Al-Sadd, Maroc, Romain Saïss : « je ne demande aucun passe-droit en sélection »
Courtisé en Europe, Romain Saïss a fait le choix de filer au Qatar, à Al-Sadd. Un choix qui fait beaucoup réagir et que le défenseur de 33 ans a tenu à justifier en exclusivité pour Foot Mercato.
Foot Mercato : après une saison à Besiktas, vous avez décidé de quitter le club. Pour quelles raisons ?
Romain Saïss : pendant des mois, je n’ai jamais rien dit. Je me suis toujours focalisé sur l’équipe et sur moi jusqu’à la fin de saison. Je pense que ce n’était pas le bon moment pour parler. Si j’ai fait le choix de quitter Besiktas, ça n’a rien à voir avec le club, les fans ou mes coéquipiers. Le seul problème, c’est avec le coach (ndlr : Şenol Güneş). Depuis qu’il est arrivé, il y a eu une accumulation de choses qui m’ont amené à me dire que je devais partir car je ne pouvais pas faire confiance à une personne comme ça.
FM : que s’est-il passé concrètement ?
RS : ça a commencé à la Coupe du Monde. Il m’a reproché des choses. Que tu ne sois pas d’accord avec ce que je fais, ce n’est pas un problème. Mais tu ne peux pas venir face à la presse pour te faire bien voir et ensuite en privé venir dire l’inverse. Me tailler devant la presse car je vais jouer une demi-finale blessé pour mon pays puis ensuite me dire en privé que j’ai bien fait et qu’il aurait fait la même chose.
FM : il y avait aussi la possibilité d’un transfert dès le mercato d’hiver…
RS : à la trêve hivernale, j’avais aussi une proposition pour retourner en Angleterre. J’avais expliqué au coach que je souhaitais y retourner car j’ai une histoire la-bas. Mais je savais que c’était la fin du mercato et que le club allait avoir du mal à me remplacer. J’ai 33 ans, je n’allais pas bouder si je devais rester encore 6 mois et je l’ai fait de manière très professionnelle. Ils ont refusé une offre car ils souhaitaient me garder. Sauf qu’à la fin du mercato, le club recrute finalement un défenseur central gaucher, à mon poste. Et le coach m’a envoyé sur le banc. Je ne vois pas l’intérêt de me bloquer après m’avoir dit que j’étais le meilleur. Sans la blessure d’un coéquipier, je savais très bien que je n’allais pas rejouer et je ne voulais pas prendre le risque d’une nouvelle saison comme ça. Il me disait clairement "tu es mon meilleur défenseur, voire mon meilleur joueur". Je lui disais "comment tu m’expliques que je sois sur le banc alors ?". S’il y avait un problème, il fallait me le dire. Après il y a eu son comportement quand j’ai eu des soucis personnels.
FM : c’est-à-dire ?
RS : ma femme avait eu des soucis de santé et était restée bloquée au Qatar. J’avais dû faire un aller retour Qatar-Maroc après le Mondial en 48 heures pour rester auprès d’elle. Une fois là-bas, on me dit de rentrer sur le champ à Istanbul pour faire constater ma blessure et recommencer les entraînements. J’ai dû revenir car je n’avais pas le choix et malheureusement, j’ai dû repartir au Qatar car ça n’allait toujours pas mieux. On est même plus sur du sportif là. D’ailleurs depuis qu’il est là, le directeur sportif a demandé à partir deux fois en moins de 6 mois. Le coach n’a causé que des problèmes.
« Ma signature à Besiktas ? Je devais trouver une solution car il y avait une Coupe du monde qui arrivait »
FM : la saison dernière, vous étiez libre et sortiez d’une grosse expérience avec Wolverhampton, n’y avait-il pas mieux que Besiktas ?
RS : déjà Besiktas reste un très grand club en Turquie. Mais moi j’avais dit que mon objectif était de rester en Premier League après mon contrat à Wolverhampton. Sauf que je n’avais pas les offres tout simplement. Je n’avais aucune offre concrète. Même une discussion, il n’y avait rien. Mon agent de l’époque (ndlr : Vadim Vasilyev) ne m’avait rien ramené alors que j’étais libre depuis janvier et que je sortais de 5 belles années chez les Wolves. C’est pour ça que j’ai changé d’agent. Je devais trouver une solution car il y avait une Coupe du monde qui arrivait. En tant que capitaine de mon pays, et avec ce que représente le Maroc pour moi, je ne pouvais pas me permettre d’attendre et prendre le risque de signer fin août. Car j’aurais raté toute une préparation. Et comme j’étais en fin de contrat, je n’allais même pas reprendre avec un club et où j’aurais pu me dire que je continue à me préparer pour garder la forme. Là non, j’aurais dû prendre un préparateur physique, faire ma préparation tout seul sans match etc. Comment je serais arrivé à la Coupe du monde ? J’ai fait un choix dans l’optique d’être prêt au Mondial.
FM : en parlant de choix, vous venez de faire celui de rejoindre le club qatari d’Al-Sadd, pourquoi ?
RS : c’est un choix réfléchi. J’ai pesé le pour et le contre. Aujourd’hui, j’ai souhaité donner une nouvelle tournure à ma carrière en décidant avec ma famille. C’est la meilleure solution possible. Je sais déjà ce que les gens vont dire, que je viens en pré-retraite. Ce n’est pas du tout le cas. J’ai encore l’optique de jouer des CAN et une Coupe du monde en 2026. J’aurais 36 ans. J’ai toujours fait des choix en rapport avec ma sélection. Je suis le plus capé de l’équipe, je suis capitaine. Je sais ce que j’ai à faire et je n’attends pas qu’on me dise ce que je dois faire pour rester compétitif. On ne va pas se mentir, le Qatar n’est pas la Premier League. Mais j’ai 33 ans, je me connais suffisamment et je sais ce que je dois faire pour mon bien et celui de la sélection. C’est ma priorité.
FM : il y avait pourtant des offres concrètes en Europe non ?
RS : j’ai eu des discussions avec des clubs. Il y a eu des échanges, des propositions. Après, l’idée était de prendre la meilleure décision pour moi et ma famille. Il y avait énormément de paramètres. Je devais me retrouver dans plein de choses. Encore une fois, je sais que ça va faire parler. Je vois bien dans la presse, ça sort des clubs. Je peux te faire la liste des clubs où on m’a envoyé depuis le début de ma carrière. Au final, je n’ai pas tellement bougé (rires). Certaines choses auraient pu se passer autrement, il y a des aléas et il faut s’adapter, c’est normal. Si je suis bien dans ma tête, et dans un bon environnement, je peux m’épanouir en club et en sélection.
FM : l’idée de disputer la Ligue des Champions que vous n’avez jamais joué dans votre carrière, ça n’a pas compté dans votre choix ?
RS : j’ai dû avoir 4-5 propositions fermes de clubs qui jouaient la Ligue des Champions ou une Coupe d’Europe. Évidemment que la C1 c’est le top du top. Mais voilà, il y a des décisions qui doivent être prises et respectées. Détailler chaque offre et pourquoi ça n’a pas abouti, ce serait long et compliqué. Quand on prend une décision comme celle là, on pense à tout surtout quand on est un père de famille, qu’on a une femme, des enfants. Je pense avoir pris la meilleure décision possible pour mon environnement et je ne regrette rien. Après, ça fera toujours parler oui. Mais je n’entends pas forcément parler quand les grands joueurs rejoignent l’Arabie saoudite ces derniers temps. Ça ne choque personne.
« Quand tu regardes l’historique des équipes qui ont gagné la CAN récemment, combien avait aussi des joueurs dans des championnats mineurs ? »
FM : vous étiez longtemps pisté par l’OM, un club que vous portez dans votre cœur, qu’est ce qui a empêché votre signature ?
RS : il y avait un intérêt de l’OM. Ça a été, je crois, le premier club avec qui j’ai discuté. Avant même le début du mercato, j’avais échangé avec le président et le directeur sportif Javier Ribalta. Ça s’était très bien passé. Il y avait une offre de contrat du club et une offre pour Besiktas qui l’avait refusé. Je n’ai jamais caché que j’étais fan de l’OM étant petit. Pour moi, c’était une belle opportunité, un grand club français avec la C1. J’avais un intérêt. Mais malheureusement avec l’arrivée de Marcelino, j’ai senti qu’ils commençaient à avoir certaines réticences. Avec mes agents, on a compris que ce serait compliqué. Pour tout ça, ça ne s’est pas fait. Ça aurait pu se faire plus tôt si Besiktas avait accepté l’offre.
FM : vous parliez de vos objectifs en sélection, est ce que le fait de rejoindre le Qatar change justement vos objectifs ?
RS : ça ne change rien. Je sais ce que j’ai à faire pour rester compétitif. Je pense être un bon professionnel. Je connais très bien mon corps. Je ne demande aucun passe droit du coach. Je veux arriver la bas en étant le même. Quand j’ai signé à Besiktas, on m’a reproché la même chose. On me demandait pourquoi ne pas avoir attendu pour rejoindre l’Angleterre. Je pense qu’avec la Coupe du Monde et les matchs que j’ai enchaîné après, j’ai répondu. Quand tu joues pour ton pays, c’est ce qu’il y a dans ton coeur qui te fait avancer. Quand tu regardes l’historique des équipes qui ont gagné la CAN récemment, combien avait des joueurs dans des championnats mineurs ? La Zambie qui gagne en 2012 avec Hervé Renard, je ne pense pas qu’ils avaient 24 joueurs en Premier League ou quoi. C’est un faux problème. Tout le monde aurait rêvé d’avoir une carrière en jouant au Bayern Munich ou à City. On fera comme on a toujours fait, on va travailler pour leur montrer qu’il n’y a pas à s’en faire.
FM : vous êtes capitaine du Maroc, est-ce que vous avez parlé de ce choix à Walid Regragui ?
RS : bien sûr. Je lui en ai parlé. On a eu une discussion. Il me connaît et sait comment je suis. Comme on a dit, il n’y aura pas de passe droit. Si un jour je ne suis pas au niveau, et qu’on doit me mettre de côté, on le fera. C’est simple. Le Maroc me tient à cœur et je ne viens pas au Qatar pour me dire que ça y est j’ai fait cette Coupe du monde et c’est bon. Non. J’ai envie de ramener une CAN, un trophée que tout le monde veut au pays depuis des années. Je ferais tout pour contribuer à ça. Et même le club d’Al-Sadd a énormément d’internationaux d’Asie, d’Amérique du Sud où d’Afrique.
FM : aujourd’hui, on lit beaucoup de critiques sur votre conseiller Medhi Benatia (ndlr : ex-international marocain et ex-coéquipier) et son rôle dans ce transfert. Quelle a été son influence ?
RS : il n’a eu aucune influence. Son rôle à lui, c’est de m’amener ce qu’il y a de mieux et la finalité, c’est moi qui décide avec ma famille. Sans lui manquer de respect, je n’ai pas attendu Benatia pour faire des choix dans ma vie. Il a simplement fait son travail. D’ailleurs, il a même très bien fait son travail car je pense que je n’ai jamais eu autant d’offres à ce moment du mercato. J’avais des clubs en C1 alors que je n’avais pas ça avant. En janvier dernier, il m’avait aussi ramené une grosse proposition d’Angleterre. Et quand on lui reproche d’avoir un réseau uniquement en Turquie ou au Qatar, c’est mal le connaître. C’est quelqu’un qui travaille énormément, qui a des contacts partout que ce soit en Italie, au fin fond de l’Arabie saoudite, en Angleterre ou ailleurs. Et il est reconnu pour ça… Il aurait sans doute été fier de me voir dans une équipe qui joue la Ligue des Champions. Mais la décision m’appartient. On a une relation particulière car je le considère comme un ami. On se connaît depuis 15 ans et je connais bien l’homme. Quand j’entends certaines choses, ça me fait mal car ça m’embête d’entendre ça sur lui.
FM : depuis l’annonce de votre départ au Qatar, vos agents sont ciblés par le public marocain. Comprenez-vous ces critiques ?
RS : je comprends dans le sens où ils souhaitent voir les meilleurs joueurs du pays rayonner dans les meilleurs clubs. C’est normal. Même moi, en étant petit, quand je voyais Chamakh ou Benatia, ça me faisait plaisir de les voir signer à Arsenal ou au Bayern. Mais quand tu n’es pas dans le milieu, tu ne sais pas ce qu’il s’y passe. Les gens ne connaissent qu’1% de la vérité. Ils peuvent paraître frustrés. Ce n’est pas contre eux. Le choix, tu le fais d’abord pour toi. Je ne pense pas qu’on puisse me dire à moi, ou à Benatia, que je n’aime pas mon pays, que je ne le mets pas en valeur. Benatia a été un des premiers à l’amener au très haut niveau donc il y a une exigence. Mais il ne faut pas dire du mal ou penser qu’on ne veut pas le bien de notre pays. J’ai fait 3 CAN et 2 Coupes du Monde. On est fier d’avoir contribué à ça. Malheureusement, les gens ne savent pas la vérité du football dans les choix, les transferts etc. Ils ne savent pas que certains voient les choses différemment. Le football c’est bien mais il y a aussi des mauvais côtés et énormément de sacrifices. Je ne dis pas qu’on est à plaindre mais ce n’est pas facile pour tout le monde.
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