Depuis le milieu des années 1990, choisir son équipementier est devenu aussi crucial que de choisir sa future équipe pour la carrière d’un joueur. Nous vous expliquons justement les enjeux et les coulisses du mercato des équipementiers.
Neymar chez Puma, Cristiano Ronaldo à vie chez Nike, Sterling bientôt chez New Balance. Le mercato des équipementiers peut être aussi mouvementé et passionnant que le marché traditionnel des transferts. Il faut dire que le marketing a pris une tout autre ampleur pour la carrière d’un joueur depuis l'avènement des réseaux sociaux et la multiplication des compétitions nationales, continentales et mondiales ainsi que leur diffusion en direct et en intégralité. Au fil du temps, le joueur s’est transformé en produit marketing bénéficiant d’une exposition maximale et quotidienne, dont les marques se sont emparées au prix d’investissements astronomiques.
Puma et adidas, des précurseurs doublés par Nike
C’est à partir des années 1950 que le marketing dans le football a vraiment pris forme avec des nouveaux équipementiers qui ont commencé à fleurir pour équiper les stars du football mondial. C’est sur un fond de rivalité entre les frères Dassler que Puma (la marque de Rudolf Dassler) a lancé la révolution avec sa première chaussure de football, l’ATOM, en 1948. Une paire qui a notamment été portée par l’ensemble des joueurs de l’Allemagne de l’Ouest contre la Suisse, lors d’un match amical historique en novembre 1950 puisque c’était le premier match international des Allemands après la Seconde Guerre mondiale.
En 1953, adidas (la marque d’Adi Dassler) lui répondait avec l’adidas Argentina et ses crampons interchangeables, qui constituait à l’époque une révolution, qui connut un vif succès puisque ce fut avec cette paire que Helmut Rahn inscrivit le but de la victoire en finale de la Coupe du monde 1954 (3-2), synonyme de première Coupe du monde pour l’Allemagne de l’Ouest.
Durant cette bataille entre les deux équipementiers allemands, d’autres marques ont essayé de faire leur trou comme Kopa (l’équipementier français de Raymond Kopa), Mitre, Stylo Matchmakers (qui équipait George Best) mais aucune n’a su rivaliser dans la durée avec Puma et adidas, qui ont pu tranquillement asseoir leur domination en équipant des superstars comme Cruyff, Pelé et Maradona pour Puma et Beckenbauer ou Rummenigge pour adidas.
Puis Nike est tranquillement entré dans la danse en 1971 avec sa première chaussure de football «The Nike», avant de frapper très fort en 1994 avec la Tiempo, que l’on retrouvait aux pieds de l’équipe du Brésil championne du monde cette même année. Puis il y a eu la sortie de la Mercurial en 1998, de la star brésilienne Ronaldo, pour répondre à la Predator d’adidas, la chaussure phare de Zinedine Zidane et David Beckham, sortie en 1994. Le début des années 2000 a définitivement marqué un tournant concernant le rapport entre équipementiers et joueurs puisque ces derniers ont commencé à signer des contrats mirobolants pour porter une marque à leurs pieds sur le terrain et en dehors.
Une chasse aux superstars
Avec la diffusion intégrale des matches des grands championnats européens ainsi que l’arrivée des réseaux sociaux, le football est devenu de plus en plus un sport de statistiques. Dans le bon sens du terme, mais aussi dans le mauvais. C’est-à-dire que l’on a vu de plus en plus de joueurs être motivés par les records de buts au détriment du jeu collectif. Cet état d’esprit, cette chasse aux records, a justement fait le bonheur des équipementiers puisqu’ils ont pu directement associer leur image aux exploits des stars qu’ils sponsorisent. Nike a dominé le marché grâce à Ronaldo, Ronaldinho, Cristiano Ronaldo et compte désormais sur Kylian Mbappé pour prendre le relais. Adidas a fait plus que de la résistance avec Zidane, Beckham ou encore Lionel Messi tandis que Puma s’est fait distancer car il n’a pas su attirer dans ses filets une superstar dans les années 2000 mis à part Samuel Eto’o.
Depuis, l’éclosion d’Antoine Griezmann a permis à la marque allemande de sortir du rang et de combler ce fossé, tout comme les signatures de Kun Agüero et Luis Suarez. Mais il manquait une SUPERSTAR à Puma pour véritablement bousculer la hiérarchie et c’est pourquoi l’arrivée récente de Neymar au sein de l’écurie allemande était un investissement risqué qu’il fallait absolument prendre.
Gagnant/gagnant
D’ailleurs, peu de gens avaient vu le coup venir. Égérie de Nike pendant plus de quinze ans (il a été signé par la marque à 13 ans), le Brésilien a soudainement décidé de quitter le navire, alors qu’une nouvelle collection chez l’équipementier américain l’attendait et devait sortir durant l’automne, pour rejoindre Puma, qui se montre particulièrement agressif depuis la rentrée 2020/2021 avec des signatures d’artistes comme Booba ou plus récemment Dua Lipa. Si les chiffres n’ont jamais été officiellement et publiquement dévoilés, Neymar aurait signé un contrat lui rapportant 25 millions d’euros par an selon The Sun, contre 8,5 millions d’euros par an lorsqu’il était chez Nike. Ce qui serait le contrat de sponsoring le plus lucratif du marché puisque Lionel Messi toucherait 15 millions d’euros par an avec adidas et Cristiano Ronaldo, 12,5 millions, chez Nike.
Le Brésilien, qui devait aussi faire face à la concurrence de son coéquipier Kylian Mbappé au sein de la marque à la virgule, aurait lui-même pris les devants (via son père et son équipe de management comme l’a révélé l’Équipe, ndlr) pour quitter Nike deux ans avant la fin de son contrat et rejoindre Puma, qui avait équipé son mentor et modèle Pelé en 1970. Il faut savoir qu’un contrat de sponsoring qui lie un joueur à un équipementier peut rapporter beaucoup plus que le contrat passé par ce même joueur avec son club. D’après nos informations, le contrat de Mario Balotelli avec Puma lui rapportait plus que son salaire annuel à l’OGC Nice. C’est pourquoi le choix de l’équipementier est crucial pour un joueur professionnel et que l’affect joue peu (en tout cas beaucoup moins que l’argent et que le statut qu’on peut leur promettre au sein de la marque) dans cette décision.
Le choix du joueur demeure aussi crucial pour l’équipementier qui va directement lier son image à celle d’un joueur, qui pourrait avoir un comportement inapproprié en dehors du terrain. Généralement, les équipementiers se protègent à travers des clauses qui peuvent stipuler une annulation du contrat de sponsoring en cas de dérive grave du joueur. Ce qui va compter pour l’équipementier, c’est évidemment le niveau du joueur mais aussi sa popularité et les valeurs qu’il véhicule déjà. « Il est un tout. Sa façon de se comporter, sa tenue, son rapport aux réseaux sociaux… Il est parfait pour nous. Désormais, le marketing d’une marque comme Puma n’est plus seulement le sport mais la culture entourant le sport. On recherche des personnalités qui transcendent les genres, qui s’intéressent aussi à la mode, à la musique… et c’est le cas de Neymar », racontait Björn Gulden, le DG de Puma, à l’Équipe.
Premiers arrivés, premiers servis ?
Pour attirer les futures stars de demain, les équipementiers envoient des équipes de recruteurs/scouts dans le monde entier pour dénicher la future pépite du football. Pour les outsiders du marché comme Puma, ce scouting est crucial pour ne pas dire vital. « À la fin des années 2000/début des années 2010, Puma avait constitué une équipe de recruteurs pour dénicher des joueurs prometteurs pouvant porter l’image de la marque dans les années à venir. C’était une époque où la marque n’avait plus de joueurs phares à part Eto’o et où Nike était vraiment au-dessus. Donc on avait ce challenge, d’attirer les jeunes joueurs vers nous avant qu’ils n’explosent aux yeux du grand public. De mon côté, j’allais voir les matches des équipes de France U16 pour trouver ces joueurs. C’est durant cette période que la marque a signé Olivier Giroud alors qu’il jouait à Tours, Antoine Griezmann quand il débutait à peine à la Real Sociedad, Thomas Lemar à Caen ou encore Kalidou Koulibaly à Metz. C’était un challenge parce qu’à l’époque, les joueurs ne s’identifiaient pas forcément à la marque et que les produits n’étaient pas d’aussi bonnes qualités qu’aujourd’hui. Et des quatre joueurs que j’ai cités, seul Thomas Lemar est parti ailleurs (chez adidas, ndlr) alors qu’ils ont tous explosé au haut niveau donc ça montre l’importance de cette démarche », nous raconte Serge Costa, ancien scout chez Puma qui est actuellement entraîneur adjoint au Amiens SC et spécialiste du player development.
Certains joueurs prometteurs sont pistés très jeunes, vers 11/12 ans, et parfois même à 9 ans comme Shane Kluivert. Les plus prometteurs d’entre eux vont pouvoir décrocher rapidement un contrat en or comme Youssoufa Moukoko (16 ans), le jeune international allemand U19 du Borussia Dortmund qui avait signé un contrat de près de 1 million d’euros avec Nike à 14 ans. Et pour conserver l’intérêt des autres joueurs, les équipementiers envoient généralement gratuitement des produits (chaussures, vêtements). Le but de cette démarche, créer de l’affect en les amadouant et jouer sur le biais psychologique de réciprocité (« on t’envoie gratuitement des produits car on croit en toi donc on espère que tu ne nous oublieras pas quand tu passeras pro »).
Une bataille perdue d’avance pour les “petits” équipementiers ?
Avec une visibilité moindre et donc un budget restreint, les « petits » équipementiers, ou du moins challengers, ont du mal à exister dans ce marché ultra dominé par Nike et adidas. Des équipementiers comme New Balance, Lotto, Kappa ont donc choisi de miser davantage sur les clubs et leurs maillots pour tirer leur épingle du jeu et être rentables. Il faut aussi dire que ces équipementiers sont aussi pénalisés par un réseau de distribution plus restreint que les mastodontes. Si les produits estampillés Nike et adidas sont présents dans quasiment toutes les boutiques généralistes de sport du monde, ce n’est pas le cas des New Balance, Under Armour, Lotto, Kappa ou Mizuno.
Malgré ce désavantage, New Balance tente actuellement des coups. En plus d’avoir Sadio Mané comme égérie dans ses rangs, la marque américaine a récemment approché Raheem Sterling et Sergio Ramos, comme nous l’a révélé le site FootyHeadlines.com. Les deux sont actuellement sous contrat chez Nike mais la concurrence féroce au sein de la marque à la virgule pourraient les pousser à choisir un équipementier prêt à dépenser des grosses sommes pour eux tout leur proposant un statut d’égérie n°1, n°2, n°3 que ne peut pas leur offrir Nike.
Avec l’agressivité de Puma, la nouvelle politique de Nike, qui réduit ses dépenses, et l’émergence d’outsiders comme New Balance, le mercato des équipementiers promet d’être aussi agité dans les années à venir que le marché traditionnel des transferts.