Lazio, Jean-Daniel Akpa-Akpro : « c'est le meilleur moment de ma carrière »
Une belle revanche. Après la fin de son contrat à Toulouse en 2017, Jean-Daniel Akpa-Akpro a vécu des mois compliqués. Sans club, l'Ivoirien s'est accroché avant de rebondir à la Salernitana en Serie B. Un pari osé mais gagnant pour le joueur qui a rejoint la Lazio Rome cet été. Un club où il s'épanouit et où il savoure jour après jour la chance qu'il a de pouvoir exercer son métier et vivre sa passion. Pour Foot Mercato, le footballeur âgé de 28 a accepté de revenir sur son parcours du combattant, évoquant ses joies et ses peines. Entretien.
Foot Mercato : en 2017, vous étiez en fin de contrat à Toulouse, votre club formateur. Pouvez-vous revenir sur votre départ de la Ville Rose et le souvenir que vous gardez de votre expérience là-bas ?
Jean-Daniel Akpa-Akpro : c'était un départ triste. J'ai eu un peu de mal à l'encaisser parce que j'avais fait une saison noire et j'avais demandé au club de me prolonger d'un an, car j'avais été blessé pendant une bonne partie de l'année, hormis à la fin. Et ils ont refusé et m'ont laissé partir libre. Voilà pourquoi j'étais un peu triste et déçu. J'ai été formé au TFC, j'ai commencé à jouer au football là-bas à l'âge de 5 ans, j'ai fait vingt ans dans ce club et je pensais qu'ils allaient essayer de m'aider. Au final, non. Mais sincèrement, je garde de très bons souvenirs du TFC. C'est eux qui m'ont fait grandir, j'ai tout appris là-bas. J'ai été capitaine, j'ai vécu mes premières sélections avec la Côte d'Ivoire en étant dans ce club. J'ai gagné une CAN quand j'étais à Toulouse. J'ai fait un Mondial quand j'étais à Toulouse. J'ai tout vécu là-bas.
FM : ensuite, ça a été le début de quelques mois de galère pour vous...
J-D.A.A: à la fin de ma dernière année à Toulouse, je n'étais plus blessé. Mais j'ai été au chômage pendant six mois. À ce moment-là, j'avais envie de partir de la France. Des clubs étaient intéressés mais je pensais qu'il y en aurait plus. Donc j'ai refusé les propositions de ces clubs-là. Et à force de refuser, le temps est passé et en septembre je n'avais plus rien. En octobre, j'ai fait un essai à Aston Villa mais il n'a pas été concluant. Je suis donc revenu en France où je m'entraînais tout seul. Et fin janvier 2018, on m'a appelé pour me parler d'un club de deuxième division, la Salernitana, dont le président était aussi celui de la Lazio Rome (Claudio Lotito, ndlr). On m'a expliqué que si je faisais bien les choses à la Salernitana, j'avais des chances de signer à la Lazio Rome. En parallèle, le Dinamo Zagreb était aussi intéressé. Mais j'ai préféré partir en Italie car c'est un pays et un championnat que j'ai toujours aimé. Donc c'était le moment parfait pour moi d'y aller.
FM : durant cette période, avez-vous eu le sentiment d'être oublié ? Avez-vous pensé à un moment à arrêter le football ?
J-D.A.A : oui, je me suis dit après avoir refusé plusieurs clubs que ça devenait compliqué. On ne parle plus de toi. Déjà, on ne parlait pas beaucoup de moi car j'étais blessé à Toulouse. Quand j'étais au chômage, on pensait même que j'étais encore au TFC. Donc ça prouve bien que les gens ne savent plus rien de toi. C'était difficile mais j'ai eu la chance de trouver un club, de rebondir et de signer à la Lazio. (...) Mais, non, je n'ai jamais pensé à arrêter le football durant cette période.
FM : dans ces moments-là, on peut aussi faire le tri dans notre entourage et voir sur qui on peut compter ou pas.
J-D.A.A : en fait, vous ne faites pas trop le tri. Le tri se fait tout seul et naturellement. Donc je ne pouvais compter que sur ma famille et quelques amis. Quand je dis quelques amis, c'est-à-dire qu'ils se comptent sur les doigts d'une main. Sincèrement, ça va vite. Quand tu es au top, tout le monde est autour de toi et quand tu es dans le trou, il n'y a plus personne. Il n'y a que la famille. On ne peut compter que sur elle.
FM : vous en avez parlé brièvement, vous avez finalement rejoint la Salernitana au début de l'année 2018. Pouvez-vous expliquer dans le détail comment tout cela s'est-il passé ?
J-D.A.A : mon agent m'en a parlé. Ce n'était pas mon agent à l'époque, mais il l'est devenu ensuite. Il m'avait proposé auparavant des clubs de Championship et de Serie A. Je refusais à chaque fois. Mais lui me disait : "fais attention, à force de refuser, tu n'auras plus rien". Il n'a pas lâché l'affaire et il m'a trouvé ce club-là (la Salernitana). Il m' a dit que ce n'était peut-être pas le club dont je rêvais, mais qu'il pourrait me permettre d'aller dans un club plus haut car le président de la Salernitana est aussi le président de la Lazio Rome. J'ai dit ok, car je n'avais plus rien, mais surtout car c'était en Italie. J'y ai signé et je n'ai rien eu à dire, tout était top, l'encadrement, etc...
FM : comment expliquez-vous qu'en France, on ne vous ait pas relancé ?
J-D.A.A : je pense que certains m'ont oublié. D'autres ont dû dire que j'étais encore blessé. Je ne sais pas... On m'a dit que des personnes avaient mal parlé de moi. Donc c'est comme ça...
Du chômage à la Serie A
FM : vous n'aviez pas joué depuis décembre 2016. Quel était votre sentiment avant le match face à la Spezia le 23 février 2018 ?
J-D.A.A : c'était fou ! Pour tout vous dire, j'ai joué mais j'étais complètement à la rue. En deuxième division, ce n'est pas comme en première division. C'est engagé, ça court de partout. J'étais vraiment à la rue. Je me suis dit que je n'étais pas du tout au niveau et qu'on allait se dire : "c'est qui ce joueur qu'ils ont recruté ?". Quand j'ai signé là-bas, j'avais dit au directeur que je ferais tout mon possible pour que l'équipe monte en Serie A. Je m'étais aussi dit qu'il fallait que je rentre dans l'histoire de la Salernitana, qu'il fallait faire monter le club et qu'ensuite je pourrais partir peut-être ailleurs. J'ai essayé mais ça n'a pas marché. (...) Lors du match face à la Spezia, il y avait beaucoup de sentiments mélangés. Ça faisait bizarre de jouer avec du public, que ça crie et en plus je ne comprenais pas trop la langue. C'était bizarre comme sensation mais j'étais heureux de rejouer au football, même si ce jour-là, j'avais été zéro (sourire).
FM : finalement, tout a évolué plutôt bien pour vous puisque rapidement vous avez mis tout le monde d'accord. On disait même que vous aviez le niveau pour aller plus haut, en Serie A. J'imagine que tout cela était flatteur pour vous après tout ce que vous aviez vécu ?
J-D.A.A : oui ! C'est exactement ce que je voulais en signant à la Salernitana. Je souhaitais écrire l'histoire de ce club et monter en première division car ça faisait longtemps qu'il n'avait pas évolué en Serie A. L'an dernier, on était à deux doigts de faire les playoffs et on a perdu le dernier match. C'était un peu triste. Mais on avait vraiment tout qui était réuni pour bien faire dans ce club. On avait de bons joueurs, notre coach était un ancien sélectionneur de l'Italie (Gian Piero Ventura). On ne l'a pas fait, c'est dommage ! Mais la Salernitana, ça reste une très belle aventure pour moi. J'ai joué dans un super club, une ville magnifique, le cadre était super. Les supporters étaient géniaux. Sans offenser les supporters de Toulouse, ceux de la Salernitana sont plus chauds. Ils sont incroyables. Quand ma famille est venue et a vu les supporters, ils étaient surpris de voir de tels supporters pour un club de deuxième division.
FM : vous êtes-vous redécouvert en tant que footballeur et personne ?
J-D.A.A : oui, car j'étais livré à moi-même. Il y avait que moi et moi-même. C'est comme ça qu'on apprend le plus sur soi-même. J'ai appris des choses sur moi que je ne savais pas, des qualités comme des faiblesses. C'est ça qui fait un homme.
FM : cet été, vous avez fini par rejoindre la Lazio Rome, où vous connaissiez donc déjà le président. Expliquez-nous les dessous de ce transfert.
J-D.A.A : le président a parlé de moi comme il venait voir les matches de la Salernitana. Il m'aimait bien et il en a parlé à Simone Inzaghi. Le coach avait un peu suivi mes matches et il trouvait mon profil intéressant. Avec le directeur, ils ont jugé mon profil et ils étaient d'accord pour m'essayer dans un premier temps. La Lazio m'a donc fait signer tout en m'essayant pendant la préparation pour voir si j'étais au niveau. Comme le directeur l'a dit, il est parti me chercher lui-même. J'ai mis tout le monde d'accord et j'ai pu intégrer l'équipe cette saison.
FM : comment avez-vous vécu cette signature à la Lazio ? Que représente ce club à vos yeux ?
J-D.A.A : je me suis dit que j'avais fait le bon choix en signant à la Salernitana car ça m'a permis de rejoindre la Lazio. Au moment où j'ai signé, le club s'est qualifié pour la Ligue des Champions. C'était que du bonheur. Je sortais de la Serie B pour aller jouer dans un club qui allait jouer la Ligue des Champions. C'est top ! (...) La Lazio, c'est l'un des plus grands clubs d'Italie. Il fait partie des cinq plus grandes équipes du championnat. C'est un privilège d'être à la Lazio. Je ne réalise pas trop car ça va vite avec des matches tous les trois jours. Mais c'est énorme !
Premier match en Ligue des Champions et premier but
FM : comment jugez-vous vos débuts là-bas ?
J-D.A.A : bien et pas bien. Je pense que je peux faire dix fois mieux. Mais c'est bien aussi, car j'ai eu la chance de marquer en Ligue des Champions. J'ai également la chance que le coach me fasse confiance et qu'il me fasse entrer ou jouer comme titulaire. Donc c'est pour ça que je dis que c'est bien pour le moment car je joue et j'ai marqué un but, mais c'est aussi pas bien car je peux faire mieux je pense.
FM : vous attendiez-vous à vous adapter aussi vite et avoir une place de titulaire ?
J-D.A.A : sincèrement, oui et non. Les gens me disaient que la Serie A serait plus facile que la Serie B. Je n'y pensais pas trop, mais c'est vrai que quand tu y es, c'est un peu plus facile. Mais franchement, je ne pensais pas m'adapter et jouer aussi vite.
FM : vous avez découvert la Serie A, quel regard portez-vous sur ce championnat ?
J-D.A.A : compliqué. Très compliqué. C'est vraiment très tactique. La moindre erreur se paye cash. On fait beaucoup de tactique. Tous les autres clubs là-bas en font beaucoup aussi. C'est un championnat très relevé.
FM : vous évoluez sous les ordres de Simone Inzaghi. Que pensez-vous de ce coach et de son style ?
J-D.A.A : c'est un top coach et il y a aussi de top joueurs à la Lazio. C'est ça aussi qui fait la force de l'équipe, les deux vont ensemble. Même les adjoints, l'ensemble du staff, c'est vraiment de grands professionnels. Tout le monde adhère et tire dans la même direction. C'est pour ça que cette équipe fait de bonnes choses et j'espère l'aider à faire encore mieux que ce qu'elle a pu faire auparavant. (...) Simone Inzaghi impose son style. La Lazio a beaucoup la possession avec des joueurs de ballon. On peut avoir la possession tout le temps mais aussi jouer en contre car on a les joueurs pour le faire. Parfois, on peut défendre bas et contrer les équipes. On a tous les éléments pour jouer de différentes façons.
FM : le 20 octobre dernier, vous avez aussi joué et marqué lors de votre premier match de C1. J'imagine que ça reste un souvenir incroyable.
J-D.A.A : c'était incroyable. La dernière fois qu'un joueur avait fait ça à la Lazio, c'était le coach ! Donc dans la vie, il y a des signes qui ne trompent pas. C'est lui qui me lance et je marque mon premier but en Champions League. J'étais très content. Mais je savais qu'on devait jouer après, je n'ai pas trop eu le temps de penser à ça car si tu y penses trop, tu peux te perdre.
L'heure de la revanche à sonner !
FM : à 28 ans, avez-vous l'impression d'être dans le meilleur moment de votre carrière ?
J-D.A.A : j'aimerais bien aller plus haut. Je ne connais pas mes limites. Il y a encore quelques mois, j'étais en Serie B et je ne pensais pas être là. Je ne me fixe pas de limite. Depuis que j'ai commencé, c'est le meilleur moment de ma carrière. J'espère qu'il y en aura encore des meilleurs. Il faut travailler pour que ça arrive et y croire aussi.
FM : tout ce que vous vivez actuellement, est-ce une revanche sur vos galères ou juste du pur bonheur ?
J-D.A.A : les deux (sourire). C'est une vraie revanche, pour moi-même aussi. Me dire que j'ai réussi à faire ce que je voulais faire et ce n'est pas fini ! Mais c'est aussi une revanche sur les gens qui ne pensaient pas me retrouver à ce niveau-là après ma blessure. Enfin, c'est du pur bonheur tout ce que je vis. Je me rends compte que j'ai bossé dur et que ça a payé. Quand les gens disent que seul le travail paye, c'est la vérité. Quand tu travailles, que tu as confiance en toi et que tu y crois, ça paye. J'espère donner l'exemple à d'autres personnes qui pensent que c'est mort. Ce n'est jamais mort dans le football comme dans la vie. Sauf que dans le foot, ça va plus vite.
FM : les épreuves traversées vous servent-elles aussi aujourd'hui ?
J-D.A.A : aujourd'hui, je me sens vraiment plus fort mentalement par rapport à ça. Avant, si jamais il m'arrivait un petit truc, j'allais un peu baisser les bras pendant une ou deux semaines, alors que là, je me remets vite en question et ça va tout seul. Je sais à peu près ce qu'il se passe et quoi faire pour effacer tout ça.
FM : comment vivez-vous la menace qui plane sur la Lazio, qui pourrait être exclue de Serie A pour avoir violé le protocole sanitaire ?
J-D.A.A : on en a parlé un peu entre nous. Ensuite, il y a eu la trêve et je suis parti en sélection. Mais c'est un peu compliqué. Je ne connais pas trop le pourquoi du comment de cette polémique. On en a discuté avec les coéquipiers et tous me disent que ça va. Donc on respecte les règles et on se concentre sur le terrain.
FM : vous venez d'évoquer la sélection. Quels sont vos objectifs avec la Côte d'Ivoire ?
J-D.A.A : je veux aider la sélection à se qualifier pour la CAN et pour le prochain Mondial, si je suis toujours appelé.
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