Affaire Lassana Diarra : faut-il vraiment s’attendre à une révolution du marché des transferts ?

Par Josué Cassé
13 min.
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Invitée à statuer dans l’affaire Lassana Diarra, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son verdict, ce vendredi, indiquant que certaines règles de la FIFA sur les transferts de joueurs enfreignaient, aujourd’hui, le droit de l’UE. Suffisant pour envisager une révolution dans les prochains mois ? Décryptage avec Renaud Christol, associé au sein du cabinet August Debouzy et spécialiste en droit européen de la concurrence, et Amir N’Gazi, avocat aux barreaux de Paris et Moroni, spécialisé en droit du sport et des affaires.

Bosman 2.0, séisme, bombe, big bang, révolution, tremblement de terre… Depuis quelques heures et la décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Lassana Diarra, les qualificatifs affluent. Pour rappel, l’ancien milieu de terrain du Real Madrid contestait les règles des transferts de la FIFA après avoir été bloqué pendant un an par son club du Lokomotiv Moscou, en 2014. Salarié de la formation russe à cette époque, l’ex-international français (34 sélections), alors encore engagé pour trois saisons, avait en effet vu son contrat rompu. Les pensionnaires de la RZD Arena expliquaient que le natif de Paris avait arrêté d’exécuter son bail sans «juste cause» et lui réclamait 20 millions d’euros devant la chambre de résolution des litiges de la FIFA, soit le montant de ses trois dernières années de contrat.

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L’arrêt Diarra, l’épilogue d’une décennie de contentieux juridique

Dans l’impasse - les éventuels clubs intéressés se devant d’être solidaires de la somme due selon le règlement actuel du statut et du transfert des joueurs (RSTJ) - et condamné à payer 10,5 millions d’euros au Lokomotiv, Lassana Diarra, entre temps autorisé à s’engager du côté de l’Olympique de Marseille, avait alors décidé de mener une bataille juridique contre la FIFA et de saisir le tribunal de commerce du Hainaut, en Belgique. Une affaire finalement portée devant la Cour de justice de l’Union européenne avec une interrogation centrale : le RSTJ est-il compatible avec le droit de l’Union européenne ? Après une première audience en janvier dernier, la CJUE a officiellement rendu son verdict, ce vendredi matin, donnant raison à l’homme de 39 ans, soutenu par la FIFPro et l’UNFP.

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«Les règles en question (celles édictées jusqu’alors par la FIFA, ndlr) sont de nature à entraver la libre circulation des footballeurs professionnels souhaitant développer leur activité en allant travailler dans un nouveau club et restreignent la concurrence entre les clubs», pouvait-on notamment lire dans le communiqué de presse. Une décision intervenant après plus d’une décennie de contentieux juridique et invitant à faire évoluer la législation pour que les footballeurs ne soient plus prisonniers et à la merci de leur club pendant la durée de leur contrat. De quoi combler Mes Jean-Louis Dupont et Martin Hissel, les avocats de Lassana Diarra, soulignant un «arrêt majeur» et «une victoire totale» pour leur client. «C’est une décision historique pour le football professionnel qui ne manquera d’ailleurs pas d’avoir des répercussions importantes sur l’ensemble des disciplines sportives», ajoutait, de son côté, Me Palao, du cabinet Derby Avocats, pour la FIFPRO et l’UNFP.

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Pour rappel, jusqu’à l’heure et en vertu des règlements édictés par la FIFA, un footballeur ne peut - en pratique - quitter un club où il est engagé, sauf s’il décide de payer sa rémunération jusqu’au terme prévu du contrat. Dès lors, tout club qui chercherait à l’embaucher peut, quant à lui, être condamné solidairement à payer cette rémunération, ainsi que divers frais (recherche d’un remplaçant, par exemple). Enfin, le club recruteur s’expose, par ailleurs, à des sanctions sportives, pouvant aller jusqu’à l’interdiction de recrutement. Des mesures finalement largement dénoncées, vendredi matin, par la CJUE affirmant que le principe de liberté de circulation (article 45 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, TFUE) s’opposait aux règles écrites par l’instance du football mondial. Un coup dur pour la FIFA, qui a par ailleurs vu ses différents arguments retoqués par la Cour.

La CJUE oblige la FIFA à modifier ses règles

En effet, si l’organe présidé par Gianni Infantino avait assuré dernièrement que ces mesures visaient à «protéger les travailleurs que sont les footballeurs professionnels», la réponse de la CJUE ne s’est pas fait attendre. «Cette association de droit privé ne s’est pas vue confier de mission particulière en ce domaine par les pouvoirs publics». Et de se demander : «en quoi la mise en oeuvre du règlement de la FIFA serait susceptible de contribuer à la protection des footballeurs professionnels». Concernant l’argument de l’intégrité des compétitions sportives, lui aussi mis en avant par l’instance, les magistrats ont alors rappelé que les périodes délimitées de mercato permettaient d’ores et déjà d’éviter cet écueil. Dénonçant tous les freins financiers et juridiques, actuellement mis en place par la FIFA et jugés «imprécis», «discrétionnaires», voire «disproportionnés», la CJUE a ainsi statué sur le fait que certaines règles de la FIFA étaient bel et bien contraires à la libre concurrence.

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«Il ne peut être admis que soit restreinte de façon généralisée, drastique et permanente, voire empêchée, sur l’intégralité du territoire de l’Union, toute possibilité pour les clubs de se livrer à une concurrence transfrontalière en recrutant unilatéralement des joueurs déjà engagés par un club établi dans un autre État membre ou des joueurs dont il est allégué que le contrat de travail avec un tel club a été rompu sans juste cause», notait, par ailleurs, la CJUE, reconnaissant malgré tout qu’il pouvait être «légitime, pour une association telle que la FIFA, de chercher à assurer, dans une certaine mesure, la stabilité de la composition des effectifs de joueurs (…) par exemple en proscrivant (…) la résiliation unilatérale des contrats de travail en cours de saison, voire d’une année donnée». Si la Cour estime donc que plusieurs règles liées aux ruptures de contrat à l’initiative des joueurs sont contraires au droit européen, une question centrale subsiste : quelles seront les conséquences concrètes de cet arrêt sur l’écosystème du football professionnel européen ?

Dans cette optique, de nombreux observateurs - davantage intéressés par la sismologie que les considérations juridiques - ont rapidement fait état d’un véritable séisme pour la planète football avançant que les joueurs pourront désormais rompre leur contrat de manière unilatérale quand ils le souhaitent, pour s’engager dans un autre club, qu’ils ne seraient dès lors plus considérés comme des actifs pour les clubs et que le verdict rendu par la Cour de justice de l’Union européenne marquait officiellement la fin du marché des transferts tel qu’on le connaît aujourd’hui. Emballement passé, il semble finalement plus opportun d’opter pour une lecture plus mesurée de la décision rendue par la CJUE en ce 4 octobre et rapidement considérée comme la digne héritière de l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 prononcé par la Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE).

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L’affaire Diarra, un Bosman 2.0 ?

Pour rappel, Jean-Marc Bosman - joueur belge en litige avec le RFC Liège au début des années 1990 et convoité par Dunkerque - avait révolutionné le football moderne au terme d’un énorme combat juridique où la CJCE avait fait voler en éclat toutes les règles de limitation de joueurs de nationalités différentes dans les effectifs des clubs (l’UEFA imposait à cette époque des quotas limitant à trois le nombre de joueurs étrangers ressortissants de l’Union européenne par équipe), entraînant dès lors, la libéralisation du marché des transferts européen. Pour autant, si l’affaire Lassana Diarra concerne également la liberté de circulation des footballeurs et la concurrence entre les clubs, les conséquences du verdict rendu pourraient, elles, être bien moindres. Interrogé par nos soins, Amir N’Gazi, avocat aux barreaux de Paris et Moroni, spécialisé en droit du sport et des affaires, a ainsi tenu à tempérer l’impact herculéen accordé depuis plusieurs heures à cet arrêt.

«Il faut premièrement rappeler que la CJUE a examiné la conformité du RSTJ de la FIFA par rapport au Traité Sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (notamment l’article 45 qui consacre la liberté de circulation) à l’occasion d’une question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Mons située en Belgique, saisie d’un litige entre d’une part le joueur Lassana Diarra et d’autre part la FIFA et la Fédération belge de football. Même si celle-ci semble acquise, au regard de la position de la CJUE, le mot victoire ne pourra à mon sens être véritablement prononcé, en ce qui concerne la situation personnelle de Lassana Diarra qu’à compter du prononcé de la décision de la Cour d’appel de Mons, qui est la juridiction saisie du fond de ce dossier. Evidemment, cet arrêt est susceptible d’avoir un impact bien au-delà de la situation personnelle de Lassana Diarra et d’affecter, à terme, tous les clubs professionnels et joueurs professionnels établis en Europe. Pour autant, parler de révolution me paraît excessif à ce stade», a tout d’abord indiqué Me N’Gazi.

Un discours également partagé par Renaud Christol, associé au sein du cabinet August Debouzy et spécialiste en droit européen de la concurrence. «Parler de révolution, le mot est trop fort. Cet arrêt aura des conséquences mais ça aura les conséquences que l’UEFA, et de facto la FIFA, voudront adopter. Les règlements, tels qu’ils existent aujourd’hui, sont jugés illicites car ils empêchent la libre circulation et portent atteinte à la concurrence donc ils doivent être modifiés. L’UEFA va donc devoir modifier ses règlements, notamment pour plus de transparence et de liberté. L’arrêt, en revanche, ne dit pas qu’on ne doit plus faire de transferts ou qu’il ne doit plus y avoir de restrictions. L’arrêt dit que ces restrictions, si elles sont posées, doivent être claires, comprises par tous les acteurs et raisonnables. On ne peut pas parler d’un arrêt Bosman 2.0 selon moi car ça ne va pas autant révolutionner le football mais ça va permettre une plus grande transparence et une plus grande ouverture». S’il semble donc trop présomptueux de parler de révolution, cet arrêt va, malgré tout, contraindre la FIFA de réécrire une partie de son règlement et notamment les points suivants :

- L’article 17.1 du RSTJ, prévoyant en substance qu’en cas de rupture du contrat émanant du joueur sans juste cause, celui-ci sera redevable d’une indemnité à l’égard du club tenant compte de différents critères (notamment les frais engagés et la valeur de son contrat).

- L’article 17.2 du RSTJ, qui prévoit que si un joueur rompt unilatéralement son contrat sans juste cause, le nouveau club du joueur sera (solidairement) tenu d’indemniser le club quitté.

- L’article 17.4 du RSTJ, qui pose une présomption d’incitation à la rupture du contrat de la part du nouveau club et une interdiction d’enregistrer un nouveau joueur pendant deux périodes d’enregistrement (mercato) dans cette hypothèse.

- Le point 7 de l’article 8.2 de l’annexe 3 du RSTJ, qui prévoit que l’ancienne association ne délivrera pas de certification international de transfert – un document indispensable pour être enregistré en tant que joueur professionnel auprès d’une nouvelle fédération - si l’ancien club et le joueur professionnel sont opposés par un litige contractuel.

Véritable révolution ou réelle évolution ?

«Aujourd’hui, il y a une obligation de réécriture mais pas un changement de modèle. Cet arrêt ne va pas donner une liberté totale aux joueurs, ce n’est pas vrai. Les joueurs seront toujours tenus par les contrats qu’ils signent et s’ils souhaitent changer de club avant la fin du contrat, il faudra prévoir – comme n’importe quel contrat – une modalité de résiliation et très certainement que ça continuera de passer par le versement d’une somme d’argent. On cherche surtout une évolution vertueuse avec davantage de transparence et un pouvoir de négociation plus important», précisait, à ce titre Me Renaud Christol, ajoutant que cet arrêt allait, à la fois, toucher l’UEFA et la FIFA. «Cet arrêt est celui de la Cour de Justice de l’Union Européenne donc théoriquement, on peut se dire qu’elle n’a pas juridiction en dehors de l’Union Européenne mais en pratique, il est difficile d’imaginer deux systèmes coexister. Un en dehors de l’UE et un autre dans l’UE, ne serait-ce que parce que les clubs de l’UE vont régulièrement faire leur marché en dehors de l’UE, et inversement». Relancé sur l’hypothèse d’une liberté totale accordée aux joueurs de rompre leur contrat, Me N’Gazi soulignait, par ailleurs, les dangers d’une telle ouverture.

«C’est une théorie avancée ces dernières heures, qui à mon sens ne se réalisera pas, mais si la rupture devenait totalement libre pour les joueurs, certains clubs pourraient estimer qu’il n’est plus intéressant de payer des indemnités de transfert et attendraient alors que les joueurs résilient unilatéralement leur contrat. Beaucoup de commentateurs semblent actuellement considérer que cette possible liberté absolue serait une aubaine pour les joueurs alors qu’en réalité elle fragiliserait les compétitions, les clubs et pourraient même, in fine, ralentir les recrutements et la dynamique du marché tel qu’on le connaît. En l’état actuel des choses, bien que l’arrêt de la CJUE considère que les dispositions évoquées sont contraires au droit de l’UE, il apparaîtrait très risqué pour un joueur de rompre son contrat professionnel sans juste cause car il s’exposerait d’une part à ce que – au moins dans un premier temps – la FIFA continue à appliquer sa réglementation et d’autre part une insécurité juridique quant aux suites judiciaires qui seraient données par la juridiction susceptible d’être saisie en raison de l’application de la réglementation».

Quelles conséquences à prévoir ?

Dès lors, si la FIFA - qui soutenait encore vendredi analyser les conséquences de cet arrêt tout en affirmant que la CJUE ne remettait pas en cause le système des transferts - n’est pas enjointe à lever toutes mesures contraignantes ou dissuasives à l’égard des joueurs ou des clubs (mais plutôt à trouver un meilleur équilibre entre les objectifs légitimes qu’elle se fixe et la nécessité de préserver la liberté de circulation), l’arrêt rendu devrait, malgré tout, pousser les syndicats à exercer un intense lobbying pour se mettre autour de la table avec tous les acteurs du football. «Dans les mois à venir et si on veut que les choses se passent correctement, cette réécriture demandée va devoir passer par de la concertation donc avec l’implication de la FIFPro notamment pour éviter de nouvelles remises en question. Si les règles sont modifiées de manière unilatérales mais que des acteurs considèrent que ce n’est pas suffisant, ça peut ré-ouvrir un contentieux donc ça peut être inexorable. Pour éviter cet écueil, ça devra, à mon sens, passer par de la concertation, que ce soit une convention collective ou d’autres mécanismes juridiques», affirmait en ce sens Renaud Christol.

«Un dialogue social sectoriel existe déjà, sous l’égide de la Commission européenne, pour le football professionnel. Jusqu’à présent, ce dialogue social était quelque peu paralysé par les règles de la FIFA que la CJUE vient de déclarer illégales. Cette voie est la seule qui permette la mise en œuvre de règles fondées sur des critères transparents, objectifs, non discriminatoires et proportionnés. À partir d’aujourd’hui, les partenaires sociaux du football professionnel ont une page blanche pour mettre en œuvre une régulation du marché du travail qui garantisse un équilibre juste et efficace entre les intérêts des joueurs et les intérêts des clubs», confirmait, de son côté, la FIFPro dans un communiqué publié ce vendredi. Reste désormais à connaître les éventuelles conséquences d’une telle concertation.

«Nous pouvons imaginer à titre d’exemple, que la FIFA maintiendra des sanctions pécuniaires à l’égard des joueurs mais plafonnera leur montant. Nous pouvons aussi supposer que la charge de la preuve sera renversée, à l’égard des clubs d’arrivée et qu’il faudra désormais démontrer de manière certaine qu’un club a incité un joueur à rompre son contrat pour qu’il soit tenu solidairement au paiement d’une indemnité», supposait, à ce titre, Me N’Gazi. Associé au sein du cabinet August Debouzy, Me Christol concluait, enfin, par d’autres suppositions. «Pour l’heure, on est sur de la fiction mais on peut s’attendre à ce que les mesures restrictives pour mettre fin au contrat continuent à exister mais soient écrites de manière beaucoup plus claires avec des conditions posées en amont et que tout le monde sache dès le départ ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. On peut par exemple prévoir dans le règlement que la signature d’un autre contrat avec un autre club soit une clause de résiliation mais que ladite signature suppose une indemnisation du club qui est « victime » de la fin de son contrat, ça pourrait se passer comme ça». Après l’arrêt, place à la concertation…

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