Luzenac : 10 ans après, ils racontent
Presque 10 ans après le refus de montée en Ligue 2 par les instances du football français, les membres de l’épopée de Luzenac ont accepté de se raconter. Avec un constat toujours aussi désarmant : celui d’une unité de groupe qui dépasse le cadre du football.
« Les cicatrices sont encore là car j’estime qu’il y avait moyen d’aider le club plutôt que de l’enfoncer, ils ont détruit l’aventure humaine de tout un groupe. » Dix années se sont presque écoulées depuis que le rêve s’est brutalement arrêté pour Luzenac, mais Christophe Pélissier, l’entraîneur de l’époque, reste abîmé par cette décision des instances de refuser l’accession en Ligue 2 au club. Ses joueurs, eux, s’imaginaient déjà arpenter les pelouses de Marcel Picot, de Bonal ou de l’Abbé-Deschamps. Ils ont finalement plus eu l’embarras que le choix. Cette décision a également emporté de belles histoires, à commencer par celle de Franck Akaza, l’un des grands artisans de la saison 2013/2014 du club. Après treize années passées à Luzenac, le natif de Daoukro, dans l’est de la Côte d’Ivoire, aurait pu découvrir le monde professionnel à l’âge de 36 ans. Des espoirs finalement balayés. De son propre aveu, le président de l‘époque Jérôme Ducros avoue être encore peiné pour son ancien joueur : « Franck, putain… Je lui faisais un contrat professionnel de deux ans puis il intégrait le staff directement. Ça lui a tout bouffé, ça été une déchéance professionnelle, c’est une honte ». Contacté, l’ancien joueur n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet : “ce n’est pas contre vous, mais je préfère laisser cette mésaventure derrière moi. J’espère que vous comprendrez”, a-t-il écrit.
Bien évidemment que l’on comprend, et bien évidemment que son passage au club ne se résumera pas à cet épisode malheureux. D’ailleurs, loin de lui l’idée de tirer un trait sur sa décennie passée dans l’Ariège. Car même dix ans après, Akaza et les autres membres du vaisseau restent connectés via leur groupe WhatsApp, où ils s’amusent à refaire le monde au quotidien. En appelant simultanément Jérôme Hergault et Assane Karaboualy, deux des pionniers de cette aventure mais dont les trajectoires ont divergé il y a dix ans, on pensait pourtant prendre les deux joueurs au dépourvu. Ils ont finalement papoté comme si le temps ne les avait jamais séparés. « ”Ça va Ass (Assane) ?”, lance Hergault, avant que le second n’enchérisse : “ça va et toi frérot ? Entraînement aujourd’hui ?”. “Non, non, on calme à notre âge” », rigole le joueur revenu à Lavaur (R1 Ligue Occitanie) il y a un an à la suite de son départ de Lorient . Une promesse tenue, et un apprentissage en vue d’une éventuelle reconversion comme entraîneur plus tard : « j’aime le contact avec les jeunes mais je sais aussi les contraintes que ça représente, donc je n’ai pas de vocation actuellement. Si ça me plaît, j’envisagerais la reconversion, puis comme j’ai été pro, je sais qu’il y a des passerelles plus faciles pour les diplômes », confie-t-il.
Des destins (dé)liés
Arrivés respectivement en 2007 et 2008, Hergault et Karaboualy ont formé pendant 5 ans la paire de latéraux du club. Le premier, pur produit du monde amateur, se remémore l’arrivée du second, resté à Luzenac jusqu’à la fin de sa carrière : « je me souviens qu’Assane arrivait du centre de formation du TFC. Mais tout le monde vous dira la même chose de lui : un super mec, toujours en train de rigoler et qui s’intègre archi vite. A Luzenac, j’ai l’impression que toutes mes rencontres étaient uniques : feeling quasiment instantané, rigolade, tout marche. C’est ce qui caractérise ce club. » Une anecdote longtemps tenue secrète illustre cette union sacrée au coeur de ce groupe. En 2012/2013, alors que Luzenac sort d’une saison pénible achevée à la 12e place de National, Jérôme Hergault, courtisé à l’échelon supérieur, met ses intérêts de côté et promet de rester au club à condition qu’Issa Makalou et Assane Karaboualy obtiennent les garanties qu’ils souhaitent. « Quand le président me demande ce que je veux, je lui dis que je m’en fous d’avoir 1000€ de plus. Moi, je lui dis qu’on a des soldats et que s’il les retire, je ne suis plus de la partie. »
Le président cède aux conditions de son joueur et la saison suivante, avec la montée en Ligue 2, reste forcément mémorable. Dans un sport collectif mais aux destins individuels, Karaboualy ne se dit pourtant pas étonné du geste de son coéquipier sur le moment : « ce qu’a fait Jéjé (Jérôme Hergault) ce jour-là ne m’a pas spécialement étonné étant donné que je le connaissais. C’est chacun pour sa gueule aujourd’hui dans le football, c’est la réalité. Mais en l’occurrence, il y avait quelque chose dans ce groupe. » Peut-être des liens de camaraderie, plutôt que des simples relations professionnelles. Simon Hébras, arrivé en décembre 2013 en provenance de Niort pour six mois, et aujourd’hui reconverti comme agent immobilier, décrypte : « je suis resté 6 mois mais je me serais vu rester si Luzenac était monté. Les mecs ne se prenaient pas la tête. J’ai cette image d’Hergault qui arrive à l’entraînement dans sa petite voiture avec Khalid (Boutaib), c’était amateur mais les mecs étaient aussi prêts pour aller au-dessus. Pélissier, plus besoin de refaire son CV, Ndoh est devenu le meilleur buteur de l’histoire de Niort, Boutaib a joué une Coupe du Monde avec le Maroc, Ngosso est monté en L1 avec Angers, Westberg est parti en MLS, Hergault a joué en L1… Ça montre la qualité qu’il y avait ».
Un coup de pouce du destin
Si certains ont tutoyé le plus haut-niveau après la décision de la LFP, tous ne l’ont pourtant pas cherché. Assane Karaboualy, invité à quitter le club de façon ingrate cet été après 15 années de services, ne s’est jamais mis en quête de lumière : « cette fin ne va jamais entacher toutes ces belles années que j’ai eues à Luzenac. J’ai été épanoui dans ma carrière. J’ai joué où je voulais, et sans être guidé par autre chose que l’envie d’évoluer avec les copains, dans ce club-là. Je sais que j’aurais pu faire mieux mais je suis content de la façon dont j’ai fini ma carrière. » Officiellement retiré du football depuis l’été dernier, le joueur formé au TFC révèle aujourd’hui s’initier à la détection de talents : « j’essaie de dénicher des futurs Mbappé », blague-t-il. Jérôme Hergault, qui a connu le grand saut de la Ligue 1 avec Lorient et Ajaccio, admire le parcours de son ami : « j’ai énormément de respect pour ce qu’a fait Ass (Asssane Karaboualy) en restant au club malgré la rétrogradation en DHR (R2 aujourd’hui). Mais ce qui est marrant, c’est qu’il a fait exactement ce que j’aurais pu faire, sourit-il. Si je n’avais pas eu la porte ouverte du Red Star après Luzenac, je me serais sûrement dit ‘le navire a coulé mais je reste pour le reconstruire’, plutôt que de partir pour prendre un peu plus d’argent ailleurs. Il est resté en adéquation avec ses valeurs et il n’y a pas plus beau. »
Le destin tragique de Luzenac a toutefois favorisé quelques belles histoires. Entraîneur de l’époque, aujourd’hui troisième de Ligue 2 avec Auxerre, Christophe Pélissier a su tisser sa toile avec méthode et application par la suite, souvent en s’appuyant sur de vieilles connaissances : « Bien sûr, c’était une volonté de ma part de faire revenir des joueurs de Luzenac dans mes autres projets. J’ai retrouvé Outrebon et Makalou à Amiens, Hergault à Lorient. Je connaissais les qualités de joueurs et l’état d’esprit qu’ils pouvaient amener», confie-t-il. S’il a réussi l’exploit de décrocher deux montées en Ligue 1 par la suite, une avec Amiens à la 96e minute (en 2017) - qu’il avait déjà fait monter en Ligue 2 -, et une avec Lorient (2019), le Haut-Garonnais ne prend pas cette réussite comme une revanche : « je le disais récemment sous forme de blague mais je suis le seul entraîneur à avoir enchaîné les montées de DH jusqu’en L1. Mais je n’ai jamais eu de plan de carrière pour autant, ce n’est pas une revanche. Quand il y a eu la décision, je ne me suis pas dit que le train ne repasserait pas puisque je ne l’avais jamais réservé ce train. Par contre, elle n’est pas digérée pour autant. Quand je vois qu’on joue contre Concarneau à Brest dans un stade vide cette semaine, ou que Rodez a été autorisé par la suite à jouer à Toulouse, voilà… » Aujourd’hui encore, Pélissier garde contact avec ses anciens joueurs. Mardi, il a notamment retrouvé Julien Outrebon après le succès étriqué de son équipe à Francis-Le Blé contre Concarneau (1-2).
10 ans après, ils n’ont pas avalé la pilule
Outre Franck Akaza, qui a vu treize années s’envoler en autant de secondes en août 2014, Julien Outrebon a lui aussi encore « les boules ». Désormais sélectionneur adjoint de la Mauritanie, l’ancien défenseur du club reste cramponné à l’idée d’avoir servi de jurisprudence : « si j’en veux encore aux instances ? Bien sûr, répond-t-il fermement. Des clubs sont montés grâce à ce qui s’est passé avec Luzenac. Tu comprends que c’est difficile d’exister face à d’autres écuries qui doivent rester en Ligue 2 ou qui ont des présidents influents, pointe-t-il. Ça aurait pu permettre de montrer à tous ces clubs amateurs qu’en fait, on peut arriver ici avec du travail. J’ai fait une montée en Ligue 1 avec Troyes mais pour moi, Luzenac, ça restera ma plus belle histoire. Ça n’a rien à voir. » Parmi les autres beaux moments qui ont quand même ponctué sa carrière : un titre de champion d’Europe avec l’équipe de France… militaire. Dans le flou pendant le procès de Luzenac à l’été 2014, il est alors contacté par l’UNFP qui lui propose de participer à la compétition : « il y a un quota de trois joueurs professionnels dans l’équipe de France militaire. Après une courte réflexion - parce que j’avais besoin de jouer aussi, -, j’ai dit oui. C’était une expérience incroyable. Chanter La Marseillaise à côté de militaires, ça fait quelque chose. On portait le treillis, les rangers et on apprenait à marcher au pas, mais on s’est vraiment régalé », se souvient l’ancien entraîneur assistant de Pélissier à Lorient.
Sébastien Mignotte, fort de 14 années passées à Luzenac en tant que joueur (1999-2013), a lui aussi occupé une casquette d’adjoint de Pélissier par la suite, mais uniquement lors de la saison de la montée en Ligue 2. S’il garde d’excellents souvenirs de son passage dans l’Ariège, l’ancien défenseur central se dit très marqué par les années qui ont suivi la décision de la Ligue : « je n’ai pas eu le choix de me remettre au travail car je passais les diplômes d’entraîneur. J’avais tellement de choses à faire avec ce poste et mon boulot à temps complet, que je n’ai pas eu le temps d’avoir cette colère. Je suis reparti de suite dans le projet de faire repartir Luzenac mais je l’ai payé trois-quatre ans plus tard. J’ai explosé. » Propulsé comme numéro un après le départ de Pélissier, il enchaîne alors trois montées jusqu’en N3, avant d’être relégué. Un nouveau coup de massue sur la tête qu’il dit avoir vécu comme « une nouvelle sanction ». « J’ai senti une coupure et je me suis dit qu’il fallait que je parte (en 2018). Ca faisait 18 ans que j’étais à Luzenac, j’avais trop d’attaches émotionnelles avec ce club. C’est le contre coup des quatre ans passés à trimer pour faire repartir ce club», analyse-t-il. Malgré ce bagage lourd de déception, le « monument du club », comme il est décrit par Hergault, n’a pas abandonné l’idée de rebondir. Aujourd’hui dans l’attente de son visa, il s’apprête à insuffler un nouvel élan à sa carrière avec un rôle dans une académie américaine. Bien loin de Luzenac et de ses tracas, une plaie ouverte qui ne cicatrisera jamais.