Populaire dans le basketball et notamment en NBA, le métier d’entraîneur chargé du développement des joueurs ou « player development coach » commence à prendre de l’ampleur dans le football. Serge Costa, actuellement entraîneur adjoint au Amiens SC, est l’un des précurseurs en France puisqu’il a notamment collaboré avec Benjamin Pavard, Idrissa Gueye, Mattéo Guendouzi et les frères Ayew. Il nous dévoile les différentes facettes de son métier.
« Quand je collabore avec un joueur, je le fais travailler selon les préférences de ses coéquipiers. Je prends en compte la manière dont ils se déplacent, la nature et les récurrences de leur jeu sans ballon. On ne fait jamais du travail technique pour faire du travail technique. Tout est toujours contextualisé donc le joueur travaille comme-ci ses coéquipiers étaient vraiment avec lui. » À l’heure où de nombreux entraîneurs personnels de football affluent sur les réseaux sociaux, Serge Costa s’évertue d’appliquer une méthodologie très précise aux joueurs professionnels qu’il accompagne depuis 2014, et la création de sa société Playmaker. Aujourd’hui, adjoint de Luka Elsner au Amiens SC, Serge Costa délègue de nombreuses tâches à son équipe qui continue d’accompagner de nombreux joueurs professionnels en France et à l'étranger. Parmi eux, on retrouve donc Idrissa Gueye, Benjamin Pavard, Mattéo Guendouzi, les frères Ayew mais aussi Jules Koundé, Youssouf Fofana, Aurélien Tchouaméni, Zaydou Youssouf, Yassine Benrahou, Hugo Vandermersch, Maxwel Cornet ou encore Dodi Lukebakio.
Formé à l’université de Lisbonne comme José Mourinho et Ruben Amorim
Avant de devenir entraîneur chargé du développement des joueurs, Serge Costa est passé par de nombreuses étapes et différentes formations. « À la base, je suis diplômé d’un Master en marketing et management du sport. J’ai d’ailleurs commencé ma carrière en étant scout pour Puma. C’est-à-dire que j’étais chargé de recruter des joueurs talentueux et prometteurs pour représenter la marque. C’est notamment durant mon passage que le service Sports Marketing de Puma a signé Olivier Giroud, Antoine Griezmann, Thomas Lemar (depuis équipé par adidas, ndlr) ou encore Kalidou Koulibaly. On a fait quelques erreurs de casting aussi. En parallèle, j’ai commencé à passer mes diplômes d’entraîneur et donc à entraîner. J’ai tout d’abord travaillé à l’AS Nancy-Lorraine sous les ordres de José Martinez, avant de revenir à Sarrebourg, ville de Moselle dont je suis originaire, puis de rejoindre le Racing Club de Strasbourg en 2012 par l’intermédiaire de Jean-Marc Kuentz. Là-bas, j’ai été l’adjoint de Thierry Brand avec les U15, de François Keller avec la CFA 2. J’ai aussi entraîné les U16 avec Martin Djetou, et l’équipe senior féminine en 2018/2019. Donc mêler le management/sponsoring sportif avec mon activité d’entraîneur m’a permis de travailler mon œil. À ce moment-là, j’ai commencé à chercher quels paramètres pouvaient permettre aux joueurs de performer mais aussi ce qui pouvait les empêcher d’aller au bout de leur processus de développement », nous explique Serge Costa.
Malgré le bon travail effectué au sein de Puma, il est libéré par l’équipementier au cours d’un plan social. Animé par sa passion du jeu et du terrain, il décide de rebondir en se consacrant pleinement à sa carrière d’entraîneur. Titulaire d’un Diplôme d’État Supérieur (DES) mention Football, il poursuit ses études en ralliant le Portugal et plus précisément Lisbonne et sa célèbre Faculté de motricité humaine, où de nombreux entraîneurs portugais comme José Mourinho ou plus récemment Ruben Amorim se sont formés. Pendant son voyage initiatique vers le métier d’entraîneur, il côtoie des références comme Jean-Louis Gasset. Il fait aussi un an de stage au Paris Saint-Germain au sein du service Game Analysis managé par Adrien Tarascon et visite les centres de formation du Sporting Clube de Portugal et de Manchester United. Il voue une admiration pour la formation portugaise et espagnole, où l’on considère le football comme « une science humaine qui met en interactions plusieurs disciplines externes : psychologie, management des hommes, méthodes d’apprentissage et qui valorisent l’homme et pas juste le footballeur », comme il l’a raconté sur rue89strasbourg.com.
Entraîneur de développement global plutôt qu’entraîneur individuel
Fort de ses expériences en tant que scout et entraîneur/formateur, Serge Costa est contacté par Bouna Ndiaye, un agent sportif très influent dans le basketball mais aussi dans le football. « C’était en 2014, Bouna qui me connaissait à travers mon travail chez Puma m’appelle et me demande de travailler avec Idrissa Gueye, car il souhaitait lui faire passer un cap, notamment dans les 30 derniers mètres, pour lui permettre de signer dans un club de Premier League. Il m’a aussi mis en contact avec l’agent des frères Ayew, Fitzgérald Thomas, qui voulait aussi les faire progresser et les placer en Premier League. C’est à ce moment-là que mon activité s’est vraiment lancée », se souvient-il, avant d’ajouter : « J’ai la chance de pouvoir choisir les joueurs et les agents avec lesquels ma société collabore. Et si notre méthodologie fonctionne, c’est aussi parce que les managers et les agents offrent l’environnement adéquat pour permettre à leurs joueurs de réussir. »
Serge Costa a mis en place une méthodologie d’entraînement qu’il a construit au fil de ses expériences. Surtout, il s’impose un gros travail d’analyse vidéo, d'analyse des statistiques avancées et d’exercices sur le terrain pour être le plus efficace possible. Il détaille : « on parle souvent d’entraîneur individuel pour parler de mon métier mais je ne suis pas entraîneur individuel. Pourquoi ? Parce que je travaille avec les joueurs dans le but de les intégrer au jeu collectif déployé par leur équipe. Donc entraîneur individuel n’est pas le bon terme pour désigner ce métier. Je développe les joueurs de façon globale. En anglais, on parle de “player development coach”, mais je dirais juste que je suis en charge du développement global des joueurs. Mon travail concerne aussi bien la tactique que la technique, que la prise de décision ou la capacité à faire preuve d’efficacité dans chaque situation de match. »
La réflexion au cœur de cette méthodologie de travail
Quand de nombreux entraîneurs individuels se focalisent sur la maîtrise de différents gestes techniques isolés de toute considération collective, Serge Costa privilégie quant à lui la contextualisation permanente au cours de ses séances. Sans doute un héritage de son passage au Portugal, pays de la périodisation tactique (façon de structurer les entraînements de manière globale) ou de l’influence de ses mois passés au Paris Saint-Germain où il a découvert un modèle de jeu révolutionnaire et une méthodologie innovante pour aider les joueurs à s’adapter à un football en perpétuelle évolution selon ses propres aveux. « Avec Idrissa Gueye, je me suis beaucoup inspiré de ce que pouvait faire Blaise Matuidi au Paris Saint-Germain et de sa qualité à pouvoir se projeter dans les 30 derniers mètres. Pourquoi ? Parce qu’en utilisant les stats avancées et en modélisant les systèmes de jeu des meilleures équipes, on s'est rendu compte que de trouver un joueur lancé dans les 30 derniers mètres, comme pouvait le faire Matuidi, était beaucoup plus efficace que de tenter une frappe lointaine ou sans angle. Donc avant de commencer les entraînements spécifiques avec Idrissa, il a fallu faire un travail de recherche conséquent et lui faire prendre conscience de ce qu’il pouvait améliorer via l’analyse vidéo, les stats avancées et les situations de jeu sur le terrain », précise Serge Costa. Qui poursuit :
« au cours d’un entraînement, on sollicite d’abord la prise d’informations car le football va de plus en plus vite. Quel référent est important ? Quel référent ne l’est pas ? (un référent désigne la prise d’information qui va orienter la prise de décision, ndlr) Ce n’est pas en plein match que le joueur doit découvrir la réponse à ces questions. Alors, on l’entraîne, avec l’objectif de simplifier au maximum les référents d’un joueur. Pourquoi ? Car voir avant permet de jouer plus vite. Ensuite, on travaille l’intention de jeu. Par exemple, pour un milieu de terrain, on va alterner entre capacité à jouer vers l’avant et faculté à faire une passe plus latérale pour mettre en orbite un partenaire. As-tu exploité au maximum les caractéristiques des partenaires qui t’entourent ? La réflexion est au cœur de l’entraînement qui prend en considération tout l’environnement du joueur. C’est-à-dire le style de jeu de l’équipe pour laquelle il joue, le profil de ses coéquipiers, de ses adversaires, les principes de jeu de l’entraîneur principal mais aussi ses qualités intrinsèques, ce qu’il est capable de faire, et son potentiel, soit les gestes efficaces qu’il pourra très vite réaliser. Tout ça entraîne une réflexion tactique qui va déboucher sur des réponses techniques sur le terrain. Et il ne faut pas oublier la dimension mentale avec la gestion des émotions. Il s’agit donc bien d’un développement global du joueur. »
D’ailleurs, Serge Costa a pour habitude de travailler par zone de jeu et non pas par poste de jeu. « Un latéral et un ailier ont des problématiques de jeu très proches : bloquer la ligne, gérer des un-contre-un, gérer des un-contre-deux, arriver en zone préférentielle de centre et réaliser le geste juste, etc. Benjamin Pavard et Dodi Lukebakio, avec qui je travaille, n’ont pas le même poste sur le terrain mais pourtant ils rencontrent bien les mêmes problématiques en match. Tout est donc conditionné par rapport à la zone », justifie-t-il.
Pas un entraîneur révolutionnaire mais un travailleur
Malgré son jeune âge, 32 ans, et un carnet d’adresses qui ne cesse de se remplir, Serge Costa reste discret et humble. Il nous assure : « je ne me vois pas comme un entraîneur révolutionnaire. Ce n’est pas moi qui transforme les joueurs mais avec moi, ils sont sûrs de travailler et d’être concentrés sur des éléments précis de leur jeu. J’ai au moins le mérite de les stimuler. » Et les joueurs le lui rendent bien. Récemment interrogé par RMC Sport, Jules Koundé, que Costa voyait deux fois par mois quand il était à Bordeaux, avait déclaré « qu’il avait constaté des progrès depuis le début de sa collaboration avec Serge. » De manière plus directe, l’intéressé nous dévoile comment il évalue un travail efficace : « je sais que j’ai bien travaillé quand un joueur atteint ses objectifs de carrière, son ambition de rejoindre un club plus huppé ou plus simplement quand il augmente son salaire. C’est aussi simple que ça. Quand ton joueur prend de la valeur, tu peux estimer que ton travail a été bien fait. » Loin d’être rassasié par ses récents succès, Serge Costa continue de travailler sans relâche, marqué par une phrase sortie de la bouche de Mathieu Bodmer : « dans le foot, on a que ce que l’on mérite ! »
Perfectionniste, il a établi ses propres données statistiques et compilé des milliers de situations de jeu par zone du terrain. « Comme je l’ai expliqué plus tôt. Il n’y a jamais de réponses toutes faites dans le football. Il y a des réponses différentes selon la zone du terrain, les phases de jeu, le moment du match, l’adversaire, etc. Chez Playmaker, on possède une vidéothèque avec des milliers de situations dans des zones très précises du terrain que l’on peut comparer avec les prises de décision du joueur avec lequel on travaille. Par exemple, pour Mattéo Guendouzi, on peut lui dire qu’auraient fait Busquets ou Verratti dans la même situation que lui ? », décortique Serge Costa qui réalise aussi des briefings et débriefings avec ses joueurs avant et après chaque match. Il argumente : « avant un match contre Strasbourg, on a fait un point avec Jules Koundé car il allait affronter Ludovic Ajorque, qui est beaucoup plus grand que lui. On a anticipé que le staff adverse allait faire jouer Ajorque dans la zone de Jules. Donc, notre réflexion a été de nous dire : "ok, il faut que tu arrives lancé sur les ballons aériens pour avoir une chance de remporter tes duels. S’il arrive à bloquer ta course, comment tu t’ajustes ?". C’était la même chose avec Mattéo Guendouzi lors de ses premiers matchs avec Arsenal. Il fallait qu’il s’intègre à un nouveau jeu, à un nouveau championnat et qu’il arrête de vouloir en faire trop. »
Serge Costa précise aussi qu’il n’oublie pas d’effectuer du travail défensif au cours de ses entraînements. « Évidemment, je prends en compte les organisations défensives de l’équipe de mes joueurs. Par exemple, je peux demander à un joueur d’effectuer un centre ou un tir puis de défendre immédiatement pour vivre le contre-pressing qu’effectue généralement son équipe. Donc oui, je consacre une grosse partie au travail défensif mais toujours en m’adaptant au style de jeu de chaque équipe. Par exemple, je travaillais avec un défenseur du Barça et son agent m’a dit que je travaillais trop les sorties de balle et pas assez les interventions défensives. Je lui ai répondu : "non mais attends, par match, dis-moi combien de fois le Barça va se trouver en possession du ballon, dans des situations de sortie de balle en comparaison aux situations de défense placée ? Quand je le fais travailler sa relance, je lui fais anticiper l’éventuelle perte de balle d’un milieu de terrain. Ce n’est pas de la défense ça ?" Bref, tout est contextualisé. C’est la base de mon travail », indique avec ferveur Serge Costa.
Entraîneur chargé du développement des joueurs, un métier d’avenir ?
Attiré par la bonne réputation de Serge Costa dans le milieu, Amiens via John Williams, son responsable du recrutement, a décidé de lui offrir un contrat de six mois le 1er janvier 2020. Directement intégré dans le staff de Luka Elsner, Serge Costa a mis en place ses méthodes de développement des joueurs au sein même des entraînements quotidiens d’Amiens. « Ce qui est génial à Amiens, c’est que l’on a la même vision et que l’on travaille toujours ensemble. Je ne suis pas isolé, je travaille main dans la main avec Luka Elsner, qui est un entraîneur d’avenir, hyper précis sur les moindres détails du jeu, et qui me consulte aussi lorsqu’il doit faire des choix tactiques », nous révèle-t-il.
Vu que le football est en mutation constante, avec l’apport de plus en plus d’entraîneurs spécifiques et de spécialistes au sein des staffs des équipes professionnelles, le métier d’entraîneur chargé du développement des joueurs, si populaire dans le basketball, va-t-il complètement se démocratiser à l’avenir ? Serge Costa nous donne sa vision des choses : « je pense que le "player development" existe depuis plusieurs années dans le football mais que personne n’y avait mis de nom dessus. Un joueur comme Cesc Fabregas a des routines d’entraînement depuis des années par exemple. Au basket, l’essence même du jeu a contribué à faire naître des entraîneurs spécialistes du développement d’un joueur car les basketteurs se retrouvent plusieurs fois dans les mêmes zones et reproduisent systématiquement des actions similaires du fait de la taille du terrain, de la limite de temps par possession et du nombre limité de joueurs sur le parquet. Dans le football, c’est moins évident de faire ça mais on y vient. Regardez en Angleterre où des équipes professionnelles ont déjà commencé à intégrer des entraîneurs chargés du développement des joueurs. Et en France, Amiens a lancé cette tendance. »
La route de Serge Costa le mènera peut-être un jour vers des grands clubs européens, même si l’intéressé n’en fait pas un cheval de bataille. « Je n’ai pas d’objectif idéal. Mon but à moi, c’est simplement de gagner des matches et de continuer à faire progresser les joueurs. Déjà, si Puma ne m’avait pas fait partir, je serais sans doute toujours scout pour la marque et on n’aurait jamais eu cette discussion. Je me satisfais déjà de ce que j’ai et si je dois aller plus haut et plus loin, ça arrivera mais ce n’est pas un objectif », conclut Serge Costa. Après tout, « dans le foot, on a que ce que l’on mérite... »