La rupture pour faute grave, le nouvel outil à la mode des clubs

Ces dernières années, nombreux sont les acteurs à être évincés de leur club pour faute grave. Un motif de rupture de contrat qui ne cesse de se répandre. Explications.

Par Matthieu Margueritte
9 min.
Le conseil des Prud'hommes, nouveau terrain de jeu pour les clubs @Maxppp

Pour tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Rod Fanni, Henri Bédimo, Anatole Ngamukol, Adil Rami ou plus récemment, Ghislain Printant. Ces quatre hommes, acteurs du paysage footballistique français ont un point en commun : ils ont vu leur contrat être rompu pour faute grave. Un motif dont les termes font froid dans le dos à de nombreux salariés qui se retrouvent ainsi privés de leur emploi du jour au lendemain. Un phénomène qui arrange aujourd'hui bien les clubs quand ladite faute grave n'est pas spécialement avérée. Mais avant toute chose, qu'est-ce qu'une faute grave ? « C’est une faute d’une telle gravité qu’elle rend immédiatement impossible, même pour un jour de plus, la poursuite des relations contractuelles. C’est à celui qui l’invoque de la prouver. C’est donc pour ça que les salariés prennent rarement l’initiative de la rupture», nous explique l’avocat Christophe Bertrand, qui gère les dossiers Fanni et Ngamukol, entre autres.

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Une procédure identique pour tous

Une procédure bien encadrée par le Code du travail, valable aussi bien pour le monde du football que pour une entreprise dite "normale", et qui concerne les CDD (contrat à durée déterminée) et les CDI (contrat à durée indéterminée). « La faute grave est la porte de sortie commune entre CDD et CDI. Dans une entreprise ordinaire, c’est organisé un peu de la même manière», nous indique Olivier Motte, avocat en droit social chez Majorelle Avocats. « Le sport s’insère dans les règles juridiques qui sont valables pour tous et qui sont connues. Le contrat de travail d’un joueur professionnel de football est un CDD. Avant, c’était un CDD dit d’usage et c’est devenu un CDD dit spécifique. Pour rompre un CDD avant son terme fixé par les parties, il faut rentrer dans des cases qui sont d’ordre public, prévues par le Code du travail : l’accord entre les parties (résiliation à l’amiable), le cas de force majeure, la faute grave, si le salarié trouve un CDI et le cas d’inaptitude définitive à pouvoir exercer son emploi », ajoute Me Bertrand.

Une procédure identique pour tous, mais assez nouvelle dans le monde du football. Malheureusement pour les acteurs du ballon rond, il s'agit d'un phénomène qui n'a cessé de se répandre depuis trois, quatre ans. Contrairement au monde du travail ordinaire. « Il n’y a pas de statistiques, mais ce n’est pas un phénomène nouveau. C’est connu de longue date. La faute grave doit rester l’exception. Généralement les entreprises y recourent de manière exceptionnelle, quand les faits sont vraiment avérés», précise Me Motte. Les entreprises "normales" réfléchissent donc plus longuement avant de lancer la machine juridique. « Il y a plus de vigilance, de préparation. La faute grave est assez présente dans les entreprises, mais avec plus de discernement. Les entreprises n’utilisent la faute grave qu’en cas de dernier recours. Elles font attention à ce qu’il n’y ait pas de confusion entre les attentes de résultats et la faute. La faute grave est quand même assez vexatoire donc il y a un risque de Prud’hommes qui est très avéré dans le milieu de l’entreprise. Il faut vraiment prouver qu’il y a eu une très grande violation des obligations contractuelles. Donc les entreprises assurent leurs arrières. On va moins être sur du dénigrement public, mais plus sur du dénigrement interne », ajoute Me Motte.

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La faute grave plus facilement prétextable dans le monde du foot

Pourquoi alors se montre-t-on plus impatient dans le monde du football ? La procédure pour faute grave s’insère dans le droit du travail, dans le cadre d’une procédure dite disciplinaire qui répond à des impératifs de délai. Dès lors que l’employeur ou le salarié peut considérer avoir eu connaissance des faits, il doit mettre en oeuvre la procédure dans un délai de deux mois. Passé ce délai, on ne peut plus reprocher à l’autre cette faute, même si elle est réelle. Un laps de temps qui joue en défaveur des clubs. Et s'il est rare de voir un salarié faire le premier pas, ce timing explique, en revanche, pourquoi les clubs dégainent cette carte aussi rapidement. « Depuis trois, quatre ans, les clubs disent qu’ils en ont marre de se retrouver avec ces joueurs là sur le dos, donc au moindre faux pas, réel ou qu’on monte en épingle, on en profite et on dit que c’est une faute grave. On sait que ça va passer devant la Ligue, mais on rompt le contrat. Le club ne le justifie pas forcément, c’est artificiel. Pour Fanni, par exemple, le club a pris prétexte d’un article paru dans la presse en janvier alors qu’il était mis sur le banc six mois avant et que le club avait déjà dit par presse interposée qu’il ne comptait plus sur lui. Ces délais-là sont problématiques pour l’employeur vis-à-vis d’un joueur qui ne fait rien (pas de faux pas). Donc c’est pour ça que ce qui est à la mode ce sont les articles de presse ou l’insubordination. Un joueur que le club écarte des matches, voire des entraînements, de l’équipe professionnelle, mais qui refuserait un jour de faire un tour de terrain et c’est faute grave », explique Me Bertrand.

Si l'on écarte les critères hautement improbables ou exceptionnels, à savoir le cas de force majeur, la signature d'un CDI et l'inaptitude définitive, le choix de la faute grave est vite fait pour se débarrasser d'un élément jugé trop encombrant. La résiliation à l’amiable pose également problème pour des clubs qui ne veulent pas payer une indemnité au joueur mis en cause ou qui doivent faire face à un élément refusant de partir. Dans certains cas, le club peut alors préférer bloquer le joueur même sil ne le fait pas jouer (les fameux lofts), quitte à le transférer plus tard pour récupérer quelques deniers. «Dans le lot, il y en a bien qui vont craquer. Ceux qui sont en fin de carrière vont accepter urne résiliation à l’amiable et d’autres vont accepter d’être transférés. Et il y a ceux qui ne sont pas d’accord, qu’est-ce qu’on en fait ? Les clubs détournent la procédure pour pouvoir se débarrasser rapidement du salarié. Il peut y avoir de vrais cas bien sûr. Il n’y a pas d’autres choix pour le CDD (que la faute grave). Soit on est d’accord, soit c’est la faute grave. Il n'y a pas de juste milieu. Même s'ils savent que ça ne tient pas la route, il n'y a pas le choix», poursuit Me Bertrand. C'est donc là que la carte faute grave est souvent jouée.

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Reporter le problème à plus tard

Prétendre à une faute grave permet deux choses : de se débarrasser du joueur rapidement et de reporter le problème à plus tard, le temps que ce soit jugé par les Prud'hommes. «Avant, l’employeur devait supporter le joueur toute la saison et la Ligue essayait de donner injonction au club de le réintégrer. Maintenant, ils savent que les joueurs saisissent la commission juridique de la Ligue qui ordonne la réintégration. Donc pour passer outre, l'usage de la faute grave permet de mettre le salarié en mise à pied conservatoire. Il ne peut plus remettre les pieds au club donc le problème n'est plus présent. On envoie le dossier aux avocats et on fait la lettre de rupture. On est convoqué devant la Ligue, mais les clubs expliquent que leur employé leur a manqué de respect. Et derrière, ça part aux Prud'hommes et on a en pour douze mois et s'il y a appel, ça dure trois ans et le problème est repoussé à plus tard», explique Me Bertrand. En termes de longueur de procédure, là encore, pas de différence entre le monde du football et le monde "normal" de l'entreprise. «Les délais aux Prud’hommes sont les mêmes», confirme Me Motte.

Un jugement suivi d'une conciliation à l'amiable peut prendre neuf mois et un an environ, tandis que l'absence d'accord et d'une procédure d'appel peut repousser le verdict final de deux à trois ans. Des délais pratiques pour les clubs. Repousser l'affaire dans le temps permet ainsi d'économiser un salaire, mais aussi parfois de ne pas s'embêter avec un dossier compliqué et de “refiler” la patate chaude à une nouvelle équipe dirigeante. Et vu les changements d'organigramme récurrents dans le monde du ballon rond, un tel scénario est loin d'être utopique. Ensuite, les clubs comptent également sur un écrémage lié au temps. «Il y a de l'écrémage. Parmi les salariés, tous n'ont pas le courage et l’argent pour aller au bout des procédures qui peuvent aller jusqu’à plus de trois ans. Le salarié qui est viré du jour au lendemain et qui n’a pas de plan B (d’autre club) est souvent plus enclin à venir négocier l’indemnisation de la rupture», explique Me Bertrand. Pour les plus téméraires, la suite se passe donc aux Prud'hommes.

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L'arroseur peut parfois être arrosé

Là encore, pas de différence majeure de traitement entre un salarié lambda et un acteur du ballon rond en ce qui concerne les réclamations d'ordre financier. Le salarié a droit au minimum aux rémunérations qui lui restaient dues jusqu’au terme du contrat, lorsque l'on parle d'un CDD. Et pour l'aspect technique de la chose, on parle de licenciement pour les CDI et de rupture anticipée justifiée ou abusive pour les CDD. Le Code du travail prévoit que les ruptures abusives de CDD soient indemnisées par celui qui a rompu abusivement. Le salarié peut aussi demander des dommages complémentaires (préjudice moral par exemple). Sauf que dans ce cas précis, être un joueur de football fera la différence par rapport à un employé ordinaire. « Le Conseil des Prud’hommes est très réticent (à accorder des dommages et intérêts). Ce sont deux employeurs et deux salariés qui jugent. Donc ils vont traiter les cas de salariés d’entreprise qui n’ont pas ce niveau de salaire. Ils jugent en droit et en opportunité. Donc ils sont aussi juges des montants des condamnations. Il est certain que, dès qu’on a des niveaux importants de rémunération même dans des entreprises ordinaires, il est plus délicat d’aller demander des réparations accessoires, qui ne concernent pas le coeur du débat », prévient Me Motte.

Toutefois, si la mise en place d'une procédure pour faute grave reste un atout pour les clubs, il peut arriver que l'arroseur soit arrosé. « Le Prud’homme est une procédure qui dure assez longtemps, un an. Certains pensent pouvoir payer que lorsque la cour d’appel aura décidé. Or, on peut se retrouver à attendre, trois ans, trois ans et demi. Si les clubs misent là dessus, ça peut être risqué, car parfois, le Conseil des Prud’hommes peut dire qu’il a bien compris la stratégie (de gain de temps de la part des clubs) et prononcer une exécution provisoire sur les condamnations. Ça veut dire que le club peut faire appel, mais uniquement s'il paie les condamnations du (premier) jugement », conclut Me Motte, qui précise toutefois que cette mesure, qui existe également pour un salarié ordinaire, n’est pas fréquente.

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