra ?
RA : c’est compliqué. (Il réfléchit). Ah si, il y a Ashley Cole. C’est une légende du football, et lui était très exigeant mais beaucoup plus calme. Il m’a marqué parce que je jouais sur le même côté que lui. On combinait, c’était incroyable. De bons souvenirs et je lui ai demandé un maillot. Pour un joueur comme moi, qui partait de rien, c’était un kiff de jouer avec des gars aux carrières extraordinaires.
FM : tu vois aujourd’hui l’évolution de la MLS avec l’arrivée de Messi, penses-tu que le championnat va prendre une toute autre dimension ?
RA : ç'a a été un énorme coup marketing parce qu’ils ont juste ramené le meilleur joueur de tous les temps en MLS, ce qui est assez extraordinaire. Mais je pense que s’ils ne changent pas leur système de joueurs désignés, ça risque d’être compliqué. Il y a beaucoup d’argent, c’est vrai, mais il faut que les salaires soient plus homogènes. Avec les restrictions (la MLS est une ligue fermée avec un 'salary cap’, un plafonnement de la masse salariale, fixé à 3,1 millions de dollars pour chaque club), il y a en moyenne 2 bons joueurs par club, et après, ce sont des joueurs ‘moyens’ car ils doivent entrer les clous financièrement.
La classe business avec Zlatan, Ashley Cole et les frères Dos Santos
FM : certains joueurs ont des “privilèges” ?
RA : ça me fait d’ailleurs penser à mon expérience à Los Angeles. Quand on voyageait, on partait à 18-20 joueurs, et il y avait toujours 6 places attitrées en classe business. Le reste du groupe voyageait en classe économique. C’est pour vous dire… C’est quelque chose qu’on ne peut pas faire en France, c’est impossible, les joueurs se diraient ‘bah non, c’est soit on est tous en business, soit en éco’. Parmi les 6, c’était toujours Zlatan, Ashley Cole, moi, les frères Giovani et Jonathan dos Santos et puis le coach. Mais personne ne disait rien car c’était normal pour eux, c’était ancré dans les mentalités.
FM : quel a été ton meilleur souvenir de ton expérience aux Etats-Unis ?
RA : la vie que j’ai eue en général, avec la naissance de ma fille là-bas. C’est le truc que j’ai envie de retenir. La vie que j’ai pu avoir, celle d’une personne lambda, qui a pu apprécier parallèlement le foot. Le matin il faisait beau, tu avais les palmiers autour du terrain, c’était l’atmosphère californienne quoi… Le fait de l’avoir vécu avec ma femme et ma fille, ç'a a été une expérience incroyable. Ma femme a pleuré quand on a quitté Los Angeles.
«Revivre à Los Angeles ? Financièrement il y a un train de vie assez costaud»
FM : et ton pire souvenir ?
RA : d’avoir quitté Los Angeles, largement. J’étais tellement déçu, triste, c’était dur à encaisser (préciser). Mais je parle souvent de destin, vous l’avez vu. Après, si j’avais eu le choix, j’aurais fini ma carrière à Los Angeles sans hésiter. Y revivre aujourd’hui ? Je ne sais pas parce que financièrement il y a un train de vie assez costaud (il rigole). Si on veut vraiment bien vivre comme je l’ai vécu à ma période à Los Angeles, il faut avoir les reins solides.
FM : ensuite, tu rejoins la Chine. Comment as-tu été tenté par cette expérience ?
RA : quand tu joues en MLS, c’est plus compliqué de revenir en Europe donc on a cherché des pays exotiques. J’ai eu la proposition d’aller à Qingdao. Le club venait de monter. Je ne connaissais rien du tout et je me suis dit que ça pouvait être une expérience dingue.
FM : finalement, le destin ne t’a pas été vraiment favorable à ton arrivée en Chine…
RA : je suis tombé en plein Covid. Ça a été très dur. Je l’ai choisi finalement mais on ne pensait pas que ça allait être comme ça. On pensait que ça durerait que quelques mois. Je suis revenu 8 mois après sans voir ma fille et ma femme, ça a été compliqué. J’ai eu beaucoup de temps pour moi.
FM : où classes-tu le niveau du championnat chinois selon tes autres expériences ?
RA : c’est encore en-dessous de la MLS. La Chine n’a le droit qu’à quatre joueurs étrangers titulaires et un sur le banc. C’est eux qui font la différence. Les sports collectifs, ce n’est pas forcément le fort de la Chine. Tout le monde se vaut et c’est à l’étranger qui fera le plus la différence (rires).
FM : on parle souvent de l’aspect financier du football chinois, as-tu une anecdote à ce sujet ?
RA : les Chinois, avec le niveau qu’ils avaient, ont touché beaucoup plus que des très bons joueurs en France. Entre les primes, les salaires, c’était incroyable avant le Covid. J’ai vu et entendu des trucs de dingue qui allaient jusqu’à des 30-40 000€ de prime par match. C’est forcément très attrayant pour beaucoup d’étrangers. C’était facile vu le niveau qu’il y avait là-bas.
«Le 100e but en carrière, j’avoue que j’aurais aimé, 99 ça me fait chier»
FM : on comprend mieux comment des joueurs comme Oscar sont restés si longtemps en Chine
RA : Oscar, je le comprends ! Il doit prendre 20 millions par an en jouant dans une ville comme Shanghai, c’est normal de rester sept ans là-bas. C’est l’une des villes qui m’avait le plus impressionné dans ma vie.
FM : as-tu senti que le football pouvait devenir important en Chine ?
RA : ça dépend des villes. A Pékin, il y avait un public incroyable et c’était aussi le cas pour le Shanghai Shenhua. Tu sentais que le football était important pour certains clubs. Il y a également des beaux stades. C’est un pays extraordinaire. Ils ont tout pour réussir mais ils n’investissent pas dans la formation.
FM : Romain, tu sais, tu es à 99 buts en carrière…
RA : (Il nous coupe). Oui, bah tu sais, ça, ça me fait chier (il rigole). Le 100e, j’avoue que j’aurais aimé. C’est un petit regret, ça reste, mais c’est déjà pas mal. Je repense à un penalty que j’ai pu louper ou que j’ai donné à un coéquipier (il rigole).
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