Gilles Grimandi : «un club comme Arsenal ne peut dépendre d’une personne»
Eté 97, Gilles Grimandi débarque à Arsenal dans les valises d’Arsène Wenger dans un package avec Emmanuel Petit. Sa hargne sur le pré transforme ensuite Grimandi en Grimster, un surnom trouvé par les fans des Gunners. Avec eux (et pour eux), le natif de Gap remporte deux doublés coupe-championnat et prépare le terrain aux Invincibles de l’Anaconda Thierry Henry. Après 5 années de bons et loyaux services, suivies d’une courte parenthèse, Grimster fait son retour à Londres dans un rôle de recruteur aux côtés de son père spirituel, Arsène. Aujourd’hui redevenu simple (mais inconditionnel) supporter, Gilles Grimandi raconte à Foot Mercato son Arsenal.
Foot Mercato : vous avez fait partie d’Arsenal de 1997 à 2002 en tant que joueur, puis de 2005 à 2019 comme recruteur. Quel est votre lien avec le club aujourd’hui, votre y êtes encore très attaché ?
Gilles Grimandi : c’est plus qu’un attachement, c’est le club de mon cœur, celui que j’aime. Je ne rate jamais un match d’Arsenal. Je ne pense pas en avoir raté un depuis peut-être 20 ans (rires). Et si j’en manque un, je regarde le replay derrière. Je suis fortement attaché, je suis un supporter. Un supporter exigeant parce qu’on s’y est beaucoup investi et qui parfois souffre un peu…
FM : justement, quand on a joué dans un Arsenal qui fait deux fois le doublé (1998 et 2002) et qui a précédé les Invincibles, c’est une souffrance de voir le club finir à la 8e place l’an passé ?
GG : il faut aussi remettre les choses dans leur contexte, c’était une période différente. Chelsea arrivait (1 seul titre de champion d'Angleterre avant 2005, ndlr), il y avait Manchester United mais City n’était pas là. Quand je signe, Arsenal venait de perdre en Europe contre un Gladbach (2-3, en Coupe UEFA 1996-1997) que derrière on avait éliminé facilement avec Monaco (4-2). C’était un club qui était un peu comme aujourd’hui au niveau du classement, puis il y a eu cette montée sous la direction d’Arsène (Wenger, ndlr). On a vécu des moments très forts, on ne s’en rendait pas compte sur l’instant, ça paraissait naturel, ça paraissait facile parce que les événements s’enchaînaient. C’est avec le recul qu’on mesure la chance que l’on a eu. C’était exceptionnel.
FM : comment expliquez-vous que le club peine à lutter pour le titre aujourd’hui ?
GG : Arsenal a longtemps été un club qui fonctionnait en bon père de famille. Si on fait le bilan des achats et des ventes sous l’ère Wenger, je pense que la balance est très bonne. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Nous, le projet était viable et lisible. Peut être que sur la fin on a fait des erreurs aussi, mais on était resté dans cet esprit-là. Personne n’en parle, mais il (Wenger, ndlr) a laissé le club dans des conditions extraordinaires.
«À notre époque, il y avait une ligne directrice, une méthode et le coach la maîtrisait bien»
FM : ce qui n'est plus tellement le cas... Depuis 2016-17, Arsenal n’atteint plus la C1 et sa masse salariale grimpe en flèche.
GG : j’ai toujours la conviction que si votre projet est bien établi, vous pouvez être compétitif. Mon sentiment aujourd’hui, c’est que la jeunesse est très bonne, ce qui existait très peu à mon époque - il y a eu Fabregas mais c’était un épiphénomène - et elle revendique du temps de jeu avant tout. Je suis persuadé qu’il y a moyen d’être attractif pour eux, pas uniquement avec de l’argent, mais en leur offrant du temps de jeu. Seulement, il faut envoyer des messages positifs. Le seul regret que j’ai aujourd’hui, c’est que j’ai du mal à lire la politique du club. Faire une Champion’s League une fois n’est pas une fin en soi. Il vaut mieux perdre un an ou deux et être compétitif sept ans, que vouloir brûler les étapes et y être une fois tous les trois ans. Ma souffrance, elle est là, j’ai du mal à comprendre ce qu’il se passe en ce moment au club. À notre époque, il y avait une ligne directrice, une méthode et le coach la maîtrisait bien : après 31 ans, on ne proposait qu’un an de contrat - tout le monde le savait très bien -, (Dennis) Bergkamp l’a fait deux ou trois fois, et les jeunes on leur laissait la place dès qu’ils étaient suffisamment performants. Je ne pense pas que cette méthode-là soit dépassée, ce n’est pas vrai.
FM : que pensez-vous du travail de Mikel Arteta qui apparaît comme un bâtisseur ?
GG : je crois en Mikel. J’espère qu’il a le projet de bâtir et qu’il va faire grandir le club. Je pense qu’il en a la compétence, il ne faut juste pas qu’il se décourage et que les gens lui donnent du temps.
FM : qu’est-ce qui fait la différence entre le Arsenal que vous avez connu comme joueur et celui d’aujourd’hui ?
GG : on avait des joueurs qui dominaient leur sujet. Notre ligne défensive était peut-être un peu âgée, mais elle avait beaucoup d’expérience, elle maîtrisait la Premier League. Après, au milieu de terrain il y avait des joueurs exceptionnellement talentueux avec Patrick (Vieira) ou Robert (Pirès) et puis offensivement, on avait la chance d’avoir Thierry (Henry), Nico (Anelka), Sylvain (Wiltord)… Je pense que c’était une équipe très bien équilibrée. Aujourd’hui, on se cherche un peu, on n’a pas trouvé d’équilibre défensif, Mikel cherche. C’est son premier recrutement donc il va pouvoir mettre en place ce dont il a envie. Je pense aussi qu'aujourd’hui, il y a une dépendance à Aubameyang, c’est toujours risqué. Nous, quand Thierry ne marquait pas, il y avait toujours quelqu’un pour le faire. Évidemment que personne ne peut se passer de Thierry Henry mais on avait des solutions. Un club comme Arsenal ne peut dépendre d’une personne.
FM : durant cette période, vous allez aussi assister de très près au phénomène Dennis Bergkamp. C’était marquant de jouer avec lui ?
GG : avec le recul, bien sûr. Bergkamp, c’est la grande classe. C’était un joueur d’une intelligence exceptionnelle avec une maîtrise technique fantastique. Et puis il a toujours su adapter son jeu avec la situation du club pour pouvoir durer. Il a très bien compris qu’Henry allait être très fort, donc il l’a fait briller pendant des années alors que c’est lui qui brillait avant. Il a toujours mis ses qualités et son talent au profit du collectif. Aujourd’hui, on n'en voit pas beaucoup des joueurs comme lui, les différences que font les attaquants sont souvent physiques, lui les faisait uniquement par sa qualité technique, son intelligence, sa compréhension du jeu.
FM : à l'été 2006, Arsenal inaugure l’Emirates Stadium avec le jubilé de Dennis Bergkamp et vous êtes présent. Vous pouvez me raconter cette journée ?
GG : c’était un grand moment, on était ensemble, on a rigolé. C’était même une grande rigolade. Il y a en plus un événement un peu particulier pour moi, parce que je n'ai pas laissé marquer (Edgar) Davids. On m’en a toujours reparlé. C’est vrai que je ne voulais pas laisser un ancien de Tottenham marquer le premier but (rires). Et comme il m’a laissé la chance de ne pas lui laisser faire, j’ai sauté sur l’opportunité de manière... pas très fair-play. On en reparle tout le temps ensemble (rires).
On this day in 2006, Arsenal said goodbye to Dennis Bergkamp 🐐 as the Emirates opened its doors - and Giles Grimandi absolutely outdid himself with this tackle on Edgar Davids (I’ll never not laugh at his reaction 😂). https://t.co/wrEI3F6Svs
— Charles Watts (@charles_watts) July 22, 2019
FM : une bonne manière de laisser sa marque chez les supporters, je suppose...
GG : j’ai tellement aimé ce club. On a tellement souffert quand on a perdu et tellement été heureux quand on a gagné, qu'aujourd’hui je n’arrive pas à y être insensible, pourtant j’aimerais. Il y avait une colonie française donc on était tous ensemble, on rigolait, il y a eu de grandes histoires, il y a eu plein de choses... J’ai vraiment adoré ces 5 années avec tous ces mecs-là. Il faut se mettre dans le contexte : vous êtes en Angleterre, d’un coup une armée de joueurs étrangers arrive, vous êtes là, au milieu, vous étiez tranquille, il faut accepter quoi (pour les locaux, ndlr) ! Donc au début, on devait être capable de montrer qu’on était un joueur qui pouvait apporter à l’équipe et qu’humainement on était un mec bien. Si c'était le cas, vous étiez rapidement accepté ensuite.
FM : à l’époque, vous aviez la réputation d’une sorte de «Dr Jekyll et Mister Hyde» : discret dans la vie de tous les jours et très rugueux sur le terrain.
GG : je n’avais pas de marge. J’étais bien loin de tous les grands joueurs qu’il y avait, il y avait tellement de talent autour de moi. Mais j’avais une qualité qu’il fallait exploiter, c’était d’être sérieux, d’être au combat tout le temps. C’est là-dessus que j’ai joué. J’avais aussi le côté polyvalent. Ça m’a permis de faire pas mal de matches, de vivre ces moments-là et de gagner pas mal de titres.
FM : Un homme vous a suivi de vos débuts à Monaco jusqu'à votre reconversion, c'est Arsène Wenger. Comment définiriez-vous votre relation avec lui aujourd'hui ?
GG : (émotion, il souffle) je ne sais pas comment expliquer ça. Il y a eu mon père et il y aura eu Arsène dans ma vie. Sur la partie humaine et éducation, mon père était important avec ma famille, mais ensuite je l’ai beaucoup regardé (Arsène). J’ai très tardivement mesuré la chance de pouvoir me nourrir de cette personne-là. C’est en quittant le club et en ayant affaire à d’autres personnes que je me suis rendu compte que j’ai touché la crème de la crème. Humainement, dans la gestion d’un club, dans la vision d’un projet, c’était un enrichissement exceptionnel. J’ai toujours fait attention à ne pas rentrer dans l’affect avec Arsène (au niveau de vouvoiement, notamment) mais c’est vrai qu’aujourd’hui, je l’ai régulièrement au téléphone, on a une relation qui ne s’est pas éteinte après Arsenal. Pour moi, c’était beaucoup plus fort que ça.
FM : en 2005 vous revenez au club dans un nouveau rôle. D'abord comme superviseur en France pour Arsenal, puis comme recruteur. Comment fonctionnez-vous à ce moment ?
GG : la relation devient plus compliquée à ce moment. J’avais un statut particulier parce que j’étais l’ancien joueur du club. C’était un peu compliqué au niveau de la hiérarchie, notamment parce que j’avais un accès direct avec Arsène. Quand on est au quotidien dans un club, je pense qu’on peut être pollué, moi j’essayais de donner un avis extérieur.
FM : pourquoi compliqué ?
GG : le métier de recruteur est vraiment difficile. Vous avez des convictions, mais vous ne pouvez pas toujours aller au bout, c’est frustrant. Parfois, le garçon ne répond pas aussi bien que vous l’espériez et puis ça ne se joue pas à grand-chose... Parfois, on ne croit pas en un joueur et vous, vous y croyez, vous demandez du temps, mais on ne lui donne pas et il explose ailleurs. C’est un métier de frustrations. Vous n’êtes pas décideur. Vous donnez votre avis, il pèse plus ou moins, mais ce n’est pas vous qui appuyez sur le bouton pour déclencher à la fin.
FM : il y a un joueur que vous êtes fier d'avoir réussi à attirer ?
GG : je donnais mon avis sur tous les joueurs qui venaient. Après, j’ai des coups de cœur quand on prend des joueurs que personne ne connaît, qui sont gratuits, qu’on va chercher au fin fond de la France ou autre. C’est ça le recrutement qui me plaît. Quand on prend Francis Coquelin à Laval, que Laval est à l’agonie et qu’on sauve le club parce qu’on donne un peu d’argent et que derrière Francis fait une carrière comme il fait ! Il y a aussi le petit (Ismaël) Bennacer qu’on est allé chercher à Arles au fin fond de rien du tout, qui n’avait plus de contrat, plus rien. Il ne réussit pas chez nous mais il est à l'AC Milan. Il y a plein de petites histoires comme ça. Et puis il y en a d’autres qu’on a raté comme Kanté. Mais les histoires humaines sont intéressantes quand même.
FM : à 17h30 (heure française), Arsenal défie Liverpool pour le Community Shield. Une compétition que vous avez remporté deux fois (1998 et 1999), chaque fois contre Manchester United (3-0, 2-1) et qui se nommait alors le Charity Shield. Comment abordiez-vous ces rencontres ?
GG : j’ai des bons souvenirs de ces matches-là. C’était le dimanche après-midi, on partait à Wembley, on était relâché parce que c’était une sorte de match de prestige. Même si je pense que ça a quand même une incidence sur le reste de la saison. On pense au départ que non, mais un petit ascendant psychologique se crée sur le concurrent. Donc même si ça apparaît comme un match un peu folklore, il a malgré tout son importance.
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