Bundesliga

Pourquoi le football allemand est paralysé par un fort mouvement de contestation ?

Depuis le début de l’année civile, de nombreux supporters allemands manifestent dans les stades de première et de deuxième division contre l’entrée d’investisseurs étrangers au capital de la Ligue de football allemande (DFL). Sous pression et face à l’ampleur de la colère, les dirigeants de la DFL semblent résignés à vouloir abandonner leur projet.

Par Victor Garlan
6 min.
Le Signal Iduna Park lors d'une rencontre @Maxppp

Le football allemand traverse une zone de turbulences sans précédent. Depuis le début de l’année civile, le stade en Allemagne, qu’il appartienne à la première division ou à l’échelon inférieur, n’est plus le théâtre conventionnel où, dans la quête des trois points, deux équipes se rendaient coup pour coup pendant quatre-vingt-dix minutes. Désormais, il est devenu un lieu où les supporters se mobilisent contre un accord conclu en catimini par la Ligue de football allemande (DFL). Ces manifestations, d’ordre pacifique, ont pris des formes bien différentes au fil des semaines. En janvier, il était coutume de voir fleurir dans les travées du Vonovia Ruhrstadion (Bochum), du Signal Iduna Park (Dortmund) ou encore du Ostseestadion (Rostock) des banderoles cinglantes à l’intention de l’instance dirigeante allemande. Parfois, les tribunes étaient même laissées à l’abandon par les fans au coup d’envoi en signe de protestation. Ces dernières semaines, les supporters allemands ont prouvé qu’ils avaient de la suite dans les idées en perturbant les rencontres par des jets d’objets, comme des pièces d’or en chocolat ou des balles de tennis, sur les pelouses, obligeant à de fréquents arrêts de jeu. Pas plus tard que le week-end dernier, une poignée de fans ont innové sur la pelouse de Rostock, à l’heure où le club de Bundesliga 2 croisait le fer avec Hambourg, en ayant recours à des voitures télécommandées, équipées de fumigènes, et lancées à l’improviste sur le pré. Suffisant pour donner le tournis aux stadiers.

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Conséquence, le mécontentement des supporters allemands s’est traduit par l’interruption d’une quinzaine de matchs outre-Rhin au cours des deux derniers mois, allant jusqu’à susciter l’inquiétude des joueurs. Si certains ont pris la peine de se confronter directement aux supporters parqués dans les tribunes pour appeler au calme, à l’instar du capitaine et défenseur de Bochum Anthony Losilla pour éviter que le match ne soit définitivement arrêté à l’heure où son équipe jouait un mauvais tour au Bayern Munich à l’occasion de la 22e journée de Bundesliga (défaite 3-2 des Munichois), d’autres ont exprimé leur ras-le-bol comme Emre Can. «Nous en souffrons beaucoup. Ce n’est pas facile, vous perdez votre rythme. Il y a un moment où c’est assez. J’espère que cela va s’arrêter bientôt», confiait le milieu de terrain au coup de sifflet final du match entre le Borussia Dortmund et le VfL Wolfsburg, le 17 février dernier. Même son de cloche du côté du portier suisse du BVB, Gregor Kobel qui lui a fustigé les jets d’objets. «Je dois faire attention quand des billes et des boules de caoutchouc sont jetées dans ma surface. Cela me gêne beaucoup. Il faut qu’une solution soit trouvée le plus vite possible car cela ne peut continuer», exprimait le Suisse dans des propos rapportées par l’AFP.

Quand les supporters allemands défient le «football business»

Mais alors comment peut-on expliquer ce phénomène de grande ampleur qui paralyse le football allemand et qui expose les clubs professionnels à de lourdes amendes ? Pour mieux le comprendre, il est nécessaire de se référer au 17 décembre 2023, date à laquelle la DFL était encore loin de s’attendre à des conséquences aussi préoccupantes pour les joueurs, les clubs mais aussi les téléspectateurs, également touchés par cette vague de contestation. En réalité, les fans protestent contre un accord passé il y a plusieurs semaines entre les deux tiers des membres de la Ligue allemande de football, en charge d’organiser la Bundesliga, portant sur la cession d’une part de 8 % des droits télévisés à venir en échange d’un apport de capital de plusieurs centaines de millions d’euros. L’instance dirigeante, qui peut se frotter les mains en constatant chaque semaine que les stades allemands affichent majoritairement complets à travers les deux divisions, estime que l’image de son championnat est loin d’atteindre celle de la Premier League ou de la Liga en Espagne. Ainsi, la décision de faire appel à un investisseur se justifie par la volonté d’aider à commercialiser et promouvoir à l’international dans le but de garantir un succès durable à long terme de la Bundesliga.

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En revanche, les puissantes organisations de supporters allemands l’envisagent différemment. Selon eux, cette décision votée à une courte majorité et allant dans le sens d’une sur-commercialisation de leur sport, manque de transparence. Surtout, cet accord dénoncé à de multiples reprises dans les stades semblent mettre à mal la règle du «50 + 1». Dans les faits, cette mesure fondamentale figure dans le règlement de la DFL depuis octobre 1998 et stipule que les investisseurs ne doivent pas posséder plus de 49 %, la majorité devant être détenue par une association à but non lucratif dans laquelle les supporters conservent un pouvoir décisionnaire. Bien qu’ancrée dans les mœurs depuis maintenant deux décennies, cette règle a été critiquée par le passé à maintes reprises. Son efficacité a également été remise en cause au cours de l’incroyable ascension du RB Leipzig au début des années 2010. Pour rappel, en rachetant le club en 2009, le patron de Red Bull Dietrich Mateschitz était parvenu à contourner cette règle en créant un comité qui se voyait détenir les 51 % des voix. En d’autres termes, cette clause limite l’influence d’un investisseur potentiel étranger.

Les supporters ont fait plier la DFL !

Outre la peur d’une ingérence dans le football allemand, ce mouvement est également motivé par un sentiment populaire et démocratique profondément enraciné en Bundesliga et qui tend à se démarquer des autres championnats. Alors que le football allemand semblait au bord du naufrage au cours des dernières semaines, il s’avère que la gronde des supporters ait enfin porté ses fruits. Si le fonds d’investissement américain Blackstone, inquiet par la montée des contestations, a jeté l’éponge, le comité exécutif de la DFL via son porte-parole Hans-Joachim Watzke a décidé d’abandonner les négociations avec le fonds de capital-investissement luxembourgeois CVC, dernier candidat en lice. «Le comité de direction a décidé à l’unanimité, lors de sa réunion à Francfort, de ne pas poursuivre le processus de conclusion d’un partenariat de commercialisation avec des investisseurs étrangers. Une poursuite satisfaisante du processus ne parait plus possible au vu des développements actuels», a affirmé le président du Borussia Dortmund.

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Il poursuit ainsi : «Même s’il y a une grande majorité en faveur de la nécessité entrepreneuriale du partenariat stratégique : le football professionnel allemand se trouve au milieu d’une épreuve de force qui provoque de grands débats, non seulement au sein de l’association de la ligue entre les clubs, mais aussi au sein des clubs entre les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants de clubs, les organes de surveillance, les assemblées générales et les communautés de supporters, débats qui mettent en danger avec une véhémence croissante le déroulement des matchs et donc de l’intégrité de la compétition.» En outre, le combat d’une large frange de supporters contre le football business en Allemagne semble avoir fonctionné. C’est une bonne journée pour les fans de football allemand. «Les protestations importantes mais très pacifiques ont finalement été la clé du succès», s’est notamment réjoui Thomas Kessen, porte-parole de l’association de supporters Unsere Kurve («Notre virage»). En revanche, il s’agit dorénavant pour la DFL de réfléchir à un moyen de trouver un équilibre entre ouverture aux investisseurs étrangers et préservation des valeurs du football allemand.

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