Venezuela : comment Nicolás Maduro a-t-il utilisé le football pour asseoir sa domination ?
Avec de solides résultats sur les derniers mois, la sélection nationale vénézuélienne entraînée par Fernando Batista entame cette première trêve internationale de la saison avec l’objectif de faire le plein de points dans ces éliminatoires de la Coupe du Monde 2026. Mais dans ce pays au 28,4 millions d’habitants, le football n’est plus qu’un simple sport, il devient un outil politique dans un contexte post-élection chaotique.
Alors que les sélections européennes se réunissent pour la première fois depuis la fin de l’Euro 2024, les équipes sud-américaines emboîtent le pas après une Copa América 2024 qui a vu l’Argentine conserver son titre continental. Pas de Ligue des Nations en Amérique du Sud, mais les objectifs sont très grands pour ces sélections nationales. En effet, les 7ème et 8ème journées des éliminatoires de la Coupe du Monde 2026 auront lieu dans les prochains jours et chaque nation disputera deux matchs capitaux. Le Venezuela, auteur d’un début de campagne solide avec 9 points en six journées synonyme de 4ème place au classement, affrontera la Bolivie sur la pelouse de l’Estadio Municipal d’El Alto jeudi soir, avant la grande affiche face à l’Uruguay dans l’enceinte de l’Estadio Monumental de Maturín quelques jours plus tard. Au-delà des échéances capitales à la clef, cette trêve internationale aura une saveur particulière pour le peuple vénézuélien qui traverse de bien sombres heures depuis plusieurs semaines en raison d’une intense répression sur les militants suite à la dernière élection présidentielle.
Réélu avec 51,20 % des suffrages exprimés pour un troisième mandat de six ans le 28 juillet dernier, le président vénézuélien, Nicolás Maduro, a prêté serment après que le Tribunal suprême de justice (TSJ) a validé sa réélection contestée. Cette trêve internationale de football sera donc marquée par une augmentation des manifestations massives qui font rage depuis plusieurs semaines aux quatre coins du pays, profitant ainsi des projecteurs internationaux des événements sportifs. Le peuple vénézuélien se révolte et la politique d’oppression se durcit dans les rues vénézuéliennes : « c’est le triomphe de la paix et de l’idéal républicain. Nous vivrons désormais dans la paix, dans la stabilité, dans le respect de la loi et de la justice», a pourtant déclaré l’héritier d’Hugo Chávez au pouvoir depuis 2013. Comme ce fut souvent le cas ces dernières décennies, le football sud-américain et les révolutions politiques vont étroitement se relier, surtout que cette réélection devient un sujet qui enflamme toute la région, à l’heure où les autorités américaines ont saisi cette semaine l’avion du président vénézuélien en raison de violations présumées de sanctions américaines.
Une réélection contestée et un chaos sociétal
Les accusations et autres critiques faites à Nicolás Maduro ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013 suite au décès de Hugo Chávez, le natif de Caracas a transformé le Venezuela en un régime ultraprésidentiel aux allures de dictature menant une politique de répression abusive. Le régime a couramment recours à la détention arbitraire, à la torture et aux exécutions extrajudiciaires, une situation largement dénoncée par la communauté internationale et les organisations telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch. De grandes manifestations anti-gouvernementales ont eu lieu en 2016 et en 2017 après que Maduro s’est octroyé les pleins pouvoirs du Parlement sous la forme d’un Coup d’État institutionnel déguisé : «la situation est malheureusement toujours la même depuis les manifestations de 2017. L’opposition demande aux gens d’aller dans la rue face à la police qui réprimande lourdement à chaque fois l’opposition, même des mineurs se retrouvent en prison parfois, des gens disparaissent. D’où le fait que plus de 8 millions de Vénézuéliens ont quitté le pays. On parle de chiffres comparables aux Syriens», nous explique Rodolphe Wilhelm, spécialiste sur le Venezuela. Déjà réélu en 2018 dans un contexte de contestation, l’élection de 2024 a été celle de trop et le pays a donc rebasculé dans une vague de manifestations d’ampleur considérable. Le bilan officiel de ces rassemblements fait état de 25 morts, 192 blessés et 2 200 arrestations. Les manifestants ont ainsi brûlé des portraits de Maduro et ont déboulonné 27 statues d’Hugo Chávez. En réponse, les forces de l’ordre ont attaqué les militants à coup de gaz lacrymogène.
Alors que tout portait à croire que l’élection allait être remportée par l’opposition représentée par Edmundo González Urrutia, en tête des sondages pendant toute la campagne, les craintes de fraude électorale, voire de disqualification de dernière minute planaient sur cette élection. Si le scrutin a finalement bien eu lieu, des condamnations de parodie électorale ont, sans surprise, fait surface. Les résultats annoncés diffèrent entre Edmundo González Urrutia (43,18% selon le président sortant / 67,08% selon l’opposition) et Nicolás Maduro (51,95% selon le président sortant / 30,46% selon l’opposition), les deux candidats revendiquant ainsi la victoire. Le Conseil national électoral (CNE) n’a publié aucun décompte, ni aucune donnée sur les électeurs pour étayer ses résultats. Un brouillard s’installe pour les Vénézuéliens et Vénézuéliennes en quête d’une perspective d’avenir, alors que Maduro s’accroche au pouvoir avec certaines institutions à sa merci : «malheureusement, c’est très difficile à dire, car on dirait que le même scénario se répète à chaque élection gouvernementale qui est d’ailleurs verrouillée par le régime chaviste. Les militaires sont du côté de Maduro car ceux-ci gèrent des entreprises dans le pays par exemple. Les opposants pour la plupart se sont réfugiés à l’étranger, dans des ambassades à Caracas et ne peuvent pas sortir. Maria Corina Machado est celle qui porte l’espoir de l’opposition, mais elle a été interdite par le régime chaviste lors des dernières élections de se présenter», a poursuivi Rodolphe Wilhelm. Un tribunal antiterroriste a émis un mandat d’arrêt contre le candidat à la présidentielle Edmundo González Urrutia, accusé d’avoir tenté de falsifier les résultats du suffrage en sa faveur.
Le football comme outil destructeur
Le football prend une dimension politique, sociale et économique importante en Amérique du Sud. Le Venezuela ne déroge pas à la règle. La dernière manœuvre du régime de Nicolás Maduro dans le monde du football a été la nomination de Jorge Giménez au poste de président de la Fédération vénézuélienne de football (FVF). Il est un homme clef proche du pouvoir chaviste en étant considéré comme une étoile montante qui a réussi à gravir les échelons dans l’orbite des affaires du régime, sous l’aile protectrice de la vice-présidente Delcy Rodríguez : «le rapport est moins prononcé que celui qu’avait Chavez avec le football. À son époque, il était grand ami avec Maradona, gérait avec son frère le club de Barinas, le Zamora FC (État où est né Chavez) et avait tout mis en œuvre pour accueillir la Copa America 2007. Le football et surtout la fédération de football au Venezuela est très proche du pouvoir chaviste. Le président de la fédération est un proche de Maduro et grâce au support de Maduro, il a pu payer les différents coachs étrangers que l’équipe nationale a depuis quelques années, le dernier étant l’Argentin Fernando Batista. Le Venezuela est un des seuls pays en Amérique du Sud où le baseball est aussi populaire que le football. Mais Maduro l’a beaucoup utilisé et encore en ce moment avec les protestations où le football et le championnat continuent comme si de rien n’était pour essayer de calmer la population», analyse Rodolphe Wilhelm qui parle souvent de football vénézuélien sur son compte Twitter mais aussi dans certains podcasts. Lors de son discours d’intronisation en décembre 2023, le dirigeant de l’institution avait affirmé devant Nicolás Maduro : «je dis toujours à toutes les équipes et tous les clubs que vous êtes le parrain silencieux de La Vinotinto (surnom de l’équipe nationale, qui veille toujours sur nous tous. Vous serez le premier président de l’histoire à amener le Venezuela à une Coupe du Monde de la FIFA», assumant ainsi sa proximité avec le locataire du Palais de Miraflores.
Le nouveau patron du football vénézuélien est donc directement en lien avec le pouvoir en place. Ses vols en délégations officielles le conduisent aux quatre coins du monde non seulement pour promouvoir le football vénézuélien, mais aussi pour son propre bénéfice à travers une structure commerciale qui assure la médiation de la nourriture pour les Comités Locaux d’Approvisionnement et de Production (CLAP), ainsi que dans l’intermédiation de la commercialisation du pétrole brut de Petróleos de Venezuela (Pdvsa). Certains le voient déjà comme un futur homme fort de la politique de Nicolás Maduro : «beaucoup de joueurs ont pris parti contre Maduro, et surtout contre la répression de la police et des militaires envers la population que ce soit lors des dernières manifestations ou encore en 2017 ou des joueurs comme Fernando Aristeguieta, l’ex-Nantais, qui s’était déplacé à Caracas pour protester avec l’opposition. Beaucoup de joueurs ont posté récemment sur les réseaux sociaux des messages pour la paix et un changement dans le pays. Pour les dernières élections, on n’a toujours pas vu la publication des résultats officiels pour chaque État, juste soi-disant que Maduro avait gagné et les institutions internationales n’ont pas eu le droit de venir vérifier», a rappelé Rodolphe Wilhelm. En 2017 lors d’une grande vague de manifestations, le capitaine Tomás Rincón, alors joueur du Torino, avait demandé de stopper «la répression» sur son compte Twitter. De même que Oswaldo Vizcarrondo et Salomón Rondón mais le président vénézuélien, qui a souvent arboré des maillots ou des vestes aux couleurs de l’équipe nationale lors de ses discours, a toujours su s’appuyer sur les graines footballistiques déjà plantées par Hugo Chávez. C’est toute la symbolique du foot qui est utilisé par Maduro.
Les condamnations des pays d’Amérique du Sud
Le scandale de cette nouvelle élection présidentielle isole un peu plus le Venezuela à l’échelle régionale. Onze pays d’Amérique (Argentine, Costa Rica, Chili, Équateur, États-Unis, Guatemala, Panama, Paraguay, Pérou, République Dominicaine et Uruguay) ont annoncé à travers un communiqué conjoint rejeter catégoriquement l’annonce du Tribunal suprême de justice qui indique avoir réalisé une supposée vérification des résultats du processus électoral. Le siège du Venezuela est toujours suspendu au sein du Mercosur, zone de libre-échange qui regroupe plusieurs pays d’Amérique du Sud : «la communauté en Amérique du Sud a toujours soutenu en majorité les Vénézuéliens contre Maduro et avant ça le régime de Hugo Chávez. La Colombie a accueilli la plupart des Vénézuéliens. Des cas de racismes sont apparus du fait du grand nombre de Vénézuéliens dans les pays limitrophes, mais la plupart aident les réfugiés avec des visas spécifiques pour eux», a détaillé Rodolphe Wilhelm qui a créé l’association RD Sports Consulting qui a pour but de venir en aide aux écoles de football vénézuéliennes ainsi qu’aux jeunes talents. L’élection de Edmundo González Urrutia est reconnue par de nombreux pays d’Amérique comme l’Argentine, le Costa Rica, les États-Unis, l’Équateur, le Panama, le Pérou et l’Uruguay. Parmi ces pays, le Pérou, l’Argentine et l’Équateur lui reconnaissent aussi le statut de président élu. Du côté de Washington, Nicolás Maduro est inculpé depuis 2020 avec d’autres hauts responsables vénézuéliens pour narco-terrorisme et Donald Trump, alors au pouvoir, promettait une récompense de 15 millions de dollars pour toutes informations qui contribueraient à son arrestation et à sa condamnation. Accusé de crimes contre l’humanité par l’ONU, Nicolás Maduro a fait l’objet d’un rapport publié après plusieurs entretiens avec des victimes, des témoins et d’anciens responsables des services de renseignements. Cette enquête a prouvé l’existence de centres de torture clandestins dans des institutions officielles comme le siège de certains ministères, mais aussi dans des granges, des hangars et des terrains vagues.
Si la condamnation des voisins sud-américains ne date pas d’aujourd’hui, cela reste assez inédit qu’elle soit aussi unanime dans la région. Des pays de gauche aux relations historiquement étroites avec le Venezuela ont pour la première fois tapé du poing sur la table sans prendre de pincettes. C’est le cas notamment du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva et du président colombien Gustavo Petro qui ont réclamé de nouvelles élections présidentielles. Le Mexique aussi, proche fidèle de Caracas, a émis des doutes sur la véracité de ce scrutin. Brasilia, Mexico et Bogota se placent d’ailleurs en médiateurs pour trouver des solutions à cette nouvelle crise vénézuélienne : «A chaque rassemblement des pays membres de l’OAS (L’Organisation des États Américains) dont le Venezuela fait partie, la plupart des pays condamnent ce qu’il se passe au Venezuela. Même des pays dits de gauche comme la Colombie ou le Brésil sont de plus en plus enclins à critiquer le régime de Maduro», a conclu Rodolphe Wilhelm. Parmi ses alliés, le président vénézuélien peut néanmoins encore compter sur une proximité avec le trident Chine-Russie-Iran auquel il faut ajouter Cuba. En tout cas, il faudra bien observer les tribunes du stade lors des deux rencontres de La Vinotinto prévues dans cette trêve internationale. Les messages politiques risquent d’être multiples. Et si le Venezuela faisait un grand pas vers la qualification pour la Coupe du Monde 2026 organisée au Canada, au Mexique et aux États-Unis, alors le symbole politique serait total.
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