Utilisé avec succès durant la Coupe du monde 2018, le 4-3-1-2 asymétrique de l'équipe de France, que l'on désigne généralement comme un 4-2-3-1 asymétrique, a encore fait des émules contre le Portugal en Ligue des Nations. Dans ce dispositif et contre les grandes nations, les Bleus semblent infaillibles. On vous explique pourquoi ce dispositif fonctionne si bien et pourquoi il demeure encore plus prometteur avec l'ajout de Rabiot et de Martial dans le onze de départ.
Depuis la rentrée 2020, on a pu voir Didier Deschamps se challenger en tentant de nouveaux dispositifs tactiques. Si le 3-4-1-2 et le 4-4-2 losange ont laissé entrevoir de belles choses, le sélectionneur français a finalement misé sur une valeur sûre pour décrocher la première place du groupe C de la Ligue des nations contre le Portugal, tenant du titre, avec son 4-3-1-2 asymétrique qu’il avait mis en place lors de la Coupe du monde 2018, à partir du deuxième match de poules contre Pérou.
Victorieux en Russie, les hommes de Didier Deschamps se sont donc basés sur la même recette contre le Portugal mais en y apportant des ingrédients légèrement différents. Kimpembe à la place d'Umtiti, Rabiot à la place de Matuidi et Martial à la place de Giroud. Résultat : victoire (1-0), après un match abouti des deux côtés du terrain et une impression de puissance, de solidarité et de solidité qui nous a rappelé l’été russe. De quoi faire de ce dispositif celui de référence de cette équipe de France durant l’Euro à venir, voire plus si affinités...
Pourquoi s’agit-il d’un 4-3-1-2 asymétrique plutôt qu’un 4-2-3-1 ou un 4-4-2 losange asymétrique ?
Souvent présenté comme un 4-2-3-1 asymétrique, ce dispositif avec cette animation très particulière, est en réalité un 4-3-1-2 asymétrique. Il est vrai que le dispositif peut prendre plusieurs formes selon les déplacements plutôt libres des joueurs. Il pouvait ressembler à un 4-2-3-1 classique voire un 4-3-3 asymétrique quand Matuidi était encore là et désormais à un 4-4-2 losange asymétrique ou à un 3-4-2-1 avec la présence d'Adrien Rabiot dans le onze. Quel que soit le dispositif, on retrouve cette notion d'asymétrie avec un espace inoccupé soit dans la première ligne offensive, soit dans la deuxième.
Le terme 4-3-1-2 pour évoquer ce dispositif est plus juste et approprié par rapport aux profils des joueurs alignés avec quatre défenseurs, trois milieux de terrain axiaux, un meneur de jeu ou faux 9, ainsi qu’un attaquant central et un autre attaquant mais complètement excentré devant.
Le 4-3-1-2 classique est un système que connaît bien Deschamps puisqu’il a évolué dans ce système avec la Juventus Turin en 1996-1997 mais dont l’animation était plus classique à l’époque. Il y a donc apporté une touche plus moderne avec notamment le côté asymétrique et son choix de trois milieux de terrain particulièrement complémentaires et polyvalents puisqu’ils sont capables à la fois de jouer devant la défense, en tant que pur milieu défensif et aussi dans une position plus avancée tout en étant efficaces et dangereux.
Pourquoi ça marche
Malgré le déséquilibre que pourrait créer ce dispositif asymétrique, l’équipe de France a paradoxalement trouvé le parfait équilibre dans ce système. Tout d’abord grâce aux capacités défensives des joueurs alignés sur la pelouse. Les onze alignés contre le Portugal savent défendre et même très bien. Disposé en 4-4-2 à plat sur phase défensive, les Bleus ont concédé peu d’occasions sur attaque placée. Il faut souligner que Kingsley Coman a parfaitement défendu sur son côté droit, qui pourrait être un point faible avec le retour Mbappé (qui était forfait contre les Portugais), qui rechigne parfois à défendre (voir à la fin de l'article).
D’autre part, l’équipe arrive à s’équilibrer grâce à l’intelligence tactique des joueurs. Pour pallier le manque de présence à gauche, on a vu que Lucas Hernandez a évolué très haut contre le Portugal et que ses montées étaient compensées défensivement par les milieux axiaux, très bon récupérateurs mais aussi par des défenseurs centraux vigilants, costauds et rapides comme Kimpembe, capables de parfaitement gérer la profondeur laissée dans leur dos.
Avec ballon, le niveau des trois milieux Pogba, Kanté et Rabiot (dont on parlera plus en longueur juste après) permet à l’équipe d’avoir une très grande maîtrise du ballon, même sous la pression de l’adversaire. Même si le jeu peut parfois manquer de créativité, quitte à ennuyer les téléspectateurs, ce milieu de terrain ne commet quasiment jamais d’erreurs pouvant donner des balles de but à l’adversaire. Enfin, la concentration axiale du jeu permet à l’ailier droit (ou à l'arrière gauche) d’avoir encore plus d’impact quand il est trouvé lancé par ses coéquipiers après un décalage. Et quand on sait que les ailiers peuvent être Mbappé, Coman ou Dembélé, on imagine les dégâts que ça peut causer pour l'adversaire.
Pogba-Kanté, c'est du solide
« Tu as le grand, Patrick et le petit à côté, Claude, tu sais que ça ne passe pas ». Dans le reportage « Rendez-vous le 9 juillet » réalisé par Canal Plus en 2006, William Gallas exprimait son ressenti sur le double pivot infaillible de l’époque chez les Bleus : Vieira-Makélélé. Douze années plus tard, un autre duo a émergé devant la défense avec des caractéristiques physiques, athlétiques et techniques quasiment similaires.
D’un côté, le grand Paul Pogba, fait étalage d’une technique au-dessus de la moyenne qui lui permet de donner de l’air au milieu de terrain des Bleus quand il simplifie au maximum son jeu. Plus attiré par le but que l’actuel entraîneur de l’OGC Nice, Pogba demeure aussi plus actif à la finition (10 buts inscrits actuellement par Pogba avec la France contre 6 en carrière avec les Bleus pour Vieira). De l’autre, on retrouve le petit N’Golo Kanté, qui comme Makélélé s’avère être un virus pour les adversaires pour sa faculté à jaillir dans les pieds du porteur et à récupérer de nombreux ballons tout en conservant sur une grosse activité tout au long d’une rencontre. Comme Pogba, Kanté est davantage attiré par le but que Makélélé et peut évoluer aussi comme un milieu relayeur box-to-box comme on le voit à Chelsea et même en équipe de France.
Comme Vieira et Makélélé à l’époque, le duo Pogba-Kanté affiche une complémentarité quasiment parfaite tant sur le plan défensif, qu’offensif. Les deux joueurs se comprennent, compensent les mouvements de l'autre, ne se marchent pas dessus et se rendent globalement meilleurs. Quand ils sont alignés ensemble sur la pelouse dès le coup d’envoi d'un match, l’équipe de France est invaincue. En 26 matches disputés, ce duo comptabilise 20 victoires et 6 matches nuls. Tout sauf une coïncidence.
Les défaites de l’équipe de France dans un 4-3-2-1 asymétrique ont toujours eu lieu quand l’un des deux joueurs manquaient à l’appel. Contre les Pays-Bas, le 16 novembre 2018, N’Zonzi avait remplacé Pogba dans le onze. Contre la Turquie, le 8 juin 2019, Sissoko avait remplacé Kanté dans le onze. L'une des clés du succès de ce dispositif, c’est donc bien ce duo au milieu de terrain qui étouffe les adversaires et fait respirer l’équipe de France en possession du ballon. Et avec l’ajout de Rabiot, ce duo peut se transformer en trio infernal et insaisissable.
L’équipe de France encore meilleure avec Rabiot et Martial dans le onze ?
Si Matuidi a occupé à merveille son rôle de faux-ailier lors de la Coupe du monde 2018, son remplacement par Adrien Rabiot apporte d’autres bénéfices à l’équipe de France. Contrairement à Matuidi, Rabiot ne possède pas du tout les caractéristiques d’un joueur de côté classique puisqu’il a une tendance naturelle à rentrer à l’intérieur du jeu et qu’il ne va quasiment pas faire des appels et des courses dans la profondeur. Mais Adrien Rabiot apporte une qualité technique supérieure et une capacité à jouer entre les lignes, dans les demi-espaces, qui est précieuse pour Didier Deschamps.
Durant le Mondial 2018, Matuidi pouvait parfois se projeter dans la surface ou faire lui-même des courses dans la profondeur pour étirer le jeu et donner davantage d’espace à Griezmann dans le cœur du jeu. Rabiot, au contraire, évolue parfois dans les mêmes zones que Griezmann mais ce n’est pas un problème puisque cela permet aux relanceurs d’avoir plus de solutions d’appuis dans le camp adverse (pour faire avancer le jeu) et que les deux joueurs ont déjà noué une très bonne affinité technique, qui leur permet de combiner dans des petits espaces comme sur l’action du but de Kanté contre le Portugal.
La présence d’Adrien Rabiot soulage également davantage Pogba et Kanté qui peuvent s’appuyer sur un troisième milieu de terrain pour ressortir le ballon sous la pression. Certes Rabiot tentera rarement des passes qui cassent les lignes mais au moins, il ne perdra pas beaucoup de ballons. Il est aussi important de noter que Rabiot a progressé tactiquement et physiquement à la Juventus et qu'il capable de bien tenir son côté gauche en défense. De plus, s'il ne va pas faire des appels ou des courses en profondeur, dont était capable Matuidi, Rabiot apporte sa faculté à casser des lignes par le dribble, qui peut aussi être précieuse pour l'équipe.
L’autre changement majeur dans le onze de Didier Deschamps par rapport au Mondial russe, c’est la titularisation de Martial à la place de Giroud. Si le jeu aérien et en pivot de l’attaquant de Chelsea est toujours précieux face à des équipes très agressives au pressing, la mobilité de Martial pose d’autres types de problèmes aux adversaires. La vitesse de l’attaquant de Manchester United, combinée à celle de Mbappé, peut vite devenir à casse-tête à gérer pour l’adversaire. Avec Martial en avant-centre, l’équipe de France devient plus imprévisible et donc redoutable.
Pour compenser l’absence de Giroud (précieux pour sa taille et son jeu aérien), Rabiot peut servir de cible pour les relances longues des défenseurs et du gardien, tandis que Martial apporte justement la profondeur perdue avec le remplacement de Matuidi par Rabiot.
Les faiblesses de ce dispositif
Comme chaque dispositif, ce 4-3-1-2 asymétrique comporte des failles. Le premier que l’on avait pu déjà apercevoir en Russie, c’est ce choix parfois délibéré de subir et de défendre bas près du but de Lloris pour miser sur les contres. Cette façon de défendre expose les Bleus à des frappes lointaines, plus dangereuses car les frappeurs ont plus de temps pour ajuster leur tir. On se souvient de Di Maria lors de la Coupe du monde 2018 et Moutinho a bien failli jouer de mauvais tours aux Français sans la magnifique parade main opposée de Lloris. Contre l’Allemagne et ses bombardiers à l’Euro, cela pourrait coûter très cher.
Ensuite, il y a l’espace laissé dans le dos de Lucas Hernandez qui se projette très haut en phase offensive. En fin de match, le Portugal a justement profité de ces largesses sur transition rapide sans qu’il n’y ait de conséquence pour la France mais il suffit d’une seule erreur pour qu’un match couperet bascule.
Enfin, il y a le cas Mbappé et sa volonté de défendre. Contre le Portugal, Coman a parfaitement défendu son couloir droit dans le repositionnement en 4-4-2 à plat de l'équipe sur phase défensive. En sera-t-il de même pour le Parisien qui rechigne parfois à accomplir ses tâches défensives ? Didier Deschamps l’avait notamment repris verbalement après le premier match de la Coupe du monde 2018 contre l’Australie. Heureusement pour le sélectionneur, Kanté et Pogba pourraient éventuellement compenser les oublis de Mbappé tandis que Pavard, et sa nouvelle dimension prise au Bayern Munich, paraît également mieux armé pour verrouiller seul son côté droit.
Un dispositif parti pour durer ?
Même si Didier Deschamps a décidé de brouiller les pistes en testant plusieurs dispositifs différents lors de ces derniers mois, il est fort probable que le sélectionneur français se repose sur son 4-3-1-2 asymétrique fétiche lors des gros matches à venir. Cependant, les précédentes expérimentations du sélectionneur n'ont pas été vaines puisqu'elles ont permis, d’une part, de casser la routine de ses joueurs mais aussi de les challenger avec différentes façons de jouer. D’autre part, Didier Deschamps a pu tester différents joueurs dans des contextes aussi différents et variés, mais aussi contribué à créer des affinités techniques entre Rabiot, Pogba, Kanté et Griezmann avec le 4-4-2 losange.
Soyons clair, Didier Deschamps sait parfaitement ce qu’il fait et a sans doute déjà son plan pour le prochain Euro. Le retour en sélection d’Adrien Rabiot, à un an de l’Euro, est loin d’être un hasard. Il l’a appelé car il savait qu’il allait le faire jouer, et sans doute dans ce dispositif qui pourrait être celui de référence pendant l’Euro mais aussi lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022. Dans deux ans, cette équipe aura 28 ans de moyenne d’âge, ce qui correspond généralement à l’âge où on atteint son plein potentiel.
Il fort probable que ce onze de départ (avec Mbappé à la place de Coman) reste en place jusqu'au Qatar même s’il faudra observer l’évolution de Mbappé, qui tend à devenir un attaquant central. Ce repositionnement laisserait éventuellement une place à Coman ou Dembélé sur le côté donc l’équipe de France ne perdrait pas en qualité. Vu l’âge des trois milieux de terrain (25 ans pour Rabiot, 27 ans pour Pogba, 29 pour Kanté), on peut aussi imaginer que ce trio se stabilise jusqu’à la prochaine Coupe du monde avant d’envisager la suite avec Camavinga en fer de lance de la nouvelle génération. Ce 4-3-1-2 asymétrique inventé par Didier Deschamps a donc encore de beaux jours devant lui. Il pourrait même bien rentrer dans le panthéon des dispositifs tactiques mythiques. Laissons le temps et le cours de l’histoire en décider.
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