Qualifié pour la 6e Coupe du monde de son histoire, l'Iran va vivre un tournoi où le football ne sera pas le seul sujet majeur. Politiquement, l'Iran vit une période trouble dans un pays où l'esprit de révolution est bien présent. Sur le plan diplomatique, là aussi l'Iran est pointé du doigt et sera au centre du débat sur les prochaines semaines, aussi bien pour le football que d'un point de vue plus global.
Cadre d'expression et de ralliement, le football a souvent eu un lien étroit avec la politique même si les instances gardent comme discours de façade, la volonté de rester en retrait de la politique. C'est notamment le cas de Gianni Infantino président de la FIFA qui a pris la défense du Qatar alors que de nombreuses sélections voulaient critiquer via des actions certains comportements du pays du Golfe, notamment sur la condition des travailleurs ayant construit les stades prévus pour cette compétition. «S'il vous plaît, concentrons-nous maintenant sur le football. Nous savons que le football ne vit pas dans un vide et nous sommes également conscients qu'il existe de nombreux défis et difficultés de nature politique dans le monde entier. Mais s'il vous plaît, ne laissez pas le football être entraîné dans toutes les batailles idéologiques ou politiques qui existent» expliquait-il.
Exactement onze jours plus tard, il prenait officiellement position pour un cessez-le-feu dans la guerre opposant la Russie et l'Ukraine. «Mon appel à vous tous, c'est de réfléchir à un cessez-le-feu temporaire d'un mois pour la durée de la Coupe du monde» lâchait le dirigeant suisse. Deux postures qui méritent un combat, mais dont la posture du chef de la plus grande instance régissant le football semble à deux vitesses et qui témoignent d'une chose, quoiqu'on puisse en dire, le football n'est qu'un reflet de notre société et il peut permettre de traduire de nombreuses choses dont les questions politiques. Sur ce terrain, un pays qui va participer à la Coupe du monde est particulièrement concerné, il s'agit de l'Iran.
L'Ukraine a demandé l'exclusion de l'Iran
Déjà, la présence de la Team Melli a été remise en cause par sa politique internationale. Fin octobre, le patron du Shakhtar Donetsk Sergei Palkin a publiquement pris la parole et a critiqué ouvertement le soutien militaire réalisé par l'Iran envers la Russie lors de la Guerre en Ukraine. Le dirigeant a demandé l'exclusion de l'Iran de cette Coupe du monde tout en évoquant un possible remplacement par la Zbirna : «l'Ukraine devrait être à la Coupe du monde. L'Iran n'y mérite pas sa place ! Pendant que les dirigeants iraniens s'amuseront à regarder leur équipe nationale jouer à la Coupe du monde, des Ukrainiens seront tués par des drones iraniens et des missiles iraniens. Près de 250 drones de ce type ont déjà attaqué des villes pacifiques d'Ukraine.»
«Le Shakhtar demande à la FIFA et à l'ensemble de la communauté internationale à interdire immédiatement à l'équipe nationale iranienne de jouer à la Coupe du monde pour la participation directe du pays aux attentats terroristes contre les Ukrainiens. La place vacante devrait être prise par l'équipe nationale d'Ukraine, qui a prouvé qu'elle est digne de participer au mondial. Avec des conditions inégales avec les autres équipes nationales lors des barrages, ils ont joué avec leur cœur. Cette décision est historiquement et sportivement justifiée. J'exhorte tout le monde à se joindre à la pression sur la bureaucratie du football. Il suffit de répéter les erreurs de la Coupe du monde 2018 en Russie, en se cachant derrière la thèse creuse de l'apolitisme du sport. Faciliter la participation des terroristes à la Coupe du monde relève de la politique. Il est temps de mettre fin à une telle politique» a-t-il conclu.
Des positionnements à deux vitesses
Des mots forts qui ont été suivis d'une demande officielle de la sélection ukrainienne pour exclure l'Iran de la compétition. La position de la FIFA dans ce sujet n'a pas évolué et la formation dirigée par Carlos Queiroz sera bien de l'aventure pour la Coupe du monde 2022 au Qatar. Un attentisme qui a été particulièrement critiqué par l'ancien président de la FIFA qui a officié entre 1998 et 2015 à ce poste, Sepp Blatter (86 ans). Interrogé par Blick, ce dernier a expliqué qu'il aurait pris la décision d'exclure l'Iran de cette compétition suite à son positionnement dans la guerre en Ukraine. «On devrait exclure l'Iran de la Coupe du monde. […] Infantino n'a même pas le courage de répondre aux journalistes» avait-il notamment lâché.
Là encore, la position se défend totalement, mais elle peut aussi être critiquable. Certes, cette posture politique de l'Iran peut être condamnée, mais il ne faut pas oublier la position actuelle de la politique iranienne sur son propre sol. Il y a quelques années, Sepp Blatter avait expliqué au congrès iranien qu'il fallait laisser plus de places aux femmes dans la société en Iran. La situation n'a pas évolué et s'est même récemment embrasée avec des soulèvements dans le pays. Par le passé, les problématiques étaient les mêmes et la FIFA alors dirigée par Sepp Blatter n'avait pas pris de position tranchée sur le sujet. Une politique à deux vitesses encore une fois. Justement, si la présence de l'Iran à la Coupe du monde a été un sujet évoqué lors des dernières semaines, la place des femmes dans le pays et les manifestations pour qu'elles obtiennent les mêmes droits que les hommes embrasent le pays persique.
Ali Daei a soutenu les mouvements
Souvent évoqués les écarts de droits entre les hommes et les femmes en Iran ont pris un nouveau tournant depuis deux mois avec notamment le décès d'une jeune femme Mahsa Amini (22 ans) qui a été emprisonnée lors d'une manifestation pacifiste pour avoir mal portée son voile et qui est morte quelques jours plus tard. Mahsa Amini est depuis devenue une martyre et un symbole de la lutte féministe en Iran et la société iranienne est profondément divisée sur le sujet. L'ancienne gloire du football Ali Daei a notamment vu son passeport être confisqué après avoir critiqué les violences des autorités locales envers sa propre population. Prenant des positions fortes, il était invité pour accompagner la sélection lors de la compétition, mais a décidé de décliner l'invitation pour soutenir les revendications sociales du peuple iranien et notamment des femmes.
«Bonjour à mes chers et honorables compatriotes. En ces jours où la plupart d'entre nous ne se sentent pas bien, j'ai répondu non à l'invitation officielle de la FIFA et de la Fédération de football du Qatar à assister à la Coupe du monde avec ma femme et mes filles, afin d'être avec vous dans ma patrie et à exprimer ma sympathie à toutes les familles qui ont perdu leurs proches. Ils ont perdu ces jours-ci, je déclare. En espérant des jours radieux pour l'Iran et les Iraniens» expliquait-il sur son compte Instagram. D'anciens internationaux comme Javad Nekounam, Ali Karimi ou encore Mehdi Mahdavikia ont pris des positions fortes en faveur des revendications. Que dire de la génération actuelle ? Elle est également très investie sur ce plan politique.
Sardar Azmoun étendard de la Team Melli
En chef de file, on retrouve le buteur du Bayer Leverkusen Sardar Azmoun qui a critiqué ouvertement la répression réalisée par le gouvernement de son pays : «La (punition ndlr) ultime est d'être expulsé de l'équipe nationale, ce qui est un petit prix à payer pour même une seule mèche de cheveux d'une femme iranienne. Ça ne sera jamais effacé de notre conscience. Je n'ai pas peur d'être évincé. Honte à vous d'avoir si facilement tué le peuple et vive les femmes d'Iran.» Il a aussi tenu à encourager les femmes de son pays : «je suis avec vous, vous êtes mes sœurs, je suis fier de vous. Mon cœur se brise pour Mahsa Amini.» Une prise de position osée qui a remis en cause sa convocation qui était évidente, mais finalement, il sera bien du voyage avec la sélection. Le 27 septembre dernier contre le Sénégal lors d'un match amical (1-1), les joueurs de la sélection ont caché le logo de l'équipe nationale au moment des hymnes en soutien envers leur peuple.
Chef de file de sa sélection avec Mehdi Taremi et fortement engagé sur les sujets politiques, Sardar Azmoun guide ses coéquipiers aussi bien sur le plan sportif que dans les actions concrètes. Son coéquipier Saman Ghoddos a également pris la parole dans un entretien pour The Athletic : «personne n'en est content et tout le monde veut voir un changement. Le changement est très simple. Ce que les gens veulent n'a rien de spécial, c'est juste la liberté. Je ne veux pas dire allez vous battre pour cela parce que je ne pense pas que la violence soit la bonne voie, mais quelque chose doit changer et cela dure depuis trop longtemps.» Un discours partagé au sein de l'équipe et qui pourrait être suivi de nouvelles prises de position lors d'une compétition où la place de la politique semble plus importante que jamais.
Des actes sont attendus
De retour à la tête de la sélection, le portugais Carlos Queiroz ne pensait sans doute pas à devoir gérer le volet politique en plus du terrain. Placé dans le groupe B avec l'Angleterre, les États-Unis et le Pays de Galles, l'Iran débutera sa compétition ce lundi face aux Three Lions. Carlos Queiroz a expliqué en conférence de presse qu'il s'attendait à voir ses joueurs prendre position et qu'il le comprenait : «c'est exactement comme en Angleterre. Vous suivez l'esprit du jeu et les lois de la FIFA tant que vous vous exprimez dans le football, selon ces principes et ces valeurs. Tout le monde a le droit de s'exprimer.»
«Certains mettent le genou à terre, certaines personnes sont d'accord, d'autres ne sont pas d'accord avec cela. Et l'Iran c'est exactement pareil. Il est hors de question de penser que l'équipe nationale iranienne souffre de tels problèmes. Les joueurs pourront protester conformément aux règles du tournoi» a poursuivi le technicien portugais de 69 ans. Au-delà de la possibilité d'amener l'Iran pour la première fois de son histoire en huitièmes de finale de la Coupe du monde, la Team Melli mènera d'autres combats. Unie, la sélection iranienne se dressera en étendard d'un peuple qui se bat pour ses libertés dans un pays profondément divisé.